vendredi 19 février 2021

La vague de froid gèle certains cerveaux

 Il n'aura échappé à personne qu'une gigantesque vague de froid frappe actuellement LE pays du climato « scepticisme », comme un fait exprès ; ainsi nous pouvons en voir l'ampleur avec Scott Duncan qui nous montre ceci sur Twitter :

145 °F de différence de température ressentie entre le Dakota du Nord et la Floride. La météo bat des records en ce moment même.

N'importe qui ayant un minimum de lucidité, même en ne possédant aucune connaissance en climatologie, verra immédiatement qu'à côté de cette vague de froid qui pénètre le centre des Etats-Unis jusqu'à la frontière mexicaine il y a des zones où la température est plutôt clémente pour un mois de février dans l'hémisphère nord ; pour information :

  • -44°F = -42°C
  • +91°F =  +33°C
La différence est donc d'environ 75°C entre les deux extrêmes.

Pendant ce temps très loin des Etats-Unis l'Irak a battu un record...de chaleur pour un mois de février, avec +34°C :

Source Scott Duncan (@scottduncanwx) • Instagram

Et c'est normal, quand il fait un peu plus froid que la moyenne dans une partie du globe il fait un peu plus chaud que la moyenne ailleurs, et la vague de froid sur les Etats-Unis n'est que le résultat d'une descente exceptionnelle d'air polaire, ce qui veut dire qu'au pôle nord il fait moins froid que ce qu'on pourrait attendre, tout s'équilibre à un chouia près au niveau global, la température de l'atmosphère reste toujours constante dans son ensemble, hormis quelques échanges avec les océans, les continents et la biosphère qui font varier cette température selon des ondulations dont la plus connue est ENSO ; et il se trouve en plus qu'actuellement nous sommes en phase La Niña, donc avec une forte probabilité que l'année 2021 sera un peu moins chaude que les précédentes.

En fait si l'on est vraiment « réaliste » la seule manière de voir l'évolution du climat c'est en regardant la situation globale sur une longue échelle de temps, comme par exemple :

Evolution depuis 1880 de la température globale comparée à celle de l'Arctique (source Scott Duncan (@scottduncanwx) • Instagram)

On remarque donc que l'Arctique s'est réchauffé près de trois fois plus que la moyenne mondiale, on appelle cela le phénomène de l'amplification arctique, notamment causé par le fait que la glace fondant de plus en plus l'albédo en est modifié et davantage d'énergie est absorbée par la planète au lieu d'être renvoyée dans l'espace. Pour illustrer ce changement d'albédo j'ai trouvé ce schéma très instructif :
 
Changement d'albédo avec ou sans couverture de glace et neige (source Le Climatoblogue)


Quant au résultat attendu sur les températures le site weather forecast nous donne quelques exemples comme celui-ci :

Source weather forecast

La situation ci-dessus concerne le 27 février 2018, soit il y a trois ans, et on voit qu'alors c'était plutôt l'Europe qui subissait la vague de froid (si vous avez des doutes voir ci-dessous Prévisions Météo-France du 27 Février au 5 Mars 2018) alors que seul l'ouest des Etats-Unis enregistrait des températures nettement inférieures à la moyenne :

Nous commençons cette semaine [du 27 février au 5 mars 2018] avec des conditions de froid glaciales liées à l'anticyclone sur la Scandinavie qui nous canalise cet air froid venu de Russie...

Le fameux Moscou-Paris dont nous avons bénéficié également un peu plus tôt cette année !

Ce phénomène d'amplification arctique, associé à la déstabilisation du vortex polaire, lié lui-même à une surprenante hausse de 80 degrés de la stratosphère début janvier (voir Un vortex polaire arrive en Europe, vers une fin d’hiver glaciale ?), tout ceci est sujet à discussions et à débats, cela fait partie des « détails » qui restent à finaliser dans le cadre de la connaissance globale des phénomènes climatiques dont l'essentiel est maintenant bien connu ; pour le dire autrement on s'interroge toujours sur l'attribution des événements extrêmes, comme cette vague de froid sur les Etats-Unis, au réchauffement climatique en cours qui lui ne fait aucun doute.

Jennifer Francis a émis l'hypothèse que l'amplification arctique était responsable d'un affaiblissement du jet stream entrainant non seulement un ralentissement de celui-ci mais également une plus grande ondulation faisant notamment descendre certaines boucles « un peu trop bas », expliquant donc ces arrivées anormales d'air froid polaire sur des latitudes pas habituées à de telles rigueurs (demandez aux texans ce qu'ils en pensent actuellement) ; cependant une étude récente (voir On the Linkage Between Rossby Wave Phase Speed, Atmospheric Blocking, and Arctic Amplification) semble remettre en cause cette hypothèse comme expliqué dans Un Arctique plus chaud rend-il les situations météo plus persistantes à nos latitudes ? :

malgré la réduction du gradient thermique nord-sud, on ne constate pas de ralentissement dans la propagation vers l’est des hautes et basses pressions.

Si ces chercheurs ne trouvent pas de corrélation statistique significative entre l'amplification arctique et le ralentissement du jet stream, il ne proposent aucune explication aux événements extrêmes tels que la vague actuelle de froid sur les Etats-Unis ; on notera toutefois qu'ils admettent que le ralentissement du jet stream est bien la cause de ces événements extrêmes :

D’un côté, ils confirment le lien entre les évènements météorologiques extrêmes et un déplacement plus lent des dépressions et anticyclones.

Mais :

De l’autre, ils montrent que si la vitesse de déplacement fluctue beaucoup, elle ne présente pas de tendances significatives à long terme. Et ce, aussi bien en été qu’en hiver.

Donc okay, l'amplification arctique n'est peut-être pas la cause, reste alors à déterminer celle-ci, mais exclure le réchauffement climatique de l'équation est aller un peu vite en besogne, ce que ne manquent pas de faire nos désinformateurs professionnels qui se ruent sur l'occasion afin de bien inoculer aux benêts en tout genre l'idée que nous pouvons continuer à émettre autant de CO₂ que nous le pouvons et le voulons, puisque cela n'aurait donc aucun impact sur les températures glaciales que connaissent les texans ! Ainsi nous avons les gros titres suivants :

3. 2.. 1… Claim: Severe Winter Storms Caused by Global Warming

3. 2.. 1... Affirmation : de graves tempêtes hivernales causées par le réchauffement climatique

The Day After Tomorrow: Renewables Fail Edition
Le jour d'après demain : Édition sur la faillite des énergies renouvelables  
Hotel in Austin Texas sends letter to trapped guests: “we are out of food” – “use glowsticks for lighting”!
Un hôtel d'Austin au Texas envoie une lettre aux clients pris au piège : "nous n'avons plus de nourriture" - "utilisez des bâtons lumineux pour l'éclairage" !

Avec dans ce dernier article la conclusion « qui s'impose » :

Thanks wind power and renewable energy!

Merci à l'énergie éolienne et aux énergies renouvelables !

 Et on enfonce le clou avec

Texas frozen wind power – outages ensue, electricity now at unheard of $9000 per megawatt-hour

Énergie éolienne gelée au Texas - des pannes s'ensuivent, l'électricité est maintenant à un niveau inouï de 9 000 dollars par mégawatt-heure

Et bien sûr nos habituels imbéciles francophones qui relaient la réinformation, par exemple dans Énergie et politiques du climat - Changement Climatique (skyfall.fr) :

5887.  papijo | 18/02/2021 @ 15:17 

De dangereux complotiste ont prétendu que les coupures massives d’électricité au Texas étaient dues à une politique de sous investissement dans les réseaux et les centrales fossiles au profit des ENRs, et à la défaillance des éoliennes et autres panneaux solaires ! Heureusement, le service de propagande de la BBC (appelé « Reality Check » – ça ne veut pas dire « la réalité du chèque » … quoique …) veille et vient de sortir un article qui rétablit la vérité ! (traduction)

5881.  Daniel | 18/02/2021 @ 10:33 

États-Unis : la vague de froid se poursuit, plus de 2 millions de foyers sans électricité
EN IMAGES – Près de 100 millions d’Américains subissent des températures entre 11 et 19 degrés sous les normales de saison.
https://www.lefigaro.fr/international/etats-unis-la-vague-de-froid-se-poursuit-plus-de-3-millions-de-foyers-sans-electricite-20210217

5867.  Daniel | 16/02/2021 @ 1:01 

papijo (#5866),
Une vague de froid historique frappe les États-Unis

Le Texas a fait une déclaration d’état d’urgence pour raisons climatiques dans ses 254 comtés, approuvée dimanche soir par le président Joe Biden. «Chaque partie de l’État va connaître des conditions météo glaciales dans les prochains jours et j’exhorte les Texans à rester vigilants face à la météo très rude qui arrive», a prévenu le gouverneur du Texas, Greg Abbott dans une conférence de presse samedi.

https://www.lefigaro.fr/flash-actu/une-vague-de-froid-historique-frappe-les-etats-unis-20210215

5865.  papijo | 15/02/2021 @ 19:39 

Dans le temps, on se moquait de l’état de « South-Australia » et de son système électrique vertueux, responsable, moderne … et soumis à des black-outs « pires que ce qu’on imaginait ! »
Maintenant, le Texas, bien connu pour ses puits de pétrole et de gaz naturel s’y met aussi: Une vague de froid inhabituelle (jusqu’à -15 à – 20°C, certainement le résultat du RCA) a mis HS les éoliennes, et il n’y a plus de centrales fossiles pour assurer le relais. Vous devinez le résultat !
Source: WUWT (traduction)

On aura compris que les énergies renouvelables, surtout les éoliennes, seraient donc responsables des nombreuses coupures de courant au Texas, c'est papijo qui nous le laisse entendre en raisonnant comme une cloche fêlée en écho aux « informations » en provenance du site de pseudo-science WUWT ; quant au dénommé Daniel, en sous-entendus pas très subtils, il essaie peut-être de nous faire comprendre que la vague de froid est un prélude à un futur refroidissement de la planète (voir Flash-back de février - Benoit Rittaud à ce sujet)

Vraiment ?

Le Guardian n'est pas tout à fait d'accord avec eux et dans US conservatives falsely blame renewables for Texas storm outages il explique pourquoi :
While some wind turbines did freeze, failures in natural gas, coal and nuclear energy systems were responsible for nearly twice as many outages as renewables, the Electric Reliability Council of Texas (Ercot), which operates the state’s power grid, said in a press conference on Tuesday.
Si certaines éoliennes ont gelé, les défaillances des systèmes d'énergie au gaz naturel, au charbon et nucléaire ont été responsables de près de deux fois plus de pannes que les énergies renouvelables, a déclaré le Conseil de fiabilité électrique du Texas (Ercot), qui exploite le réseau électrique de l'État, lors d'une conférence de presse mardi.

Première filière renouvelable productrice d’électricité dans le pays, l’éolien a compté pour 9,1% du mix électrique des États-Unis au 1er semestre 2020, et jusqu’à plus de 20% dans une dizaine d’États américains(10) dont le Texas (de loin l’État où la production éolienne est la plus importante(11)) et l’Iowa (où l’éolien a compté pour plus de la moitié de la production d’électricité au 1er semestre 2020).

  1. Par ordre d’importance de l’éolien dans le mix électrique de l’État : Iowa (57,7% au 1er semestre 2020), Kansas (47,7%), Oklahoma (38,9%), Dakota du Sud (35,8%), Dakota du Nord (32,2%), Maine (25,6%), Nouveau-Mexique (24,7%), Minnesota (24,4%), Nebraska (23,8%). Colorado (23,3%), Texas (22%).

La part de l'éolien au Texas serait donc de 22%, confirmé par Agnès Vahramian sur Twitter dans Pourquoi le Texas est il sans électricité quand les états environnant en ont encore ? Ni la faute à la météo , ni aux éoliennes

Pourquoi le Texas est il sans électricité quand les états environnant en ont encore ? Ni la faute à la météo , ni aux éoliennes

Et de montrer un tableau et une carte qui nous disent pratiquement tout :

Répartition des source d'énergie au Texas (source Twitter)


Le réseau électrique américain (source Twitter)

Sur la carte nous pouvons constater d'où vient majoritairement le problème : le Texas tient absolument à son indépendance et n'est donc pas connecté aux autres réseaux électriques !

D'ailleurs l'ERCOT (que l'on peut traduire par Conseil de la sécurité électrique du Texas) admet la réalité du problème comme nous l'indique Wikipedia :

On February 16, ERCOT reported that 87% of total power shortages was caused by natural gas and coal generator outages, while only 13% of the shortages was caused by wind turbine outages.[19] Part of the shortage was blamed on equipment that wasn't weatherized to handle cold temperatures.[14] Governor Greg Abbott declared the reform of the ERCOT an emergency item for the state legislature this session, and wants to investigate ERCOT to determine what caused the problems and find long-term solutions.[20]

Le 16 février, ERCOT a indiqué que 87% des pénuries totales d'électricité étaient dues à des pannes de générateurs au gaz naturel et au charbon, alors que seulement 13% des pénuries étaient causées par des pannes d'éoliennes[19]. Une partie de la pénurie a été attribuée à des équipements qui n'étaient pas adaptés aux températures froides[14]. Le gouverneur Greg Abbott a déclaré que la réforme d'ERCOT était un point d'urgence pour la législature de l'état cette session, et veut enquêter sur ERCOT pour déterminer ce qui a causé les problèmes et trouver des solutions à long terme[20].

Même le magazine conservateur Forbes y met du sien dans Wind Power Isn’t To Blame For Texas’ Electricity Crisis :

As millions of Texans grapple with blackouts amid a winter storm, some observers have blamed frozen wind turbines for the power crisis, but state energy officials say Texas’ wind farms are a relatively small part of the overall problem.

Alors que des millions de Texans sont aux prises avec des coupures de courant au milieu d'une tempête hivernale, certains observateurs ont attribué la crise électrique aux éoliennes gelées, mais les responsables de l'énergie de l'État affirment que les parcs éoliens du Texas ne représentent qu'une part relativement faible du problème global.
En résumé nous avons donc les deux points essentiels qui expliquent la situation catastrophique à laquelle sont confrontés les texans :
  1. leur réseau n'est pas interconnecté et ils ne peuvent donc pas compter sur les autres états pour pallier leurs déficiences ;
  2. près de 9 coupures sur dix étaient dues à des sources d'énergie fossile ou nucléaire, seuls 13% provenant de l'éolien.

Mais que nous disait papijo, déjà ?

il n’y a plus de centrales fossiles pour assurer le relais. Vous devinez le résultat !

En voilà un qui a tout compris...de travers !


*****


Visionner Is Climate Change Bigger In Texas? (w/ Michael Mann) - YouTube pour plus d'informations, à moins que vous ne soyez allergique à Michael Mann, mais là je ne peux rien faire pour vous.


5 commentaires:

  1. Les climato négationnistes vont pouvoir faire plein de copies des unes des magazines (et des copies d'écran, ce sera mieux car encore moins contextualisé et encore moins documenté) et s'en servir dans 40 ans pour affirmer qu'en 2021 on prédisait un refroidissement généralisé.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Figurez-vous qu'en préparant mon billet (notamment en faisant mon footing) il m'est venu la même idée, parmi bien d'autres, mais qu'en l'écrivant elle m'a échappée, comme bien d'autres, donc merci de compléter car vous avez évidemment raison !

      Supprimer
    2. Concernant le vortex polaire j'ai retrouvé un lien intéressant que j'avais en réserve : https://theconvergencezone.com/2021/01/05/will-sudden-stratospheric-warming-lead-to-an-arctic-cold-blast-in-late-january/

      A cette occasion je me rends compte que ce que j'ai écrit (une surprenante hausse de 80 degrés de la stratosphère début janvier) semble quelque peu exagéré ; en réalité on est plutôt dans quelque chose comme du +50°C, ce qui n'est déjà pas si mal.

      Supprimer
  2. Un intéressant article qui vient de sortir : https://www.forbes.com/sites/marshallshepherd/2021/02/19/3-things-people-get-wrong-about-the-polar-vortex-and-climate-change/?sh=1d1fb0b9426e&fbclid=IwAR0twpy1ztJ1zRLdMO_8ND1juqqwh-WJN0xtu-IQorSIQfz44J9h3L_9di4

    3 choses importantes à savoir qui sont souvent méconnues ou mal interprétées :

    1/ le vortex polaire n'est pas une tempête qui descend sur nous ; “The polar vortex (also sometimes called the circumpolar vortex) is a large, persistent, upper-atmospheric, cyclonic circulation that forms and exists over the winter pole.”

    2/ il est idiot de se poser la question « est-ce que le changement climatique a causé la descente d'air polaire ? » ; we recommended questions like: Are events of this severity of becoming more or less likely because of climate change?
    To what extent was the event more or less intense because of climate change?

    3/ quand il faut chaud quelque part il fait froid ailleurs ; You can have extreme cold in one part of the world and warm anomalies (difference from normal) elsewhere.

    RépondreSupprimer
  3. Un autre article d'importance : https://www.carbonbrief.org/media-reaction-texas-deep-freeze-power-blackouts-and-the-role-of-global-warming?fbclid=IwAR3NakKLyv696bcA9M9SE_uZOQ5imJdkTjNd8hAuQv2JHWv7tzuc7ypCnRw

    RépondreSupprimer