mercredi 20 septembre 2023

Xavier Moreau le pitre du Kremlin

 On commence à connaitre la pertinence des prédictions et informations fournies par Xavier Moreau à ses suiveurs ; pour rappel quelques jours avant le 24 février 2022 il jurait ses grands dieux que la Russie n'envahirait jamais l'Ukraine, puis après cette date il affirmait sans se décontenancer le moins du monde qu'en quelques jours la Russie écraserait l'Ukraine, et même maintenant il continue à certifier que l'armée ukrainienne n'existe plus, qu'elle a été complètement annihilée et que ce sont des soldats de l'OTAN qui sont en réalité sur le front contre les Russes...

Pour Moreau la Russie est un véritable paradis sur terre, l'Ukraine n'étant qu'une région habitée par des nazis à la solde de l'Amérique. Selon lui Poutine aurait à cœur de préserver au maximum la vie de ses soldats alors que Zelensky enverrait les siens à la boucherie sans états d'âme.

Je pourrais continuer ainsi longtemps mais je vais ici me concentrer sur une des nombreuses inventions dont il a le secret et qu'il nous livre dans un tweet :

Une des raisons pourquoi l'occident dégénéré ne veut pas que les populations russes et malorusses d'Ukraine se retrouvent sous la protection de Moscou. L'entité kiévienne était en 2021 le principal fournisseur d'organes en Europe, la guerre de l'OTAN contre la Russie est donc une excellente affaire.

Et de nous fournir la carte suivante :

Carte des donneurs et receveurs d'organes selon Xavier Moreau.

En principe quand je montre sur mon blog une carte de ce genre je fournis toujours la source au moyen d'un lien qui permet à mes lecteurs d'aller voir par eux-mêmes que je ne la sors pas de mon cul, mais Moreau ne pense pas que cela soit utile puisqu'il sait très bien que ses lecteurs n'iront pas vérifier et le croiront sur parole, ce qui est le cas avec ce tweet (sauf quelques rares exceptions).

En fait cette carte mentionne de manière timide une source en bas à droite où l'on peut lire
Source : Coalition for Organ Failure Solutions, Organs Watch, ESOT.

En réalité il s'agit apparemment d'une compilation de plusieurs organisations qui s'occuperaient de recenser les trafics d'organes dans le monde, sauf que je n'ai trouvé aucune trace de "Organs Watch" (je vous laisse chercher de votre côté, si vous trouvez quelque chose vous me dites), cependant il y a de la littérature qui mentionne une "association Organs Watch", par exemple :
Mais aucune association Organs Watch n'a pour l'instant laissé de trace sur internet afin qu'on puisse vérifier par exemple ses statuts, ses actions, ses rapports et notamment cette fameuse carte produite par Moreau.

Ce n'est pas le cas des deux autres sources mentionnées qui ont bien pignon sur rue et semblent a priori sérieuses :
  • Coalition for Organ Failure Solution (COFS)
  • The European Society for Organ Transplantation (ESOT)
Le premier réflexe à avoir en pareille occasion, puisqu'on accuse l'Ukraine d'être le « principal fournisseur d'organes en Europe », c'est d'utiliser la fonction recherche de chacun de ces sites en y entrant tout simplement le mot "Ukraine", et voici ce que cela donne.

Tout d'abord chez COFS c'est très simple :

Aucune résultat trouvé pour "Ukraine"...

Alors cherchons chez ESOT pour voir si nous trouvons notre bonheur :

Résultat chez ESOT de la recherche pour "Ukraine".

Est-ce que l'un de ces quatre (4) liens nous informe sur un quelconque trafic d'organes dont l'Ukraine serait bénéficiaire ?

Le premier de ces articles commence ainsi :

This open letter is on behalf of the European Society for Organ Transplantation (ESOT) to express our full support to the People of Ukraine and to stand up for democracy, freedom and safety.

Cette lettre ouverte est rédigée au nom de la Société européenne de transplantation d'organes (ESOT) afin d'exprimer notre soutien total au peuple ukrainien et de défendre la démocratie, la liberté et la sécurité.

Je vous laisse juger de la charge accusatoire que cette phrase introductive contient à l'égard de l'Ukraine...

Et si vous n'êtes pas totalement convaincu je vous livre la conclusion :

We stand for our colleagues, friends, families and patients impacted by this terrible humanitarian tragedy and are ready to support our members in this difficult time for Ukraine and Europe.

Nous sommes solidaires de nos collègues, amis, familles et patients touchés par cette terrible tragédie humanitaire et sommes prêts à soutenir nos membres en ces temps difficiles pour l'Ukraine et l'Europe.

Comme on peut le constater c'est effectivement dévastateur pour l'Ukraine et ses alliés.

Le deuxième article ne fait que citer l'Ukraine parmi les candidats à une élection au Conseil de l'ESOT, bref passons au troisième qui nous donne à voir un intéressant passage :

Our mission is centred on improving patients’ quality of life and outcomes. We cannot fulfil this mission without advocating for the right to access healthcare by standing firm on our values of cooperation, integration, and democracy. The Russian aggression to Ukraine undermines these values, and ESOT could not avoid taking a clear and firm position, which has been converted into action by hosting a delegation of Ukrainian transplant professionals at ESOT TLJ and by offering exchange grants (Sevda Hassan Study Scholarships) to young Ukrainian professionals. 

Notre mission est centrée sur l'amélioration de la qualité de vie et des résultats des patients. Nous ne pouvons pas remplir cette mission sans défendre le droit d'accès aux soins de santé en restant fidèles à nos valeurs de coopération, d'intégration et de démocratie. L'agression russe contre l'Ukraine porte atteinte à ces valeurs, et l'ESOT ne pouvait pas éviter de prendre une position claire et ferme, qui a été convertie en action en accueillant une délégation de professionnels ukrainiens de la transplantation à l'ESOT TLJ et en offrant des bourses d'échange (bourses d'études Sevda Hassan) à de jeunes professionnels ukrainiens.

L'ESOT se montre manifestement impitoyable vis à vis de l'Ukraine et de ses ressortissants, voyons si le quatrième article adoucit un peu son ressentiment à l'égard de ce pays de nazis. Ah ben non, il s'agit comme pour le deuxième d'une liste de candidatures au Conseil de l'organisation, on n'en saura donc pas davantage.

Mais en farfouillant un peu plus et en ne se limitant pas à rechercher quelque chose en rapport avec l'Ukraine on tombe assez facilement sur un rapport de la COFS publié en 2020 et intitulé...Background Guide, ou Guide de référence si vous préférez (et j'en vois qui préfèrent)

Ce guide comporte plusieurs cartes et graphiques que je vous propose de passer en revue.

A noter que dans le texte il n'existe aucune (AUCUNE) mention de l'Ukraine.

Répartition mondiale de l'activité de transplantation de donneurs vivants - 2017

Ne faites pas attention aux mentions fantaisistes des pays, par exemple non la Turquie ne se situe pas là où se trouve la Hongrie dans les faits, ou l'Indonésie là où le stagiaire l'a située au-dessus de la Nouvelle-Zélande, ce ne sont que des détails sans importance. Ce qu'il convient de noter c'est qu'en 2017 l'Ukraine était englobée avec la Russie dans la même couleur paille signifiant que le taux de transplantation (Transplantation rate) était inférieur à 1, donc très loin derrière l'Australie ou l'Amérique du Nord entière comprises entre 12 et 22, ou la Libye et la Tunisie qui dépasseraient allègrement les 22 (pmp, soit per million people ou par million d'habitants)

Il n'y a pas de raison de croire qu'entre 2017 et aujourd'hui les choses aient dramatiquement (sic) changé, par conséquent cette carte reflète fidèlement la situation. Passons à la carte suivante.

L'ordre mondial du rein.

En ce qui concerne les transplantations de reins l'Ukraine est ici effectivement mentionnée, comme le sont la Chine, l'Inde, l'Afrique du Sud ou le Brésil, bizarrement des alliés de la Russie, ce que Xavier Moreau oublie étrangement de préciser. On notera par ailleurs que les principaux receveurs ne se trouvent pas en Europe comme il l'affirme, mais en Amérique du Nord, en Australie ou en Arabie Saoudite, ce dernier état lui aussi plutôt copain avec la Russie...

Cette carte provient d'une certaine Marta López Fraga, mais tout ce que j'ai pu trouver à son sujet et concernant le don de reins c'est The Global Kidney Exchange programme, un article de mai 2020 dans lequel l'Ukraine est totalement invisible.

Passons au graphique suivant :

Dons d'organes dans le monde (2002)

Ce graphique date donc de 2002 et l'Ukraine ne figure dans aucune des deux listes présentées, bizarre non ? D'après Moreau en moins de 20 ans l'Ukraine aurait donc réussi le tour de force de devenir une plaque tournante du trafic d'organes dans le monde, étrange non ?

D'autres graphiques figurent dans ce guide de référence, mais sans mention de pays, donc je ne vais pas vous les montrer, par contre une photo a retenu mon attention :

Vente sur toutes les parties du corps.

Regardez la source : Russia Insider.

Sur le site mediabiasfactcheck.com voici comment Russia Insider est "noté" :

SOURCE DOUTEUSE

Avec ce commentaire très élogieux :

Overall, we rate Russia Insider Questionable based on extreme right-wing bias, poor sourcing, promotion of state propaganda and conspiracy theories, and promotion of antisemitism.

Dans l'ensemble, nous attribuons à Russia Insider la note "discutable" en raison de son parti pris d'extrême droite, de la médiocrité de ses sources, de la promotion de la propagande d'État et des théories du complot, ainsi que de la promotion de l'antisémitisme.

"Bizarrement" ce site a été créé, vous ne le devinerez jamais, en septembre 2014, c'est à dire juste après l'annexion illégale de la Crimée par la Russie et la déstabilisation d'une partie du Donbass par cet état dont l'humanisme est connu pour égaler celui des meilleures périodes staliniennes de son ancêtre l'URSS.

Alors je me pose la question de savoir si finalement l'organisation COFS ne serait pas "un peu" orientée, car faire figurer dans son guide de référence une photo provenant d'un site pro-Russe, antisémite et tout le toutim ne me parait pas vraiment du meilleur effet.

Ne serait-ce pas là l'explication du tweet de Xavier Moreau, lequel aurait pêché je ne sais où une "information" ayant passé depuis longtemps la date limite de consommation étant donnée l'odeur putride qu'elle dégage ?

En vérité, si vous avez été suffisamment attentif lors de la lecture de ce billet, vous aurez remarqué que la carte montrée par Xavier Moreau représente en réalité celle qui concerne les dons de reins. Et si vous avez été vraiment très attentif vous aurez noté que les trafics concernant les reins représentent 5 à 10% des transplantations effectuées sans que l'on sache quel est le pourcentage pour l'Ukraine. Si cela se trouve c'est plus proche de zéro que de 10%, mais comment en être sûr ?

Le seul site que j'ai pu trouver (Europe1) proposait Découverte d'un trafic de reins en Ukraine en 2010 (il y a 13 ans !) dans lequel on pouvait lire :

Trois médecins ukrainiens, accusés d'avoir prélevé illégalement des reins pour les revendre à de riches étrangers qui payaient entre 100.000 et 200.000 dollars par rein transplanté, ont été inculpés, a annoncé vendredi le ministère ukrainien de l'Intérieur. Ces médecins "faisaient partie d'un groupe criminel international dont les membres se livraient depuis longtemps au trafic de personnes entre l'Ukraine et l'une des ex-républiques soviétiques du sud", expose un communiqué. Une trentaine de victimes, notamment des citoyens ukrainiens, moldaves et ouzbeks, ont été emmenées à l'étranger et sont revenues chacune "avec un rein en moins". 

Première remarque : les trois médecins mis en cause ont été inculpés, il n'y a donc pas de "système ukrainiens" destiné à trafiquer des organes, et encore moins à destination de l'Europe.

Deuxième remarque : ces médecins pratiquaient leur activité illégale depuis longtemps, et cela probablement à la suite de l'explosion de l'URSS au début des années 1990, démontrant ainsi que les ex-républiques de l'URSS, Russie incluse bien entendu, étaient devenues des chevaux fous où tous les excès étaient possibles, même s'ils n'étaient pas permis.

Troisième et dernière remarque : on mentionne, outre des Ukrainiens, des Moldaves et des Ouzbeks, sans que cela soit limitatif. Cela confirme que des réseaux de type mafieux à l'intérieur des républiques de l'ex-URSS, Russie compris bien sûr, étaient constitués et perdurent d'ailleurs encore aujourd'hui.

Une conclusion s'impose : l'Ukraine n'est pas un état parfait, d'ailleurs un état parfait cela n'existe nulle part dans le monde. Cependant ce que l'on peut constater c'est que l'Ukraine, contrairement à la Russie, progresse dans la bonne direction, certes difficilement, mais les progrès sont tangibles.

Pour preuve, voici l'historique sur dix ans de l'indice de perception de la corruption ainsi que leur rang pour les deux pays qui nous intéressent :

  • 2013
    • Ukraine : 25 / 144
    • Russie : 28 / 127
  • 2014
    • Ukraine : 26 / 142
    • Russie : 27 136
  • 2015
    • Ukraine : 27 / 130
    • Russie : 29 / 119
  • 2016
    • Ukraine : 29 / 131
    • Russie : 29 / 131
  • 2017
    • Ukraine : 30 / 130
    • Russie : 29 / 135
  • 2018
    • Ukraine : 32 / 120
    • Russie : 28 / 138
  • 2019
    • Ukraine : 30 / 126
    • Russie : 28 / 137
  • 2020
    • Ukraine : 33 / 117
    • Russie : 30 / 129
  • 2021
    • Ukraine : 32 / 122
    • Russie : 29 / 136
  • 2022
    • Ukraine : 33 / 116
    • Russie : 28 / 137

Alors qu'en 2013, il y a dix ans, l'Ukraine était derrière la Russie avec 3 points d'indice de moins et 17 rangs d'écart en sa défaveur, en 2022 elle se trouve loin devant avec 5 points d'indice de plus et 21 rangs d'écart en sa faveur. Elle a donc gagné en dix ans 8 points d'indice et a grignoté 28 rangs quand la Russie en a perdu dix.

Cocassement en 2022 la Russie se retrouve au même rang que...le Mali !

L'Ukraine, elle, a encore de gros progrès à faire, mais elle n'a pas le choix et Zelensky a montré la voie.

On ne peut pas dire que Poutine suive les pas de Zelenski dans cette lutte, puisque combattre la corruption en Russie s'avère un tout autre défi pour le maitre du Kremlin étant donné qu'il est le premier à profiter du système qu'il a lui-même savamment et patiemment élaboré.

Et mon petit doigt me dit que Xavier Moreau se trouve légèrement impliqué dans ce système...


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