jeudi 24 janvier 2019

Les océans nous montrent aussi une courbe...en forme de crosse de hockey !

Sous le titre New Ocean Heat Content Histories le site RealClimate publie un article concernant deux récentes études qui, avec deux approches différentes, reconstruisent le contenu en chaleur de l'océan (Ocean Heat Content, ou OHC)

Quand on dit « l'océan  » on veut bien entendu signifier qu'il s'agit « des océans » (je préfère préciser à l'attention de ceux qui pourraient me reprocher de croire qu'il n'y a qu'un seul océan sur la planète…)

Pour le béotien que je suis la différence essentielle est que la première de ces études, Global reconstruction of historical ocean heat storage and transport, se focalise sur les variations du OHC depuis le 19ème siècle, alors que la deuxième, The Little Ice Age and 20th-century deep Pacific cooling, remonte bien plus loin dans le temps puisqu'elle retourne carrément à la naissance du petit Jésus !

En fait il existe des différences plus subtiles entre ces deux études qui nous sont expliquées dans l'article de RealClimate et qui viennent, comme le dit Gavin Schmidt, de leur conception (design) : leurs buts (goals) et méthodologies sont très différents, ainsi je n'évoquerai ici que la deuxième afin de justifier le titre de ce billet (aucune crosse de hockey n'est visible dans aucune courbe remontant seulement au 19ème siècle, à moins de ne parler que du manche…)

L'étude Gebbie and Huybers (2019) nous montre en effet trois magnifiques courbes en crosse de hockey dont deux…qui ne sont pas terminées !

Fig. 4 Regional surface temperature variations and changes in ocean heat content over the Common Era.
La première courbe, celle du haut, représente l'évolution de la température de surface dans quatre régions (en couleurs) ainsi que de manière globale (en noir) ; les quatre régions sont l'Antarctique (ANT), l'Atlantique nord (NATL), la sub-Antarctique (SUBANT) et le Pacifique nord (NPAC).

ATTENTION, l'échelle des abscisses n'est pas partout la même, de l'an zéro (qui n'existe pas vraiment mais bon) à l'année 1750 les subdivisions ont une valeur de 200 ans, alors qu'à partir de 1750 elles correspondent à 50 ans seulement ; par conséquent si l'on étalait la partie gauche pour respecter l'échelle de droite on retrouverait la courbe en crosse de hockey qui est toujours d'actualité, avec son renflement au « moyen âge » :

Source wikimedia
On notera que l'« optimum » de surface se situe aux alentours de l'an mil dans la courbe en crosse de hockey, alors qu'on le trouve 400 ans plus tôt dans la récente étude…

Ce qui est étrange c'est que l'optimum de la couche océanique allant de 2000 mètres jusqu'au fond est atteint...en l'an mil justement !

Ce que j'ai compris de l'étude c'est que la chaleur de l'atmosphère se diffuse très lentement dans les océans, ce qui explique :
  • l'écart entre la courbe de surface et celle correspondant à l'océan profond (environ 400 ans donc) ;
  • le fait qu'en l'an 2000 la courbe de l'océan profond commence à peine à remonter après un siècle et demi de réchauffement de la surface.
Le deuxième point ci-dessus signifie que dans 400 ans la courbe de l'océan profond aura largement dépassé les niveaux de l'an mil, nous donnant ainsi une courbe en crosse de hockey supplémentaire que l'on ne peut pas discerner aujourd'hui (mais avec de l'imagination il suffit de prolonger la courbe et bingo !)

Si un lecteur ayant des connaissances sur le sujet (je pense essentiellement à deux au maximum, mais j'aimerais qu'on me surprenne…) pouvait m'expliquer la différence de 400 ans concernant les températures de surface lors de l'« optimum médiéval » (en l'an 600 ou 1000 ?) je lui en serais reconnaissant.

Dans un texte additionnel Gavin Schmidt précise :
Given the average transit time for the deep Pacific (1000’s of years), it is expected that the deep Pacific won’t be in equilibrium with surface climate changes over shorter time scales.
Compte tenu du temps de transit moyen pour le Pacifique profond (plusieurs milliers d’années), on s’attend à ce que le Pacifique profond ne soit pas en équilibre avec les changements climatiques de surface sur des échelles de temps plus courtes.
Je pense que la circulation n'étant pas la même partout, le temps de transit des eaux dans le Pacifique profond est (beaucoup) plus long que dans l'Atlantique ou d'autres océans (c'est du moins ma compréhension toute personnelle)

Schmidt évoque une autre intéressante étude (Volcanic signals in oceans) parlant du temps de « persistance » (lingering) dans le cas d'une éruption volcanique en évoquant deux exemples, le Tambora (en 1815) et le Pinatubo (en 1991), qui nous montrent cet effet :

(a) Ensemble mean sea surface temperature (SST) anomaly (kelvins) for the Tambora ensemble averaged globally, over ocean, and over land. (b) Ensemble mean ocean heat content (1022 joules) and (c) thermosteric height anomalies (millimeters) for 300‐m, whole‐depth ocean and for the layer below 300 m for the Tambora ensemble. (d) Same as Figure 2a, but for the Pinatubo ensemble. (e) Same as Figure 2b, but for the Pinatubo ensemble. (f) Same as Figure 2c, but for the Pinatubo ensemble. The yellow shading shows 2σ ensemble mean variability.

Le résumé de l'étude nous précise dès le début que
Sulfate aerosols resulting from strong volcanic explosions last for 2–3 years in the lower stratosphere. Therefore it was traditionally believed that volcanic impacts produce mainly short‐term, transient climate perturbations. However, the ocean integrates volcanic radiative cooling and responds over a wide range of time scales.
Les aérosols de sulfates résultant d'explosions volcaniques intenses durent 2 à 3 ans dans la basse stratosphère. Par conséquent, on croyait traditionnellement que les impacts volcaniques produisent principalement des perturbations climatiques transitoires à court terme. Cependant, l'océan intègre le refroidissement radiatif volcanique et répond sur une large plage d'échelles de temps.
On voit parfaitement sur les graphiques ci-dessus que si l'atmosphère « récupère » effectivement assez vite dans les années qui suivent chaque éruption, les effets dans les océans se font eux sentir sur des périodes beaucoup plus longues.

Pour terminer, Gavin Schmidt met cependant en garde contre les limites des modèles utilisés (ainsi que des observations anciennes) dans les deux études dont il est question :
[…] there are still imperfections in the ocean models being used and the systematic biases in old observations are always being looked at.
[…] il existe encore des imperfections dans les modèles océaniques utilisés et les biais systématiques dans les observations anciennes sont toujours examinés.
Comme toujours nous avons les rigolos de service qui tiennent à intervenir pour montrer qu'ils n'ont pas compris grand chose, comme celui-ci :
2 Al Bundy says:
23 Jan 2019 at 2:04 PM
Time out. The common era OHC graph says that the ocean was way warmer 1000 years ago, and it sure looks like a cycle. So, if I were a denier I’d say the that graph destroys the whole alarmist story. We have tons of time before things get hotter in the ocean than 1000 years ago. How did coral survive?
Dissonance is like an itchy spot in the middle of your back. Somebody pass me a backscratcher, please.
Lui non plus ne se considère pas comme un denier, mais on notera les nombreuses inepties contenues dans les quelques lignes de son commentaire, juste pour le fun :
  • il n'a pas compris que l'océan profond peut mettre des milliers d'années à ressentir l'impact de l'évolution de la température dans l'atmosphère ;
  • il croit qu'il s'agit d'un cycle ;
  • il qualifie les scientifiques d'« alarmistes » ;
  • il croit que le corail prospère à plus de 2000 mètres de profondeur ;
  • il attribue aux autres sa propre dissonance.

Maintenant voyons voir ce que mes deniers à moi ont à raconter sur le sujet.

Juste pour le fun.



4 commentaires:

  1. Je dois avouer que je me sens tout petit face á ces scientifiques ...
    Ils sont capables d'evaluer le "Heat content" des oceans il y a 1500 ans (valeur en Zeta Joule !). Apparemment sans aucune incertitude autre que l'epaisseur du trait(les courbes sont données sans barre / domaine d'incertitude) . Et ils sont , á meme , d'evaluer les évolutions dynamique de cette quantité de chaleur qui varie dans une fourchette de seulement +/- 30% sur 2000 ans ... De la science avec un grand S .
    Chapeau bas
    BenHague

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. « Ils sont capables d'evaluer le "Heat content" des oceans il y a 1500 ans »

      Ce n'est pas parce que vous ne comprenez pas comment ils en arrivent à leurs conclusions que celles-ci sont invalidées.

      Supprimer
  2. C'est étonnant car sur les courbes de surface que vous présentez , on ne voit pas l'optimum Romain .
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Optimum_climatique_romain
    Avez vous une explication ?
    Et si le pic de OHC á 400 CE etait en fait l'optimum climatique Romain ( qui s'étendrait de -250 BC á 400 AD ? Est ce possible ?

    BenHague

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Désolé de répondre tardivement.

      La courbe se surface que je présente concerne les températures globales, alors que selon le lien que vous donnez l'optimum climatique romain « est une courte période de climat inhabituellement chaud en Europe et dans l'Atlantique nord » ; par ailleurs, si l'on regarde attentivement la courbe on peut remarquer un pic en l'an 300 (approx) suivi d'un creux, correspondant peu ou prou à la fin de la période de l'optimum romain.

      Pour l'OHC je n'en sais rien mais c'est possible.

      Supprimer