mercredi 19 juin 2019

Elise Lucet et les semences

Hier soir c'était Cash Investigation sur la 2 avec Multinationales : hold-up sur nos fruits et légumes.

J'aime bien Elise Lucet et son approche rentre-dedans, cela change des reportages consensuels où tout le monde il est beau et il est gentil, cependant il faut avouer que parfois elle exagère un peu et semble ne pas avoir vraiment travaillé ses dossiers en profondeur ; et les avoir travaillés uniquement à charge bien sûr, mais c'est le principe même de l'émission et il ne faut pas être naïf et tout prendre au pied de la lettre.

Beaucoup de choses justes dans cette émission, mais aussi des approximations, des raccourcis, des non-dits ou des éléments légèrement déformés afin de bien entrer dans le cadre conceptuel qui lui est propre, à savoir dénoncer les dérives de la finance, de l'économie, de la société, etc.

Des dérives il y en a et Cash Investigation a le mérite d'exister et de faire prendre conscience de certaines choses, les Panama Papers par exemple, même si je ne suis pas sûr que cela ait servi à grand chose…

Pour ce qui est des fruits et légumes et de ce fameux hold-up dont il est question de la part des semenciers l'émission aurait pu élargir son champ d'enquête aux semences de grande culture, car le problème est à peu près le même, cependant parler de hold-up est un peu surcharger la barque au risque de ne pas être pris au sérieux.

Bien évidemment les grands semenciers ne sont pas là pour « nourrir la planète » selon le slogan de mon ancien employeur qui était rabâché jusque dans le moindre document interne à l'attention des salariés, pardon, des collaborateurs afin de bien leur faire passer le message ; non, le but est simplement de faire un maximum de profit pour rémunérer les actionnaires qui ne demandent que ça, point barre.

Mais mettre sur le dos de ces grands groupes destinés à faire de l'argent tous les malheurs des agriculteurs et des consommateurs que nous sommes tous par la force des choses est un peu...exagéré.

Après tout c'est nous les consommateurs qui, par nos décisions d'achats, favorisons tout le système économique en amont de la chaine ; si nous voulons de jolies tomates sans aucun défaut c'est nous qui fabriquons en fait tout le processus de production qui mène à cette tomate sans défaut, même si elle a moins bon goût qu'une tomate déformée issue de l'agriculture paysanne que l'on pourra éventuellement se procurer sur un marché de plein vent local ou directement chez le petit producteur.

L'émission a rappelé que ce que l'on nomme « l'appropriation du vivant » ne date pas des OGM mais que les hybrides étaient déjà concernés, cependant le thème de la brevetabilité du vivant étant particulièrement complexe et en constant mouvement (voir inra ou assemblee-nationale) le résumer en quelques secondes me semble plutôt hasardeux…

Par ailleurs le passage sur les semences de Limagrain non inscrites au catalogue mais qui seraient soi-disant commercialisées en toute illégalité m'a bien fait rire ; pourtant il était bien dit que ces semences étaient « mises à disposition » des agriculteurs par le semencier, ce qui signifie qu'elles restent toujours la propriété...de Limagrain ! Ce qui est étonnant c'est que le grand ponte de Limagrain n'a rien su répondre de cohérent à Elise Lucet, preuve qu'il ne connait pas son sujet.

En effet une mise à disposition veut dire que le semencier (Limagrain en l'occurrence, mais cela existe chez tous les semenciers) fournit la graine à l'agriculteur, à charge pour ce dernier de la mettre en terre et de prendre bien soin d'elle puis de restituer son produit (la plante issue de la graine) après la récolte ; à aucun moment l'agriculteur n'est propriétaire de la semence et de la plante qui en découle, il doit obéir au cahier des charges strict du semencier sous peine de sanctions financières (sous la forme de décotes lors de la facturation finale) et lui rendre l'intégralité de la récolte.

D'ailleurs la facturation initiale de Limagrain vers l'agriculteur fait mention des lettre ATSF dont le grand ponte de Limagrain ne connait pas la signification :
A 1:39:50 : je ne connais pas ce nom de code ATSF.
Elise Lucet, qui aime bien jouer au chat et à la souris (en l'occurrence c'est elle le chat…) lui en donne le sens :
Assistance Technique et Savoir Faire
Il s'agit donc de prestations de services présumées être rendues par le semencier à l'agriculteur ; on peut discuter de la réalité de ces services qui semblent être davantage virtuels que réels, si l'on se fie aux témoignages naïfs des quelques agriculteurs interrogés qui doivent avoir des notions de droit plutôt sommaires, il n'en reste pas moins que juridiquement parlant ces factures montrent bien qu'il n'y a pas de transfert de propriété du semencier vers l'agriculteur, par conséquent le semencier n'est pas tenu d'inscrire les semences en question au catalogue officiel des espèces et variétés végétales puisqu'il ne les commercialise pas, il en reste propriétaire à tout moment.

Sur l'appropriation du vivant qui est tant reprochée aux grands groupes semenciers il y a beaucoup à dire, on ne peut que constater que certains agriculteurs s'en affranchissent sans problème en ressemant leurs propres semences, seuls ceux qui désirent rester « dans le système » se retrouvent pieds et mains liés à leur fournisseur qui va leur procurer un package comprenant non seulement les semences mais aussi les produits chimiques qui vont avec !

Beaucoup d'agriculteurs sont en fait piégés, ils se sont fortement endettés pour acheter du matériel et doivent assurer un minimum de rendement que seuls les grands semenciers sont capables de leur procurer avec leurs solutions « tout en un », c'est la loi du marché de laquelle il est difficile de s'extraire, et c'est ce qui produit l'agriculture intensive que l'on connait aujourd'hui avec ses avantages (rendements exceptionnels) et ses inconvénients (perte de biodiversité, usure des sols, pollutions chimiques, etc.)

Il y a bien d'autres choses que l'on pourrait reprocher aux grands groupes semenciers, par exemple l'astuce qui consiste à maquiller une réduction sur vente en « accord de coopération » ; en principe les conditions générales de vente fixent les prix ainsi que toutes les remises auxquelles les clients ont droit, et les semenciers ne peuvent pas octroyer des faveurs à quelques clients qu'ils souhaitent privilégier, cela serait contraire au droit de la concurrence, alors ils feintent et inventent des prestations bidons qu'ils nomment « accords de coopération » selon lesquelles les clients concernés sont censés rendre des services au semencier, services qui évidemment sont complètement fictifs !

Les factures éditées par les clients sont compatibilisées au compte 622 - Rémunérations d'intermédiaires et le tour est joué, du moins au niveau français, car sur le plan de la comptabilité internationale aux normes IFRS ces dépenses doivent être retraitées et reportées en moins...des ventes ! Mais est-ce que les contrôleurs de la DGCCRF auditent les comptes du groupe aux normes internationales, ou bien se contentent-ils des comptes français bien plus faciles à lire…? A moins qu'ils ne ferment tout simplement les yeux sur ce secret de polichinelle…

On pourrait aussi parler, pour les groupes dont le siège est à l'étranger (Limagrain n'est donc pas concerné), des schémas d'optimisation fiscale, montés avec la bénédiction du fisc français, afin d'imposer en France un minimum de revenus en transvasant dans un pays « accueillant » les bénéfices sous formes de prix de transferts divers et variés, le summum de la technique étant la méthode du residual profit split, mais ce système n'est pas l'apanage des semenciers, ces derniers se sont simplement mis à la page, que voulez-vous, un sou suisse est un sou suisse…

Il n'y a pas de petit profit, alors pourquoi tout donner au fisc ?


3 commentaires:

  1. Pfiouuuuuu
    2 jours que j'ai plongé en profondeur dans ta marre, têtard, et il est temps que je retourne à la surface pour respirer ; j'avais lu "Élise Lucet et les sentences" :P

    Dis, tu n'aurais pas un sommaire où l'on puisse accéder à TOUS tes articles d'un seul coup ?
    (Genre le sommaire de mon propre blog par exemple :) )

    Merci


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    1. Je ne pense pas que Blogger permette de faire un sommaire, en tout cas je vois pas comment…

      A ta disposition il y a plusieurs outils pour rechercher de l'information : 1/les archives du blog, mais ce n'est pas forcément le plus pratique, 2/les tags, mais je les ai limités au strict minimum, 3/la zone recherche qui permet de restreindre ta recherche sur un mot précis à condition de bien l'orthographier ! et 4/ on peut rajouter à tout cela les articles les plus consultés, mais c'est forcément très réducteur...

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  2. Genre ça par exemple :) :
    http://2013-continuum.blogspot.fr/2011/04/le-sommaire-spatio-temporel-de-2013.html

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