lundi 24 septembre 2018

Jennifer Francis, l'anti Roy Spencer, sur le rôle de l'Arctique

Il ne faut pas confondre Jennifer Lawrence, actrice de son état, avec Jennifer Francis, professeur à l'université de Rutgers, qui a reçu son diplôme de docteur d'état en 1994 dans la catégorie sciences de l'atmosphère.

Jennifer Francis s'est spécialisée dans l'étude du changement climatique de l'Arctique et a publié un nombre impressionnant d'études sur le sujet comme l'atteste Google Scholar quand on cherche "jennifer francis arctic".

Nous avons donc affaire à quelqu'un qui a un peu plus de légitimité à parler du sujet que certaines personnes qui s'égarent au-delà de leur domaine de compétence, comme par exemple Susan Crockford pour ne citer qu'elle et ne rester que dans le genre féminin (avec les hommes la liste pourrait être très longue…)

L'excellent site Arctic Sea Ice Blog nous propose une vidéo dans laquelle on peut écouter (et voir) la chercheuse qui nous explique, graphiques à l'appui, ce qui se passe avec le réchauffement de l'Arctique.

Jennifer Francis est en fait interrogée à la suite des dévastations occasionnées par l'ouragan Florence, et la question est bien sûr de savoir dans quelle mesure le réchauffement de la planète peut avoir une influence sur ce genre d'événements extrêmes.

Voici donc quelques extraits tirés de l'interview de Jennifer Francis, avec quelques graphiques permettant de mieux comprendre ce qui se passe.

Tout d'abord le présentateur plante le décor en montrant notamment quelques images des dégâts ainsi que cette carte décrivant le cheminement de Florence :

Itinéraire de l'ouragan Florence à l'intérieur des terres.

Puis Jennifer Francis intervient après que le présentateur ait sommairement résumé ses qualifications (le temps manque en pareil cas pour exposer un CV complet)

Jennifer Francis.
Le présentateur rappelle que Jennifer Francis a étudié, en autres choses, les effets de la fonte de la banquise (sea ice) et des glaciers en relation avec le changement climatique (climate change) ; puis entre en jeu le point que j'évoquais récemment dans Florence, pas la ville, l'autre phénomène... :
J'ai également lu, sans pouvoir remettre la main dessus, un article expliquant que le « point froid » situé au sud du Groenland expliquerait, par les hautes pressions qu'il génère, le ralentissement pouvant aller jusqu'au blocage des ouragans sur le territoire américain, les empêchant de se diriger « normalement » vers l'est ; si un lecteur généreux peut me confirmer cela avec la source je lui serais éternellement reconnaissant.
Aucun lecteur (généreux ou pas) ne s'est jusqu'à présent manifesté (et il ne faut pas trop compter sur BenHague…) et je ne pense pas que ce que j'ai lu venait de cette vidéo, mais je prends quand même et saute sur l'occasion de vous montrer la carte qui passe en ce moment à l'écran quand le présentateur s'apprête à poser sa première question à Jennifer Francis :

Parcours du jet stream au-dessus des Etats-Unis et de l'Atlantique nord lors de l'ouragan Sandy.
On y voit exactement ce que je cherchais moi-même à montrer dans mon précédent article, à savoir cette zone de hautes pressions située juste au sud du Groenland et bloquant les dépressions comme Sandy ici représenté, obligeant l'ouragan à suivre une route « anormale », c'est-à-dire en direction des terres vers l'ouest plutôt que vers l'Atlantique et beaucoup plus loin l'Europe du nord.

Le présentateur demande alors à Jennifer Francis de lui expliquer le processus et celle-ci se lance :
It's a little bit complicated, so let's start with that cool blob of water that's been located just South of Greenland for the last several years. Recent research suggests that the extra fresh water melting from the Greenland ice sheet as well as melting sea ice in the Arctic ocean and extra runoff from rivers that flow into the Arctic ocean are sending a lot more fresh water down into the North Atlantic than it used to, and these fresh water is lighter than the heavy saltier water underneath and so it sits on top and it tends to hamper the mixing of the warmer saltier water underneath and so what we see as the result is this blob of cool water sitting there South of Greenland.
C'est un peu compliqué, alors commençons par cette masse d'eau fraîche qui se trouve au sud du Groenland depuis plusieurs années. Des recherches récentes suggèrent que la fonte de la calotte glaciaire du Groenland ainsi que la fonte de la banquise de l'océan Arctique et le ruissellement supplémentaire des rivières qui se jettent dans l'océan Arctique envoient beaucoup plus d'eau douce dans l'Atlantique Nord qu'auparavant, et cette eau douce est plus légère que l'eau salée lourde en dessous et donc elle reste sur le dessus et a tendance à gêner le mélange de l'eau salée plus chaude en dessous et ainsi le résultat que nous voyons c'est cette masse d'eau fraîche demeurant là au sud du Groenland.
Vient à ce moment à l'écran une carte présentant la circulation thermohaline :

Schéma de la circulation thermohaline.
And as you said we think that this is helping to prevent the warm waters of the Gulf Stream from flowing across the Atlantic quite as well as they usually do, and so if you look at a map of sea surface températures differences from normal in the North Atlantic right now you will see that there is a huge area of much warmer than normal water pretty well all along east coast of North America, along with this cool blob south of Greenland.
Et comme vous l'avez dit, nous pensons que cela aide à empêcher les eaux chaudes du Gulf Stream de traverser l'Atlantique aussi bien qu'elles le font habituellement, et donc, si vous regardez une carte des différences de températures de surface, vous constaterez immédiatement qu'il y a une grande quantité d'eau beaucoup plus chaude que la normale le long de la côte est de l'Amérique du Nord, ainsi que cette masse d'eau fraîche au sud du Groenland.




So one of the things that all this warm water is doing is of course we know that hurricanes are live off with warm water to get their energy so having that warm water there is helping to intensify any hurricanes that might come along, but it also increases the evaporation and that provides more moisture for hurricanes to work with which is undoubtly making the rains of Florence even heavier than they would have been say fifty years ago. 
Donc, l'une des choses que fait cette eau chaude est bien sûr que nous savons que les ouragans se nourrissent d'eau chaude pour avoir leur énergie, alors avoir de l'eau chaude aide à intensifier les ouragans, mais cela augmente aussi l'évaporation et fournit plus d'humidité pour que les ouragans « travaillent », ce qui rend sans aucun doute les pluies de Florence encore plus fortes qu'elles auraient été il y a disons cinquante ans.
And also all that warm water along East Coast tends to make the jet stream, and now we are talking about the atmosphere, not the ocean, but this river of wind high over our heads when it encounters warm water there it tends to make it one a bulge northward so if you think of like a snake traveling around the northern hemisphere the curve and that snake wants to head northward up and over that warm water and what that does is it tends to create a very persistent area of high pressure.
Et toute cette eau chaude le long de la côte Est a tendance à faire que le jet stream, et maintenant nous parlons de l’atmosphère, pas de l’océan, mais cette rivière de vent au-dessus de nos têtes, quand elle rencontre des eaux chaudes, elle tend à ressembler à un renflement vers le nord, donc vous pouvez vous représenter un serpent qui voyage autour de l'hémisphère nord, la courbe et ce serpent veulent se diriger vers le nord au-dessus de cette eau chaude et cela a tendance à créer une zone de haute pression très persistante.
Bon je dois avouer que le discours de Jennifer Francis est ici un peu décousu, et donc difficile à traduire, mais il faut dire aussi qu'il n'est pas aisé de résumer la situation quand on s'adresse à des non-spécialistes et que l'on veut pour cela employer des images comme le serpent qui ondule au-dessus de nos têtes…

Mais reprenons.
So as we look at a weather map on the TV for example we see a big high part of the East Coast of North America and that high has been very very persistent and it is what created the flow around it, the winds flow clockwise around  high pressure areas and sent Florence due west into the Carolinas which is a fairly unusual track for hurricanes to take.
Ainsi, lorsque nous regardons une carte météorologique à la télévision, par exemple, nous voyons une grande partie de la côte est de l’Amérique du Nord et cet anticyclone a été très très persistant et c'est ce qui a créé le flux autour de lui, les vents soufflent dans le sens des aiguilles d'une montre autour des zones de haute pression et ont envoyé Florence vers l'ouest dans les Carolines, une piste assez inhabituelle pour les ouragans.
Carte météo décrivant le trajet « anormal » de Florence.

Now there is another piece to that story and that is that with the Arctic warming so fast it is helping those bulges northward in the jet stream to become even stronger because it tends to weaken the winds of the jet stream overall by making the north-south temperature difference smaller than it normally would. 
Maintenant, il y a un autre élément de cette histoire : avec le réchauffement si rapide de l'Arctique cela aide ces renflements du jet stream en direction du nord à devenir encore plus forts, car cela a tendance à affaiblir globalement les vents du jet stream en rendant la différence de température nord-sud plus faible que normalement.
Excusez la traduction approximative, mais je n'ai pas mon diplôme de traducteur assermenté et Jennifer Francis ne m'aide pas avec son parler relâché (après tout elle n'est pas en train de soutenir une thèse et essaie juste de se faire comprendre d'un auditoire qui a peut-être d'autres chats à fouetter)


Effets de l'affaiblissement du jet Stream sur la côte est des Etats-Unis.

So just to back up a little bit, we know the Arctic is warming much much faster than anywhere else and so it is making that north-south temperature difference smaller and that is one of the main factors that fuels the winds of the jet Stream, and so a weaker jet stream is more easily deflected north and south by things like that blob of warm water.
Donc, pour revenir un peu en arrière, nous savons que l'Arctique se réchauffe beaucoup plus rapidement qu'ailleurs, ce qui fait que la différence de température nord-sud diminue et que c'est l'un des principaux facteurs qui alimentent les vents du jet Stream, et ainsi un jet stream plus faible est plus facilement dévié du nord et du sud par des choses comme cette masse d'eau chaude.
Ici je pense que Jennifer Francis faisait allusion à la « masse d'eau chaude » le long de la côte est, pas à celle au sud du Groenland qui, elle, est froide...


Situation le 17 septembre avec risques potentiels.

So it is really this double whammy effect that has led to the atmosphere wind pattern that has both steered Florence in an unusual path, but it has also resulted in this lack of wind along the Appalachian Mountains, so as Florence came in towards the coast it basically ran into an area with no wind at all, and that is why it stayed for such a long time in one place.
Donc, c'est vraiment ce double effet ayant conduit le modèle de vent d'atmosphère qui à la fois a orienté Florence sur un chemin inhabituel, mais a également entraîné ce manque de vent le long des Appalaches, ainsi alors que Florence se dirigeait vers la côte il a simplement heurté une zone sans aucun vent, et c’est pourquoi il est resté si longtemps au même endroit.

Comparaison avec Harvey et Sandy, dans un journal spécialisé dans les assurances (ils se sentent concernés…)

A similar thing happened with hurricane Harvey last summer a very, an area very weak winds was located on over Texas and so as that storm came ashore the same kind of thing happened, it stalled in one place and just kept pumping moisture in from the ocean from the Gulf of Mexico and Harvey's case leading to these incredible rainfalls we have been seeing.
L'ouragan Harvey, l'été dernier, a connu une situation similaire, une région où les vents étaient très faibles au-dessus du Texas, et alors que la tempête a atteint la côte, la même chose est arrivée, elle a stagné dans un endroit et a continué à pomper de l'humidité de l'océan depuis le golfe du Mexique conduisant à ces précipitations incroyables que nous avons vues.

Harvey en été 2017.

Je vous laisse continuer le visionnage si vous le désirez, Jennifer Francis évoque notamment la difficulté de prévoir ce qui va se passer dans le futur, preuve que les scientifiques ne se prennent pas pour des devins et font part de leurs doutes sans chercher à les cacher.

Cela nous change d'un Roy Spencer intervenant sur Fox News avec son assurance et sa certitude que non, Florence n'a rien  à voir avec le réchauffement climatique, ce n'est rien que de la météo mon bon monsieur ; nous sommes également à des années lumière d'un Anthony Watts se vantant d'avoir « prouvé » que les températures de surface étaient mal mesurées !

La seule chose que l'on peut regretter avec Jennifer Francis c'est son manque de charisme qui ne fera jamais d'elle une star de la télé, mais ils sont rares ceux qui sont à la fois compétents et bons vulgarisateurs, n'est pas Hubert Reeves ou Carl Sagan qui veut !

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A lire ou écouter :

Critique à consulter sur le blog de notre futur prix Nobel de pataphysique, si vous avez du temps à perdre :

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