dimanche 2 octobre 2022

Les plans de Poutine, par Alexander Baunov

Alexander Baunov est, d'après sa fiche Wikipédia, « un expert russe en politique internationale, journaliste, publiciste et ancien diplomate. »

Je ne connaissais pas ce gentleman jusqu'à ce qu'il publie dans le New York Times un billet d'opinion que je trouve intéressant, au point de vous en offrir la traduction en français ici-bas.

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OPINION
ESSAI INVITÉ

Poutine vient de nous dire ce qu'il prépare

1er octobre 2022

Photo publique par Grigory Sysoyev

Par Alexander Baunov

M. Baunov est chargé de mission au Carnegie Endowment for International Peace.



Le discours prononcé vendredi par Vladimir Poutine, dans lequel il a officiellement proclamé l'annexion de quatre régions ukrainiennes, était à bien des égards : un cours d'histoire déformé, une énumération plutôt fastidieuse des prétendus péchés de l'Occident, un exposé des griefs et une fanfaronnade du pouvoir. Malgré toutes les fioritures rhétoriques - accuser les élites occidentales de "satanisme", par exemple - il s'agissait à bien des égards d'un discours typique de M. Poutine.

Mais c'était aussi autre chose : un plan. Au milieu des paroles en l'air et des menaces voilées, le président a formulé trois points distincts qui, pris ensemble, constituent un plan de guerre et de paix.

Premièrement, M. Poutine a affirmé dans son discours que les explosions survenues cette semaine sur les gazoducs Nord Stream étaient l'œuvre des États-Unis. D'un seul coup, cela libère la Russie de l'obligation d'excuser son incapacité - actuelle ou future - à livrer du gaz par cette voie. Ce qui, en soi, constitue une victoire. Mais cette accusation laisse également entendre que la Russie pourrait désormais être en droit de répondre en nature, en menaçant les pipelines occidentaux de sabotage. La militarisation des approvisionnements énergétiques pourrait prendre une nouvelle dimension : non seulement réduire les approvisionnements en provenance de Russie, mais aussi entraver activement la livraison d'énergie provenant d'autres endroits.

Deuxièmement, M. Poutine a suggéré que les pourparlers visant à mettre fin à la guerre commencent immédiatement. Il a appelé l'Ukraine à cesser les hostilités, à retirer ses troupes des nouveaux territoires "russes" et à s'asseoir à la table des négociations.

Le même type d'ultimatum avait été adressé à la veille de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Le 21 février, M. Poutine a officiellement reconnu les "républiques populaires" de Donetsk et de Louhansk. Après avoir précisé qu'il s'agissait de l'ensemble des régions, et pas seulement des zones contrôlées par les séparatistes, il a ensuite exigé que l'armée ukrainienne se retire des deux. Quelques jours plus tard, il a lancé son invasion.

Il y a une différence entre l'état actuel des choses et la situation au printemps, lorsque tout le monde était sous le choc de l'invasion d'un État souverain par la deuxième plus grande armée du monde. La dernière menace de M. Poutine intervient après une retraite humiliante de la région de Kharkiv. C'est ce revers militaire qui a poussé la Russie à annoncer à la fois la mobilisation et l'annexion, et il semble très peu probable que les Ukrainiens considèrent sérieusement la demande de pourparlers de la Russie cette fois-ci. Au contraire, l'Ukraine a déclaré à plusieurs reprises que l'annexion signifierait la fin de toute tentative de négociation avec la Russie de M. Poutine. Pour les Ukrainiens, après ce qui s'est passé cette semaine, le fait de s'asseoir à la table des négociations équivaudrait à une capitulation.

Cela nous amène au troisième point de M. Poutine : les États-Unis ont "créé un précédent" pour l'utilisation d'armes nucléaires en bombardant Hiroshima et Nagasaki en 1945. Il n'est pas difficile de comprendre ce que cela implique. Si l'Occident continue d'envoyer des armes en Ukraine et refuse de faire pression sur Kiev pour qu'il accepte une solution qui satisferait la Russie, M. Poutine pourrait recourir à l'option nucléaire.

Il existe une explication claire de la raison pour laquelle l'utilisation d'une arme nucléaire, ou même le fait d'en parler, est une grande tentation pour M. Poutine et pour ceux qui partagent ses vues sur la position de la Russie dans le monde. L'égalité est comprise par eux d'une manière très directe, pratiquement arithmétique. Pour être égale aux États-Unis, la Russie doit montrer qu'elle peut faire tout ce que les Américains peuvent faire, quel que soit le moment où les Américains l'ont fait ou le contexte.

Cette conception symétrique de l'égalité et une idée presque superstitieuse de la justice mondiale poussent M. Poutine et certaines personnes de son entourage à opter pour l'option nucléaire - d'autant plus que la perspective de voir la Russie gagner une guerre conventionnelle est incertaine, voire improbable, et que le Kremlin ne reconnaît aucune stratégie de sortie qui ne puisse passer pour une sorte de victoire.

Ce conflit est de plus en plus présenté comme existentiel pour la Russie. M. Poutine et de nombreux commentateurs russes veulent convaincre le monde extérieur qu'ils sont sérieux. Leur argument est le suivant : "Beaucoup ne croyaient pas que nous allions envahir l'Ukraine ou annexer une plus grande partie de son territoire, mais nous l'avons fait. Maintenant, vous ne croyez pas que nous allons utiliser des armes nucléaires, mais nous ne bluffons pas."

C'est le message de M. Poutine, et l'humeur de l'élite russe est visiblement sombre et fataliste. Il existe toutefois une différence significative entre l'invasion russe de l'Ukraine et les menaces de recours aux armes nucléaires. Avant l'invasion, la Russie a farouchement nié avoir la moindre intention d'envahir le pays. Maintenant, elle fait le contraire.

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Au sujet de l'utilisation de l'arme nucléaire beaucoup de commentateurs n'y croient pas, et cela essentiellement pour deux raisons :
  1. une arme nucléaire tactique ne ferait finalement que très peu de dégats par rapport aux conséquences que cela entrainerait, ainsi la disproportion est telle que son utilisation est assez peu probable ;
  2. une arme nucléaire stratégique...comment dire...? Il parait que très rapidement plus personne ne serait en mesure de commenter l'événement !
Si quelqu'un a accès au Figaro en ligne (je ne suis pas abonné) il peut consulter cet article intitulé Guerre en Ukraine : pourquoi la Russie n'a aucun intérêt à faire usage de l'arme nucléaire ; cet article semble n'évoquer que l'usage d'une arme nucléaire tactique, voici le sous-titre :
DÉCRYPTAGE - La menace d'une frappe nucléaire «tactique» en Ukraine inquiète l'Occident depuis le début de la guerre. Pourtant, elle n'aurait que peu d'intérêt militairement et provoquerait un isolement diplomatique irrémédiable de Moscou.
C'est à peu de choses près l'avis que j'entends ou lis de la part de beaucoup d'experts sur le sujet (géopolitologues, militaires, historiens, etc.)


Qui vivra verra.




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