vendredi 7 août 2020

L'Ouganda et l'hydroxychloroquine

Parfois on voit sur la Toile des commentaires affirmant des choses qu'il vaut mieux vérifier en creusant un peu le sujet ; ainsi cet article daté du 31 juillet, Hydroxychloroquine, Covid-19 And The Scare Tactics (Hydroxychloroquine, Covid-19 et les tactiques de peur), qui prétend ceci :
This morning, a high school friend posted some interesting information on Uganda, Hydroxychloroquine and Covid-19. [...] Uganda, not a first world country, has a population of 45 million. The country has 1140 confirmed Covid-19 cases, and two (2) deaths. Uganda treats Covid-19 with Hydroxychloroquine, Azithromycin, and Zinc. Whether or not you believe in this therapeutic regimen, you have to have questions, right?` Malaria is a huge health problem in Uganda and what is the main therapeutic for Malaria? Go ahead and shout it out. Any way, my high school friend’s big brain got me thinking about this “controversial” therapeutic.
Ce matin, une amie de lycée a posté des informations intéressantes sur l'Ouganda, l'hydroxychloroquine et le Covid-19. [...] L'Ouganda, qui n'est pas un pays du monde développé, a une population de 45 millions d'habitants. Le pays compte 1140 cas confirmés de Covid-19, et deux (2) décès. L'Ouganda traite le Covid-19 avec de l'Hydroxychloroquine, de l'Azithromycine et du Zinc. Que vous croyiez ou non à ce régime thérapeutique, vous devez vous poser des questions, n'est-ce pas ? Le paludisme est un énorme problème de santé en Ouganda et quel est le principal traitement contre le paludisme ? Allez-y, criez-le. Quoi qu'il en soit, le gros cerveau de mon ami de lycée m'a fait réfléchir à cette thérapeutique "controversée".
Pourquoi cette amie aurait-elle un « gros cerveau » ? Parce que :
she is quite credentialed. Her Ph.D. is in biochemical endocrinology, her post-doctoral work studied receptors and viruses in and on cells, and purification of proteins, RNA and messenger RNA. She is one of the authors in a study on Glucocorticoid Receptors. In other words, she knows about this sciencey stuff.
elle est tout à fait qualifiée. Son doctorat est en endocrinologie biochimique, son travail post-doctoral a porté sur l'étude des récepteurs et des virus dans et sur les cellules, et sur la purification des protéines, de l'ARN et de l'ARN messager. Elle est l'un des auteurs d'une étude sur les récepteurs glucocorticoïdes. En d'autres termes, elle connaît ce domaine scientifique.
Avouez que ça en jette, hein ?

Mais comme l'autrice de l'article propose elle-même de se poser des questions allons-y gaiement.

Il faut d'abord prendre quelques informations basiques sur la pandémie de covid-19 en Ouganda, et Wikipédia peut nous y aider :
Officiellement, le premier cas de Covid-19 a été détecté en Ouganda au mois de mars 2020. En date du 1er juillet 2020, le nombre de cas confirmés de Covid-19 s'élève à 8932.
En fait le site ne donne aucun mort dû au covid-19 :

Pandémie de Covid-19 en Ouganda

Mais l'article date du 31 juillet alors que Wikipédia a apparemment arrêté ses données au 1er juillet, il y aurait donc eu en juillet 71 (1140 - 1069) cas confirmés et 2 décès, admettons, quant à la population de l'Ouganda, Wikipédia nous donne un total de 41 487 965 en 2016 et le site countrymeters nous dit, lui, qu'il y aurait 45 973 100 habitants tout en fournissant un graphique qui donne pour 2020...45 092 019 !

Population de l'Ouganda (1951 - 2020)

Pour ce qui est des statistiques du covid-19 le mieux est de se référer à un organisme sérieux tel que celui du Johns Hopkins University :

COVID-19 Dashboard by the Center for Systems Science and Engineering (CSSE) at Johns Hopkins University (JHU)

Un autre site (https://epidemic-stats.com/coronavirus/) nous donne ceci :

Statistiques sur le coronavirus pour l'Ouganda

On va donc considérer que les informations fournies dans l'article sont plutôt bonnes sur le plan purement factuel :

  • nombre de cas confirmés :
    • dans l'article du 31/07 : 1140
    • sur Wikipédia au 1/07 : 1 069
    • chez JHU aujourd'hui : 1 223
  • nombre de morts :
    • dans l'article du 31/07 : 0
    • sur Wikipédia au 1/07 : 0
    • chez JHU aujourd'hui : 5

Maintenant il faut considérer l'aspect non factuel qui se trouve être représenté par un simple témoignage consistant à prétendre que l'association hydroxychloroquine, azithromycine et zinc aurait une influence significative sur les bons résultats en Ouganda avec peu de cas confirmés et très peu de décès.

Tout d'abord constatons une chose, le taux de létalité (morts/cas confirmés) en Ouganda est de 0,4% ; bien que cette donnée soit à prendre avec d'énormes précautions, on peut la comparer à ce que disait l'Institut Pasteur en avril de cette année (voir UNE MODÉLISATION INDIQUE QU’ENTRE 3% ET 7% DES FRANÇAIS ONT ÉTÉ INFECTÉS) : 
Les résultats montrent qu’en France, le risque d’hospitalisation est de 3,6% pour les personnes ayant été infectées par le SARS-CoV-2. Le taux de mortalité chez les personnes infectées est de l’ordre 0,7% (17% chez les hommes de plus de 80 ans). La probabilité de décès est 47% supérieure chez les hommes hospitalisés que chez les femmes hospitalisées.
Comme la population ougandaise (49% ont moins de 15 ans) est bien plus jeune que celle de notre pays (l'âge moyen en France dépasse 40 ans), et comme le covid-19 touche bien davantage la population âgée que les jeunes, on en déduit qu'il est probablement normal que le nombre de décès en Ouganda soit très faible sans qu'il soit nécessaire de faire intervenir les soi-disant bienfaits d'une quelconque thérapie.

On ajoutera à cela que les facteurs de comorbidité comme l'obésité se rencontrent davantage dans les pays dits « développés » comme la France ou les USA qu'en Ouganda :

Bref, plus on se goinfre et plus on est développés, mais plus on meurt du covid-19, c'est un peu ce que l'on pourrait appeler la revanche des plus faibles.

Mais allons plus loin et regardons de plus près quelles sont les mesures prises par les autorités ougandaises pour lutter contre le covid-19.

Tout d'abord nous avons à notre disposition les directives du président Museveni himself ; dans More guidelines on COVID19, preventive measures and the need for a shut down, il fixait le 30 mars, soit 10 jours seulement après le premier cas confirmé dans le pays, un certain nombre de règles que la population devait respecter, et notamment 13 mesures qu'il avait déjà notifiées...dès le 18 mars, soit 2 jours avant le premier cas confirmé ! Voici les trois premières de ces règles (je vous laisse consulter les 10 suivantes) :
(1) Close all the Educational Institutions which accounted for 15 million young Ugandans;
(2) Suspend communal prayers in Mosques, Churches or in Stadia and other open air venues;
(3) Stop all public political rallies, cultural gatherings or conferences;
(1) Fermer tous les établissements d'enseignement qui représentaient 15 millions de jeunes Ougandais ;
(2) Suspendre les prières communes dans les mosquées, les églises ou les stades et autres lieux en plein air ;
(3) Arrêter tous les rassemblements politiques publics, les rassemblements culturels ou les conférences ;
Comment dire ?

En France (sans parler des USA ou du Brésil) combien de temps avons-nous attendu avant de prendre des mesures similaires ? Est-ce qu'il y a besoin d'avoir un « gros cerveau » comme l'amie de l'autrice de l'article afin de se poser les bonnes questions et y apporter des éléments de réponse intéressants ?

Il est bien évidemment beaucoup plus commode d'attribuer les bonnes performances de l'Ouganda à un traitement chimérique plutôt qu'à des décisions prises de manière quasi-dictatoriale par un président en poste depuis 1986, soit plus de 34 ans au pouvoir sans discontinuer !

Dans sa note du 30 mars le président Museveni ajoutait encore quelques contraintes à celles définies 12 jours plus tôt (source Wikipédia) :
fermeture de l'intégralité des magasins et centres commerciaux à l'exception de ceux relevant d'activités essentielles telles que les marchés, supermarchés, banques, etc. ;
instauration d'un couvre-feu de 19 h à 6 h 30 ;
interdiction de se déplacer en utilisant son véhicule personnel.
Evidemment à aucun moment il n'est fait mention dans ces « recommandations » de la moindre hydroxychloroquine, d'une quelconque azithromycine et encore moins du zinc qui auraient éventuellement pu être utilisés ne serait-ce qu'en complément ou, pourquoi pas, carrément en substituts de toutes ces contraintes inacceptables.

Il faut croire que le dictateur Museveni avait « réellement » à cœur de protéger sa population, comment se fait-ce ?


Pour terminer ce billet nous allons nous aussi considérer un témoignage, celui d'une certaine Ruth Aine, blogueuse ougandaise (avouez que ça tombe super bien) habitant Kampala qui se trouve être la capitale de l'Ouganda. On pourra comparer ce témoignage avec celui de l'amie au « gros cerveau » qui à mon avis n'a jamais mis les pieds dans ce pays

Dans La mauvaise gestion politique de l’hydroxychloroquine voici ce que Ruth Aine nous explique :
Le 20 mars, la première plainte a été déposée dans un groupe WhatsApp comptant des patients atteints de lupus en Ouganda et au Kenya.
Nous avons déjà vu que le 20 mars est la date du premier cas confirmé en Ouganda ; nous avons également vu que le président Museveni n'a à aucun moment mentionné les traitements pour le Lupus dans sa liste de « recommandations » ; Ruth Aine continue :
L’Ouganda utilise l’hydroxychloroquine pour traiter certains de ses patients. Les responsables du ministère de la Santé en ont parlé.
Oui mais elle parle de patients atteints de lupus, rien ne dit que l'hydroxychloroquine a été utilisée pour traiter le covid-19 ; quoiqu'il en soit le prix des médicaments contre le lupus (tel le Plaquenil) a été fortement augmenté à cause de la très grande demande due à qui-vous-savez :
Je n’ai pas prêté attention aux prix pratiqués en Ouganda jusqu’à cette semaine où un patient atteint de lupus lança un appel à l’aide car il ne lui restait plus que trois jours de traitement, et que les pharmacies n’en avaient plus.
J’ai donc envoyé un SMS aux deux pharmacies que j’avais dans mes contacts WhatsApp et toutes deux ont répondu rapidement. La première n’en avait pas, mais m’a recommandé de contacter l’autre.
La réponse que j’ai reçu figure ci-dessous :
Nous avons la marque britannique en stock, un comprimé coûte 5 000.
En état de choc, j’ai fait mes calculs, pour réaliser que si j’avais encore été sous traitement, il m’aurait fallu compter 300 000 Ugx par mois pour me soigner.
L'UGX est le shilling ougandais qui vaut 0,00023 Euro, donc 300 000 UGX équivalent à 69 euros, ce qui peut paraitre minime, mais quand on sait que le salaire moyen dans ce pays est de 145,6 euros...Pour comparer, en France le salaire moyen est d'environ 2 400 euros, donc le traitement mensuel couterait dans les...1 100 euros !

Le problème est donc non pas de traiter le covid-19, qui ne présente pas de problème particulier en Ouganda grâce aux « recommandations » du dictateur en place, mais de se préoccuper des quelques malades du lupus et autres maladies rares nécessitant des médicaments en rupture de stock ou disponibles à des prix prohibitifs suite aux interventions intempestives de qui-vous-savez.

Par ailleurs si l'hydroxychloroquine est inabordable pour les patients qui en ont réellement besoin (pour le lupus ou la polyarthrite rhumatoïde) elle l'est également pour tous les autres patients qui la demanderaient pour leur covid-19. Ce qui laisse planer un gros doute sur son utilisation en Ouganda...

Et Ruth Aine de s'interroger :
Comme l’Ouganda ne compte pas tellement de cas, 175 à l’heure actuelle – je veux croire que le ministère de la Santé peut apporter son soutien aux patients qui en ont le plus besoin.
Puis de conclure :
Les patients atteints de lupus et de polyarthrite rhumatoïde en Ouganda ressentent l’impact du COVID-19, mais pas comme le reste de la population, pour eux, c’est plus grave.
Ce qui vient en totale contradiction avec l'assertion selon laquelle les « patients atteints de lupus et de polyarthrite rhumatoïde » seraient protégés contre le covid-19 parce qu'ils seraient soignés à l'hydroxychloroquine.

On rappellera pour terminer ce qu'affirmait notre blogueuse américaine :
Le paludisme est un énorme problème de santé en Ouganda et quel est le principal traitement contre le paludisme ? Allez-y, criez-le.
Sauf que cela fait un bon moment que le paludisme n'est plus traité par la chloroquine pour des raisons de résistance ; voici ce qu'en dit l'OMS :
Les infections à P. vivax doivent être traitées par une CTA ou la chloroquine dans les zones où il n'existe pas de resistance à cette dernière. Dans les zones où l’on a mis en évidence des souches de P. vivax résistantes à la chloroquine, les infections doivent être traitées par une CTA, de préférence une combinaison dans laquelle le médicament associé à l’artémisinine a une longue demi vie.
Et justement ça tombe bien, voici ce qu'il en est pour l'Ouganda si vous voulez y aller :
Vous allez voyager dans un pays classé niveau 3 (chloroquinorésistance élevée ou multi-chimiorésistance).
Et on vous indique le traitement approprié :
La chimio-prophylaxie recommandée est la suivante :
  • L’association proguanil + atovaquone durant le séjour et 7 jours après le retour. 
  • Ou méfloquine seule 10 jours avant le départ, durant le séjour et 3 semaines après le retour. 
  • Ou doxycycline durant le séjour et 4 semaines après le retour.

Je rappelle ce que disait notre blogueuse américaine au cas où cela n'aurait pas imprimé :
Le paludisme est un énorme problème de santé en Ouganda et quel est le principal traitement contre le paludisme ? Allez-y, criez-le.
Alors permettez-moi de le crier haut et fort :
Il y a trois traitements recommandés et aucun d'eux n'est l'hydroxychloroquine !
C'est plus clair maintenant ?


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