jeudi 4 novembre 2021

Il parait qu'il n'est pas trop tard...

 J'ai déjà dit ici (voir Voici pourquoi nous sommes foutus (en quelques graphiques)) que j'étais climatosceptique sur un point, un seul : je doute (donc je suis sceptique) que nous puissions limiter la hausse de température à 2°C, contrairement à certains qui pensent (ou croient) que nous pouvons encore éviter de passer la barre des 1,5°C.

Mon petit doigt me dit depuis pas mal de temps que c'est vers +3°C que nous allons pour la fin de ce siècle, et j'ai quelques cartouches que je peux tirer afin d'argumenter à mon humble niveau de béotien qui regarde les choses depuis sa petite mare aux têtards.

Plusieurs informations récentes viennent encore me confirmer que nous ne prenons pas vraiment le chemin de la sobriété carbonique, par exemple avec le tout nouveau rapport sur le bilan carbone Global Carbon Budget 2021 dans lequel les graphiques n'incitent pas franchement à l'optimisme, comme celui-ci :

Émissions annuelles de CO d'origine fossile et projections pour 2021.

Ainsi les émissions de CO₂ d'origine fossile sont en quasi-constante augmentation depuis 1960, avec certes une espèce de plateau depuis une dizaine d'année :

Emissions globales de CO fossile depuis 1990.

Mais qui dit plateau, ou arrêt/diminution de l'augmentation, dit continuation des émissions et reprise possible dans le futur sans aucune assurance que nous assisterons à une baisse menant vers le « zéro émissions » dans un avenir...incertain.

On remarquera au passage que l'« année Covid 2020 » n'a vu qu'une baisse légère des émissions très vite récupérée en 2021, « PIB + chômage + espoir en un avenir radieux + etc. » oblige. On ne plaisante pas avec les besoins existentiels des gens qui veulent avant tout profiter de la vie et retrouver une activité « normale » ; ainsi la courbe de Keeling n'a même pas frémi durant l'épisode Covid :

CO atmosphérique à l'observatoire Mauna Loa.

Pour appuyer les +3°C nous avons même des revues qu'on peut qualifier de sérieuses telles que Nature qui, dans Emissions – the ‘business as usual’ story is misleading, nous montre cet édifiant graphique :

Futurs possibles selon différents scénarios.

Même si l'on écarte d'un revers dédaigneux de la main les scénarios jugés hautement improbables (highly unlikely) ou seulement improbables (unlikely) nous voyons que ce qui semble le plus probable (likely) nous donne +3°C avec une politique de faible atténuation (weak mitigation) ; et si l'on persiste à demeurer béatement optimiste en privilégiant la modeste atténuation (modest mitigation) nous arrivons quand même à +2,5°C, ce qui est largement plus élevé que ce qui était promis lors de la COP-21 de Paris en 2015 quand on évoquait les +1,5°C qu'il ne fallait surtout pas dépasser, avec la magnifique courbe plongeante que seuls les grands idéalistes considèrent encore comme pouvant être suivie, car, disent-ils, « il n'est pas trop tard ».

Nous avons ainsi Ken Rice qui, dans It’s not too late, nous assure que si on peut le faire ! Il nous dit par exemple :

I produced a short [video] about that tried to explain why it isn’t too late. 
J'ai réalisé une courte [vidéo] à ce sujet pour tenter d'expliquer pourquoi il n'est pas trop tard.

Il faudra qu'il nous explique pourquoi alors il nous montre dans sa vidéo cet étrange graphique :

Courbes d'atténuation du CO₂ : 2°C

Ouais, il n'est pas trop tard pour quoi, hein ? Il nous dit en substance que les émissions constantes depuis dix ans requièrent maintenant des efforts d'atténuation de 9% par an, 9% par an pour limiter la hausse des températures à 2°C « seulement » ! Comme il est fort peu probable que dans les années à venir nous voyions le moindre soupçon de diminution à l'échelle globale on peut en déduire que dès que nous allons nous y mettre sérieusement (mdr) l'effort sera encore plus important que les 9% annoncés, je vous laisse imaginer le pourcentage, vous êtes libres de divaguer comme bon vous semble.

Mais il y a mieux.

J'ai vu passer il y a peu un tweet de quelqu'un qui assurait que dès que la neutralité carbone serait une réalité alors les températures arrêteraient comme par miracle d'augmenter, malheureusement je n'ai pas réussi à le retrouver ; par contre je me souviens que Gavin Schmidt était cité, et effectivement en faisant une recherche sur Google (le mal absolu oui je sais) je suis parvenu, à partir d'un article sur Carbon Brief (Explication: Le réchauffement climatique s'arrêtera-t-il dès que les émissions nettes seront nulles?), à rassembler quelques morceaux ; ainsi on peut lire ceci :

La confusion qui entoure l’impact des émissions nulles est compréhensible. Même une FAQ de la NASA sur le climat – mise à jour en 2007 – affirme encore aujourd’hui que “même si nous arrêtions d’émettre des gaz à effet de serre maintenant, le réchauffement climatique se poursuivrait pendant au moins plusieurs décennies, voire plusieurs siècles”. (Le Dr Gavin Schmidt de la NASA a déclaré à Carbon Brief que cette formulation ne reflète pas les recherches plus récentes et qu’une mise à jour est en cours).

Donc une FAQ de la Nasa nous aurait dit que « même si nous arrêtions d’émettre des gaz à effet de serre maintenant, le réchauffement climatique se poursuivrait pendant au moins plusieurs décennies, voire plusieurs siècles » et Gavin Schmidt aurait assuré « que cette formulation ne reflète pas les recherches plus récentes et qu’une mise à jour est en cours », ce que l'on peut vérifer en consultant la FAQ en question qui nous dit :

if we stopped emitting greenhouse gases today, the rise in global temperatures would begin to flatten within a few years.
si nous arrêtions aujourd'hui d'émettre des gaz à effet de serre, l'augmentation des températures mondiales commencerait à s'aplanir en quelques années.

Okay, seulement un article récent paru dans Skeptical Science (voir The Keeling Curve: Part I) ne nous dit pas, lui, exactement la même chose :

There are three points to consider about what climate negotiators are recommending.

  1. There is a 1:1 relationship between CO2 levels and expected warming.
  2. There is a 30-year delay between achieving a CO2 level and achieving the warming corresponding to that CO2 level. Scientists are not just concerned about current temperatures, but the temperature to which the current CO2 concentration commits us, should we fail to reduce CO2.
  3. As of 2020, the Keeling Curve is accelerating upwards: on average, each year CO2 concentrations increase more than the previous year. This upward, accelerating characteristic of the Keeling Curve adds urgency to reducing our CO2 emissions.

Il y a trois points à considérer à propos de ce que les négociateurs climatiques recommandent.

     1. Il existe une relation 1:1 entre les niveaux de CO₂ et le réchauffement attendu.

     2. Il y a un délai de 30 ans entre l'atteinte d'un niveau de CO et l'obtention du réchauffement correspondant à ce niveau de CO. Les scientifiques ne sont pas seulement préoccupés par les températures actuelles, mais aussi par la température à laquelle la concentration actuelle de CO nous engage, si nous ne parvenons pas à réduire le CO.

     3. À partir de 2020, la courbe de Keeling s'accélère vers le haut : en moyenne, chaque année, les concentrations de CO augmentent davantage que l'année précédente. Cette caractéristique ascendante et accélérée de la courbe de Keeling rend plus urgente la réduction de nos émissions de CO.

Entre « quelques années » et « délai de 30 ans » il y a il me semble comme une différence...

Et dans les notes de bas de page on trouve cet intéressant tableau :

Corrélation entre les concentrations de CO₂ dans l'atmosphère et le réchauffement attendu.

Si je comprends correctement ce tableau, comme nous avons abordé les 400 ppm en 2015 nous devons déjà nous attendre, quoi que nous fassions, à un réchauffement minimum de +1,5°C pour 2045 au plus tard ; et comme il ne fait guère de doute que les 450 ppm seront atteintes avant 2050 alors les +2°C sont déjà actés pour avant 2080, tout comme les +3°C qui correspondent aux 550 ppm que nous devrions tutoyer à l'approche de 2100 sauf prise de conscience majeure (lol)  et/ou révolution technologique impensable au moment où je mets sous presse.

Par ailleurs un article de Carbon Brief (voir Global CO2 emissions have been flat for a decade, new data reveals) nous confirme que les émissions ont été stabilisées depuis dix ans (voir plus haut avec notamment le passage concernant la vidéo de Ken Rice) ; on nous montre ce fameux plateau d'une dizaine d'années :

Émissions mondiales totales annuelles de CO₂ - provenant des fossiles et du changement d'affectation des terres - entre 2000 et 2021 pour les versions 2020 et 2021 du budget carbone mondial du Global Carbon Project.

Effectivement depuis 2010 environ les émissions globales semblent avoir marqué le pas, sauf que :

Émissions mondiales de CO₂ par habitant provenant du CO₂ fossile (orange) et émissions totales de CO₂ (bleu) de 1959 à 2021, en tonnes de CO₂ par personne.


Nous voyons que les émissions par tête de pipe n'ont quasiment pas varié depuis au moins 1970, ce qui veut dire que comme la population mondiale continuera d'augmenter, pour atteindre les dix milliards d'individus peut-être au milieu de ce siècle, on ne voit pas vraiment comment les émissions globales pourraient demeurer stables. Mais je dois me tromper dans mes calculs. Certainement.


Et pour finir, dans Le Monde d'aujourd'hui c'est Philippe Ciais, que l'on ne connaissait pas climatosceptique à ce point, qui s'exprime ainsi :

Le monde ne prend pas le chemin d'une réduction des émissions. Or, plus on attend, et plus leur décroissance devra être rapide et drastique pour atteindre la neutralité carbone et stabiliser le réchauffement.

Et dans la même édition on apprend que le charbon et le gaz devraient en 2021 dépasser leur niveau de 2019, bref que du bonheur...pour les gens comme Joe Manchin qui sont dans les fossiles jusqu'aux couill..., pardon jusqu'au cou !

Mais même si les Etats-Unis (-3,7%) tout comme l'Europe (-4,2%) enregistrent une légère baisse de leurs émissions entre 2019 et 2021, il ne faut pas se faire d'illusions, la neutralité carbone n'est pas visible à l'horizon y compris pour eux, alors pensez donc pour le reste du monde qui ne pense qu'à rattraper son « retard »...

Un certain Pierre Friedlingstein, climatologue à l'université d'Exeter au Royaume-Uni, enfonce le clou dans le cercueil :

Atteindre zéro émission nettes d'ici 2050 implique de réduire les émissions mondiales de CO2 d'environ 1,4 milliard de tonnes chaque année en moyenne.

Comme aurait dit Raffarin dans une de ses raffarinades : la route est droite, mais la pente est forte.

Pour l'instant la route ressemble à ça :

Et ils ont l'air contents d'être là.

Bon courage pour la suite.


5 commentaires:

  1. Quelques remarques :
    - +1.2°C mesuré en moyenne mondiale avec -0.4°C de masquage par les aérosols d'origine anthropique (source AR6). Ne devrions nous pas considérer que nous sommes (virtuellement) d'ores et déjà à +1.6°C étant donné la différence de dynamique entre GES et aérosols ?
    - si nous ne pouvons rien faire, ou si l'on doit acter que nous n'infléchirons pas, à quoi sert d'étudier le RC ? Un passe-temps ?
    - concernant la température max atteignable en mode business as usual, il faudrait quand même démontrer que les ressources fossiles ne sont pas suffisamment finies pour permettre une croissance (ou même stabilisation) continue tout au long du siècle. La relative stabilisation des émissions depuis une 10aine d'années pourrait aussi se lire comme le signe précurseur de difficultés croissantes à accéder aux dites ressources.

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    1. Vous avez raison sur chaque point, cependant :

      Pour les +1,6°C virtuels c'est...du virtuel, or ce que l'on ressent c'est ce qui est réel, et c'est cela qui est mesuré et reporté ;

      Pour le passe-temps, certes c'en est un pour moi, mais d'autres se sentent davantage concernés, par exemple les jeunes qui seront presque centenaires à la fin du siècle, il est donc quand même important que des efforts d'atténuation soient entrepris, quant à l'adaptation elle viendra de toute façon par la force des choses ;

      Pour ce qui est du BUA il est admis qu'il est trop pessimiste, même si l'on ne doit pas l'écarter totalement, car même si les ressources fossiles sont peut-être insuffisantes pour satisfaire ce scénario tel que décrit il y a d'autres facteurs non maitrisés (feedbacks, tipping points, chute des aérosols que vous mentionniez...) qui peuvent permettre d'atteindre les températures de 4 ou 5°C sans les émissions de GES correspondantes.

      Et nous avons plusieurs signaux, relevés par des gens comme Jancovici ou Auzanneau, qui nous montrent qu'effectivement nous serions à l'aube de réelles difficultés d'approvisionnement (en fossiles mais aussi dans d'autres matières premières dont les stocks ne sont pas infinis)

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  2. En complément, les propos d'un autre climatosceptique bien connu, Gilles Ramstein, qui écrivait très récemment dans https://www.afis.org/Vers-un-changement-climatique-fulgurant-et-inedit : « Pour ma part, j’estime que les traités comme l’Accord de Paris (2015) [11], ne sont pas en adéquation avec les actes. Par exemple, nous sommes aujourd’hui en 2020 sur la pire (par rapport au scénario le plus pessimiste du Giec) des trajectoires d’émission de CO2. Et rien, pour l’instant, ne permet de penser qu’il va y avoir un changement drastique permettant de ralentir sérieusement cette course effrénée. »

    C'est pas bien de douter comme ça.

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  3. Puisque jz ne suis pas climato-sceptique je suis donc atteint de ramsteinite.

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    1. Gaffe à la ramsteinite longue, c'est comme le Covid, les effets à long terme ne sont pas tous connus !

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