samedi 22 septembre 2018

Exxon le disait déjà, il y a 36 ans !

Il est toujours bon de déterrer de vieux documents qui étaient à l'époque de leur parution plus ou moins anodins et ne faisaient pas la une des journaux, puis de les mettre devant le nez des benêts actuels qui nient l'évidence alors que ces papiers au teint défraichi par le temps leur montrent ce que l'on sait depuis plusieurs décennies (voire depuis près de deux siècles quand il s'agit du rôle des gaz à effet de serre) ; les benêts sont toujours en retard de quelque chose, d'une guerre, d'un combat, d'une information, de n'importe quoi, ils sont sans cesse à la ramasse.

L'excellent site Skeptical Science, devant lequel les climatosceptiques se pincent le nez de dégout tellement il leur rappelle ce qu'est la véritable science, quelque chose auquel ils ne sont pas habitués, nous fait un rappel salutaire de ce que savaient les pétroliers Exxon et Shell il y a longtemps déjà, dans un article repris du Guardian, autre excellent média que les mêmes climatosceptiques évitent comme la peste en changeant de trottoir sur leur chemin vers Fox News (comme Roy Spencer) ou The Mail on Sunday (tel Benoit Rittaud)

C'est assez stupéfiant mais l'auteur de l'article, un certain Benjamin Franta, un doctorant en histoire des sciences à l'Université de Stanford (donc a priori pas un petit rigolo) qui plus est se spécialisant en politiques climatiques et manipulations scientifiques (his research focuses on climate politics and the manipulation of science), ce qui nous le rend d'emblée plutôt sympathique, nous dégotte de derrière les fagots un document plutôt intéressant, à savoir un mémo au management d'Exxon écrit par M.B. Glaser, le Directeur des Programmes des Affaires Environnementales (Manager Environmental Affairs Programs)

En fait ce mémo est également consultable sur Wikipédia à l'entrée Exxon Mobil, en note n°23 à la suite de cette phrase :
En 1982, Les programmes sur les questions environnementales d'Exxon s'attendent à « des événements potentiellement catastrophiques » si l’utilisation des combustibles fossiles n’est pas réduite.
Le mémo est donc également consultable ici.

Ce qui est stupéfiant, comme je disais quelques lignes plus haut, ce sont les premières lignes du résumé qui nous disaient déjà tout :
Atmospheric monitoring programs show the level of carbon dioxide in the atmosphere has increased about 8% over the last twenty-five years and now stands at about 340 ppm. This observed increase is believed to be the continuation of a trend which began in the middle of the last century with the start of the Industrial Revolution. Fossil fuel combustion and the clearing of virgin forests (deforestation) are believed to be the primary anthropogenic contributors although the relative contribution of each is uncertain.
Les programmes de surveillance atmosphérique montrent que le niveau de dioxyde de carbone dans l'atmosphère a augmenté d'environ 8% au cours des 25 dernières années et se situe maintenant à environ 340 ppm. Cette augmentation observée est considérée comme la continuation d'une tendance qui a commencé au milieu du siècle dernier avec le début de la révolution industrielle. La combustion de combustibles fossiles et le défrichement des forêts vierges (déforestation) seraient les principaux facteurs anthropiques, bien que la contribution relative de chacun soit incertaine.
Nous pouvons dès à présent faire quelques remarques à la lecture de cette introduction ainsi que de tout le reste que je vous laisse découvrir (pour ceux qui le souhaitent vraiment) :
  • Glaser écrivait « 340 ppm » et non 0,03% comme le font certains désinformateurs patentés bien connus ;
  • Glaser spécifie bien que tout a commencé avec la Révolution Industrielle au milieu de 19ème siècle ; 
  • Nous étions en 1982, soit six ans avant la création du GIEC en 1988, donc difficile de dire que c'est le GIEC « qui a tout inventé » ;
  • Glaser parle d « effet de serre » entre parenthèses, preuve qu'il ne nie pas la physique élémentaire et qu'il n'est pas dupe de la dénomination du phénomène, il sait parfaitement que l'atmosphère ne se comporte pas comme une serre de jardin ;
  • Glaser s'est servi de « modèles mathématiques » pour effectuer ce qu'il appelle ses « prédictions » ;
  • Glaser prévoir un doublement de la concentration de CO2 aux environs de 2090 ;
  • Il estime que la sensibilité climatique (augmentation de la température pour un doublement de la concentration en CO2) est comprise entre 1,3 et 3,1°C ;
  • Il calcule correctement que la hausse des températures sera bien plus forte aux pôles qu'à l'équateur (+10°C aux pôles contre quasiment zéro à l'équateur pour un doublement du CO2) ;
  • Il reconnait que dans le bas de la fourchette de hausse il pourrait y avoir des impacts positifs et négatifs sur l'agriculture ; par contre dans le haut de la fourchette les impacts seraient majoritairement néfastes (il parle de la fonte de l'Antarctique et de sa conséquence sur les inondations des zones côtières) en précisant toutefois que les effets se feraient sentir plusieurs siècles après avoir atteint 3°C de hausse ;
  • Cependant il prétend qu'il n'y a pas, en 1982 donc, de preuve « sans ambiguïté » (unambiguous) du réchauffement de la planète et estime que ce n'est pas avant 1995 qu'un tel réchauffement pourrait être détecté ;
  • Il va même jusqu'à estimer que ce n'est pas avant 2020 que l'empreinte du CO2 comme gaz à effet de serre pourrait être détectée ;
  • Il s'avance même à dire que ce n'est pas à moins de 1°C de hausse de température par rapport à 1982 que l'effet de serre produira de véritables effets sur le climat ;
  • Il pense que ce n'est qu'à partir de 2025 ou 2050 que les 1°C de plus par rapport à 1982 seront atteints ;
  • Il avertit cependant que des scientifiques pensent qu'à partir du moment où les effets du réchauffement climatique seront mesurables ils seront irréversibles et que nous ne pourrons pas faire grand chose pour corriger la situation dans le court-terme ;
  • Il informe sa hiérarchie que l'atténuation de l'effet de serre demanderait des efforts considérables pour...hum...réduire la combustion des combustibles fossiles…;
Et il termine son résumé par le cul-de-sac dans lequel l'humanité s'est fourrée en se rendant dépendante aux énergies fossiles (pour soi-disant assurer sa prospérité, ça c'est moi qui l'ajoute…)
Overall, the current outlook suggests potentially serious climate problems are not likely to occur until the late 21st century or perhaps beyond at projected energy demand rates. This should provide time to resolve uncertainties regarding the overall carbon cycle and the contribution of fossil fuel combustion as well as the roile of the oceans as a reservoir for both heat and carbon dioxide. It should also allow time to better define the effect of carbon dioxide and other infrared absorbing gases on surface climate. Making sihnificant changes in energy consumption patterns now to deal with this potential problem amid all the scientific uncertainties would be premature in view of the severe impact such moves could have on nthe world's economies and societies.
Globalement, les perspectives actuelles suggèrent que des problèmes climatiques potentiellement graves ne devraient pas se produire avant la fin du 21ème siècle ou peut-être au-delà avec les taux de demande énergétique prévus. Cela devrait donner le temps de résoudre les incertitudes concernant le cycle global du carbone et la contribution de la combustion des combustibles fossiles, ainsi que le rôle des océans en tant que réservoir de chaleur et de dioxyde de carbone. Cela devrait également permettre de mieux définir l'effet du dioxyde de carbone et d'autres gaz absorbant l'infrarouge sur le climat de surface. Il serait prématuré de procéder à des changements significatifs dans les modes de consommation d'énergie actuels pour faire face à ce problème potentiel, étant donné toutes les incertitudes scientifiques, compte tenu de l'impact grave que ces mesures pourraient avoir sur les économies et les sociétés du monde.
Ainsi soit on diminue nos émissions, et on se casse la figure économiquement, soit on continue sur notre lancée et on pourrit la vie de notre descendance (que ce soit d'ici 2100 ou plus tard peu importe, notre descendance va morfler)

Bien sûr il faut se replacer dans le contexte de l'année 1982, à l'époque la science climatique en était encore à ses balbutiements et c'est bien pour cela que le GIEC fut créé quelques années plus tard, afin de rassembler toute la littérature scientifique et en faire une synthèse ; depuis lors la connaissance a bien évolué et certains passages du mémo de Glaser font sourire (entre autres élucubrations, l'homme dans son immense génie trouvera la solution aux problèmes qu'il s'est lui-même créés, ce n'est donc pas la peine de se presser maintenant alors que la science est « incertaine »)

Les climatosceptiques critiquent les projections du GIEC, et je serais bien curieux de savoir ce qu'ils pensent de ce genre de « prédiction » sortie du mémo d'Exxon :


CROISSANCE DU CO2 ATMOSPHERIQUE ET AUGMENTATION DE LA TEMPERATURE GLOBALE MOYENNE EN FONCTION DU TEMPS

Donc en 2100 concentration du CO2 dépassant les 600ppm et température supérieure de plus de trois degrés par rapport à 1982, nous sommes loin des 2°C de la COP21 (sans parler des 1,5°...) par rapport à l'ère préindustrielle !

Plus tard, en 1988, c'est un rapport de Shell, « confidentiel », qui donnait des informations sur l'effet de serre (sans parenthèses cette fois-ci) ; là-aussi le résumé en dit long sur ce que les pétroliers savaient parfaitement à l'époque :

Résumé du rapport de Shell sur l'effet de serre (source documentcloud)

En réalité 1988 est l'année de publication, mais le rapport a en fait été finalisé deux ans auparavant, en avril 1986.

Ces deux rapports, bien entendu, furent soigneusement enterrés pendant de longues années ; celui de Shell fut découvert seulement en avril de cette année 2018 (voir insideclimatenews) et celui d'Exxon fuita en 2015 (voir theguardian)

Pour se venger, les climatosceptiques en sont réduits à ressortir régulièrement le fumeux climategate ou à en inventer d'autres, comme Tony Watts récemment, afin de tenter de « prouver » que les scientifiques truquent leurs données. Pathétique.



Lire :

6 commentaires:

  1. https://scienceofdoom.com/2018/03/26/californiaknew/#comments

    En particulier , le commentaire de l'auteur du blog :
    scienceofdoom
    It seems that many people don’t recognize satire.

    This article is tongue in cheek, a satirical jab at the entertaining #ExxonKnew campaign and current court case to sue said oil company and others: The People of the State of California v. BP P.L.C. et al.

    California knew everything that Exxon knew.
    – Manabe and Wetherald published their seminal paper: Thermal equilibrium of the atmosphere with a given distribution of relative humidity in 1967.
    – Ramanathan and Coakley published their paper: Climate Modeling through Radiative-Convective Methods in 1978.
    – 1000s of other papers added to the analysis.
    – Eminent meteorologist Jule Charney and colleagues produced a paper at the request of the National Research Council in 1979 and stated: “We estimate the most probable global warming for a doubling of CO2 to be near 3°C with a probable error of ± 1.5°C.” (see note 1)
    – James Hansen gave his testimony on global warming to the Senate committee on Energy and Natural Resources in 1988.

    There are no secrets here (see note 2).

    Why did California burn fossil fuel in that case?

    People sue thyself.


    Notes:
    1. Luckily this wide range from 1979 has more recently been narrowed down to 1.5-4.5’C.
    2. Except the secrets of what globally averaged warming we will actually get from doubling of CO2 (see note 1), how that will affect a region like California in temperature change, what rainfall changes will occur in California (climate models don’t agree whether doubling CO2 will result in less rain, more rain or the same rain for the state), whether the devastating effects of sea level rise will be because of the 0.3m rise (bottom end of the IPCC range) or the horrors of the 0.6m rise (top end of the IPCC range).

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    1. Ah BenHague, mon petit BenHague, j'admire vos efforts à tenter par tous les moyens possibles et imaginables de trouver la petite faille dans mes articles qui va vous persuader que j'écris n'importe quoi, malheureusement encore une fois j'ai le regret de vous dire que vous êtes à côté de la plaque (car j'imagine que votre commentaire qui se borne à copier/coller un commentaire de SoD est censé mettre à bas mon propre billet de blog, je me trompe ?)

      Tout d'abord SoD informe ses lecteurs que son article était une satire, car de toute évidence beaucoup l'on pris au premier degré ; un de ses lecteurs lui dit d'ailleurs : « Satire only works if the target can be forced to appreciate the absurdity of their argument…. ‘the Irish should eat their own children’ was effective satire. Some will appreciate your humor, but I suspect almost none of those who most need to. »

      Il faut dire que l'article de SoD a tout d'un article biaisé, car dire que « la Californie » savait tout depuis des décennies pour dédouaner Exxon d'avoir caché ses informations au public est quand même fort de café à première lecture.

      En réalité seules quelques personnes bien placées savaient de quoi il retournait, des politiques, des scientifiques bien sûr, mais le grand public, l'homme de la rue, ignorait tout des travaux d'Exxon, et le fait que les édiles californiens n'aient rien fait pour atténuer le RCA alors qu'« ils savaient tout » n'excuse en rien la turpitude des dirigeants des compagnies pétrolières qui ont soigneusement mis sous le tapis des informations qu'ils auraient pu rendre publiques afin d'informer la population ; mais on voit bien les limites de l'exercice : comment un pétrolier pourrait-il se tirer une balle dans le pied en avouant que l'utilisation de ses produits entraine des conséquences fâcheuses…

      Evidemment il est cocasse de voir maintenant l'Etat de Californie porter plainte contre Exxon, cependant on peut quand-même remarquer que les politiques d'aujourd'hui ne sont pas les mêmes que du temps où le mémo d'Exxon est sorti (confidentiellement s'entend) et qu'aujourd'hui la Californie est pionnière dans l'utilisation des énergies renouvelables ; les politiques d'aujourd'hui n'ont pas à assumer les erreur de ceux d'hier, il est donc normal qu'ils se battent avec les armes légales à leur disposition.

      Un lecteur commente d'ailleurs : « I am not sure what the intent of this is. So what if California politicians knew before? California has one of the best programs now. Is the intent to gather up old politicians and sue them? What will this accomplish? It seems acrimonious, when we should be encouraging and learning from California.
      Also, lots of states and the Federal Government knew before. What is the reason for picking on California? Pick on Scott Pruitt. »

      Ce commentaire est bien plus argumenté que certains et résume assez bien le problème à mon avis, mais il vous avait sûrement échappé.

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  2. "ScienceofDoom
    Perhaps the people of northern California should be suing themselves, Exxon, and people who write blogs which identify uncertainties – for the upcoming increase in rainfall.

    While people in Southern California should be suing themselves, Exxon, and people who write blogs which identify uncertainties – for the upcoming decrease in rainfall.

    People in central California should be suing themselves, Exxon, and people who write blogs which identify uncertainties – for being left out due to the likely lack of any change in rainfall."

    Quel est selon vous l'opinion du blogueur ScienceofDoom sur le mouvement #ExxonKnew ?

    a) Il soutient totalement cette initiative
    ou
    b) il trouve cette initiative totalement stupide

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    1. Peut-être a-t-il la même opinion que la mienne : ni a) ni b), il doit la juger inutile, car avec peu de chances (pour ne pas dire aucune) d'aboutir sur le plan légal, cependant avec un impact sur le public lui permettant d'être informé des turpitudes des pétroliers.

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  3. Apparemment le New York Times trouve aussi que ce mouvement #ExxonKnew n'est pas fondé :

    https://www.nytimes.com/interactive/2018/08/01/magazine/climate-change-losing-earth.html?rref=collection%2Fsectioncollection%2Fmagazine&action=click&contentCollection=magazine&region=stream&module=stream_unit&version=latest&contentPlacement=1&pgtype=sectionfront#main

    "Everyone knew — and we all still know"

    Pas seulement "quelques personnes bien informés"

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    1. Ah bon, parce que vous croyez que le public était informé comme pouvaient l'être les responsables d'Exxon, de Shell, ainsi que beaucoup de politiques qui n'ont pas jugé bon de parler d'un problème pas vendeur sur le plan électoral ?

      Aujourd'hui oui, je suis d'accord, tout le monde sait, par contre je peux vous certifier que dans les années 60-70 le changement climatique n'était vraiment pas un sujet de conversation dans les familles ou à la télévision ; dans les années 60 c'était la course à la Lune et dans les 70 nous étions encore dans les trente glorieuses finissantes avec des airs de guitare électrique et des relents de marijuana, pendant ce temps des scientifiques avaient déjà identifié les risques du RCA mais personne, vous entendez, personne n'était au courant à part quelques privilégiés ; c'est dans les années 80 qu'on a commencé à voir le sujet apparaitre très timidement, je vous rappelle qu'il a fallu attendre 1988 et l'audition de James Hansen pour que le sujet du changement climatique commence à être vraiment évoqué, au compte goutte, dans les médias.

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