Ce lapsus freudien [la bourde de George W. Bush] illustre et souligne l'absurdité de l'attitude occidentale face à la Russie. D'un côté, elle accepte et soutient les crimes des puissances occidentales et, de l'autre, elle applique à la Russie une pluie de sanctions qui touchent à l'absurde.
Ces lignes sont extraites de la première page de l'introduction du livre de Jacques Baud Opération Z publié le 30 août dernier (et que j'ai malencontreusement acheté lors d'une virée chez Cultura)
Dès le début, dès les premiers mots, nous nous doutons que nous allons être mis en présence de la même « ligne éditoriale » et des mêmes éléments de langage auxquels Xavier Moreau nous a habitués lors de ses hilarants bulletins hebdomadaires (dernier exemple ici) consacrés à la guerre en Ukraine, pardon, je veux dire à l'opération militaire spéciale destinée à purifier le peuple ukrainien de son nazisme consubstantiel et dans le même temps rendre sa grandeur à la sainte Russie sur un mode trumpien.
En effet quasiment tout y est soit écrit noir sur blanc soit nettement sous-entendu : le whataboutisme (comme si les errements de Bush junior en Irak pouvaient absoudre Poutine de ses crimes), la responsabilité supposée de l'« occident » dans l'invasion provoquée par Poutine (l'OTAN aurait menacé d'agresser la Russie...) et la soi-disant non-efficacité des sanctions qui se retourneraient contre leurs auteurs sans toucher le moins du monde les Russes. Les « arguments » que l'on trouve le plus fréquemment sur les réseaux sociaux sous la plume des pro-Poutine.
Parmi les éléments de langage on trouve l'indispensable « ukro-nazi » qui fait partie de la boite à outil du parfait petit poutinard fidèle à la voix de son maitre. Mais jamais on ne verra nulle part « russo-nazi » qui pourtant qualifie à merveille certaines composantes de la glorieuse armée soviétique, pardon, je veux dire de la fédération de Russie, laquelle néanmoins compte assez peu de slaves dans ses rangs, allez savoir pourquoi...Sur ce dernier point cependant nous avons quelques indications avec Le JDD qui nous dit en substance :
Comme l’explique le chercheur Sergei Fediunin, les ressortissants des régions à majorité musulmanes et des régions les plus pauvres du pays sont surreprésentés au sein de l’armée russe qui combat en Ukraine. Cette composition de l’armée permet de mieux comprendre l’état actuel de la société russe.
Nous avons par la même occasion l'explication de l'emploi de tant de non-slaves afin de ne pas interférer avec le caractère slave de nombreux Ukrainiens qu'il convient de massacrer sans trop se poser de questions existentielles :
l’envoi des militaires d’origine « non slave » pour faire la guerre en Ukraine pourrait relever d’un choix stratégique des autorités russes, compte tenu des liens familiaux existant entre de nombreux Russes ethniques et Ukrainiens.
Et pour le caractère russo-nazi un article déjà ancien datant de 2007 (Ces mouvements néonazis qui prospèrent en terre russe) nous éclaire un peu sur la question :
LA SCÈNE d'horreur dure 2 minutes 42 secondes. Sur fond de drapeau nazi, deux hommes bruns à la peau mate, dont l'un serait tadjik et l'autre caucasien du Daguestan, sont exécutés. L'un est décapité avec un couteau-scie. L'autre est abattu d'une balle tirée de près. Avant de mourir, ils ont le temps de répéter par deux fois qu'ils sont exécutés par des « national-socialistes russes ». Masqués de noir, leurs bourreaux, visiblement professionnels, crient « Gloire à la Russie ».
Mais depuis 2007 les choses n'ont guère (sic) changé, d'ailleurs d'après un certain Michael Kellog (The Russian Roots of Nazism: White Émigrés and the Making of National Socialism, 1917–1945) le nazisme n'émanerait pas uniquement d'Allemagne, comme le titre de son livre le laisse entendre...
Pour en revenir au torchon, je veux dire au bouquin de Jacques Baud, voici quelques extraits suivis de mes commentaires à la volée.
Page 17 (Méthodologie) : Le manque de diversité dans le paysage médiatique francophone m'a amené à prendre la majeure partie de mes sources dans les médias mainstream anglo-saxons, souvent plus honnêtes que leurs homologues francophones, même s'ils restent farouchement opposés à la Russie.
Ce passage est admirable de cocasserie quand on sait que c'est en France que l'on trouve le plus de russophiles et dans les pays anglo-saxons le plus de russophobes ! Sachant que Jacques Baud est évidemment francophone, donc appartenant à la partie la plus russophile, se permettant en plus de décerner des médailles aux médias mainstream des deux catégories.
Page 19 (Les fondamentaux et perceptions) : Alors que les pays occidentaux [...] ont accepté voire applaudi le massacre de populations arabes...
Je ne me souviens pas personnellement avoir accepté et applaudi des massacres quelconques, qu'ils soient de populations arabes ou autres, ni avoir lu ou entendu le moindre journaliste ou politique s'extasier publiquement de la sorte. Mais Jacques Baud se garde bien de citer des exemples, juste au cas où il se trouverait dans l'incapacité d'en trouver.
Page 22 : L'éclatement de l'URSS a laissé des minorités russes établies depuis plusieurs générations dans des pays désormais indépendants [...] Il en est résulté pour la Russie - et pour le peuple russe en particulier - un sentiment de responsabilité pour ces communautés « abandonnées ».
Admirable ! Voici donc avec les mots de Jacques Baud la justification même de l'expansion impérialiste russe sous le règne de Poutine. Du moment qu'il y a quelques Russes dans une région quelconque du monde qui était auparavant sous la coupe de l'Union soviétique, alors cela absout le Tsar de tous ses crimes puisque ses actions sont à but humanitaire : il se préoccupe du sort des « minorités russes », quelle belle âme n'est-il pas ? Et cela s'applique aussi à l'ensemble du « peuple russe », habile stratagème permettant de diluer la responsabilité du potentat en place au Kremlin : ce n'est pas Poutine qui a décidé d'envahir l'Ukraine, c'est le « peuple russe », pardi !
Page 26 ( Le niveau opératif) : Olekseï Arestovitch, conseiller de Volodymyr Zelensky, explique avec cynisme qu'il fallait créer les conditions pour forcer la Russie à attaquer l'Ukraine.
Jacques Baud mentionnant une vidéo YouTube du 18 mars 2022 (la vidéo date en fait du 18 février 2019) je suis allé la visionner et voici ce que dit précisément Arestovitch :
Aucun « cynisme » dans ces propos, seulement du réalisme : si l'Ukraine ne veut pas être absorbée par la Russie avant 2030, ce qui arrivera si on la « laisse tomber », alors la seule solution est la demande d'adhésion du pays à l'OTAN, ce qui déclenchera automatiquement l'ire poutinienne. Mais l'Ukraine a-t-elle vraiment le choix ?
On remarquera au passage que Poutine a agressé, depuis qu'il est au pouvoir, uniquement des pays non membres de l'OTAN ; ou pour le dire autrement, aucun pays membre de l'OTAN n'a été agressé par Poutine. Imaginez que l'Ukraine ait été admise dans l'OTAN avant 2014, la Crimée serait toujours Ukrainienne (elle l'est toujours, mais sous contrainte russe...) et il est fort probable qu'il n'y aurait eu aucun trouble dans le Donbass. Merci qui ? Merci Sarkozy et Merkel ! Surtout Merkel :
Mais le rejet de l'adhésion de l'Ukraine à l'Otan a surtout été influencé par les besoins énergétiques allemands. Dès le début des années 2000, la Russie fournit environ un tiers du gaz consommé en Allemagne. Dès 1997, Moscou met aussi en place le projet « Nord Stream » de deux gazoducs qui doivent relier la Russie à l'Allemagne via la mer Baltique. Aujourd'hui encore, la dépendance de Berlin au gaz russe, qui représente 65 % du gaz consommé en Allemagne en 2019, représente d'autant plus un handicap pour Berlin au temps du conflit en Ukraine.
Comme c'est bizarre...
Pages 31-32-33 (L'expansion de l'OTAN) : les assurances occidentales de la non-expansion de l'OTAN sont attestées par de nombreux documents déclassifiés et rendus publics en décembre 2017 [...] Certes, il n'y a en effet ni traités, ni décision du Conseil de l'Atlantique Nord (NAC) [...] il était légitime pour l'URSS de craindre pour sa sécurité.
Sans blague ! L'OTAN étant une organisation uniquement défensive, comment l'URSS, et la Russie à sa suite, pouvaient sérieusement craindre pour leur sécurité ? La suite a montré que seuls des pays non membres de l'OTAN ont fait les frais de l'impérialisme russe : La Biélorussie (La Biélorussie dénonce l'ingérence de "forces russes" dans la campagne électorale), la Moldavie (Guerre en Ukraine: quel rôle peut jouer la Transnistrie, région autonome prorusse de Moldavie?), la Georgie (L’occupation russe de la Géorgie et la remise en cause de son intégrité territoriale) et bien sûr l'Ukraine. Sans oublier la Syrie qui est un cas à part mais mérite d'être cité. On pourrait aussi mentionner tous les pays africains qui commencent à tomber sous la coupe du groupe Wagner, donc de la Russie.
Page 39 (L'indivisibilité de la sécurité) : Aujourd'hui, le problème est que le légitime souci de sécurité des pays européens rapproche la puissance nucléaire américaine de la frontière russe, augmentant la probabilité d'une guerre nucléaire en cas de tension accrue.
Ah bon ? Comme si c'était l'armée américaine qui était à l'oeuvre dans tous les pays européens membres de l'OTAN, sachant que jusqu'à récemment le désir le plus fou des Américains était de laisser les Européens se débrouiller un peu plus tout seuls puisqu'ils avaient un autre chat à fouetter, à savoir la Chine ! Ce n'est qu'à reculons que les Américains se sont investis dans le conflit russo-ukrainien, se contentant de fournir des armes et des aides diverses en dollars mais en évitant comme la peste d'engager le moindre GI directement sur le terrain, avec apparemment une peur bleue de fâcher le gros nounours russe qui pourrait dans un accès de folie appuyer sur le mauvais bouton.
Cette pétoche nucléaire des Américains, mais aussi des Européens il faut le dire, est un habile leurre intelligemment utilisé par Poutine et ses sbires afin de tétaniser les alliés de l'Ukraine. Les Ukrainiens, eux, sont étrangement moins craintifs, et ils ont parfaitement raison. Une bombe nucléaire stratégique n'aurait aucun sens puisqu'elle signifierait automatiquement la fin de la Russie ; une bombe tactique n'aurait strictement aucun intérêt sur le terrain, elle n'aurait aucun effet significatif sur le champ de bataille et son utilisation entrainerait, on le sait, de la part des Américains une aide encore plus massive en armements conventionnels ; voir par exemple dans Guerre en Ukraine. Utiliser l’arme nucléaire, est-ce vraiment une solution pour Vladimir Poutine ? :
Il y aurait forcément une réaction des pays occidentaux. Les États-Unis, de leur côté, ont déjà clairement fait comprendre qu’il n’y aurait pas de riposte nucléaire de leur part, en cas de frappe nucléaire russe, parce que l’Ukraine ne fait pas partie de l’Otan. Pour autant, il pourrait y avoir des ripostes conventionnelles avec, par exemple, la destruction d’installations militaires russes en Crimée.
D'ailleurs les Russes se plaisent à souffler le chaud et le froid, un jour ils menacent du nucléaire, le lendemain ils assurent qu'ils ne s'en serviront jamais !
Page 50 (Le rôle des minorités) : Des pays comme la Georgie, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie ou l'Ukraine n'ont jamais eu de tradition démocratique et traitent les minorités russes avec dédain.
Alors ce court passage est tout simplement collector !
Tout d'abord Jacques Baud, en fidèle interprète de la pensée poutinienne, nous livre ici une liste (probablement non exhaustive) de pays qui pourraient avoir du souci à se faire. Heureusement certains sont membres de l'OTAN, mais si nous ne faisons rien pour défendre l'Ukraine qui nous dit que Poutine ne se laisserait pas tenter par de plus petits morceaux comme les pays baltes ? Ensuite dire sans rire que les pays cités ne seraient pas démocratiques, venant d'un laudateur du régime autocratique russe qui se pare d'une démocratie de façade tel un village Potemkine, cela ne manque pas de sel, vous ne trouvez pas ? Enfin suggérer que si vous regardez quelqu'un un peu de travers cela justifie amplement qu'on vous écrase comme un vulgaire cafard, n'est-ce pas tout bonnement un appel à envahir tous les pays indépendants recelant une poignée de russophones (par forcément russophiles mais on ne va pas s'arrêter à ce genre de détail) incommodés par le sort que leur réserve la majorité : pensez donc, les traiter avec dédain, le comble de la torture mentale !
Je m'arrête là, je suis un peu fatigué de relater les âneries, incohérences et approximations contenues dans ce livre. Ce qui ne veut pas dire que tout est faux, loin de là, mais quand vous n'êtes pas un expert dans un domaine et que vous constatez que sur quelques éléments facilement vérifiables et contrôlables l'auteur vous mène en bateau en vous faisant prendre des vessies pour des lanternes, comment faire pour distinguer le vrai du trafiqué, le factuel de l'imaginaire ?
Pour être honnête je n'ai pas lu la totalité de l'ouvrage de Jacques Baud, pourquoi me serais-je infligé ce pensum en entier ? En effet, comme déjà dit avec d'autres mots Baud est le sosie de Moreau, or je connais maintenant assez bien ce dernier pour avoir visionné un certain nombre de ses bulletins fantaisistes (pas tous, j'ai une capacité de résilience au mal de tête très limitée).
Aux « ukro-nazis » qu'ils utilisent chacun il faut ajouter les « chaudrons » dans lesquels invariablement l'armée ukrainienne se laisse enfermer et annihiler. Parce que oui, pour tous les deux (évitez de vous écrouler de rire) les Russes vont immanquablement gagner cette guerre et annexer la totalité de l'Ukraine tellement leur armée est supérieure en qualité, malgré un engagement en hommes inférieur ! Les Ukrainiens, de leur côtés, ne sont que des amateurs que Zelensky envoie à la boucherie, car c'est bien connu, les Ukrainiens n'ont aucun respect pour la vie humaine alors que pour Poutine (et probablement pour Prigojine j'imagine) la vie de chaque Russe est sacrée. Sacrée au point de le faire bénir avant d'aller au combat.
Avec ça si les parents de ces soldats ne reçoivent pas une bonne indemnité... |
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