vendredi 9 juillet 2021

Cliff Mass versus Gavin Schmidt, Robert Vautard et tous les autres

 Il n'y a pas longtemps j'avais encore, dans mon bandeau de droite, le blog de Cliff Mass inclus dans ma blogroll sous le titre « Climat : à consulter à ses risques et périls... », en bonne compagnie avec WUWT, MM&M ou Skyfall ; dans Grand ménage de printemps j'avais informé mes estimés lecteurs que je me débarrassais de ces sites encombrants et finalement inutiles, souhaitant passer à autre chose, mais j'avertissais cependant :

Evidemment il se peut, et c'est même très probable, que de temps en temps je retombe « par mégarde » sur un de ces sites avariés, nul ne sait d'avance où un surf sur Internet peut mener et parfois l'aiguillage est déficient, mais si quelque chose attire ma curiosité je n'en ferai pas toute une salade, au pire ça atterrira dans mon Bêtisier, au mieux ça me fera rebondir pour en tirer un article sérieux dans le genre fact-checking que j'aime tant, on verra bien le moment venu.

Et le moment me semble venu.

Tout le monde a entendu parler des records de températures enregistrés récemment dans l'ouest américain et canadien, et qui ne connait pas aujourd'hui le nom de la ville de Lytton, rayée de la carte suite à un incendie ayant suivi de près le record de la température la plus haute non seulement du Canada mais aussi de la partie de la planète située au nord du 50ème parallèle ; Météo-France nous informait ainsi le 28 juin dernier :

Depuis le début des relevés, il n’avait jamais fait aussi chaud au Canada. Le record national du Canada, tous mois confondus, a été largement battu ce dimanche 27 juin 2021, où une incroyable température de 46,6 °C a été mesurée à Lytton en Colombie-Britannique. Le précédent record national de 45,0 °C avait été établi le 5 juillet 1937, sur deux stations à Yellow Grass et Midale, dans la province de la Saskatchewan.

 Puis le 30 juin, deux jours plus tard :

Cette vague de chaleur produit des valeurs absolument inédites. Les records de juin mais aussi tous mois confondus sont largement battus. On retiendra bien sûr les valeurs les plus chaudes relevées par les services météo canadiens à Lytton où le thermomètre a atteint 46,6 °C dimanche, puis 47,9 °C lundi et 49,6 °C mardi, écrasant trois jours de suite le record national du Canada (45 °C en 1937), et faisant de cette température la plus élevée jamais relevée au-dessus du 50° Nord.

Il y a de quoi s'interroger devant une telle avalanche de records de températures :

Records de températures canadiens (source meteofrance)

Records de températures états-uniens (source meteofrance)

La multiplicité de ces enregistrements montrant des valeurs cohérentes écarte toute possibilité que ces records soient dus à des erreurs de mesures ; on peut pinailler sur la précision au dixième près, ce que ne manqueront pas de faire certains, pourtant même en imaginant une précision d'un demi degré, ce qui est énorme, il est parfaitement évident qu'il a fait extrêmement chaud et que jamais de telles températures n'avaient été observées, même avant que les thermomètres n'existent ou qu'ils soient d'une fiabilité telle qu'on daigne prendre en compte les résultats qu'ils fournissent.

Il n'a pas fallu attendre une semaine avant qu'une étude d'attribution, dans laquelle deux scientifiques français ont contribué (Rémy Bonnet et Robert Vautard de l'Institut Pierre-Simon Laplace), ne soit publiée sous le titre Rapid attribution analysis of the extraordinary heatwave on the Pacific Coast of the US and Canada June 2021. ; on peut notamment y lire dans les brèves découvertes (main findings) :

Based on observations and modeling, the occurrence of a heatwave with maximum daily temperatures (TXx) as observed in the area 45–52 ºN, 119–123 ºW, was virtually impossible without human-caused climate change.
D'après les observations et la modélisation, l'occurrence d'une vague de chaleur avec des températures maximales quotidiennes (TXx) telles qu'observées dans la zone 45-52 ºN, 119-123 ºW, était pratiquement impossible sans le changement climatique anthropique.

Ces deux graphiques en particulier sont impressionnants :

Figure 4. a) Last 90 days of the average temperature over the study area based on ERA5 (up to 30 May 2021), ECMWF analyses (up to 29 June 2021) and forecasts (up to 7 July 2021), with positive and negative departures from the 1991–2020 climatological mean of daily maximum temperature shaded red and blue, respectively. 


Figure 4. b) Annual maximum of the index series with a 10-yr running mean (green line).

Traduction des légendes : Figure 4. a) Température moyenne sur les 90 derniers jours dans la zone d'étude, basée sur l'ERA5 (jusqu'au 30 mai 2021), les analyses du CEPMMT (jusqu'au 29 juin 2021) et les prévisions (jusqu'au 7 juillet 2021), avec les écarts positifs et négatifs par rapport à la moyenne climatologique 1991-2020 de la température maximale quotidienne en rouge et bleu, respectivement. b) Maximum annuel de la série d'indices avec une moyenne mobile sur 10 ans (ligne verte).

On serait presque tentés de dire « sans commentaire », cependant Gavin Schmidt a relayé cette étude dans Rapid attribution of PNW heatwave ; en sus des explications qu'il donne concernant l'étude en question, voici un petit passage intéressant :

Maybe it was just really, really, really unlikely?

Some people still reject these lines of argument, typical of this is Cliff Mass in this recent blog post. For them, the trends in max temperatures are (literally) ignored, and the fact that this phenomenon is being seen around the world is just a series of increasing unlikely combinations of factors that for some inexplicable reason keep happening. But this is really just a case of synoptic myopia – paying too much close attention to the series of specific events that lead to the specific situation, and not seeing the wood for the (burning) trees.
Peut-être que c'était juste vraiment, vraiment, vraiment improbable ?

Certaines personnes rejettent encore ces arguments, comme Cliff Mass dans ce récent billet de blog. Pour eux, les tendances des températures maximales sont (littéralement) ignorées, et le fait que ce phénomène soit observé dans le monde entier n'est qu'une série de combinaisons de facteurs de plus en plus improbables qui, pour une raison inexplicable, continuent de se produire. Mais il ne s'agit là que d'un cas de myopie synoptique, c'est-à-dire le fait de prêter trop d'attention à la série d'événements spécifiques qui ont conduit à une situation particulière, sans voir la forêt cachée derrière les arbres (en train de brûler).

Voilà donc notre ami Cliff Mass mis sur le devant de la scène, ou le nez dans son caca si l'on préfère, c'est au choix. Celui-ci s'est en effet fendu d'un long billet de blog (voir Was Global Warming The Cause of the Great Northwest Heatwave? Science Says No.) dans lequel il prétend pas moins que ceci :

it is shown that global warming only contributed a small about (1-2F) of the 30-40F heatwave and that proposed global warming amplification mechanisms (e.g., droughts, enhanced ridging/high pressure) cannot explain the severe heat event.
il est démontré que le réchauffement planétaire n'a contribué que pour une faible part (1 à 2 F) à la vague de chaleur de 30 à 40 F et que les mécanismes d'amplification du réchauffement planétaire proposés (par exemple, les sécheresses, le renforcement des dorsales et des hautes pressions) ne peuvent pas expliquer cet épisode de chaleur intense.

Bref oubliez tout ce qu'on vous a dit sur le « dôme de chaleur » et la responsabilité du réchauffement climatique dans l'intensité de la longue canicule que les Américains et Canadiens ont connue ces derniers jours.

Cliff Mass est un habitué de la chose, donc pas de panique et pas d'étonnement devant une telle assurance confinant au négationnisme ; on en connait d'autres capables de nier pareillement, mais parfois on peut être amené à se demander ce qui peut motiver de telles attitudes. Et je ne suis pas le seul à me poser ce genre de question.

En fait, pour commencer, et c'est ce qui est vraiment bizarre, pour dire le moins, Cliff Mass n'appartient apparemment pas à la secte des climatosceptiques, il semble même embrasser la science « officielle » en ne niant pas les principes basiques du réchauffement climatique actuel : excès de CO₂ et autres gaz à effet de serre produits par l'activité humaine ; ainsi en 2017 un article était intitulé Cliff Mass: Climate change is real, but... et l'on pouvait y lire ceci :

Is Cliff Mass, something of a Seattle celebrity weather guru, a climate change denier?
No ... Mass, a University of Washington atmospheric sciences professor, believes that human-caused climate change is real and is influencing the world we live in today.
Cliff Mass est-il une sorte de gourou de la météo de Seattle, un négationniste du changement climatique ?
Non ... Mass, professeur de sciences atmosphériques à l'Université de Washington, pense que le changement climatique causé par l'homme est réel et qu'il influence le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui.
Et on lui laisse lâcher ceci :
"I'm no skeptic or denier, let me make that clear," Mass told SeattlePI. "What I see is a mass of misinformation going on right now about the implications of climate change on weather extremes."
"Je ne suis ni sceptique ni négationniste, que ce soit clair", a déclaré Mass à SeattlePI. "Ce que je vois, c'est une masse de désinformation en cours actuellement sur les implications du changement climatique sur les extrêmes météorologiques."
Oui car pour Mass le changement climatique, c'est pour bien plus tard !
"Global warming will become much more significant later in the century," Mass said. By the end of the century, the Earth could see several degrees of warming, rising sea levels, significantly reduced snowpack and more.
"Le réchauffement climatique deviendra beaucoup plus important plus tard dans le siècle", a déclaré M. Mass. D'ici la fin du siècle, la Terre pourrait connaître un réchauffement de plusieurs degrés, une élévation du niveau des mers, une réduction significative du manteau neigeux, etc.
Ainsi, ce qui pour l'immense majorité des scientifiques est quelque chose qui nous affecte dès à présent, pour Mass ce n'est qu'à la fin de ce siècle (quand ? le 15 mars 2081 ou le 35 mai 2099 ?) que nous connaitrions vraiment des dérèglements climatiques de toutes sortes, dont la « réduction significative du manteau neigeux » ; si vous pensiez que cela était justement en train de se produire actuellement vous aviez tout faux, le manteau neigeux se porte toujours très bien et les glaciers ne se retractent pas sous l'effet d'une température qui somme toute n'augmente pas tant que ça, hein ! 

Et encore Mass utilise le conditionnel, il dit « could » et non pas « will », ce n'est donc même pas certain, si ça se trouve c'est vers un nouvel âge de glace que nous cheminons sans nous en rendre compte ; il ne le dit pas clairement mais on a quand même l'impression de l'entendre un peu, comme une voix intérieure. Mais pour ne pas insulter l'avenir et ne pas risquer de passer pour un crétin aux yeux des générations futures il conclut ainsi :
"So global warming's very serious," Mass said. "But it's coming up in the future, not right now, for us."
"Donc le réchauffement climatique est très sérieux", a dit Mass. "Mais il se présente dans le futur, pas maintenant, pour nous".
Traduction libre de ma part : comme on n'est pas concernés ne faisons rien et laissons la patate chaude (sic) à nos enfants, ils seront suffisamment intelligents pour trouver des solutions aux problèmes que nous leur aurons légués. Elle est pas belle la vie ?

Mais le 6 mai 2016 on nous avait avertis concernant le loulou ; dans Why Cliff Mass Is a Very Dangerous Weatherperson on est mis au parfum :
Yesterday, I made the prediction that Cliff Mass, the local and popular weather blogger, would claim that there is no connection between the exceptional wildfires in northern Alberta and climate change. Others have; he would not. Sure enough, I was correct. He now has a post on Cliff Mass Weather Blog that, in his usual manner, admits the event is very unusual for the season, and then provides a scientific explanation for its unusualness, and concludes that, at this day and time, there is no hard evidence that it is caused by anthropogenic global warming.
Hier, j'ai fait la prédiction que Cliff Mass, le blogueur météo local et populaire, affirmerait qu'il n'y a aucun lien entre les feux de forêt exceptionnels dans le nord de l'Alberta et le changement climatique. D'autres ont déclaré qu'il ne le ferait pas. Et bien sûr, j'avais raison. Il a publié un article sur son blog météo qui, comme à son habitude, admet que l'événement est très inhabituel pour la saison, puis fournit une explication scientifique de ce caractère inhabituel et conclut qu'à l'heure actuelle, il n'existe aucune preuve tangible que le réchauffement climatique anthropique en soit la cause.
Comme on ne change pas une équipe qui gagne, on ne change pas non plus une posture qui vous permet de vous distinguer de l'ensemble des autres personnes appartenant à votre domaine d'expertise ; quand tout le monde, ou presque, pense que le changement climatique est pour quelque chose dans l'intensification des feux de forets amplifiés par des conditions météorologiques elles-mêmes exacerbées par le changement climatique, une bonne approche, si l'on veut acquérir une certaine notoriété, c'est de se démarquer du gros de la troupe et de persister dans ses prises de position malgré toutes les preuves qui pourraient s'accumuler contre vos théories.

Mais finalement la réponse à notre question initiale se trouve peut-être dans ce vieil article de septembre 2013, Uncivil scientists thwart Cliff Mass’ climate-change debate ; on peut y lire :
Mass is an atmospheric sciences professor at the University of Washington. He has been troubled for years by the way the subject of global warming can turn typically even-headed scientists into politicized, tribal warriors.
Mass est professeur de sciences atmosphériques à l'université de Washington. Depuis des années, il est troublé par la façon dont le sujet du réchauffement climatique peut transformer des scientifiques habituellement équilibrés en guerriers tribaux politisés.


Bon sang, mais c’est bien sûr !

Les climatologues sont tous des idéologues dont les raisonnements sont biaisés par des attitudes politicardes, cela tombe sous le sens. C'est même George Soros (à moins que ce ne soit Bill Gates) qui me l'a dit. En rêve.

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