jeudi 5 mai 2022

Le 9 mai

 Bientôt deux mois et demi de guerre et on voit toujours très mal comment tout ça va se terminer.

Il y a cependant une date qui suscite beaucoup de spéculations, c'est le 9 mai prochain, le Jour de la Victoire des soviétiques sur les Nazis que les Russes continuent à célébrer en exhibant régulièrement leurs têtes nucléaires dernier cri entre autres jolis joujoux jetables sur les méchants (que nous sommes bien entendu)

Ainsi Anna Colin Lebedev imagine le discours (en l'abrégeant fortement) que Poutine pourrait tenir à sa population et que je compile ci-après (entre parenthèses les commentaires sont d'elle) :

L'armée russe avance en libérateurs (rappelez-vous, la moitié des Russes est convaincue que son armée est accueillie sans hostilité par les Ukrainiens). Nous avançons, mais les néonazis restent puissants. Ils sont soutenus et armés par l'Occident. L'adversaire s'est révélé encore plus coriace que prévu. Il cherche à détruire la Russie, à perpétrer un génocide contre la population russe. L'Occident est contre nous. Il y aura des sacrifices encore (va-t-il annoncer les pertes?) Il a fallu 5 ans à l'URSS pour venir à bout des nazis. Il en faudra peut-être autant aujourd'hui. Mais comme pendant la Grande guerre patriotique, nous vaincrons et nous sauverons le monde. Nous sommes les forces du bien et nous ne pouvons pas perdre. Bla, bla, bla.

J'ai comme l'impression que ça tient la route, on verra bien si la réalité rejoint cette prédiction, après tout nous aurons peut-être une grosse surprise, Poutine pouvant soit déclarer que la Russie se retire de toutes ses possessions illégalement acquises et qu'elle envoie un message d'amour à toute l'humanité, ou bien que l'apocalypse nucléaire est ce qui nous attend à brève échéance si nous continuons à essayer de défendre un pays souverain attaqué parce qu'il était un peu trop démocratique ; le véritable discours que nous découvrirons avec bonheur le 9 mai sera très probablement quelque part entre ces deux extrêmes et celui imaginé par Anna Colin Lebedev a une certaine chance de voir quelques uns de ses éléments repris par le dictateur du Kremlin. A mon avis les termes néonazis, occident et OTAN ont de grandes chances d'être mentionnés à plusieurs reprises, on parie ?

Il y a toutefois une grosse interrogation sur un point précis du discours concernant la suite des « opérations » ; va-t-il notamment déclarer la guerre officiellement à l'Ukraine, ce qui lui permettrait de mobiliser conscrits et réservistes de la nation afin d'étoffer les troupes professionnelles actuellement sur le champ de bataille ?

Un certain Dmitri Alperovitch ne le croit pas ; dans un fil Twitter il donne ses raisons :

I am going to go out on a limb here and make a prediction that Putin will not do a full mobilization call on May 9th or anytime in the near future I could be wrong and I don’t have as much confidence in this call as I did in my invasion prediction back in December but…
Je vais prendre un risque et prédire que Poutine ne fera pas d'appel à la mobilisation totale le 9 mai ou dans un avenir proche. Je pourrais me tromper et je n'ai pas autant confiance dans cet appel que dans ma prédiction d'invasion en décembre, mais...

Il faut dire que le monsieur avait quand même bien prévu ce qui allait se passer, et ce dès le 21 décembre 2021 ! Je vous laisse découvrir ses prédictions mais vous donne quelques passages pour vous éclairer :

In the last few weeks, I have become increasingly convinced that Kremlin has unfortunately made a decision to invade Ukraine later this winter. While it is still possible for Putin to deescalate, I believe the likelihood is now quite low. Allow me to explain why
Ces dernières semaines, je suis de plus en plus convaincu que le Kremlin a malheureusement pris la décision d'envahir l'Ukraine plus tard cet hiver. S'il est encore possible que Poutine procède à une désescalade, je pense que la probabilité est désormais assez faible. Permettez-moi d'expliquer pourquoi

Je rappelle, c'était écrit le 21 décembre 2021, soit deux mois avant l'agression russe sur l'Ukraine du 24 février 2022.

Signal: The obvious one. The military build-up on Ukraine’s borders (in the north, east and south in Crimea). This mobilization is qualitatively and quantitatively different from the past
Le signal : Le plus évident. Le renforcement militaire aux frontières de l'Ukraine (au nord, à l'est et au sud en Crimée). Cette mobilisation est qualitativement et quantitativement différente des précédentes.

Suivent d'autres signaux tendant tous à montrer que l'agression était inévitable, par exemple celui-ci que nous connaissons bien maintenant :

Signal: The information battlefield is now being prepared for a provocation that can be pinned on Ukraine, US or NATO (or all 3). They will be used as part of an excuse to justify an invasion
Le signal : Le champ de bataille de l'information est actuellement préparé pour une provocation qui peut être imputée à l'Ukraine, aux États-Unis ou à l'OTAN (ou aux trois). Ils seront utilisés comme une partie de l'excuse pour justifier une invasion.
Le fameux prétexte fabriqué de toutes pièces et que de nombreux gogos ont avalé pour le régurgiter régulièrement sur les réseaux sociaux (voir Guerre en Ukraine: c’est la faute à l’OTAN. Des voix qui se démarquent: Manlio Dinucci et Nabil Boukili) avec la soi-disant « promesse » qui aurait été faite à la Russie de ne pas étendre l'OTAN, promesse dont on cherchera vainement une quelconque trace écrite signée par toutes les parties concernées. Si certains pays ont décidé de leur propre chef de rejoindre l'Alliance atlantique c'est qu'ils avaient de bonnes raisons que l'Histoire explique très bien, ce ne sont d'ailleurs pas ces pays que Poutine a décidé d'agresser, mais bien la Moldavie (avec la Transnistrie), la Georgie (avec l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud) et l'Ukraine (avec la Crimée et le Donbass) qui ont dû céder une partie de leur territoire au « grand frère » qui ne veut bien sûr que leur bonheur.

On note en plus que Dmitri Alperovitch avait bien anticipé la problématique énergétique :
Energy prices are skyrocketing. Europe is wholly dependent on Russia’s gas and even the US is currently importing Russia’s crude oil. There is little chance there will be economic sanctions on fossil fuels as a result
Les prix de l'énergie montent en flèche. L'Europe est entièrement dépendante du gaz russe et même les États-Unis importent actuellement le pétrole brut de la Russie. Il y a peu de chances que des sanctions économiques soient prises à l'encontre des combustibles fossiles.
Quand on voit les difficultés de certains pays pour couper le cordon gazier...

Pour ce qui est de la mobilisation générale que Poutine ne devrait pas décréter selon Dmitri Alperovitch nous verrons bien, ses explications ne sont pas très convaincantes et paraissent un tantinet confuses, il a peut-être raison, mais le dictateur du Kremlin est tellement imprévisible que probablement lui seul connait le message qu'il entend passer ce jour si particulier ; peut-être même est-il en train de le travailler en le modifiant à plusieurs reprises en fonction des événements, qui sait...

A mon avis le gros obstacle à une mobilisation générale serait l'accueil que lui réserverait la population, sachant que de nombreux actes de sabotage semblent être commis dans tout le pays, sans compter les tentatives nombreuses d'éviter la conscription, voire de migrer à l'étranger pour ceux qui pourraient être enrôlés sans qu'ils en aient vraiment envie, tout cela montre une certaine réticence de la part des principaux intéressés !

Pour en savoir plus sur ces « réticences » on peut lire le fil twitter de Kamil Galeev qui commence ainsi :
May 9, the Victory Day is a crucial symbolic date. We should expect the Victory Parade and Putin's speech to the nation on that day. What is he gonna say? Many are pondering whether he will: 1. Declare war on Ukraine 2. Declare mass mobilisation in Russia Let's discuss both
Le 9 mai, jour de la Victoire, est une date symbolique cruciale. Nous devons nous attendre à la parade de la Victoire et au discours à la nation de Poutine ce jour-là. Que va-t-il dire ? Beaucoup se demandent s'il va : 1. Déclarer la guerre à l'Ukraine 2. Déclarer une mobilisation de masse en Russie Discutons de ces deux points.
En fait on voit qu'il y a deux possibilités : déclarer la guerre à l'Ukraine d'une part et déclarer la mobilisation générale d'autre part ; personnellement je ne vois pas trop comment l'un pourrait aller sans l'autre étant donné que les forces russes actuelles sont manifestement dans l'incapacité totale de conquérir l'ensemble du pays, n'étant toujours pas en mesure de « sécuriser » le seul Donbass et ayant les plus grandes difficultés à s'étendre vers l'ouest pour joindre la Crimée à la Transnistrie, un des objectifs évidents de Poutine.

Kamil Galeev ajoute cependant un élément important à prendre en considération, expliquant qu'une mobilisation est plus facile à décréter qu'à réaliser :
Now let's return to the prospects of a total or partial mobilisation which may be declared on May 9. The problem with the total mobilisation is that Russia has no capacity to do it properly. The USSR could, while Russia absolutely can't
Revenons maintenant aux perspectives d'une mobilisation totale ou partielle qui pourrait être déclarée le 9 mai. Le problème de la mobilisation générale est que la Russie n'a pas la capacité de la faire correctement. L'URSS le pouvait, alors que la Russie ne le peut absolument pas.
On pourrait ici objecter que la Russie n'avait déjà pas la capacité d'envahir « correctement » l'Ukraine, et pourtant elle l'a décidé, ou plutôt Poutine seul dans son coin l'a décidé, donc qui nous dit que...?

En résumé :
Russia has the capacity to draft the enormous number of recruits via a mass mobilisation. It has no capacity to train them, provide them with required equipment or with officers' leadership. Which means that a mass mobilisation would be a really dumb decision
La Russie a la capacité de recruter un nombre énorme de personnes par le biais d'une mobilisation de masse. Elle n'a pas la capacité de les former, de leur fournir l'équipement nécessaire ou de les diriger avec des officiers. Ce qui signifie qu'une mobilisation de masse serait une décision vraiment stupide.
Décision vraiment stupide, oui, comme le fut etc. (je vous laisse terminer la phrase maintenant que vous avez compris)

C'est en substance ce que Kamil Galeev nous dit dans la foulée :
Declaring a mass mobilisation would be dumb. And yet, that does *not* mean that Putin wouldn't do it. He can. As a general rule, prognosing a leader's decisions based on "common sense" or on "logic" is largely counterproductive. A leader absolutely can do something dumb
Déclarer une mobilisation de masse serait stupide. Et pourtant, cela ne veut *pas* dire que Poutine ne le ferait pas. Il le peut. En règle générale, pronostiquer les décisions d'un dirigeant sur la base du "bon sens" ou de la "logique" est largement contre-productif. Un dirigeant peut absolument faire quelque chose de stupide

On ne le lui fait pas dire.

J'y vais ou j'y vais pas ? Je me tâte, je me tâte...


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