mardi 7 janvier 2020

Comment tromper les gogos avec une simple courbe même pas truquée

On reconnait un charlatan aux arguments véreux qu'il avance pour arriver à ses fins.

Ainsi Jennifer Marohasy nous en donne un magnifique exemple, repris par le site de pseudo-science WUWT, dans It has been hotter, fires have burnt larger areas, un modèle du genre que ne renierait pas Benoit Rittaud, lui qui nous a appris à de nombreuses reprises comment truquer des courbes et des données (voir Apprenons avec Benoit Rittaud comment manipuler des chiffres et truquer des graphiques)

Mais Marohasy, à la différence de Rittaud, ne truque pas ses graphiques dans le billet qu'elle livre en ce début d'année, elle utilise de véritables données en montrant ceci :
Figure 1. Mean maximum summer (December, January February) temperatures as measured at Rutherglen in rural Victoria by The Australian Bureau of Meteorology for the period when mercury thermometers were used. Data unadjusted/not homogenised.
Traduction :
Figure 1. Températures maximales moyennes en été (décembre, janvier et février) mesurées à Rutherglen dans la région rurale de Victoria par le Bureau australien de météorologie pour la période où des thermomètres à mercure ont été utilisés. Données non ajustées/non homogénéisées.
Evidemment comme vous vous en doutez si vous connaissez Marohasy et avez quelques neurones en fonctionnement (deux ou trois suffisent) il y a un loup dans le bush et heureusement que la police anti fake news veille en la personne de Grant Foster alias Tamino qui, dans Bushfire and Homophobia, nous dévoile les grosses ficelles utilisées.

En vérité nous n'avions pas besoin de Tamino pour voir au premier coup d'oeil l'entourloupe qui crève les yeux, mais il argumente de telle façon, avec force détails techniques, qu'on ne peut que lui tirer son chapeau (ou sa casquette) ; à noter que Grant Foster est non un simple blogueur comme moi mais un véritable scientifique (voir ses travaux sur Research Gate) et ses contributions résident essentiellement dans ses connaissances en statistiques qui lui permettent de démonter les arnaques aux « courbes magiques » dont les climatosceptiques sont si friands.

En l'occurrence le graphique présenté par Marohasy présente au premier coup d'oeil deux défauts majeurs :
  1. il s'agit de données brutes, non homogénéisées ;
  2. il s'agit de données provenant d'une seule station australienne.
Ces deux seuls artifices permettent à Marohasy de tromper son petit monde en lui faisant croire que la situation dantesque que connait actuellement son pays, l'Australie, n'a rien d'original et que par le passé il aurait donc fait aussi chaud sinon plus qu'aujourd'hui.

Bien évidemment il n'en est rien, non seulement le site de Rutherglen ne représente pas la totalité du pays mais utiliser des données brutes durant une si longue période allant de 1900 à aujourd'hui c'est exactement comme ajouter des choux, des carottes, des navets et des topinambours et prétendre qu'on obtient un légume homogène ayant une quelconque signification.

Un site canadien nous donne une définition claire de l'homogénéisation des températures :
L’homogénéisation peut se décrire comme l’adaptation des mesures historiques aux conditions actuelles de mesure. Elle vise à éliminer les variations artificielles à l’intérieur de la série de températures résultant d’une modification de l’environnement de la station tel un déplacement de la station, un changement d’instrument ou un changement d’observateur (individu responsable de la prise des mesures à une station climatologique). La suppression de ces variations permet de ne conserver que le signal climatique.
Tous les météorologues et climatologues du monde pratiquent l'homogénéisation, ne pas le faire et se contenter des données brutes comme le fait Marohasy relève tout simplement de l'arnaque et de la manipulation ; Tamino nous dit en outre que d'après lui et son expérience le BOM australien fait partie de l'excellence en matière de traitement des données de températures :
The BoM has, in my opinion, assembled the best national temperature data in the world because they use the most advanced methods to correct for known problems, like moving a recording station to another location or installing a new instrument. 
Le BoM a, à mon avis, réuni les meilleures données nationales de température au monde parce qu'il utilise les méthodes les plus avancées pour corriger les problèmes connus, comme le déplacement d'une station d'enregistrement à un autre endroit ou l'installation d'un nouvel instrument.
Tamino nous livre ici une simple opinion, mais mon petit doigt me dit que son opinion vaut mille fois celle d'une imposteur (ou impostrice si l'on veut) comme Marohasy.

Le plus fort c'est que Tamino prend Marohasy à son propre jeu en montrant lui aussi un graphique de données brutes de la station de Rutherglen allant jusqu'à aujourd'hui, et voici ce que cela donne pour les mois d'été austral (décembre, janvier et février) :
En utilisant les données brutes non homogénéisées, l'été le plus chaud jamais enregistré est bien l'été dernier, 2018/2019.

Bien sûr ce graphique est aussi faux que celui de Marohasy car il mélange des choux, des carottes, etc. et ne concerne qu'une seule station sur le territoire immense de l'Australie, mais l'exercice est amusant et permet de démontrer que même en utilisant les artifices d'un imposteur on peut en arriver à la conclusion que l'été austral (le dernier en date, celui de 2018/2019) est plus chaud aujourd'hui que ce qu'il était soi-disant en 1938/1939 ; et cerise sur le gateau, comme l'été actuel 2019/2020 est en passe de battre le précédent, avec les températures records déjà enregistrées alors qu'un seul mois s'est écoulé et que les températures les plus hautes ont en principe lieu en janvier, nous aurons donc deux étés consécutifs plus chauds que l'été 1938/1939 en ne considérant que les données brutes, alors imaginez en les homogénéisant comme la science nous dicte de le faire !

Pour revenir sérieux Tamino nous donne à voir les véritables graphiques à prendre en compte pour montrer que la situation de l'Australie en ce moment ne doit rien au hasard en général et aux méchants écologistes en particulier, voici les bonnes données, correctement homogénéisées celles-ci :
Evolution des températures journalières les plus hautes pour l'Australie dans sa totalité, l'année 2019 se détache très nettement du lot, quant aux années 1930 elles sont deux degrés et demi plus bas en moyenne.

La même série pour les températures journalières de l'été australien.
La même série pour le seul mois de décembre.

Le mois qui vient de passer est donc de très loin le plus chaud que le pays ait connu, battant de plus d'un degré et demi le précédent record visible au début des années 1970, et pour l'été entier c'est un degré de plus par rapport au second, l'été 2013.

Et pour montrer la « qualité » des données brutes de la station de Rutherglen Tamino nous montre les différents « points de changement » (changepoint) qu'il a pu repérer grâce à son analyse statistique :
Quatre points de changement identifiés par Tamino.

Cela nous indique qu'il s'est passé « quelque chose » à diverses époques dans cette station, ce que Tamino appelle des « facteurs non climatiques » (non-climate factors) qui exigent donc d'être ajustés afin de donner une série « homogène » (vous savez, quelque chose qui ne soit pas un alignement de choux, carottes, etc.)

Pour finir il nous montre les écarts entre les données brutes et les données homogénéisées par le BOM :
Moyennes annuelles de la différence entre les données brutes originales et les données homogénéisées pour Rutherglen.

Et Tamino de nous expliquer :
In cases like Rutherglen, the non-climate factors introduced a false cooling trend. It should be cancelled — assuming, of course, you want the data to be better.
Dans des cas comme celui de Rutherglen, les facteurs non climatiques ont introduit une fausse tendance au refroidissement. Elle devrait être annulée - en supposant, bien sûr, que vous vouliez que les données soient meilleures.

Puis il conclut :
Few people appreciate just how advanced are the methods that the BoM uses to homogenize data, or how many tests and critiques it has withstood. When I say that in my opinion theirs is the most advanced in the world, I base that on years of experience as a scientist and statistician, and on close examination of the methods used by many organizations. The insulting, accusatory rhetoric of far too many climate deniers might not be a crime, but it is a sin.
Peu de gens apprécient à quel point les méthodes que le BoM utilise pour homogénéiser les données sont avancées, ou à combien de tests et de critiques elles ont résisté. Quand je dis qu'à mon avis les leurs sont les plus avancées au monde, je me base sur des années d'expérience en tant que scientifique et statisticien, et sur un examen approfondi des méthodes utilisées par de nombreuses organisations. Le discours accusateur et insultant de beaucoup trop de négationnistes du climat n'est peut-être pas un crime, mais c'est un péché.
J'ai gardé la traduction première du mot anglais denier, négationniste, parce que Jennifer Marohasy le vaut bien.

Comme une pub pour l'Oréal

11 commentaires:

  1. Marrant de si mal utiliser et fort mal comprendre / citer le poème de R. Frost de la part de Marohasy. Il ne mérite pourtant pas autant d'amateurisme :
    https://www.bartleby.com/119/1.html

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    1. Il est extrêmement périlleux de vouloir analyser un poème quel qu’il soit, beaucoup se sont cassé les dents sur Baudelaire ou Mallarmé et Robert Frost ne doit pas échapper à la règle.

      Dans son poème The Road Not Taken Frost évoque le choix que doit faire un promeneur qui se trouve à la croisée de deux chemins ; il s’agit évidemment d’une parabole pour dire que nous sommes souvent face à plusieurs « routes » dans notre vie et que nous devons impérativement faire un choix qui aura au moins deux conséquences : 1/ il ne sera plus jamais possible de revenir en arrière pour prendre l’autre « route », celle qu’on aura délaissée, et 2/ quel que soit le choix effectué il est à peu près sûr et certain que plus tard nous regretterons de ne pas avoir pris l’autre « chemin » (le fameux ah si j’avais su…)

      Finalement, comme conclut Frost, il y aura une « différence » entre les deux choix, celui que nous aurons fait et celui que nous aurons ignoré, mais il ne dit pas si cette différence est bonne ou mauvaise, c’est une différence, point barre.

      En ce qui concerne Jennifer Marohasy il est évident qu’elle a fait le choix de l’antiscience (ou de la pseudo-science si l’on veut ou préfère) probablement pour des raisons idéologiques et/ou financières ; son pays, l’Australie, est le premier (ou le deuxième au coude à coude avec l’Indonésie) exportateur mondial de charbon, il n’y a pas besoin de chercher des causes compliquées pour expliquer pourquoi elle a fait ce choix plutôt qu’un autre.

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    2. Merci d'en avoir produit l'explication de texte que j'avais la flemme de fournir. Pour résumer, elle clame simplement qu'elle ne pourra faire marche arrière, quel que soit son degré de fourvoiement, dont acte. Je viens de découvrir papy-Bonnamy-fait de la résistance par hasard. Mais bordel, qui a breveté la production industrielle de ces neuneus ? Trois notions de thermo, un doctorat en urologie spécialisation sénescence et un tableur excel, et v'la t'y pas qu'on nous pond de l'expert en climatologie au kilomètre. Ça devient infernal ces éclosions spontanées de clones du chevalier de la terre noire et plate !

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    3. Je pense qu'elle ne clame pas qu'elle ne pourra pas faire marche arrière, mon opinion est simplement qu'elle clame ce pour quoi elle a été programmée et dans sa tête il n'est probablement pas question de se remettre en question, ce serait avouer qu'elle s'est plantée avec les conséquences qu'on imagine (et personne n'a envie d'être traité de négationniste à juste raison…)

      Je ne sais plus qui a dit quelque chose comme « certaines personnes croient ce que leurs intérêts leur demandent de croire », faudra que je recherche pour la ressortir à l'occasion.

      Quant à papy Bonnamy c'est un sacré numéro, du genre qu'on devrait inventer s'il n'existait pas ! Et j'aurais peur de passer sur un pont ou dans un tunnel qui aurait été conçu par un de ces ingénieurs à la retraite qui passent leur temps à refaire la science sur un coin de nappe de la table de leur cuisine.

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  2. Simple blogueur peut-être, mais de qualité ! :)

    Et prolifique en plus !
    Une bonne année s'annonce ;)

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    1. Ne commence pas à me jeter des fleurs tout en me disant que je suis prolifique, l'expérience prouve que plus on l'ouvre et plus on a de chance de dire une connerie;)

      Mais si cela arrive je me mettrais dans mon propre sottisier, j'en rêve !

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    2. Par rapport à un blogueur comme moi qui ne publie qu'un ou deux articles par mois (voire même par an :P ), en publier un ou deux par jour, j'appelle ça être prolifique :)

      Et franchement, je ne suis jamais déçu par la qualité de tes publis ...

      Donc, une fois encore : MERCI

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    3. Merci cher ami, mais j'ai un gros avantage sur toi, je suis à la retraite, moi !

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    4. Ouais ....
      Mais tu la remplie très bien :)

      En tout cas je me souviens de ton premier message sur mon blog... Tu as fait beaucoup plus que "prendre le relais" ; je papillonne trop pour ma part, et jamais je n'aurais pu atteindre ton excellence dans ce domaine, tout en restant cependant accessible aux "non-professionnels" :)

      Bonne continuation !

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  3. Bonjour
    Météo France donne des informations sur la température en Australie.
    sur :
    http://www.meteofrance.fr/actualites/78326305-australie-comment-expliquer-la-chaleur-extreme

    Je ne fais que recopier ce qui est dit :
    " L'Australie connait en ce moment de fortes anomalies de circulation atmosphérique à grande échelle qui s'ajoutent au contexte de réchauffement global."

    "- en premier lieu, une oscillation appelée l' « Indian Ocean Dipole » (IOD) qui a été dans une phase fortement positive au cours de la deuxième moitié d'année 2019, atteignant un pic au cours du mois d'octobre (eaux plus chaudes que la normale côté ouest de l'océan Indien, favorisant des excédents thermiques et une forte activité pluvieuse/cyclonique, tandis que des eaux plus froides côté Indonésie favorisent des mouvements atmosphériques descendants et une sécheresse chronique sur le bord oriental du bassin, dont l'Australie).

    - en second lieu, une oscillation antarctique en phase négative (anomalie de pression élevée sur l'Antarctique vs anomalie de basse pression au large du sud de l'Océanie, favorisant dans sa bordure nord des coups de vents d'ouest récurrents sur le sud-est de l'Australie, synonymes d'apport d'air chaud et sec du désert australien vers la frange littorale du côté de Sydney, dans une atmosphère plus venteuse que la normale, aggravant le risque d'incendies). Cette oscillation est notée AAO (pour Antarctic Oscillation), équivalent sud-hémisphérique de l'oscillation arctique (AO).
    - enfin, la tendance de fond du réchauffement climatique, qui accentue les extrêmes chauds et favorise des sécheresses plus intenses et/ou durables."

    Salutations
    Saumon

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    1. Bonjour penseur saumon et merci pour ces informations.

      Je regarde régulièrement le site de MF qui figure dans mon bandeau de droite dans la liste des sites de référence et j'avais déjà vu ces explications que je n'ai pas jugé utile de mentionner dans mon billet, le sujet étant avant tout la désinformation à l'oeuvre en Australie pour nier la cause principale des incendies gigantesques qui est bien sûr le réchauffement climatique.

      Les oscillations océaniques (comme ENSO) sont des phénomènes cycliques dont le résultat à long terme est zéro au niveau des températures, alors que le réchauffement climatique causé par l'augmentation des gaz à effet de serre est un phénomène continu qui s'inscrit dans la durée sans possibilité de revenir en arrière à l'échelle de nombreuses vies humaines ; les gaz émis aujourd'hui prendront leurs effets dans plusieurs années et ces effets dureront plusieurs siècles voire millénaires pour une bonne partie même si nous arrêtions dès aujourd'hui toute émission ; les oscillations continueraient comme d'habitude, elles sont d'ailleurs probablement à l'origine de nombreuses canicules et sècheresses dans le passé.

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