vendredi 17 avril 2020

Le combat d'arrière-garde de Didier Raoult


Ce n'est pas moi qui dis que Didier Raoult mène un combat d'arrière-garde, je ne me le permettrais pas. Celui qui donne ainsi son opinion sur le grand professeur à barbe blanche s'appelle Yves Gingras et il est « historien et sociologue des sciences québécois » selon Wikipédia.

Dans l'émission scientifique Les années lumières sur Radio-Canada il était interviewé au sujet, vous l'avez compris, du Covid-19, et il est intéressant pour nous Français (ou Belges, ou Suisses, ou autres…) d'avoir le point de vue d'un Canadien afin de prendre un peu de hauteur en s'extirpant du bourbier dans lequel nous pataugeons depuis plusieurs semaines maintenant.

Yves Gingras a une formation de physicien, il n'est donc pas médecin et n'a pas d'avis particulier sur le Covid-19 en lui-même, il laisse cela aux spécialistes, par contre il nous rappelle dans l'émission l'importance de la démarche scientifique en matière médicale depuis l'immédiat après-guerre.

Il y a toujours eu une guéguerre entre ce que l'on pourrait appeler les médecins praticiens, catégorie à laquelle appartient Didier Raoult, et les chercheurs qui se basent sur la démarche scientifique en utilisant notamment les statistiques afin de déterminer l'importance (ou l'insignifiance) d'un médicament testé par rapport à un autre déjà connu.

Les premiers cherchent avant tout à guérir les patients qui se présentent à eux, les seconds s'emploient eux à démontrer que tel ou tel médicament est ou non efficace pour traiter telle ou telle maladie. 

Nous apprenons avec Yves Gingras que c'est donc dans les années 1940 qu'on a établi qu'il était indispensable de mener des essais randomisés en double aveugle afin de montrer qu'un nouveau médicament pouvait avoir un rapport bénéfice/risque meilleur qu'un ancien traitement, et cela n'a jamais été remis en question depuis, sauf par quelques individus comme le professeur Raoult qui s'obstine à pratiquer dans son IHU une médecine traditionnelle en testant sur ses patients des traitements dont il n'est pas capable de démontrer l'utilité et la non-nocivité.

Yves Gingras reconnait qu'il y a parfois des erreurs dans les publications avec revue par les pairs, lesquelles erreurs entrainent des rétractations, mais celles-ci sont beaucoup plus fréquences dans les prépublications qui sont faites « dans l'urgence » comme on a pu le constater avec ce nouveau virus. Voici des extraits du passage où en historien des sciences il nous donne quelques explications à méditer :
Il y a un gros débat en France, qui déchire la communauté scientifique, autour des discours du docteur Didier Raoult qui lui considère […] que la chloroquine […] fonctionne. C'est un vieux débat qui était très important dans les années 30, entre les statisticiens qui disent qu'au fond il faut des études randomisées en double aveugle avec échantillons aléatoires des deux côtés sans que le médecin sache qui reçoit quoi […] et lui il dit les statisticiens c'est des charlatans. Mais effectivement ce qu'on appelle les méthodes randomisées sont devenues standardisées uniquement à partir des années 40. Il y a eu un gros débat dans les années 30 et 40 entre d'un côté donc les statisticiens qui disaient il faut un échantillon représentatif, il faut que les caractéristiques des patients soient les mêmes sur le bras placébo et sur le bras clinique pour qu'on ait une preuve que l'efficacité est réelle, et ce débat-là il est selon les mêmes termes qu'est en train de faire le docteur Raoult, et la raison pour laquelle il attaque les statisticiens et les mathématiciens, ceux qui font des modèles, c'est que les conséquences d'institutionnaliser les essais cliniques avec des milliers de données, c'est que le pouvoir du clinicien qui était habitué à suivre son patient et à déterminer si un produit est efficace ou non […] a été remplacé par le pouvoir du statisticien qui contrôle les essais cliniques et détermine avec les analyses statistiques de moyennes et d'écarts types l'efficacité d'un médicament et qui peut ordonner l'arrêt d'un essai clinique lorsque la validité est démontrée ou lorsque les taux de danger deviennent trop grands. Donc c'est un rapport de pouvoir entre le médecin qui devant son patient considère qu'il était guéri, alors que ça peut être dû à douze-treize causes différentes, et les échantillons scientifiques, et c'est pas surprenant, mais là c'est une bataille, je m'excuse de le dire, une bataille d'arrière-garde, parce qu'aujourd'hui il est admis depuis donc en gros la deuxième guerre, que pour démontrer l'efficacité scientifique il faut des essais cliniques randomisés. Le problème c'est que c'est deux temporalités différentes. Le médecin, sa fonction ce n'est pas de faire de la recherche, c'est de guérir le patient qui est devant lui […] alors que le scientifique voit à long terme.
D'après ce passage (un peu décousu par moments, mais il s'agit d'une interview…) on en déduit que Raoult se comporte en médecin de famille qui tente de trouver le meilleur traitement pour le patient qu'il a en face de lui sans se préoccuper le moins du monde de toutes les autres personnes atteintes de la même maladie mais qu'il n'aura pas à connaitre personnellement. Nous en déduisons également qu'il en est resté à la position des vieux médecins de l'entre-deux guerres et n'a toujours pas compris l'intérêt des statistiques pour déterminer si un médicament est réellement efficace.

Et ce qui est assez effarant c'est sa compréhension (ou plutôt sa non-compréhension) de ce qu'est un échantillon significatif ; en effet, c'est bien lui qui affirmait (voir "La chloroquine guérit le Covid-19" : Didier Raoult, l'infectiologue qui aurait le remède au coronavirus) :
C'est contre-intuitif, mais plus l'échantillon d'un test clinique est faible, plus ses résultats sont significatifs. Les différences dans un échantillon de vingt personnes peuvent être plus significatives que dans un échantillon de 10.000 personnes. Si on a besoin d'un tel échantillonnage, il y a des risques qu'on se trompe. Avec 10.000 personnes, quand les différences sont faibles, parfois, elles n'existent pas.
On se frotte les yeux car on a l'impression de rêver, mais non, il a bien dit cela, et ce qui est encore plus surprenant est qu'il se trouve un mathématicien pour mettre Raoult sur un piédestal en osant écrire ceci (dans Triple frappe marseillaise) :
L’actu, enfin, c’est cette nouvelle vidéo de Didier Raoult, toujours sur le même ton tranquille de celui qui sait parfaitement où il va. C’est l’un des points-clé, je pense, qui me fait pencher en sa faveur, en plus bien sûr des données qui vont dans son sens.

En vérité j'ai trouvé cette interview d'Yves Gingras grâce à un journaliste scientifique (autrement plus sérieux qu'un climatomathématimancien habitué aux errements hors de son domaine de compétence) qui n'est autre que Sylvestre Huet auteur du billet intitulé Covid-19 et l’intégrité scientifique dont je vous livre quelques extraits :
Doit-on transiger avec les règles d’une bonne recherche, d’une science intègre, en temps de crise sanitaire ? L’urgence médicale provoquée par la COVID-19 conduit certains scientifiques, certains responsables médiatiques et des journalistes à passer par dessus ces règles.
La situation d’urgence est prétextée par certains chercheurs pour transiger avec l’éthique et l’intégrité scientifiques. Ils savent pourtant ce qu’ignorent la plupart des populations : ce n’est pas en trichant avec ces règles que l’on va trouver plus vite des traitements efficaces ou des vaccins.
Paradoxe peu compris : plus le pourcentage de guérisons spontanées est élevé et plus il est difficile de prouver qu’un traitement est ou non efficace.
On rappellera à ce sujet que le Covid-19 est « bénin » dans plus de 80% des cas et que les cas mortels sont probablement inférieurs à 2%.
C’est pourquoi il faut conduire les recherches avec le maximum possible de sérieux, de contrôles, de comparaisons avec des placebos ou d’autres traitements. Sinon, on n’obtient qu’un « bruit » qui permet de crier urbi et orbi que l’on a « trouvé » quelque chose, mais ce quelque chose n’est pas fiable.
[…] la manière dont Didier Raoult s’est comporté – avec des études sans contrôle, une communication tapageuse, un manque de coordination… retarde la réponse à la question : oui ou non, cela marche t-il et dans quelles conditions précises, à quels états de la maladie ?
Je suis heureux de voir que je ne suis pas le seul à avoir eu cette analyse depuis...(le début ?)
Didier Raoult a foulé aux pieds des règles élémentaires de l’éthique et de l’intégrité scientifique
Jusqu'à présent je n'étais jamais allé jusque là, mais si Huet le dit...

A la fin de son billet Huet reprend le texte du communiqué de l'ENRIO dont le titre est ENRIO Statement: Research integrity even more important for research during a pandemic ; le voici avec sa traduction en français pour les mal-comprenants;)
The urgency to understand and overcome the pandemic may induce researchers to ignore the due consideration for ethics and biosafety standards and protocols, or to cut corners in research to quickly reach conclusions in order to impact rapid decision making. While fast results are clearly required in this critical situation, that is no excuse for bad research practices. Some poorly designed studies have already been published in the specialist literature. Controversial statements and unproven claims from researchers have appeared in the media. Some of these have been immediately questioned, leading to confusion and loss of trust among the public.
L'urgence de comprendre et de surmonter la pandémie peut inciter les chercheurs à ne pas tenir dûment compte des normes et protocoles d'éthique et de biosécurité, ou à rogner sur les recherches pour parvenir rapidement à des conclusions afin d'influer sur la prise de décision rapide. S'il est évident que des résultats rapides sont nécessaires dans cette situation critique, cela n'excuse pas les mauvaises pratiques de recherche. Certaines études mal conçues ont déjà été publiées dans la littérature spécialisée. Des déclarations controversées et des affirmations non prouvées de la part de chercheurs sont apparues dans les médias. Certaines d'entre elles ont été immédiatement remises en question, entraînant une confusion et une perte de confiance dans le public.
The scientific and scholarly community has established rules that govern robust, peer-reviewed and trustworthy research. Failing to follow these rules will have a detrimental effect on research: bad practices will distort our knowledge of COVID-19 and will obstruct or delay our efforts to stop the pandemic and save lives.
La communauté scientifique et académique a établi des règles qui régissent une recherche solide, évaluée par des pairs et digne de confiance. Le non-respect de ces règles aura un effet préjudiciable sur la recherche : les mauvaises pratiques fausseront nos connaissances sur COVID-19 et entraveront ou retarderont nos efforts pour arrêter la pandémie et sauver des vies.
Researchers should communicate their work on social and other media responsibly, with professionalism and transparency. Subjective or unfounded interpretations must be avoided and information must not be intentionally omitted. Eroding the integrity of research undermines the trust of our colleagues, the public and policymakers. Academic and research organisations in particular, as trusted promoters of good research practices, should be extra vigilant in identifying and clearly exposing poor as well as fraudulent practices to protect the public from flawed interpretations by overenthusiastic, careless or unscrupulous researchers.
Les chercheurs devraient communiquer leurs travaux sur les médias sociaux et autres de manière responsable, avec professionnalisme et transparence. Les interprétations subjectives ou non fondées doivent être évitées et certaines informations ne doivent pas être intentionnellement omises. L'érosion de l'intégrité de la recherche sape la confiance de nos collègues, du public et des décideurs politiques. Les organisations universitaires et de recherche en particulier, en tant que promoteurs de confiance des bonnes pratiques de recherche, doivent être particulièrement vigilantes pour identifier et exposer clairement les mauvaises pratiques ainsi que les pratiques frauduleuses afin de protéger le public contre les interprétations erronées de chercheurs trop enthousiastes, négligents ou sans scrupules.
Nous classerons de manière indulgente Didier Raoult parmi les « chercheurs trop enthousiastes » coupables de « mauvaises pratiques ».
As a network of research integrity organisations from across Europe, we now urge the research community to respect the highest integrity standards in performing and reporting research for the benefit of humanity now and in the future.
En tant que réseau d'organismes d'intégrité de la recherche de toute l'Europe, nous invitons maintenant la communauté de la recherche à respecter les normes d'intégrité les plus élevées dans l'exécution et la présentation de la recherche au profit de l'humanité, aujourd'hui et à l'avenir.
Je ne suis pas certain que Didier Raoult comprenne et surtout accepte cette préconisation...




Quelqu'un d'autre ne s'embarrassait pas de protocole, mais pour des raisons différentes.

Non, il ne s'agit pas de Didier Raoult...




Je lui dirai les mots bleus 

Ceux qui rendent les gens heureux 

Une histoire d'amour sans paroles 

N'a plus besoin du protocole 

Et tous les longs discours futiles 

Terniraient quelque peu le style 

De nos retrouvailles 

De nos retrouvailles



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