samedi 13 avril 2019

Requiem pour l'espèce humaine, par Clive Hamilton

Je viens de terminer la lecture du livre de Clive Hamilton, Requiem pour l'espèce humaine, paru en anglais il y a près de dix ans, en 2010, et en français en 2013 aux Presses de Science Po.

Personne ne m'avait recommandé ce livre, je l'ai simplement vu dans un rayon d'une librairie sérieuse que j'ai l'habitude de visiter chaque fois que l'occasion se présente.

A noter que l'un des traducteurs du livre est un certaine Jacques Treiner, physicien théoricien et chercheur au LIED-PIERI (il est l'auteur de 65 articles scientifiques publiés dans des revues à comité de lecture dans le domaine des fluides quantiques - voir son CV) ; il avait aussi traduit de l'anglais le livre de Naomi Oreskes et Erik Conway Les Marchands de doute. On peut donc assumer qu'il y a au moins un physicien en France qui n'est pas climatosceptique et le fait savoir clairement (on peut ajouter Aurélien Barrau qui s'est déclaré récemment) ce qui nous rassure si l'on croyait qu'il n'y avait que François Gervais comme physicien pour parler du climat…

On pourrait me faire le reproche, à première vue justifié, de ne lire que ce qui va dans le sens que je souhaite, à savoir dans le cas présent un livre qui nous parle de la possible et prochaine (à l'échelle d'un siècle ou deux) disparition de la civilisation humaine telle que nous la connaissons aujourd'hui ; cependant il n'en est rien, je lis régulièrement de tout, y compris ce qu'écrivent des climatosceptiques de tous genres (depuis les plus fanatiques jusqu'aux plus modérés) et même, de temps en temps, des blogs catastrophistes nous annonçant la fin du monde dans une ou deux décennies (il y en a dans le bandeau de droite dans la catégorie Climat : à consulter à ses risques et périls… (par exemple paulbeckwith ou arctic-news, des sites peu crédibles mais pouvant contenir, tout comme les sites climatosceptiques, quelques morceaux comestibles à consommer avec modération et en mâchant longuement chaque bouchée)

Je n'ai en fait aucun complexe à faire part de ma lecture d'un livre n'annonçant rien de bon pour l'espèce humaine, car n'ayant aucune formation scientifique je n'ai aucun a priori sur la question du climat et possède une totale ouverture d'esprit, contrairement à tous ces « ingénieurs à la retraite » ou « physiciens prix Nobel » s'exprimant en dehors de leur champ de compétence afin d'annoncer aux bonnes gens, à l'aide de calculs de coin de table, que les scientifiques n'y comprendraient rien (au mieux) ou tenteraient de les induire en erreur (au pire)

Le livre de Clive Hamilton, lequel est professeur d'éthique à l'Université Charles-Sturt en Australie (ce qui devrait faire réfléchir un certain Benoit Rittaud qui semble avoir une idée toute personnelle de ce qu'est l'éthique), a donc été écrit il y a dix ans de cela, et il faudra par conséquent en tenir compte à la lecture, bien que sur le fond tout ce qu'il avance a gardé une complète cohérence au regard de ce que l'on sait aujourd'hui sur le sujet.

De toute évidence Hamilton s'est bien renseigné et reprend dans son ouvrage les points techniques connus à l'époque et repris notamment dans les rapports du GIEC.

Je ne suis pas un expert en critique et résumé de livres mais je vais essayer de donner un aperçu de celui-ci au moyen de quelques passages que je commenterai par la même occasion.

Tout d'abord il est cocasse de lire page 138 :
Pour les sceptiques (parmi lesquels on trouve de nombreux ingénieurs) […]
Ce passage figure dans un chapitre intitulé Stratégie d'adaptation, où il est question du « pouvoir politique du lobby des combustibles fossiles » et du fait que « les institutions créent et renforcent les idéologies, et encouragent des comportements individuels qui assurent la reproduction du système ». Ainsi « [l]e retour d'une situation chaotique constitue un défi spécial pour ceux qui craignent l'incertain et croient que la raison peut permettre de maitriser l'environnement ». C'est ici que nous voyons intervenir nos sceptiques, et notamment nos « ingénieurs », qui sont « méprisants à l'égard des modèles climatiques sous prétexte que ceux-ci ne peuvent prédire l'avenir avec certitude […] ».

Effectivement un ingénieur ça construit des ponts, des avions, des systèmes compliqués qui sont supposés marcher et ont fait l'objet de multiples tests et essais afin de s'assurer qu'ils n'allaient pas péter à la figure de leurs utilisateurs ou s'effondrer sous leurs pieds, alors pensez donc, quand un ingénieur est confronté à un modèle climatique qui donne des résultats sous forme de fourchettes qui sont elles-mêmes fonction de scénarios qui ne se réaliseront probablement jamais tels quels dans la réalité, il faut avouer qu'il y a de quoi se mettre à douter, se prendre le menton et la barbichette dans le creux de la main puis décréter doctement que tout cela est du pipeau.

Mais il faut croire que les ingénieurs ont une capacité très limitée à se projeter dans l'avenir, et Hamilton nous le dit, « [l]es effets du réchauffement n'étant pas pour tout de suite, une réponse adaptée  requiert que nous anticipions des émotions que nous ressentirons peut-être dans de nombreuses années » ; des émotions ? les ingénieurs ? ne plaisantons pas avec ça, les ingénieurs sont des gens sérieux qui n'éprouvent aucune émotion ni pour le présent ni encore moins pour le futur, et quant à leur capacité à prévoir ce futur n'oublions pas que ce sont des ingénieurs qui ont dû fixer la hauteur des murs protégeant la centrale de Fukushima contre de possibles tsunamis…tout comme d'ailleurs ce sont des ingénieurs qui ont imaginé et supervisé la grande majorité des engins ayant explosé ou ayant cédé à une quelconque contrainte qu'ils n'avaient pas prévue ou avaient simplement sous-estimée dans leurs savants calculs. Oui, oui, on me dira que l'erreur est humaine et c'est parfaitement vrai, l'erreur d'un ingénieur s'exprimant sur le climat est donc tout à fait compréhensible selon ce point de vue.

Mais si l'on revient au tout début du livre, dans la préface, le décor est planté avec :
Lorsque des faits sont très alarmants, il est plus facile de les réinterpréter ou de les ignorer que de les regarder en face.
Cette phrase seule pourrait à la limite résumer l'ensemble du livre, du moins est-ce la trame de fond qu'Hamilton va dérouler au fil des chapitres dont certains sont un peu ardus à lire bien que très intéressants, comme quand il parle justement de ce qu'il connait le mieux, à savoir les problèmes de comportement humain face à un problème comme le changement climatique, mais pas que lui, comme tout changement qui se présente à nous et que nous devons forcément gérer d'une façon ou d'une autre.

Dans le chapitre sur les nombreuses formes du déni il nous parle évidemment de la dissonance cognitive et revient sur les racines du climatoscepticisme. Les « détracteurs ont des arguments bien à eux pour éluder la réalité : les scientifiques ont truqué leurs résultats pour obtenir davantage de financement pour leur recherche ; les détracteurs ont été réduits au silence ; les gouvernements ont cédé à la pression des écologistes qui font tout ce qu'ils peuvent pour détruire le système de l'économie libérale… » ; il est tout bonnement époustouflant de constater que ces lignes qui datent, je le répète, d'il y a dix ans, sont encore entièrement d'actualité tellement on peut lire, aujourd'hui en 2019, quasiment au mot près, les mêmes « arguments » dans la bouche ou sous la plume des climatosceptiques qui s'expriment ici ou là.

Quant aux racines du climatoscepticisme Hamilton explique qu'on peut les trouver à partir de la fin des années 1980 après la chute de l'URSS, les conservateurs n'ayant plus l'ennemi communiste contre lequel combattre s'en sont trouvé un nouveau, l'écologie, le combat pour l'environnement, qui fut alors considéré comme un danger car « il faisait douter de la nature inoffensive du système », ce système représentant « les fondements de la civilisation occidentale », c'est-à-dire un système basé avant tout sur l'individualisme au sein du capitalisme libéral hérité de quelques grands penseurs comme Adam Smith ou John Locke mais dénaturé par des extrémistes du genre de Milton Friedman (là c'est moi qui donne mon avis, pas Hamilton)

Hamilton rappelle un des mantras des conservateurs pour qui « les écologistes […] veulent nous ramener à l'âge des cavernes » (une variante étant le moyen âge à la place de l'âge des cavernes) et il évoque « les créationnistes qui n'acceptaient déjà la science qu'à la condition qu'elle fût cohérente avec des croyances plus profondes » ; c'est à cet endroit de son livre qu'Hamilton nous parle de cette « poignée de scientifiques ayant une authentique expertise en climatologie [qui] rompirent avec la majorité de leurs confrères et rejoignirent le mouvement anti écologiste dans les années 1980 ». Il nous cite en particulier « trois physiciens de renom qui ont participé à la réaction conservatrice contre la climatologie. Frederick Seitz, Robert Jastrow et William Nieremberg » ayant « une solide confiance dans la science et dans la technologie pour trouver des solutions aux problèmes […] ».

 Ce sont ces trois scientifiques qui sont à l'origine de la création de l'Institut Marshall « avec pour objectif initial le soutien à l'initiative de défense stratégique (IDS) du président Reagan », la fameuse « guerre des étoiles » ; après l'échec de ce fumeux projet, et avec l'aide financière d'ExxonMobil, « l'Institut Marshall réorienta son activité principale contre la recherche scientifique sur le changement climatique. »

La suite nous la connaissons, mais il est toujours utile de se rappeler l'histoire de l'activisme climatosceptique et comment tout a commencé, afin surtout de bien prendre conscience que la plupart des climatosceptiques militants d'aujourd'hui ne sont que des marionnettes dont les ficelles sont tirées par bien plus malins qu'eux.

Et comme nous le dit Hamilton, « [i]l se trouve que climatosceptiques et tabaco-sceptiques partagent bien plus qu'une simple ressemblance », ils utilisent la même stratégie d'« astroturfing » qui consiste à donner une fausse impression de spontanéité sur internet, notamment dans les réseaux sociaux ; l'un des exemples de cette façon de modeler l'opinion à son insu a été illustrée lors de la dernière campagne présidentielle aux Etats-Unis avec la société Cambridge Analytica qui a œuvré pour l'élection de Donald Trump (les Russes ayant également de leur côté joué leur part d'astroturfing dans la même campagne) ; ainsi il est plus que probable que le bruit produit par le petit monde climatosceptique sur le Web est en partie le fait de quelques bots ou de hackers dont la mission n'est rien d'autre que de remplir l'espace avec des messages destinés à polluer les forums (et il n'est pas nécessaire qu'il y ait beaucoup de hackers pour ce faire, un seul peut suffire)

Hamilton précise qu'« [a]u premier plan de ces "groupes de paille" se trouvait The Advancement of Sound Science Coalition (TASSC) » et que son but premier était de « jeter le doute sur la science », qu'il s'agisse de « tabagisme passif […] - réchauffement climatique, gestion des déchets nucléaires, biotechnologies - de façon à suggérer que tout cela faisait partie d'une panique sociale organisée mais sans fondement, et que par conséquent les appels au gouvernement pour qu'il intervienne dans la vie privée des gens ne pouvaient se justifier. »

Et devinez quoi, « du doute nait la controverse », pardi !

Nous comprenons mieux maintenant des livres comme La peur exponentielle qui ne cherchent qu'à discréditer toute réflexion sur le changement climatique en accusant ceux qui réfléchissent sur la question de vouloir « paniquer » le bon peuple, bien évidemment à tort et sans raison.

On ne sera pas étonné d'apprendre que Frederick Seitz, l'un des créateurs du Marshall Institute, fut dans les années 1980 également « principal conseiller scientifique du fabricant de cigarettes R.J. Reynolds, et [que] c'est à ce titre qu'il avait remis en cause le lien entre tabagisme et cancer du poumon », ben voyons !

Les temps changent et tout reste pareil, les mêmes causes produisent en général les mêmes effets et les criminels ainsi que les escrocs restent des criminels et des escrocs toute leur vie, ils ne font en fait que s'adapter aux situations changeantes qu'ils trouvent, si le tabagisme est maintenant sans aucune contestation possible lié au cancer du poumon qu'à cela ne tienne, nous avons le réchauffement climatique que nous pouvons dénigrer, et en plus ça paye super bien !

 Il existe bien d'autres formes de déni que la dissonance cognitive tellement en vigueur chez les climatosceptiques (les benêts, pas les escrocs qui vivent de cela), par exemple la réinterprétation de la menace (la diversion ou le fait de minimiser cette menace « en se racontant des histoires à soi-même ») ou la recherche du plaisir qui « est un moyen connu d'échapper à la réalité », mais nous avons aussi la recherche de boucs émissaires ou l'espoir trompeur que l'on trouve chez tant d'« optimistes irréalistes » qui ont tendance à « prédire ce qu['ils préfèrent] qu'il advienne plutôt que ce qui a le plus de chance d'advenir », ce que l'on a coutume de résumer par « prendre ses désirs pour des réalités ».

Un chapitre instructif nous parle des fausses pistes que sont la capture du carbone (une des façons justement de prendre ses désirs pour des réalités…) et la géo-ingénierie qui nous fait penser à l'apprenti sorcier de Paul Dukas transposé par Walt Disney en un fameux dessin animé dans lequel on voit Mickey complètement dépassé par les balais et les seaux d'eau qu'il a voulu mettre en branle en mode automatique afin de se faciliter la tâche (qu'il croyait, le naïf)

Pour finir Hamilton nous propose de « reconstruire l'avenir », mais je ne suis pas certain qu'il y croie vraiment ; il commence en effet par « désespérer » avant d'« accepter » puis de « retrouver du sens » et enfin « agir ».

Pour agir, il nous dit en substance que « lorsque les puissants auront compris que les implications dramatiques de la crise climatique les menacent, eux et leurs enfants, ils imposeront à tous […] leurs propres solutions […] abandonnant les pauvres à eux-mêmes. »

Nous savons déjà que les pauvres sont ceux qui souffrent le plus et qui souffriront toujours le plus du réchauffement de la planète, alors que les riches auront dans une certaine mesure les moyens de s'y adapter sans trop de bobo, l'argent et le pouvoir fournissant quelques munitions pour faire face aux pires calamités ; nous avons vu à la Nouvelle Orléans que les pauvres avaient été exclus de la ville après Katrina, et nous voyons que chaque fois qu'un ouragan frappe un pays ce sont essentiellement les pauvres qu'on vient essayer de secourir, ce sont eux qui quémandent les sacs de nourriture largués par avion ou acheminés par hélicoptère, les riches de ces pays, eux, n'ont comme seul souci que de regarder ce qu'ils ont perdu financièrement en pensant déjà à se refaire quand les conditions le permettront à nouveau.

C'est ainsi que va le monde et c'est ainsi qu'il continuera d'aller.

Si vous voulez aller plus loin sur ce sujet vous avez le site Les Crises qui a consacré un article à Clive Hamilton dans lequel il explique :
[…] la terre est confrontée à un réchauffement d’au moins 4 degrés Celsius d’ici la fin du siècle. Et, si l’on réfléchit à ce que signifie 4 degrés de réchauffement, on comprend que le climat sera plus chaud qu’il ne l’a jamais été depuis 15 millions d’années – la dernière fois qu’il y a eu un changement de température aussi important c’était lors de la dernière aire (sic) glaciaire. A cette époque là, la température était inférieure de 5 degrés à ce qu'elle est aujourd’hui et New-York était 1000 mètres sous la glace. Donc il s’agit bien d’une planète radicalement différente, une planète où l’on ne saurait vivre.
Cela est à rapprocher de ce qu'Hamilton écrit page 222 :
[…] dans un monde plus chaud de 2 à 2,5°C, le niveau des mers s'élèvera de 25 mètres, même si ce niveau d'équilibre mettra longtemps à s'établir […] il y a 120 000 ans, le niveau des mers était de 10 mètres plus haut qu'aujourd'hui. Mais il ne faisait que 1,5 à 2 degrés de plus.
Ce que tout bon climatosceptique s'empressera de traduire par « Clive Hamilton prétend que la mer va monter de 25 mètres dans les décennies à venir » et « Clive Hamilton reconnait qu'il y a 120 000 ans, alors qu'aucun humain n'émettait de CO₂, la température était pourtant 1,5 à 2 degrés plus élevée qu'aujourd'hui ».

Je commence à les connaitre les loulous, ils n'ont plus beaucoup de secrets pour moi.


4 commentaires:

  1. Treiner n'est pas plus heureux dans ses choix d'ouvrages à traduire que quand qu'il s'essaye à la physique de l'atmosphère :

    "Le point essentiel est [que le gradient thermique] est indépendant des échanges
    radiatifs et indépendant de la concentration en CO2."
    (https://www.hprevot.fr/plus-subtil.pdf p. 834)

    Il n'invente pourtant rien car ce postulat idiot fonde la quantification de l'effet de serre !!!

    "...lorsque les puissants auront compris que les implications dramatiques de la crise climatique les menacent, eux et leurs enfants..."

    Est donc à corriger :
    "...lorsque les imbéciles auront compris que les implications dramatiques de leurs reniements les menacent, eux et leurs enfants..."

    phi

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    1. Et à part cela vous avez un commentaire à faire sur mon article ?

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  2. C'était pour l'essence : pseudo-science, son moraliste, l'exégète et son billet. Passons.

    Votre moraliste justement :
    "[l]es effets du réchauffement n'étant pas pour tout de suite, une réponse adaptée requiert que nous anticipions des émotions que nous ressentirons peut-être dans de nombreuses années"

    Intéressant. Hop, on envoie une ânerie bien grosse censée répandre la trouille dans la populace et ensuite, on est prié de laisser parler les tripes, on marche au pas et on va gronder dans les rues. C'est ça ?

    phi

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    1. Vous avez tout compris, enfin vous avez du moins compris ce que vous vouliez comprendre, c'est l'essentiel.

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