mardi 19 mai 2020

Deux pierres de plus dans le jardin de Didier Raoult

Pschiiiiiiiiiiiitttttttt.

Entendez-vous le sifflement de l'air qui s'échappe de la baudruche de la Canebière ?

Dans « Fin de partie » pour le professeur Raoult ? je vous faisais part de deux études, l'une Française et l'autre Chinoise, qui toutes deux invalidaient le traitement raoultien en ne constatant aucun effet bénéfique particulier (bien au contraire) de l'utilisation d'hydroxychloroquine avec ou sans ajout de l'antibiotique azithromycine. Je vous les mentionne à nouveau à titre de rappel :

Aujourd'hui nous apprenons que deux nouvelles études (apparemment elles vont toutes par deux…) viennent de paraitre dans deux revues différentes (les deux précédentes étaient parues dans le BMJ britannique), les voici :

Ces deux études sont observationnelles et non interventionnelles ; il existe en fait trois catégories d'études (voir inserm - Comprendre la recherche clinique) :
  1. Les recherches interventionnelles (Catégorie 1) [qui]  impliquent une intervention non dénuée de risque pour les personnes qui y participent, et non justifiée par leur prise en charge habituelle.
  2. Les recherches interventionnelles à risques et contraintes minimes (Catégorie 2) [qui] peuvent comporter des interventions ou des actes peu invasifs, dont la liste est fixée par un arrêté (prise de sang dans certaines limites de volume, questionnaire dont les résultats peuvent conduire à la modification de la prise en charge, examen radiologique sans injection de produit de contraste…). 
  3. Les recherches non interventionnelles (Catégorie 3) [qui] comportent des actes ou des procédures définis par un arrêté. Dénuées de risques, elles ne modifient pas la prise en charge des participants, et tous les actes pratiqués et produits utilisés le sont de manière habituelle. Elles comprennent les recherches observationnelles : études portant sur l’observance des traitements, la tolérance à un médicament après sa mise sur le marché, les pratiques d’un centre de soins comparées à celles d’un autre…
Nous sommes donc dans la catégorie 3 des recherches non interventionnelles, dénuées de risques, ce qui ne veut évidemment pas dire que les patients ne sont pas traités ou qu'on leur administre un simple placébo. Par opposition il me semble que les quelques études, de qualité médiocre, du professeur Raoult étaient non seulement de nature interventionnelle mais également pratiquées en contravention des règles en vigueur (voir Coronavirus : pourquoi la dernière étude du professeur Raoult est dans le viseur de l'Agence de sécurité du médicament)

La deuxième de ces récentes études ne traite que de l'hydroxychloroquine sans ajout de l'antibiotique azithromycine :
We examined the association between hydroxychloroquine use and intubation or death at a large medical center in New York City.
Nous avons examiné le lien entre l'utilisation de l'hydroxychloroquine et l'intubation ou la mort dans un grand centre médical de la ville de New York.
Le résultat de l'étude est sans appel :
Conclusions In this observational study involving patients with Covid-19 who had been admitted to the hospital, hydroxychloroquine administration was not associated with either a greatly lowered or an increased risk of the composite end point of intubation or death.
Conclusions - Dans cette étude d'observation portant sur des patients atteints de Covid-19 qui avaient été admis à l'hôpital, l'administration d'hydroxychloroquine n'a été associée ni à une forte diminution ni à une augmentation du risque du point final composite de l'intubation ou du décès.
Donc si je comprends bien, avec ou sans hydroxychloroquine les résultats sont quasiment identiques, donc aucun effet ni bénéfique ni néfaste relatif à ce traitement.

La première de ces deux études citées, par contre, traite de l'hydroxychloroquine en association avec l'antibiotique préconisé par Raoult, l'azithromycine, et là aussi on peut dire que les conclusions ne sont pas particulièrement en faveur du druide marseillais :
Conclusions and Relevance Among patients hospitalized in metropolitan New York with COVID-19, treatment with hydroxychloroquine, azithromycin, or both, compared with neither treatment, was not significantly associated with differences in in-hospital mortality. However, the interpretation of these findings may be limited by the observational design. 
Conclusions et pertinence - Parmi les patients hospitalisés dans la région métropolitaine de New York avec COVID-19, le traitement par l'hydroxychloroquine, l'azithromycine ou les deux, comparé à aucun des deux traitements, n'a pas été associé de manière significative aux différences de mortalité hospitalière. Toutefois, l'interprétation de ces résultats peut être limitée par le protocole observationnel.
Ce qui est rassurant c'est que le traitement raoultien ne semble pas, dans ces deux études, apporter de risques supplémentaires aux patients qui le reçoivent, ce qui est normal étant donné que les patients « à risque » ou ...« morts » ont été exclus des résultats...on nous dit en effet :
Eligible patients were admitted for at least 24 hours between March 15 and 28, 2020. 
Les patients éligibles ont été admis pendant au moins 24 heures entre le 15 et le 28 mars 2020.
Of 1446 consecutive patients, 70 patients were intubated, died, or discharged within 24 hours after presentation and were excluded from the analysis.
Sur 1446 patients en soins continus, 70 patients ont été intubés, sont morts ou ont quitté l'hôpital dans les 24 heures suivant leur présentation et ont été exclus de l'analyse.
Les deux essais ont donc à mon avis concerné des patients « normaux » susceptibles de recevoir des soins afin de traiter leur maladie avec des chances de les guérir (comme d'habitude si vous avez une interprétation différente de la mienne vous pouvez intervenir en commentaire)

En tout état de cause le remède miracle du « polichinelle du Vieux-Port » (dixit de Lorgeril) ne semble présenter aucun intérêt particulier autre que de faire mousser celui qui se prend pour le plus grand infectiologue de la planète sur la base d'un classement établi par le site Expertscape qui le place en première position dans la liste des experts en maladies transmissibles (communicable diseases) ; voici ce qu'il a proféré lors d'une audition récente devant des sénateurs :
Ce conseil scientifique [i.e. le comité scientifique chargé de conseiller le Gouvernement sur la gestion de la crise liée à l’épidémie covid-19] est un dérivé du conseil reacting de l’INSERM, avec quelques représentants de l’Institut Pasteur qui ne représentent pas réellement les experts les plus performants dans le domaine des maladies transmissibles, dont le listing est facile à identifier sur le site ExpertScape communicable disease que je vous joins. 
Et il a le culot de joindre, effectivement, la liste des « experts à sa façon » :

Liste des experts en maladies transmissibles à la mode Raoult.

Voici maintenant la liste « à ma façon à moi » tirée du site expertscape :

Liste des experts en maladies transmissibles (source expertscape)

Dans « ma façon à moi » on peut déjà remarquer que pour la France c'est l'INSERM qui se trouve en première position, loin, très loin devant l'IHU du professeur Raoult ! Le CNRS est presque à égalité avec l'INSERM, nous avons donc deux organismes d'Etat bien connus qui sont remarquablement placés dans le classement par rapport à l'Institut de Raoult, mais ça il n'en parle pas, se contentant de quasiment insulter ses confrères du comité scientifique qui ne seraient pas, selon lui, à la hauteur des enjeux posés par le covid-19, ce qui est plutôt cocasse quand on se remémore tous les plantages de l'oracle du Vieux-Port :
Le 21 janvier, Didier Raoult ne se sent pas concerné :
Vous savez c'est un monde de fous […] le fait que des gens soient morts de coronavirus en Chine vous savez je ne me sens pas tellement concerné […] il se passe un truc où il y a trois Chinois qui meurent et ça fait une alerte mondiale, l'OMS s'en mêle […] il n'y a plus aucune lucidité en particulier pour les maladies infectieuses […]
Le 17 février les trottinettes font parler d'elles, elles seraient bien plus dangereuses que le nouveau coronavirus :

 [...] en pratique il y a eu cinq morts en dehors de Chine […] ce qui est complètement négligeable par rapport à ce qui s'est passé dans le reste du monde avec toutes les causes de mortalité. Elle est localisée en Chine […] pour des raisons que je comprends mal qui sont peut-être liées à des circonstances particulières […] il y a très peu de maladies infectieuses qui se répandent dans tous les espaces de la Terre au même moment, ça n'existe pas […] tout ça c'est des bêtises […]
 Le 25 février il n'y a aucun risque de pandémie :
[...] en Chine le nombre de cas semble progressivement diminuer […] en dehors [de la province de Hubei] si on regarde aujourd'hui [donc le 25 février] en dehors de la situation en Iran et en Corée du Sud […] si vous voulez tout ensemble ça fait une dizaine ou une douzaine de morts […] les enfants [transmettent] plus que les sujets âgés...
Ce ne sont que des exemples, je ne peux pas tout citer, car je suis loin d'avoir tout vu (j'ai quand même d'autres choses à faire), mais avec ce bref échantillonnage on peut admirer les superbes prédictions d'un des « meilleurs infectiologues de la planète » qui doit sa renommée essentiellement, donc, à son classement sur le site expertscape… Or comment ce site classe-t-il les « experts » comme le professeur Raoult ? Regardons ce que le site nous dit dans ses faq :
How are experts ranked?
Experts are ranked according to the quality and quantity of their publications.
Details: Expertscape examines all medical publications that are indexed in the National Library of Medicine's MEDLINE database. We rank the expertise of each author according to the number and type of articles that each expert has authored on the specific condition, disease, or treatment of interest to you. 
Comment les experts sont-ils classés ?
Les experts sont classés en fonction de la qualité et de la quantité de leurs publications.
Détails : Expertscape examine toutes les publications médicales qui sont indexées dans la base de données MEDLINE de la National Library of Medicine. Nous classons l'expertise de chaque auteur en fonction du nombre et du type d'articles que chaque expert a écrit sur la condition, la maladie ou le traitement spécifique qui vous intéresse.
Ainsi le site tiendrait compte de la « qualité » des publications, vraiment ?

On se demande comment ce site pourrait, de manière efficace, évaluer la « qualité » d'une publication étant donné son fonctionnement qui nous est détaillé ici :
Expertscape is a search and expert ranking website to find and research medical experts and institutions across more than 26,000 specific MeSH terms. Its search engine is based on a series of automated algorithms that use the National Institutes of Health's PubMed database to identify and assess knowledge and experienced by condition, diagnosis, chemical or other search criteria. The website search can stratify results by geography and institution, with worldwide coverage.
Expertscape est un site de recherche et de classement d'experts permettant de trouver et de rechercher des experts et des institutions médicales à travers plus de 26 000 termes MeSH spécifiques. Son moteur de recherche est basé sur une série d'algorithmes automatisés qui utilisent la base de données PubMed des National Institutes of Health pour identifier et évaluer les connaissances et les expériences par condition, diagnostic, produit chimique ou autres critères de recherche. La recherche sur le site web peut stratifier les résultats par zone géographique et par institution, avec une couverture mondiale. 
Ainsi le site fonctionne uniquement à l'aide d'« algorithmes automatisés » sans intervention humaine pour juger de la réelle qualité d'une publication.

D'ailleurs le site lui-même met un gros bémol dans What It Is and Is Not :
It stands to reason, therefore, that Expertscape cannot guarantee that its highest-ranking experts in your area of medical interest will necessarily be great doctors.
Il va donc de soi qu'Expertscape ne peut pas garantir que ses experts les plus éminents dans votre domaine d'intérêt médical seront nécessairement de grands médecins.
En ajoutant plus loin :
like any tool, it's not perfect, and it has limitations. Here are a few of the many we discuss elsewhere:
Not every expert is a medical doctor;
Expertise tends to concentrate in big cities and thus may be unavailable in your immediate area;
Expertscape ranks specialists, not generalists;
We identify and rank experts on published scientific articles, and not on results or ethics or bedside manner;
We can't identify the many fine specialists who don't publish scientific articles.
Comme tout outil, il n'est pas parfait, et il a des limites. Voici quelques-unes des nombreuses dont nous parlons ailleurs :
Tous les experts ne sont pas médecins ;
L'expertise a tendance à se concentrer dans les grandes villes et peut donc ne pas être disponible dans votre région immédiate ;
Expertscape classe les spécialistes, et non les généralistes ;
Nous identifions et classons les experts en fonction des articles scientifiques publiés, et non en fonction des résultats, de l'éthique ou du comportement au chevet des patients ;
Nous ne pouvons pas identifier les nombreux bons spécialistes qui ne publient pas d'articles scientifiques.
Maintenant quand nous savons que Didier Raoult a signé plus de trois mille publications dont la très grande majorité ne présente pas d'intérêt particulier (voir Mais qui est vraiment Didier Raoult ?) nous sommes en droit de nous poser quelques questions sur la pertinence du classement dans expertscape :
Si l’unité [Mephi pour « Microbes, évolution, phylogénie et infection »] du professeur Raoult a été à l’origine de plus de 2 000 publications entre 2011 et 2016, « seules 4 % d’entre elles l’étaient dans des revues de haut impact international »
Mêmes constats pour la seconde unité Vitrome (pour « Vecteurs-infections tropicales et méditerranéennes »), spécialisée dans la découverte de pathogènes émergents et de leurs vecteurs (comme les moustiques, les puces ou les tiques). Là encore, le nombre de publications ne semble pas être gage de qualité. Sur 1 153 articles parus entre 2011 et 2016, dont la moitié ont pour auteur Didier Raoult, seuls quatre peuvent être considérés comme « remarquables » (source mediapart)
Reste donc à savoir, si l'on enlevait du site expertscape tous les papiers signés du professeur Raoult (qu'il a peut-être seulement lus en diagonale…) qui n'ont pas été publiés dans des revues « de haut impact international » et ceux qui ne peuvent être qualifiés de « remarquables », que resterait-il au final et quel serait son classement ?


Pschiiiiiiiiiiiitttttttt.

Entendez-vous enfin le sifflement de l'air qui s'échappe de la baudruche de la Canebière ?

Dans le même temps une autre baudruche avoue suivre le traitement de Didier Raoult :

Pschiiiiiiiiiiiitttttttt (source lemonde)

2 commentaires:

  1. Ça n'a pas l'air de s'arranger : https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)31180-6/fulltext
    "In summary, this multinational, observational, real-world study of patients with COVID-19 requiring hospitalisation found that the use of a regimen containing hydroxychloroquine or chloroquine (with or without a macrolide) was associated with no evidence of benefit, but instead was associated with an increase in the risk of ventricular arrhythmias and a greater hazard for in-hospital death with COVID-19. These findings suggest that these drug regimens should not be used outside of clinical trials and urgent confirmation from randomised clinical trials is needed."

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    1. Non ça ne s'arrange pas, j'ai d'ailleurs évoqué cette publication du Lancet dans la nuit peu après votre commentaire que je n'avais pas encore lu (voir http://sogeco31.blogspot.com/2020/05/cela-se-precise.html) ; c'est le site media bias-factcheck qui m'a en fait donné l'information juste avant que j'éteigne mon ordi...

      Si je compte bien cela fait 5 études avec un nombre significatif de patients (quelques cent mille et des poussières) et toutes donnent sensiblement les mêmes résultats.

      A mon avis Raoult va devoir s'expliquer sérieusement, il lui sera difficile de se cacher derrière son petit doigt comme il en a l'habitude.

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