vendredi 10 septembre 2021

Comment appeler un chat un chat en un billet de blog

 Il arrivera un moment où il faudra bien s'y mettre, sans se cacher derrière son petit doigt en employant des mots qui n'ont plus de sens.

Nous avions au début les « climato-sceptiques », qui n'ont de sceptique que le nom et usurpent un concept qui est en réalité l'apanage des gens qui savent se poser les « bonnes questions » sans pour autant y apporter obligatoirement des réponses.

Nous avons maintenant les « climato-réalistes » selon saint Benoit Rittaud, qui est leur digne représentant pour la communauté francophone des ex « climato-sceptiques ».

Mais nous avons également les « climato-dénialistes », un terme couramment employé par François-Marie Bréon, lequel a probablement peur de qualifier « ces gens-là » de manière beaucoup plus précise...

Ce mot de « dénialiste » n'existe pas dans la langue française. Je suis allé consulter mon Littré (édition de 1962) et il n'y figure pas ; de déniaiseur on passe directement à déniché, par contre on trouve dénégateur, un néologisme (nous sommes en 1962...) qui signifie celui qui nie.

Idem pour mon Larousse de l'an 2000, donc bien plus récent que mon Littré, qui passe lui-aussi allègrement de déniaiser (il ne connait pas le déniaiseur...) à dénicher ; quant à dénégateur, il figure en filigrane sous l'entrée dénégation, où l'on peut lire :

  • 1.Action de nier, de dénier.
  • 2.PSYCHAN. Processus par lequel le sujet nie un désir qu'il vient de formuler.

Déjà, à ce stade-là nous pouvons constater une chose, c'est que le langage est mouvant, il est tout sauf figé, bref il évolue dans le temps, et ce ne sont pas les dictionnaires ou les Académies qui dictent aux gens la façon de parler ou d'écrire les mots, c'est en fait l'inverse qui se produit : les mots évoluent dans le temps et les dictionnaires et Académies s'adaptent en se mettant à jour !

Aujourd'hui, si vous cherchez le mot dénialiste sur Google (pourquoi pas ?) vous trouverez tout en haut de la page l'avertissement suivant :

Essayez avec cette orthographe : dénialisme

Si Google ne trouve pas le mot dénialiste c'est quand même un signe. Mais allons voir ce qu'il dit du mot qu'il nous conseille, le dénialisme :

En psychologie comportementale, le dénialisme est le choix de nier la réalité. Il s'agit d'une action irrationnelle d'une personne qui rejette la validité d'une expérience historique ou d'un événement et ainsi refuse d'accepter une réalité empiriquement vérifiable1. C'est un moyen mis en place afin d'éviter une vérité psychologiquement inconfortable2.

Je suis désolé mais je dois insister sur le fait que cette définition ne cadre pas du tout, mais alors pas du tout avec ce que l'on sait des « climato-sceptiques/réalistes/dénialistes » tels qu'on nous les sert habituellement.

Dans cette définition très pointue du dénialisme on voit bien que ce terme s'applique aux personnes qui choisissent de nier la réalité ; c'est peut-être le cas de certains, ils tombent alors dans le domaine de la psychologie (ou de la psychiatrie...) car ils ont un vrai problème cognitif et on en connait quelques uns ici qui sont venus commenter récemment (coucou Laurent et Dominique) en nous démontrant la gravité de leur pathologie ; il est bien mentionné dans la définition de dénialisme que cela s'applique à l'« action irrationnelle d'une personne » afin d'« éviter une vérité psychologiquement inconfortable » ; cela peut aussi s'appliquer à n'importe quelle croyance permettant de s'évader à bon compte de la réalité du quotidien (si vous croyez que je pense notamment à la religion c'est que vous êtes vachement balèze, vous lisez dans mes pensées !), ainsi croire au père Noël, à la fée Clochette ou à Didier Raoult, selon son âge mental, c'est se bercer d'illusions afin de ne pas trop penser aux babioles désagréables qui nous affectent, comme la maladie, la mort ou la perte de l'être aimé dans l'ordre d'importance que l'on attribue à ces « choses de la vie ».

Alors comment peut-on qualifier de « dénialiste » quelqu'un comme Marc Morano, dont la profession (probablement très bien rémunérée) consiste à nier ce que les scientifiques s'évertuent à nous dire, en utilisant à ses fins un blog, Climate Depot, qui est souvent repris en chœur par des intermédiaires de tous horizons qui ont la particularité de n'avoir aucune compétence en matière de climat ?

Idem pour d'autres désinformateurs patentés tels que Anthony Watts, Joanne Nova ou Pierre Gosselin pour n'en citer que trois des plus prolifiques. Idem également pour les « passeurs de pseudo-science » du genre Benoit Rittaud ou François Gervais pour la France (je vous laisse en trouver d'autres pour le pays dont vous êtes originaire), tous ces gens ont les compétences nécessaires et suffisantes pour savoir que ce qu'ils racontent est un tissu d'âneries, on peut donc difficilement invoquer chez eux une approche « irrationnelle » afin d'« éviter une vérité psychologiquement inconfortable », ou alors c'est grave car cela signifie que même dans leur propre domaine de compétence et d'expertise ils auraient de sérieux problèmes, ce qui après tout est possible sans que l'on puisse le prouver.

Tout cela nous montre que le terme « climato-dénialiste » utilisé par Bréon est une façon de ne pas dire...« climato-négationniste » !

Je vous vois sursauter (pour certains d'entre vous, pas tous), laissez-moi un peu de temps pour développer.

Comme je l'ai déjà dit les mots ne sont pas figés, leur sens évolue avec le temps. Ainsi Le Figaro, dans Cinq mots qui ont radicalement changé de sens avec le temps, nous montre quelques exemples avec notamment babouin qui désignait il y a seulement un siècle...un petit bouton près des lèvres ! (penser à babine qui s'écrivait aussi babouine...)

D'après Wikipédia (re-pourquoi pas ?) le mot négationnisme 

est créé en 1987 par l'historien Henry Rousso pour désigner la contestation de la réalité du génocide mis en œuvre contre les Juifs par l'Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale, c'est-à-dire la négation de la Shoah

Mais on nous dit peu après que 

Par la suite, le négationnisme désigne la contestation ou la minimisation des crimes contre l'humanité condamnés par le tribunal de Nuremberg, puis par extension la contestation ou la minimisation d'autres faits historiques qu'on pourrait aussi qualifier de crimes contre l'humanité, tels que le génocide arménien perpétré par le gouvernement Jeunes-Turcs de l'Empire ottoman pendant la Première Guerre mondiale, le Holodomor ukrainien par l'URSS, le Goulag et les crimes communistes, le massacre de Nankin par l'armée impériale japonaise, le génocide des Tutsi au Rwanda, les crimes du régime khmer rouge au Cambodge, ou encore le laogai de Chine.

Nous avons donc la confirmation que ce mot de négationnisme a déjà pas mal évolué depuis sa création il y a 34 ans ; on remarquera ironiquement que 1987 c'était un an avant...1988, la date de création du GIEC !

Les chipoteurs me feront remarquer que Wikipédia (encore !) nous précise pour ce qui est du mot dénialisme :

En langue française, les termes dénialisme et négationnisme ont deux sens voisins mais sensiblement différents, tout deux désignent le déni de faits établis, mais le dénialisme désigne plutôt le déni de faits scientifiques tel que le réchauffement climatique tandis que le négationnisme désigne le déni de faits historiques telle que la Shoah.

Soit. Cependant nous sommes en 2021 et cela fait donc deux siècles que nous connaissons l'effet de serre (Cf Joseph Fourier en 1824) ; cela fait plus d'un siècle et demi que nous savons quel est l'impact du CO₂ sur l'atmopshère (Cf Eunice Foote en 1856 et John Tyndall en 1859) ; et cela fait 125 ans que nous avons une petite idée de l'impact d'une augmentation du taux de CO₂ dans l'atmosphère sur les températures (Cf  Svante Arrhenius en 1896) ; je passe sur les innombrables scientifiques qui se sont ensuite succédés durant le siècle dernier pour peaufiner ce qu'ont établi ces précurseurs, et je pose maintenant la question à cent balles : s'il ne s'agit pas de faits historiques alors qu'est-ce ?

Si vous répondez à cette question oui, il s'agit bien de faits historiques, alors la conséquence logique et imparable est que nous sommes bien en présence de « climato-négationnistes » selon la définition de Wikipédia qui ajoute aussi :

On peut considérer le négationalisme (sic) comme un cas particulier de dénialisme, visant des faits établis par la science historique.

On voit ici au passage qu'on ne peut pas faire une entière confiance à Wikipédia (ah bon ? moi je croyais...) qui s'emmêle les pinceaux, peut-être piégé par un correcteur d'orthographe malicieux, qui sait.

J'ai déjà parlé de cette problématique dans Négationnisme climatique, je montrais notamment que de nombreux auteurs avaient utilisé l'expression « négationnisme climatique » et tous ses dérivés depuis plus de dix ans, le premier exemple que je mentionnais datant de novembre 2009 ; et en conclusion j'indiquais que les anglophones étaient moins tordus que nous :

Les anglophones ont apparemment moins de problèmes que les francophones avec ce concept puisqu'ils ont le mot « denier » qui signifie « négateur, personne qui nie », et que pour traduire notre mot « négationniste » ils utilisent l'expression « Holocaust denier » ; ainsi l'« Holocaust denial » est la traduction du français négationnisme ou révisionnisme.

Ils n'ont pas de mot unique pour désigner comme nous quelqu'un qui nie la réalité de la Shoah, ils disent Holocaust denier quand certains francophones se contentent de négationniste ;  s'ils évoquent un denier sans préciser ils font allusion à quelqu'un qui nie une réalité, quelle que soit cette réalité, mais s'ils parlent de négation du changement climatique alors ils disent climate change denial, tout comme ils diront HIV/AIDS denialism pour ceux qui nient que le virus HIV puisse causer le SIDA.

Pour ce qui est de la négation du changement climatique il ne faut toutefois pas croire que seuls les francophones se débattent dans une bataille de mots, les anglophones ont eux-aussi leurs chicaneurs comme expliqué dans Skeptics, deniers, and contrarians: The climate science label game (Sceptiques, négateurs/négationnistes et anticonformistes : Le jeu des étiquettes de la science du climat) :

the Committee for Skeptical Inquiry posted an open letter declaring that "Deniers are not Skeptics." To the Committee, skepticism is central to its goals, and it defines the activity as a careful analysis of evidence. As such, the group has been rather annoyed that people who doubt climate change have labelled themselves as skeptics, even if they have never taken the time to come to grips with any evidence.

le Committee for Skeptical Inquiry a publié une lettre ouverte déclarant que "les négateurs/négationnistes ne sont pas des sceptiques". Pour le Comité, le scepticisme est au cœur de ses objectifs, et il définit cette activité comme une analyse minutieuse des preuves. En tant que tel, le groupe a été plutôt agacé que les personnes qui doutent du changement climatique se qualifient elles-mêmes de sceptiques, même si elles n'ont jamais pris le temps de s'attaquer aux preuves.

Ici je dois être honnête avec vous en vous révélant que DeepL Translate traduit le mot anglais denier tout d'abord par négateur ; mais que le mot français qui vient juste après est bien celui qui nous intéresse :

Traductions du mot denier par DeepL.

Vous me pardonnerez de trouver personnellement que le mot négateur me semble bien timoré et en-dessous de la réalité qu'il est censé représenter. En effet, d'après Le Larousse un négateur est une
Personne qui est portée à tout nier, à tout critiquer.
On peut effectivement l'utiliser, pourquoi pas, et « climato-négateur » me parait à la limite bien plus juste que « climato-dénialiste », car il y a bien l'idée de « négation », mais dans ce cas pourquoi ne pas appeler un chat un chat et carrément dire « climato-négationniste » ?

Les cris de jeunes (ou vieilles) vierges effarouchées que pousseront certains en entendant ou lisant ce mot de négationnisme appliqué au réchauffement climatique feront à mon avis bien rire nos descendants pour qui les crimes nazis ne seront que quelques pages dans un cours d'histoire bâclé au lycée, ils devraient avoir d'autres chats (toujours des chats) à fouetter, pauvres bêtes !

Le réchauffement climatique ou le Covid-19, ce n'est qu'une simple histoire de chats à flageller.


2 commentaires:

  1. C'est bien joli tout ça, mais climato-crétin on garde ou pas ? ;)

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    1. Bien sûr ! J'ai évoqué très rapidement les deux loulous qui nous bassinent en ce moment, pour eux plutôt que climato-négationniste, qui s'applique à des gens d'un niveau un peu plus élevé, vous pouvez bien évidemment utiliser, au choix, climato-crétin/benêt/nigaud/gogo/charlot/sot/arlequin/guignol/clown/...

      Il suffit de prendre un dictionnaire de synonymes et de voir tout ce qu'il y a qui se rapproche de ces qualificatifs, c'est pratique et ça évite les répétitions.

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