mardi 9 décembre 2025

La Russie est bien en guerre contre nous, mais nous ne voulons pas le voir...

 On entend souvent de la part des pro-russes le mantra selon lequel « la Russie n'est pas notre ennemie et nous ne sommes pas en guerre contre elle ».

Citons comme exemple l'inénarrable Philippe de Villiers illustrant un visuel devenu viral sur nos réseaux sociaux et décliné sur autant de pays capables de le recevoir :

Source Factuel.afp

Il se trouve qu'une "pointure" du régime russe, en la personne de Sergueï Karaganov, qui fait partie du cercle restreint des conseillers de Vladimir Poutine, peut-être même son principal conseiller, vient apporter lui-même un démenti explicite en dévoilant les véritables intentions du Kremlin.

La revue Le Grand Continent, sous la plume de Guillaume Lancereau, publie un article intitulé Selon le proche de Poutine Karaganov, la Russie est en guerre contre l'Europe dans lequel les choses sont expliquées sans détours ni fioritures.

Karaganov affirme ainsi que la véritable guerre n’oppose pas la Russie à l’Ukraine, mais à l’Europe, considérée comme l’ennemi principal. Selon lui, la paix ne viendra qu’après une défaite morale et politique de l’Europe, dont les élites seraient devenues irrationnelles. Il décrit l’Europe comme historiquement violente, raciste et génératrice de conflits, et pense que l’usage de l’arme nucléaire pourrait devenir nécessaire.

Il estime que l’ultimatum nucléaire russe est inévitable pour mettre fin à des siècles « d’agressions européennes », et juge les élites européennes irresponsables et la population intoxiquée par la propagande. Il considère l’Union européenne comme profondément corrompue et contrôlée par des ploutocraties, tout en reconnaissant que la Russie a besoin du marché européen.

Concernant les négociations, il pense qu’un cessez-le-feu pourrait être utile pour gagner du temps et préserver les vies russes, mais ne mettra pas fin au conflit à long terme, qui profite surtout aux États-Unis. Selon lui, Trump souhaite arrêter la guerre car les risques nucléaires augmentent.

Zelensky est présenté comme un simple pion, susceptible d’être écarté ou même assassiné, et remplacé par des dirigeants tout aussi médiocres. La militarisation nucléaire de l’Ukraine serait suicidaire et entraînerait des frappes russes.

Enfin, l’auteur estime que l’Ukraine est un État « raté » depuis 30 ans, gangrené par la corruption, qui doit servir uniquement de zone tampon entre la Russie et l’OTAN. Il imagine un gouvernement provisoire avec une armée réduite, chargé surtout de maintenir l’ordre, tandis que la Russie devra se protéger durablement de l’Europe et de l’Ukraine.

On admirera au passage les "projections" de Karaganov, selon le principe qui veut que toutes les accusations qu'il porte, notamment à l'encontre de l'Ukraine ou plus généralement de l'Europe, sont en fait à mettre au crédit (ou au débit selon le point de vue)...de la Russie !

Ainsi quand il dit que nos élites seraient devenues irrationnelles on ne peut que sourire quand on sait à quel point la décision de Vladimir Poutine d'envahir l'Ukraine en février 2022 était tout sauf rationnelle !

De la même manière, quand il nous traite, nous Européens, d'historiquement violents, racistes et générateurs de conflits on se demande s'il ne s'est pas inspiré de l'histoire de la Russie (et de l'URSS) afin de nous attribuer toutes les tares de son pays. Il est vrai que l'Europe a bien été violente dans son passé, mais c'était avant 1945, date à laquelle la Seconde Guerre mondiale a cessé ; depuis lors l'Europe a tout fait pour qu'aucune guerre ne puisse voir le jour dans ses frontières, si l'on excepte le conflit en ex-Yougoslavie avec les Serbes (des pro-russes !) dans le rôle de l'agresseur et du génocidaire. Pendant ce temps l'URSS posait sa main de fer sur plusieurs pays qu'elle terrorisait, jusqu'à sa dissolution en 1991. S'ensuivit une décennie durant laquelle la nouvelle Russie non seulement se permettait d'annexer plus ou moins officiellement une partie de la Moldavie, la Transnistrie, où elle conserve toujours actuellement plusieurs milliers de soldats bien contents de ne pas être sur le front ukrainien ; puis ce fut l'agression de la Tchétchénie qui eut le malheur de vouloir se rendre indépendante de sa "grande amie" et le paya très cher : après avoir cru vaincre le titan russe en signant, le 12 mai 1997 au nom de la république tchétchène d'Itchkérie, un traité de paix avec la Russie, le futur président de la fédération de Russie, un certain Vladimir Poutine, trouva le moyen de mener à nouveau une guerre totale afin de mettre le pays à genoux, rasant au passage sa capitale Grozny. Puis ce furent la Georgie en 2008, la Syrie en 2013, l'Ukraine en 2014 et 2022. Mais à part cela ce sont les Européens qui sont « historiquement violents ».

En fait la citation exacte de Karaganov est la suivante :

[…] l’Europe finira par se désagréger et redevenir ce qu’elle a toujours été : un dépotoir d’États qui se font la guerre en permanence tout en fomentant alentour d’eux la guerre, le colonialisme et le racisme — du moins par le passé […]

Effectivement, « par le passé » pour l'Europe, mais au présent et très probablement dans le futur pour la Russie, ce qu'il ne va cependant pas oser ajouter.

Bref, le ton de ce discours de Karaganov est tout sauf de nature pacifiste, on l'aura compris. Ce ton est agressif, accusatoire, catastrophiste et évidemment ouvertement dépréciatif envers l'Europe et l'Ukraine.

Ce discours est avant tout de nature idéologique, mettant en avant le nationalisme russe, avec en contrepoint principal une bonne rasade d'anti-occidentalisme et, cela va de soi, d'anti-européanisme. Quant à la démocratie, voici ce qu'en pense notre idéologue :

En réalité, l’Europe est profondément corrompue et la démocratie est avant tout un moyen, et même le moyen le plus efficace, qu’ont trouvé en Europe les ploutocraties pour gouverner leurs propres sociétés.

Et en ce qui concerne la corruption, on pourrait bien sûr montrer à monsieur Karaganov les statistiques qui ne sont pas vraiment en faveur de son pays chéri :

Source IPC2024-1

Ça c'est pour le bas du classement, dans lequel on voit que l'Ukraine, l'un des pays les plus corrompus dans le monde, fait quand même bien mieux que son encombrant voisin qui se permet de donner des leçons en matière de corruption. Quant aux pays européens on les voit dans le haut du classement avec à sa tête le Danemark, le principal contributeur en matière d'aide à l'Ukraine :

Source IPC2024-1

On remarquera également, afin de charger un peu plus la barque, que la Serbie et le Bélarus, deux grands amis de l'immortelle Russie, ne figurent pas dans ce dernier tableau...

On terminera ce déjà trop long billet par l'indémodable ultimatum nucléaire avec ce magnifique passage que Vladimir Poutine lui-même ne contredirait pas :

À moyen terme, nous devons bien comprendre que cette guerre en Europe profite directement aux Américains, qu’elle leur est bénéfique, ne serait-ce qu’à travers la vente d’armes. Ils ont pris leurs distances à la seconde où ils ont compris qu’elle pouvait se terminer par une catastrophe nucléaire sur leur propre territoire. Telle est la raison pour laquelle Trump voudrait aujourd’hui terminer cette guerre : les profits s’amenuisent à mesure que les risques augmentent.

La seule chose vraie ici c'est d'expliquer que la « guerre en Europe profite directement aux Américains », quant à affirmer que Trump aurait « pris [ses] distances à la seconde où il [a] compris qu’elle pouvait se terminer par une catastrophe nucléaire sur [son] propre territoire » c'en est tellement comique qu'on se pince pour bien se persuader qu'on ne rêve pas en lisant de telles idioties. Il est assez clair que Trump n'est guidé que par le business qu'il espère faire avec une Russie qui serait débarrassée du "problème" ukrainien, le nucléaire n'étant pas pour lui un critère suffisamment convainquant pour prendre la moindre décision concernant le conflit ; et Karaganov lui-même, ainsi que son supérieur hiérarchique Poutine, savent très bien que le nucléaire ne peut en aucun cas être une option tangible, tant il est vrai qu'il suffit d'agiter le chiffon des missiles "inarrêtables" pour tétaniser en premier lieu les Européens qui ont oublié que la France et la Grande Bretagne ont elles aussi un arsenal nucléaire suffisant pour éradiquer 80% de la population russe en seulement deux ou trois tirs de M51.

Le vrai visage de la Russie.


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