samedi 11 avril 2020

Les essais non transformés du professeur Raoult

Imaginons trois scénarios.

Scénario 1


Un médecin se livre à un essai clinique. Il administre un médicament à tester à un seul patient puis analyse le résultat de cet essai.

Il constate qu'au bout de six jours le patient est complètement rétabli.

Question : doit-il en déduire que le médicament a été efficace ?

Scénario 2


Un médecin se livre à un essai clinique. Il administre un médicament à tester à un patient et un placébo à un autre patient puis analyse le résultat de cet essai.

Il constate qu'au bout de six jours les deux patients sont complètement rétablis.

Question : doit-il en déduire que le médicament a été efficace ?

Scénario 3


Un médecin se livre à un essai clinique. Il administre un médicament à tester à un patient et un placébo à un autre patient puis analyse le résultat de cet essai.

Il constate qu'au bout de trois jours le patient ayant pris le placébo est complètement rétabli alors qu'il faut six jours à l'autre patient pour se rétablir complètement.

Question : doit-il en déduire que le médicament a eu pour effet de retarder le rétablissement ?

Aux trois questions posées la réponse à apporter est à chaque fois bien évidemment : NON !

Je sais ce que vous allez me rétorquer, à raison, c'est que faire des essais portant sur un ou deux patients ne peut avoir la moindre valeur, mais mes trois scénarios ont le mérite de la simplicité afin de pouvoir mettre le doigt sur ce qui cloche dans les fumeux essais cliniques du grand professeur à barbe blanche (dixit de Lorgeril) dont la renommée internationale n'est aujourd'hui plus, elle, à démontrer, contrairement à l'efficacité de sa formule magique miracle à base d'hydroxychloriquine, d'azithromycine et d'incantations youtubeuses.

Tout d'abord il faudrait au moins une centaine, voire un millier de patients dans chaque bras de l'essai clinique afin que le hasard, ce diable qui ne demande qu'à sortir de sa boite, ne fausse pas largement les résultats.

De ce qui précède on aura compris qu'il faut au moins deux bras, dont un dit de contrôle dans lequel les patients se verront administrer une autre substance que le médicament à tester et si possible un placébo, c'est-à-dire de la poudre de perlimpinpin censée singer dame Nature en l'absence de toute intervention médica-menteuse (oui je sais, c'est osé)

En sus de ces deux précautions (plusieurs bras et un nombre suffisant de patients à tester) il est indispensable également que la répartition des patients dans chaque bras soit randomisée, c'est-à-dire qu'elle soit entièrement aléatoire et non due à une sélection opérée par les testeurs, ce qui se comprend aisément mais que de toute évidence de grandes sommités comme le professeur Raoult n'arrivent pas à comprendre, allez comprendre ! Pourtant l'essai randomisé fait partie du b.a.-ba d'un essai clinique, ce que nous explique le site de la ligue contre le cancer :
Pour pouvoir comparer en toute objectivité, le choix du traitement pour chaque malade n'est pas laissé systématiquement au libre arbitre du médecin mais s'effectue par le biais d'un tirage au sort (encore appelé " randomisation "), qu'il s'agisse d'une comparaison de doses, de méthode d'administration du traitement ou d'une comparaison entre deux traitements.
Il est bien évident que ces différentes phases s'adressent à des groupes de malades différents et à un nombre plus ou moins important de malades.
Wikipédia nous apporte des précisions quant aux objectifs visés par la randomisation :
Une procédure de randomisation idéale vise à atteindre les objectifs suivants 26,27
    • Comparabilité des groupes au niveau des variables connues et inconnues affectant les résultats (ex : âge, sexe, connaissances, handicaps, revenu) 26,28
    • Limiter le risque que les chercheurs puissent prévoir dans quel groupe les participants (ou grappes) iront (le risque étant un biais de sélection
    • La randomisation permet également d'appliquer certains modèles statistiques fondés sur l'hypothèse de groupes comparables

    Une dernière préconisation, qui n'est cependant pas toujours possible, est la procédure dite du « double aveugle » dans laquelle ni le patient ni le soignant ne savent quel est le médicament (actif ou placébo) qui est administré, cela afin d'éliminer un biais supplémentaire de sélection.

    Pour davantage de détails sur les « essais cliniques de qualité » je vous renvoie vers l'excellent article du non moins excellent docteur de Lorgeril : COVID-19 et hydroxychloroquine, pourquoi tant de hargne?

    On entend et on lit (surtout) des choses comme « il y a urgence et il n'est pas temps de se livrer à des essais qui prendront trop de temps, il faut soigner les malades avant tout ! » ou alors « il y a des gens en danger de mort donc plutôt que de rien faire autant leur donner un traitement qui peut les guérir, la chloroquine par exemple ! »

    Bien que ces opinions hâtives délivrées sous le coup de l'émotion puissent éventuellement se comprendre venant de personnes paniquées, elles ne résistent pas deux secondes si l'on prend la peine de réfléchir.

    D'après le dernier numéro de Science & Vie, qui consacre huit pages au nouveau coronavirus :
    La maladie Covid-19 prend la forme d'un simple rhume chez la plupart des personnes mais peut virer à la pneumonie sévère, voire à la détresse respiratoire aiguë.
    Et de nous donner les statistiques suivantes (que l'on retrouvera un peu partout dans la littérature sur le sujet) :
    • 81% de cas bénins ;
    • 14% de cas graves ;
    • 5% de cas critiques, dont la moitié (2,3%) mortels.
    Ces pourcentages peuvent varier légèrement d'une revue à l'autre, cependant ils resteront toujours dans le même ordre de grandeur.

    Il nous est dit également que
    le taux de mortalité est plus élevé chez les personnes infectées ayant :
      • une maladie cardio-vasculaire : 10,5%
      • du diabète : 7,3%
      • une maladie respiratoire : 6,3%
      • de l'hypertension : 6,0%
      • un cancer : 5,6%
      • aucune maladie : 0,9% 
    Bref les gens bien portants, s'ils sont infectés ont moins de 1% de risque de mourir, alors que chez ceux qui ont une maladie cardio-vasculaire le risque monte à 10,5% !

    Or nous avons vu (dans Les effets indésirables commencent à arriver...) que le traitement du professeur Raoult comportait de sérieuses contre-indications pour les personnes sujettes à une maladie cardio-vasculaire...

    Donc, si l'on réfléchit deux secondes à partir de ces éléments, on se rend compte qu'il est possible, voire probable, que le traitement estampillé Raoult sauve quelques vies mais dans le même temps tue quelques personnes qui, sans aucun médicament administré, s'en seraient sorties « toutes seules » !

    Et encore je pars de l'hypothèse, qui reste encore et toujours à démontrer, que le traitement Raoult est effectivement capable d'avoir le moindre effet bénéfique sur certains patients.

    Or comme le professeur Raoult s'est ingénié à brouiller les pistes en se livrant au mieux à des essais qualifiés de médiocres, au pire à des essais calamiteux entrainant une surmortalité qui apparaitra peut-être un jour nettement quand la cacophonie se sera apaisée, on ne peut tirer absolument aucune conclusion utile pour le moment quant à l'utilité (ou l'inutilité, voire la nocivité) de l'association HCQ + azithromycine + incantations réseausocialesques.

    On se demande d'ailleurs pourquoi le professeur Raoult a pris la peine de « perdre son temps » en plusieurs essais alors même qu'il proclame lui-même que les essais sont inutiles et qu'il convient avant tout de traiter les patients qui se présentent à lui pour les soigner.

    Faire un essai en bonne et due forme demande quelques « sacrifices », on peut éventuellement perdre quelques patients au début (dans un bras placébo ou dans un bras...HCQ !) mais si les résultats s'avèrent ensuite robustes on peut en sauver un nombre infiniment supérieur.

    Il est surprenant qu'un professeur de la qualité de Didier Raoult n'arrive pas à comprendre cela, et encore plus surprenant qu'il entraine dans son naufrage d'autres célébrités comme le revenant Philippe Douste-Blazy, un autre professeur de médecine ayant préféré très tôt se tourner vers la politique quand il s'est rendu compte qu'il n'était pas fait pour soigner des malades.

    En attendant un des dommages collatéraux de tout cela sera peut-être que nous passerons, aux yeux de la communauté scientifique médicale internationale, pour des guignols.

    Kevin J. Tracey, MD


    The study was a complete failure.
    L'étude a été un échec total.



    3 commentaires:

    1. Essai clinique et traitement : quelle éthique en cas d'urgence sanitaire ? => https://exploreur.univ-toulouse.fr/essai-clinique-et-traitement-quelle-ethique-en-cas-durgence-sanitaire

      « En ce temps de crise sanitaire, nous espérons tous trouver rapidement un traitement pour guérir le plus grand nombre… La controverse des essais cliniques menés par le professeur Didier Raoult témoigne de cette légitime impatience. Quatre chercheuses toulousaines du Laboratoire d’épidémiologie et analyses en santé publique nous aident à décrypter la situation à laquelle le monde entier est confronté. »

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    2. Très instructive vidéo du professeur André Grimaldi => https://www.youtube.com/watch?v=APy01sgVuq8&feature=youtu.be&t=358

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      1. Ça alors, le Professeur émérite dit la même chose que moi !
        J'ai un doute du coup ;)
        :D

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