vendredi 3 janvier 2020

La dérive des décennies

Mon précédent article a connu un certain succès avec des commentaires essayant de me mettre en difficulté, parfois avec de bons arguments qui peuvent sembler recevables, ou alors avec des arguties notamment en usant, et abusant, de cette fameuse « année zéro » sortie du placard où elle se trouvait en compagnie d'autres raisonnements tout aussi mités comme par exemple la température qui n'a pas changé depuis 20 ans.

L'un des arguments les plus pertinents est qu'une décennie est une période de 10 ans, on peut donc parfaitement parler d'une décennie allant du 1er janvier 1950 au 31 décembre 1959, ou du 24 avril 1914 au 23 avril 1924, pourquoi pas.

Le seul problème avec cela c'est que ça fonctionne aussi avec le siècle qui est défini comme une période de cent ans ; et on pourrait dire la même chose du millénaire qui est une période de mille ans, donc de 1050 à 2049 cela fait bien un millénaire, tout comme de 1850 à 1949 cela nous donne pile cent ans.

Le souci avec ce raisonnement c'est qu'il fait fi des définitions exactes que les hommes ont donné à ces mots (décennie, siècle et millénaire) en les situant dans la chronologie afin de dater les événements que les historiens s'acharnent à répertorier avec précision.

Ainsi voici ce que nous dit Wikipédia (oui je sais il faut prendre Wikipédia avec des pincettes) :
Il n'existe pas d'an 0 dans l'ère chrétienne (Anno Domini). En effet, l’usage du nombre 0 en Europe est postérieur à la création de l’Anno Domini et, surtout, la numérotation des années, des siècles et des millénaires n'est pas cardinale comme celle des âges de la vie, mais ordinale : l'an 1 est la première année du calendrier alors que l'on est âgé d'un an à la fin de la première année de son existence. On passe donc directement de l’an 1 av. J.-C. à l’an 1 ap. J.-C. Ainsi 1er janvier 1 marque le début de la première année, de la première décennie, du premier siècle, du premier millénaire de l'ère chrétienne, qui finissent respectivement le 31 décembre 1, le 31 décembre 10, le 31 décembre 100, le 31 décembre 1000. Ainsi, le XXe siècle et le IIe millénaire se sont achevés le 31 décembre 2000 ; le IIIe millénaire et le XXIe siècle ont commencé le 1er janvier 2001.
Et dans L'ère chrétienne et le début de l'année il nous est expliqué que
Par définition, un siècle dure 100 ans. Comme il n'y a pas d'an zéro, le premier siècle dure du 1 janvier 1 au 31 décembre 100, le vingtième siècle a duré du 1 janvier 1901 au 31 décembre 2000.

Il faut avouer, à la décharge de tous mes commentateurs ainsi que de tous mes lecteurs s'étant abstenus mais pouvant être d'accord avec eux, que tout ce qu'on peut lire en ce moment n'est pas particulièrement fait pour éclairer le débat ; par exemple beaucoup de médias reprennent en chœur cette information :
2019 vient conclure la décennie la plus chaude jamais enregistrée, selon un rapport de l'ONU
Citons pêle mêle bfmtvlemondelciladepecheouest-francefutura-sciencesliberationrfifranceinterlepoint, etc.

Cela fait du monde, et même du beau monde, qui reprend à l'unisson la même information émanant donc d'un rapport délivré lors de la dernière COP25 tenue à Madrid, qui disait en substance :
L'année 2019 marque la fin d'une décennie de chaleur exceptionnelle, de recul des glaces et d'élévation record du niveau de la mer à l'échelle du globe, en raison des gaz à effet de serre produits par les activités humaines.
Le rapport de l'ONU en question est intitulé 2019 marque la fin d’une décennie de chaleur exceptionnelle et de conditions météorologiques à fort impact à l'échelle du globe, il présente notamment le graphique suivant :
Ecarts de température par rapport à la moyenne 1850-1900.
En partant de la valeur zéro en 1850 on arrive en 2019 aux alentours de +1,1°C après un pic à +1,2°C en 2016 qui fut l'année la plus chaude jamais enregistrée avec des instruments de mesure.

On remarquera que ce graphique ne mentionne pas des décennies, les mesures sont purement annuelles, mais on peut aisément noter que depuis les années 1970 chaque décennie, quelle que soit la définition d'une décennie du moment qu'on reste d'accord sur « une période de dix ans », est clairement plus chaude que la précédente ; par ailleurs les dix dernières années, soit de 2010 à 2019, sont également très nettement plus chaudes que n'importe quelle période antérieure de dix années consécutives.

Plus loin dans le texte le rapport nous dit :
Au cours de la décennie 2009–2018, l'océan a absorbé environ 22 % des émissions annuelles de CO2, ce qui contribue à atténuer le changement climatique.
C'est donc une décennie légèrement décalée qui nous est présentée là et on en vient à se demander ce qu'est une décennie pour l'ONU en général et pour les climatologues en particulier ; Robert est allé jusqu'à écrire :
Robert 2 janvier 2020 à 13:13

J'ajoute qu'en climatologie une décennie commence avec le changement de dizaine.

https://public.wmo.int/en/media/press-release/2019-concludes-decade-of-exceptional-global-heat-and-high-impact-weather
Mais le lien qu'il me donne est exactement celui du rapport de l'ONU lors de la COP25, écrit cette fois en anglais !

Le seul petit problème est que si ce rapport s'est planté dans sa définition d'une décennie, alors Robert me donne une preuve qui n'en est pas une.

Le mieux est donc de remonter dans le passé afin de voir si pour les climatologues une décennie a toujours commencé, comme il le dit, avec le changement de dizaine, c'est-à-dire plus exactement quand le chiffre des dizaines passe de 9 à 0, par exemple de 2019 à 2020.

Et là je suis désolé pour Robert mais les faits ne plaident pas vraiment en sa faveur, par exemple avec La première décennie du XXIe siècle a été la plus chaude depuis 1881 :
Selon un rapport de l'Organisation météorologique mondiale (OMM), la première décennie du XXIe siècle a été la plus chaude depuis 1881. Cela s’est en partie traduit par la multiplication des conditions climatiques extrêmes qui ont entraîné 370.000 morts.
Mais quelle était donc cette fameuse « première décennie du XXIe siècle » ? ; la voici :
Côté températures, le rapport indique qu’"à l'exception de 2008, chacune des années de la décennie 2001-2010 compte parmi les dix plus chaudes jamais enregistrées [depuis le début des contrôles en 1881], le record étant détenu par 2010".
Patatras !

Et l'article enfonce le clou plus loin :
"Le climat s'est nettement réchauffé entre 1917 et 2010 et le rythme décennal d'augmentation des températures sur les périodes 1991-2000 et 2001-2010 est sans précédent", a indiqué Michel Jarraud, le secrétaire général de l'OMM cité par l'AFP.

En 2012 l'OMM publiait un rapport intitulé Déclaration de l’OMM sur l’état du climat mondial en 2011 dans lequel on pouvait lire :
Les dix dernières années (2002–2011), caractérisées par une température moyenne supérieure de 0,46 °C à la normale calculée pour la période 1961–1990, se classe ex aequo avec la décennie 2001–2010 comme étant la période de dix ans la plus chaude jamais constatée. L’écart par rapport à la décennie la plus chaude du XXe siècle – 1991–2000 – atteint 0,21 °C. Celle-ci était déjà nettement plus chaude que les précédentes, ce qui confirme une tendance au réchauffement sur le long terme.
Ainsi pour l'OMM « les dix dernières années », soit 2002-2011, sont comparées à plusieurs décennies, 2001-2010 ou 1991-2000 ; par ailleurs une période de référence de 30 ans, 1961-1990, est mentionnée sur le même modèle que les décennies.

Cependant plus loin on peut lire :
Dans le cas de l’Afrique de l’Est, les dix années les plus chaudes, considérées individuellement, sont les dix dernières, et la décennie 2002–2011 est donc manifestement la plus chaude que la région ait connue depuis le début des relevés.
Dans ce cas l'OMM mentionne les dix dernières années, 2002-2011, en les qualifiant de décennie, ce qui n'est pas incompatible avec la définition d'une décennie qui est une période de dix ans.

Enfin pour terminer nous pouvons aussi contempler ce graphique qui nous montre « le nombre de mois en record de température en France par décennie » :
En rouge les mois en record de chaleur, et en bleu les mois en record de froid (source humming-earth)

Mais il est vrai que l'on trouve aussi des graphiques montrant des décennies par « années x0 », comme on peut le voir dans Decadal Temperatures :
Data from HadCRUT3 and averaged into decades.

Avec cette autre présentation très parlante :
New version.

Schémas que l'on retrouve également dans Global average near surface temperatures relative to the pre-industrial period :


Annual and decadal average.

Robert n'a donc pas tort, il y a bien certains graphiques qui « fonctionnent » comme il l'explique, cependant il y en a d'autres qui utilisent les décennies telles que je les comprends moi, difficile dans ces conditions de ne pas y perdre son latin.

Quoi qu'il en soit cela ne change strictement rien au problème, les températures augmentent sans cesse quand on les considère sur une période décennale, peu importe le début et la fin de la période de dix ans que l'on choisit et c'est bien cela l'essentiel.


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