jeudi 22 avril 2021

Je suis un climatosceptique

 Il y a huit ans Dana Nuccitelli, dans The 5 stages of climate denial are on display ahead of the IPCC report publié dans The Guardian, comptabilisait 5 étapes dans le « déni du climat » :

  1. Nier l'existence du problème
  2. Nier que nous sommes la cause
  3. Nier que c'est un problème
  4. Nier que nous pouvons le résoudre
  5. C'est trop tard
Pour le tout dernier point il expliquait :
The good news is that we still have time to avoid a catastrophic outcome. The more emissions reductions we can achieve, the less the impacts of climate change will be. 

La bonne nouvelle est que nous avons encore le temps d'éviter une issue catastrophique. Plus nous parviendrons à réduire les émissions, moins les effets du changement climatique seront importants.

Beaucoup plus récemment, en fait pas plus tard qu'hier, paraissait sur le site Real Climate un article de Stefan Rahmstorf, un océanographe de réputation mondiale qui écrit très régulièrement sur ce site, conjointement avec d'autres climatologues de haut niveau tels que Gavin Schmidt, Michael Mann ou Raymond Pierrehumbert pour ne nommer que ces trois-là ; l'article en question, intitulé Two graphs show the path to 1.5 degrees, m'oblige à me demander si Rahmstorf n'aurait pas par hasard fumé la moquette...

En effet, voici la conclusion qu'il tire de ses explications, sur lesquelles nous allons revenir dans la foulée :

Conclusion: The limitation to 1.5 degrees is still possible and from my point of view also urgently advised to avert catastrophic risks, but it requires immediate decisive measures. I am curious to see what the climate summit scheduled by US President Joe Biden will bring in the coming days!

Conclusion : La limitation à 1,5 degré est encore possible et de mon point de vue également conseillée d'urgence pour éviter les risques catastrophiques, mais elle nécessite des mesures décisives immédiates. Je suis curieux de voir ce que le sommet sur le climat prévu par le président américain Joe Biden apportera dans les prochains jours !

Ainsi j'ai l'impression qu'il essaie de ne surtout pas tomber dans le piège du 5ème point du dénialisme climatique évoqué plus haut, à savoir : C'est trop tard !

Pour Rahmstorf il serait donc « possible », notamment parce que Joe Biden a annoncé pour bientôt un sommet sur le climat, de limiter la hausse des températures à 1,5°C, comme le recommandait vivement en 2018 l'un des derniers rapports spéciaux du GIEC.

Effectivement, si je joue au loto il est également « possible » que je gagne le super gros lot de 20 millions d'euros, à condition bien sûr 1/ que je paye pour jouer et 2/ que je trouve tous les bons numéros qui feront de moi un nouveau riche, bref une véritable sinécure, ce qui m'incite à aller immédiatement acheter une grille au tabac du coin.

Le hic dans l'histoire c'est que Rahmstorf, juste avant de conclure à la « possibilité » d'une ile, pardon, je veux dire de limiter la hausse des températures à 1,5°C, nous a consciencieusement expliqué que ça allait être très, très, très, très compliqué, et encore en restant au-dessous de la vérité.

D'ailleurs, chose assez étonnante, quasiment dès le début il se pose la question :

But is that still possible?

Mais est-ce encore possible ?

Et de nous montrer deux graphiques qui nous enseignent une seule chose : ça va être très, très, très, très compliqué, et encore...

Premier graphique :

Tendance de la température mondiale (par rapport à la moyenne 1880-1910, données NASA). La courbe colorée montre la moyenne mobile sur 12 mois, la ligne noire la tendance linéaire sur les 50 dernières années. La chaleur transitoire qui a suivi deux forts événements El Niño dans le Pacifique tropical est indiquée par des flèches. Si tout continuait ainsi, la limite de 1,5 degré serait dépassée vers 2040.

Déjà, là, on est mal.

Il faut bien entendu ignorer les deux pics El Niño de 2016 et 2019, qui seront compensés par des Niñas pour donner une tendance à long terme neutre, tout comme l'activité volcanisme ou les soubresauts du soleil qui font eux-aussi partie de la variabilité naturelle du climat ; la véritable tendance à long terme est matérialisée par la droite qui monte pour atteindre les 1,5°C aux alentours de 2040 comme dit dans la légende (et ce n'est pas une légende) du graphique.

Et d'ajouter :

 if emissions continue to grow, we expect a further roughly linear increase in temperature, which would then exceed 1.5 degrees around 2040. If we lower emissions, the trend will flatten out and become roughly horizontal as we reach zero emissions. Therefore, these observational data do not argue against the possibility to still keep warming below 1.5°C.

si les émissions continuent de croître, on s'attend à une nouvelle augmentation à peu près linéaire de la température, qui dépasserait alors 1,5 degré vers 2040. Si nous réduisons les émissions, la tendance s'aplatira et deviendra plus ou moins horizontale lorsque les émissions seront nulles. Par conséquent, ces données d'observation ne s'opposent pas à la possibilité de maintenir le réchauffement en dessous de 1,5°C.

Sans blague ! Et il est bien connu que « si » ma tante en avait ce serait mon oncle. Mais il a raison, on ne peut pas déduire de ce graphique une impossibilité d'infléchir la courbe afin de lui éviter de franchir la barre des 1,5°C, par contre le deuxième graphique arrive comme un uppercut à la mâchoire :

Trajectoires d'émission exemplaires avec des budgets d'émission de CO2 qui, selon le GIEC, correspondent à une limitation du réchauffement à 1,5 °C avec une probabilité de 50 % (solide) ou à une limitation à 1,75 °C avec une probabilité de 67 %. Les mêmes émissions qu'en 2019 ont été prises comme point de départ en 2021, en supposant que le "pic corona" de 2020 sera probablement temporaire.

Je sais pas vous, mais moi quand je vois ce genre de graphique avec des courbes plongeantes, et quand je me représente mentalement ce qu'est la réalité du moment, j'ai comme un léger doute sur notre capacité à ne pas dépasser les 1,5°C, bref je suis climatosceptique.

Je ne suis d'ailleurs pas le seul à me poser des questions, l'un des commentateurs dit ceci (extrait) :

It is the year 2021 and we are still only talking about global reductions, while financiers, corporations and nation-states are constructing massive fossil buildout or otherwise proping up the status quo. Temperature is only one indication of our peril (and the trend is very bad).
Nous sommes en 2021 et nous n'en sommes encore qu'à parler de réductions mondiales, tandis que les financiers, les entreprises et les États-nations construisent des installations fossiles massives ou maintiennent le statu quo. La température n'est qu'une indication de notre péril (et la tendance est très mauvaise).
Un autre commentateur précise :
It is clear your post is focused on the physical science, not the immense political and social challenges to achieving the 1.5C goal.
Il est clair que votre message se concentre sur la science physique, et non sur les immenses défis politiques et sociaux à relever pour atteindre l'objectif de 1,5°C.
Un autre introduit une notion quasi mathématique du problème soulevé par ce qui est « possible » ou non :
“Possible” is a somewhat detouched word, I would prefer “success probability for a certain action by a certain set of determined people”.
If this set of people are not homogenous in their will, as is the case for “mankind”, i.e. they are, as a group, not determined, “possible” or “impossible” is not the right term.
What remains is a success probability 0 < p < 1 for those who really want us to stay below +1.5°C. That means act in spite of uncertainty.
"Possible" est un mot peu approprié, je préférerais "probabilité de réussite d'une certaine action par un certain ensemble de personnes déterminées".
Si cet ensemble de personnes n'est pas homogène dans sa volonté, comme c'est le cas pour "l'humanité", c'est-à-dire qu'elles ne sont, en tant que groupe, pas déterminées, "possible" ou "impossible" n'est pas le bon terme.
Ce qui reste, c'est une probabilité de succès 0 < p < 1 pour ceux qui veulent vraiment que nous restions en dessous de +1,5°C. Cela signifie agir en dépit de l'incertitude.
Quoi qu'il en soit je ne suis pas le seul à être « réaliste » (pas dans le sens donné par un guignol comme Benoit Rittaud au mot climatoréaliste), on trouve en effet, en plus de ces quelques réactions de commentateurs au billet de Stefan Rahmstorf, un peu de littérature sur le sujet qui va dans la même direction, par exemple :

Aim High, Go Fast: Why Emissions Need to Plummet this Decade

 

Il nous est expliqué ici que les émissions doivent « chuter » au cours de cette décennie (celle des années 2021 à 2030) et le détail de ces explications se trouve dans un rapport (voir AIM HIGH, GO FAST: WHY EMISSIONS NEED TO PLUMMET THIS DECADE) qui se focalise sur l'Australie, un pays qui est le premier (avec l'Indonésie au coude à coude) exportateur...de charbon ! Un des chapitres s'intitule d'ailleurs Why we will soon exceed 1.5°C of global warming (Pourquoi le réchauffement de la planète dépassera bientôt 1,5°C) et commence ainsi :

Several lines of evidence contribute to the argument that we cannot limit the rise in global average surface temperature to 1.5°C above the pre-industrial level, taken as the 1850-1900 average, without significant overshoot and subsequent drawdown. 

Plusieurs éléments de preuve contribuent à l'argument selon lequel nous ne pouvons pas limiter l'augmentation de la température moyenne à la surface de la planète à 1,5°C au-dessus du niveau préindustriel, considéré comme la moyenne de 1850-1900, sans un important sursaut et un déclin [économique] ultérieur. 

Voici un graphique montré dans le rapport :

Figure 4 : Augmentations de température projetées jusqu'en 2100 sur la base de quatre scénarios d'émissions analysés dans le cinquième rapport d'évaluation du GIEC. 

Clé : Bleu foncé : RCP2.6 ; bleu clair : RCP4.5 ; orange : RCP6.0 ; rouge : RCP8.5. Source : Collins et al. 2013.


Nous voyons que le GIEC lui-même est guère optimiste, puisque seul le scénario extrêmement agressif RCP2.6 permettrait de limiter la hausse à environ 1°C par rapport à l'an 2000, ou...1,5°C par rapport à l'an 1900 ! Autrement dès le scénario plus « réaliste » RCP4.5 nous sommes en 2100 à +2°C sur le 21ème siècle, soit +2,5°C par rapport à ce qui est considéré comme l'ère préindustrielle. Et je n'évoque même pas le scénario « catastrophiste » RCP8.5 qui, bien qu'improbable, n'en demeure pas moins tout à fait « possible »...


UN: World could hit 1.5-degree warming threshold by 2024


Ici un article de juillet 2020 nous avertissait donc qu'on pourrait franchir la limite des 1,5°C dès...2024 !

The U.N. weather agency says the world could see average global temperatures rise to 1.5 degrees Celsius above the pre-industrial average for the first time in the coming five years

Selon l'agence météorologique des Nations unies, les températures mondiales moyennes pourraient dépasser de 1,5 degré Celsius la moyenne préindustrielle pour la première fois au cours des cinq prochaines années.

C'est pas moi qui le dis, c'est l'Organisation Météorologique Mondiale (WMO) :

The World Meteorological Organization said forecasts suggest there's a 20% chance that global temperatures will be 1.5 degrees Celsius (2.7 Fahrenheit) higher than the pre-industrial average in at least one year between 2020 and 2024.

Selon l'Organisation météorologique mondiale, les prévisions indiquent qu'il y a 20 % de chances que les températures mondiales soient supérieures de 1,5 degré Celsius (2,7 Fahrenheit) à la moyenne préindustrielle pendant au moins une année entre 2020 et 2024.

Bon nous sommes rassurés, il n'y a qu'une chance sur cinq que cela se produise durant les prochaines années jusqu'en 2024, mais il me semble que si j'avais cette probabilité de gagner au loto les 20 millions d'euros qui me sont promis alors j'irais acheter mon billet de suite, pas vous ?


How 1.5 Degrees Became the Key to Climate Progress


Dans cet article Bill McKibben explique, en faisant référence au rapport spécial du GIEC déjà mentionné plus haut :

we’d need to cut emissions nearly in half by 2030, and get to net zero by 2050. The language was opaque—“in model pathways with no or limited overshoot of 1.5°C, global net anthropogenic CO2 emissions decline by about 45% from 2010 levels by 2030 (40–60% interquartile range), reaching net zero around 2050 (2045–2055 interquartile range)”—but it was enough to reorient thinking. 

nous devrions réduire nos émissions de près de la moitié d'ici à 2030 et atteindre un niveau net zéro d'ici à 2050. La formulation était opaque : "dans les modèles de trajectoire sans dépassement ou avec un dépassement limité de 1,5 °C, les émissions anthropiques nettes de CO2 à l'échelle mondiale diminuent d'environ 45 % par rapport aux niveaux de 2010 d'ici à 2030 (fourchette interquartile de 40 à 60 %), pour atteindre un niveau net nul vers 2050 (fourchette interquartile de 2045 à 2055)", mais cela a suffi pour réorienter la réflexion. 

« Réduire nos émissions de 45% d'ici à 2030 », vous y croyez, vous ? Ah donc vous aussi vous êtes climatosceptique !

Mais tranquillisez-vous, il y a des solutions qui existent et qui sont actuellement testées à quelques encablures de la Terre comme on nous le signale dans l'oreillette avec Le rover Perseverance a fabriqué de l'oxygène sur Mars :

Nouvelle prouesse à l'actif de Perseverance: le rover de la Nasa a transformé du dioxyde de carbone issu de l'atmosphère de Mars en oxygène

Si on peut le faire sur Mars alors tout est « possible » sur Terre, j'ai pas raison ?

En fait nous avions déjà depuis longtemps la solution entre nos mains, elle nous avait été enseignée à la télé dans les années 1960-70 :

Technique d'extraction de l'oxygène à partir du CO2.


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