vendredi 13 juillet 2018

Le long chemin du climatoscepticisme

Il est parfois nécessaire de prendre un peu de recul et de hauteur, par exemple en considérant le passé pour comprendre le présent ; notamment en matière de réchauffement climatique et de son côté obscur, le climatoscepticisme, il est utile de se poser la question : mais d'où tout cela vient-il ?

Evidemment il y a quelques livres, comme Les marchands de doute, qui permettent de se faire une idée de la réponse.

Mais le dernier article de Inside Climate News, intitulé How Big Oil Lost Control of Its Climate Misinformation Machine (Comment Big Oil a perdu le contrôle de sa machine de désinformation climatique) nous donne à voir un résumé imagé depuis les origines du mal, dans les années 1940.

La campagne de déni climatique a été financée par des centaines de millions de dollars provenant des intérêts des combustibles fossiles. C'est l'un des efforts de désinformation les plus importants, les plus longs et les plus conséquents jamais entrepris contre la science acceptée. La campagne a désorienté l'opinion publique, capturé l'allégeance d'un grand parti politique et empêché l'adoption de lois et de règlements pour faire face à la crise environnementale mondiale causée par la combustion du charbon, du pétrole et du gaz.

Ainsi on peut situer l'origine du système de désinformation de masse mis en place par les « gros » industriels en 1948, quand le biochimiste Arie Haagen-Smit commença à s'intéresser à la pollution (le smog) qui faisait rage à Los Angeles.

Une journée de smog à Los Angeles en 1955. Source: Collection de photos de la bibliothèque publique de Los Angeles.
Cette pollution, le croirez-vous, était causée par… (roulement de tambour) :
[Haagen-Smit] quickly identified oil as the culprit, showing that nitrogen oxide emissions and uncombusted hydrocarbons from car tailpipes and refineries formed smog when exposed to sunlight. 
[Haagen-Smit] a rapidement identifié le pétrole comme étant le coupable, montrant que les émissions d'oxyde d'azote et les hydrocarbures non brûlés provenant des tuyaux d'échappement de voitures et des raffineries formaient du smog lorsqu'ils étaient exposés au soleil.
Enfer et damnation !

Un coupable était désigné, et il n'est pas nécessaire d'être grand devin pour savoir qui se cache derrière « le pétrole », donc « le pétrole » s'est comme senti visé et n'a pas tardé à réagir.

C'est ainsi que l'API, ou American Petroleum Institute, s'empara immédiatement du problème et ne tarda pas à contre-attaquer.

La technique vous la connaissez, elle est toujours employée aujourd'hui, elle consiste à financer des scientifiques à la botte afin de discréditer le lanceur d'alerte impudent qui risquait, de par son travail, d'inciter des politiques à édicter des lois ou réglementations pouvant gêner le business.

Le narratif avait, à l'époque, un gout que nous avons aujourd'hui sur les papilles concernant le réchauffement climatique :
[…] the science of smog [is] too uncertain to justify new laws or expensive pollution-control equipment.  
[...] la science du smog [est] trop incertaine pour justifier de nouvelles lois ou de coûteux équipements antipollution.
Ben voyons !

Tout le monde sait pourtant aujourd'hui d'où vient le smog, et tout le monde se doute qu'il était assez clair dès les travaux de Haagen-Smit, que son origine n'avait rien de divine ; non ce n'était pas une punition de Dieu pour nos péchés ou une intervention de la fée Morgane qui avait envie de s'amuser avec nos muqueuses.

Et c'est exactement la même chose aujourd'hui, la hausse des températures est bien causée par tout le CO2 que nous balançons depuis 150 ans et des poussières dans l'atmosphère, jusqu'ici aucune explication alternative satisfaisante n'a pu être donnée, ni le soleil, ni les volcans, ni la mère Michel ou le père Fouras ne sont responsables de cette hausse.

Pourtant, dans les années 1970 des chercheurs d'Exxon se penchaient sur le problème et parvenaient à des conclusions intéressantes :
By the mid-1970s, Exxon began to take carbon pollution seriously. In July 1977, James Black, a senior scientist at Exxon, told top executives that carbon dioxide emissions from burning fossil fuels would warm the atmosphere and endanger human life. Company leaders knew that if fossil fuel emissions made the planet hotter, politicians would likely take steps to cut pollution. So Exxon launched its own sampling of carbon dioxide in the air and oceans and conducted rigorous climate modeling to better understand how the planet was warming, when temperatures might rise, and the effect on human life. Exxon believed that its own peer-reviewed research would give it a credible voice in policymaking if the government decided to regulate emissions. Other fossil fuel companies followed Exxon's lead. 
Au milieu des années 1970, Exxon a commencé à prendre la pollution au carbone au sérieux. En juillet 1977, James Black, un scientifique principal d'Exxon, a déclaré aux cadres supérieurs que les émissions de dioxyde de carbone provenant de la combustion de combustibles fossiles réchaufferaient l'atmosphère et mettraient en danger la vie humaine. Les chefs d'entreprise savaient que si les émissions de combustibles fossiles réchauffaient la planète, les politiciens prendraient probablement des mesures pour réduire la pollution. Ainsi, Exxon a lancé son propre échantillonnage du dioxyde de carbone dans l'air et les océans et a conduit une modélisation climatique rigoureuse pour mieux comprendre le réchauffement de la planète, les températures susceptibles d'augmenter et les effets sur la vie humaine. Exxon pensait que sa propre recherche évaluée par des pairs lui donnerait une voix crédible dans l'élaboration des politiques si le gouvernement décidait de réglementer les émissions. D'autres sociétés de combustibles fossiles ont suivi l'exemple d'Exxon.
Mais nous savons tous ce qu'il advint des découvertes de l'époque faites par Exxon : elles ont été mises sous le tapis et soigneusement cachées pendant des décennies !

Le tournant a apparemment été l'année 1988, quand James Hansen témoigna devant le Congrès, et que le GIEC fut créé pour rassembler toute la littérature scientifique disponible sur le sujet du réchauffement climatique afin d'en faire une synthèse compréhensible pour le grand public et, surtout, pour les politiques qui sont les seuls à pouvoir prendre des décisions, comme ce fut le cas pour faire disparaitre le smog au-dessus des grandes villes (s'il avait fallu attendre le bon vouloir des industriels…)

L'« incertitude » fut le maitre mot des industriels pour distiller le doute dans l'opinion publique et chez les politiques :
  • incertitude sur le réchauffement lui-même (est-on bien sûr que ça se réchauffe ?)
  • incertitude sur le rôle du CO2 (il y a peut-être d'autres responsables, le soleil par exemple )
  • incertitude sur le rôle de l'homme (il y a peut-être d'autres responsables, les océans qui dégazent par exemple)
  • incertitude sur la gravité du phénomène (après tout c'est peut-être un bienfait que la température augmente !)
  • incertitude sur les effets négatifs de trop de CO2 (après tout le CO2 c'est le gaz de la vie !)
Peu importe que l'immense majorité de la littérature scientifique ait répondu à toutes ces questions et donc ait levé toutes ces incertitudes, n'en laissant que quelques unes toujours débattues actuellement (rôle des nuages, valeur de la sensibilité climatique, âge du capitaine…) mais ne remettant nullement en cause le « consensus scientifique », à savoir :
  • oui la température augmente anormalement depuis 150 ans ;
  • oui cette augmentation anormale est due à l'évolution du CO2 dans l'atmosphère (passé de 280ppm à 410ppm aujourd'hui) ;
  • oui cette augmentation du taux de CO2 est due à l'activité humaine dans sa quasi totalité ;
  • oui il y a un sérieux problème pour les générations à venir (hausse du niveau des mers, sécheresses et événements extrêmes divers en augmentation, acidification des océans, rendements agricoles insuffisants face à l'explosion démographique, etc.)
Ainsi, en regardant à nouveau le dessin du début représentant la longue route du climatoscepticisme, nous voyons toutes les étapes depuis Haagen-Smit jusqu'à Trump.

Nous voyons tous les acteurs étant intervenus successivement :
  • l'API en 1954 (en réponse aux travaux de Haagen-Smit) en la personne de Vance Jenkins déclarant que « la pire chose à faire est de trop se hâter à édicter des lois réglementant la pollution de l'air » ;
  • Exxon en 1978, en la personne de James Black déclarant que « nous avons (en 1978) 5 à 10 ans au maximum pour prendre des décisions avant que la situation devienne critique » ;
  • Exxon en 1982, en la personne de Roger Cohen déclarant que « nos résultats sont en accord avec le consensus scientifique (de l'époque) » ;
  • Exxon en 1997, en la personne de Lee Raymond déclarant que « nous ne savons pas grand chose et nous avons du temps devant nous, donc ne faisons rien pour le moment » ;
  • l'API en 1998 en la personne de ? déclarant que « la victoire sera complète quand les citoyens comprendront que la science du climat est incertaine ! » ;
  • Willie Soon en 2003, déclarant devant le Sénat que « le climat du 20ème siècle n'est ni inhabituel ni le plus extrême » ;
  • Joseph Bast, du Heartland Institute, déclarant en 2017 que « le CO2 n'est pas un polluant et que davantage de CO2 c'est des plantes plus robustes, et qu'un réchauffement modéré (sic), s'il se produisait (resic), aurait un effet positif sur l'humanité » ;
  • Enfin The Donald, en 2017, déclarant que « les USA se retirent d'un accord qui ne les engageait pas (sic) et vont par conséquent économiser beaucoup d'argent qu'ils n'auraient de toute façon pas engagé ! »
La bouffonnerie semble être arrivée à un point d'orgue avec un président fantoche qui se retire d'un accord dans lequel il n'avait aucune obligation, le comble du courage politique.

Le climatoscepticisme dans le ciel de Londres : une baudruche gonflée à l'air chaud.


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