jeudi 20 septembre 2018

Florence, pas la ville, l'autre phénomène...

Pendant que je crapahutais en Corse l'ouragan Florence progressait et faisait parler de lui (ou d'elle, on ne sait plus de quel genre on parle avec ces noms féminins s'appliquant à des phénomènes atmosphériques masculins)

Une question revient périodiquement quand on évoque les ouragans : est-ce que le réchauffement climatique est à l'origine de davantage d'ouragans et autres évènements extrêmes ?

Disons-le tout de suite, cette question est très mal posée, elle peut même être qualifiée d'idiote ; la véritable question pertinente est celle-ci : est-ce que le réchauffement climatique peut amplifier des évènements extrêmes comme les ouragans et aggraver leurs conséquences ?

A cette question le simple bon sens, allié à un minimum de connaissances en physique/chimie, permet de répondre assez facilement.

Une atmosphère plus chaude peut contenir davantage d'humidité, ce qui est illustré dans cet article de Météo-France :

Lien entre température et contenu en vapeur d'eau d'une particule d'air.

Un autre site nous donne la courbe du point de rosée, soit « la température à laquelle l’humidité d’un gaz, comme l’air, se condense ou se liquéfie pour former des gouttelettes d’eau », ce qui est une autre façon de représenter la même chose :
Evolution du point de rosée en fonction de la température, source philippe.berger

Il n'y a pas photo, plus la température augmente, plus l'air peut se charger en humidité, ce qui explique que des endroits de la planète comme la forêt amazonienne ou celles d'Afrique équatoriale ainsi que celles d'Asie du sud-est soient si arrosés, le taux d'humidité pouvant frôler les 100% c'est-à-dire le seuil de saturation, le moment où la pluie ne peut que tomber et noyer le plancher des vaches sous des torrents d'eau.

Evidemment chaleur extrême ne veut pas dire automatiquement humidité extrême, il faut quand même que les courants atmosphériques soient de la partie et apportent leur humidité avec eux, ce qui explique que le désert d'Atacama, bien que très chaud, soit l'endroit le plus sec de la planète ; si la cordillère des Andes venait à disparaitre par un coup de baguette magique, le désert d'Atacama deviendrait immédiatement aussi arrosé que l'Amazonie et une épaisse forêt ne tarderait pas à s'y développer !

Pour ce qui concerne les ouragans du type de Florence, ils se développent au large des côtes africaines et décrivent « normalement » une large boucle en forme d'épingle à cheveux qui les fait passer, en principe, au large des Etats-Unis pour se diriger vers l'Europe du Nord ; la plupart des ouragans suivent d'ailleurs ce schéma et on n'en parle jamais dans les médias, car ils ne font aucune victime, ou si peu que ce n'est pas la peine d'en parler…

Ainsi l'an dernier, en septembre-octobre 2017, l'ouragan Maria, bien que qualifié de « quatrième ouragan majeur de la saison cyclonique 2017 » et « deuxième ouragan de catégorie 5 après l'ouragan Irma survenu une semaine auparavant » (source Wikipédia) n'a fait « que » 3057 morts et « seulement » près de 100 millions de dégâts en dollars ; mais il est vrai que les morts étaient essentiellement des Porto (mince alors encore…)-(amé)Ricains et par conséquent Trump était satisfait et pouvait minimiser l'incident.

L'explication du nombre de morts minime (l'ouragan aurait pu faire bien davantage de victimes s'il était « entré » dans les Etats-Unis…) se trouve dans cette carte :

Parcours de l'ouragan Maria (source wikipedia)

Cet ouragan aurait de toute évidence été bien plus dévastateur s'il n'avait pas suivi le chemin « normal » que je décrivais plus haut.

Faisons d'ailleurs un petit retour en arrière afin d'observer le parcours des ouragans de chaque saison.

Saison 2017 (wikipedia [...] Saison_cyclonique_2017)
Saison 2016 (wikipedia [...] Saison_cyclonique_2016)
Saison 2015 (wikipedia [...] Saison_cyclonique_2015)
Saison 2014 (wikipedia [...] Saison_cyclonique_2014)
Saison 2013 (wikipedia [...] Saison_cyclonique_2013)
Saison 2012 (wikipedia [...] Saison_cyclonique_2012)

Pas la peine d'aller plus loin en arrière, nous rencontrons chaque fois plus ou moins le même schéma général, à savoir que beaucoup d'ouragans se perdent dans l'Atlantique nord sans toucher les côtes, maintenant intéressons-nous à deux ouragans en particulier, Florence pour 2018 et Harvey pour 2017.

Florence (wikimedia)
Harvey (wikimedia)

Le moins que l'on puisse dire est qu'on dirait que ces deux ouragans se sont ingéniés à percuter les Etats-Unis et à y rester le plus longtemps possible afin de faire un maximum de dégâts, liés notamment aux trombes d'eau qui se sont abattues sur les régions traversées.

Les deux caractéristiques remarquables de ces deux ouragans sont les suivantes :
  1. ils sont allés très loin en ligne droite au lieu de faire leur demi-tour « habituel » au large des côtes ;
  2. ils ont évolué plus lentement que d'« habitude », noyant ainsi les régions traversées sous des quantités d'eau exceptionnelles (malgré le fait par exemple que Florence ait été rétrogradé en catégorie 1 en touchant la Caroline, puis obtint le simple statut de dépression tropicale)
Pourtant 2018 devait être une saison « calme » sur le plan des ouragans, puisque nous sommes dans une situation ENSO neutre avec une légère tendance El Niño pour la fin de l'année, comme nous l'indiquait Inside Climate News début août :
With cooler sea surface temperatures in the Atlantic Ocean and a 70 percent chance El Niño will form, federal forecasters now expect a below normal hurricane season. 
Avec des températures de surface de la mer plus fraîches dans l'océan Atlantique et une probabilité de 70% que El Niño se forme, les prévisionnistes fédéraux s'attendent maintenant à une saison des ouragans inférieure à la normale.
Mais Michael Mann nous rappelle que la saison 2017 avait déjà subi trois ouragans majeurs avec chacun leurs spécificités :
  1. Irma, le plus puissant des ouragans jamais observés dans l'Atlantique nord ;
  2. Maria, qui a dévasté l'ile de Porto Rico dans sa quasi totalité ;
  3. Harvey, ayant causé les pires inondations de l'histoire des Etats-Unis.
Et de noter que l'année 2018, malgré son caractère « calme », pourrait être la deuxième année, après 1971, à se targuer d'avoir connu, en même temps, cinq tempêtes tropicales dans l'Atlantique nord.

Mann se demande ce qui a pu se passer en cette année 2018 qui devait donc pourtant être si « calme » mais se révèle finalement dévastatrice avec Florence ; il remarque qu'une vague de chaleur (heat wave = canicule) en ce début d'automne (automne météorologique qui commence le 1er septembre) a réchauffé les eaux de l'ouest Atlantique en faisant référence à un article de la NOAA daté du 8 septembre :
For several weeks, sea surface temperatures in the western North Atlantic Ocean have been running significantly above normal.
Pendant plusieurs semaines, les températures de la surface de la mer dans l'ouest de l'Atlantique Nord ont considérablement dépassé la normale.
Il ajoute que ces vagues de chaleur deviennent de plus en plus fréquentes à mesure que les océans continuent de se réchauffer et conclut :
All else being equal, warmer oceans mean more energy to intensify tropical storms and hurricanes.
Toutes choses étant égales par ailleurs, des océans plus chauds signifient plus d’énergie pour intensifier les tempêtes tropicales et les ouragans.
Mais il continue en rappelant qu'en matière de dégâts, c'est-à-dire quand les ouragans « touchent terre », peu importe leur nombre et leur intensité en pleine mer :
But when it comes to coastal threat, it hardly matters how many tropical storms there are over the course of the season. A single landfalling hurricane can wreak havoc and destruction. Think Katrina in 2005, Irene in 2011, Sandy in 2012, either Harvey or Maria in 2017 and now Florence in 2018. 
Mais en ce qui concerne la menace côtière, peu importe le nombre de tempêtes tropicales au cours de la saison. Un seul ouragan peut provoquer des ravages et des destructions. Pensez à Katrina en 2005, Irene en 2011, Sandy en 2012, Harvey ou Maria en 2017 et maintenant Florence en 2018.
Et à partir de là vient le problème de la question mal posée que j'évoquais en début de billet :
In this sense, the sometimes fractious debate about whether we’ll see more or fewer storms in a warmer world is somewhat misplaced. What matters is that there is a consensus we’ll see stronger and worse flood-producing storms – and, in fact, we’re seeing them already. That brings us to Hurricane Florence: a climatologically-amplified triple threat.
En ce sens, le débat parfois frivole sur le fait de savoir si nous verrons plus ou moins de tempêtes dans un monde plus chaud est quelque peu déplacé. Ce qui compte, c’est qu’il y ait un consensus sur le fait que nous assisterons à des tempêtes plus puissantes et produisant des crues plus fortes et plus graves - et, en fait, nous les voyons déjà. Cela nous amène à l’ouragan Florence : une triple menace amplifiée par la climatologie.
Les trois menaces sont les suivantes :
  1. les dommages dus au vent ;
  2. les dommages dus aux ondes de tempêtes, bien plus graves que ceux occasionnés par la première menace ;
  3. enfin les dommages causés par les inondations à l'intérieur des terres.
Pour le dernier point Mann rappelle que :
for each 1C of warming, there is about 7% more moisture in the air. That means those 1.5C-above-normal ocean temperatures have given the storm about 10% more moisture. All other things being equal, that implies about 10% more rainfall.
pour chaque degré (Celsius) de réchauffement, il y a environ 7% d'humidité en plus dans l'air. Cela signifie que les températures océaniques de 1,5 ° C au-dessus de la normale ont donné à la tempête environ 10% d’humidité en plus. Toutes choses égales par ailleurs, cela implique environ 10% de précipitations en plus.
Mais ce n'est pas le fin mot de l'histoire, car tant Harvey que Florence ont eu ceci de particulier par rapport aux ouragans « normaux » : 
What made Harvey a record flooding event last year and makes Florence such a flooding threat now, is the slow-moving nature of the storm. The slower the storm moves, the more rainfall that accumulates in any one location and the more flooding you get. Such was the case with other devastating storms such as Harvey or 2011’s Hurricane Irene that caused historic flooding in my own state of Pennsylvania.
Ce qui a fait de Harvey une inondation record l’année dernière et qui fait de Florence une menace d’inondation maintenant, c’est la lenteur de la tempête. Plus la tempête se déplace lentement, plus il y a de précipitations qui s'accumulent à un endroit donné et plus il y a d'inondations. C’est le cas d’autres tempêtes dévastatrices telles que Harvey ou l’ouragan Irene de 2011, qui ont provoqué des inondations historiques dans mon propre pays, la Pennsylvanie.
J'ai également lu, sans pouvoir remettre la main dessus, un article expliquant que le « point froid » situé au sud du Groenland expliquerait, par les hautes pressions qu'il génère, le ralentissement pouvant aller jusqu'au blocage des ouragans sur le territoire américain, les empêchant de se diriger « normalement » vers l'est ; si un lecteur généreux peut me confirmer cela avec la source je lui serais éternellement reconnaissant.

Mais à côté de la science nous savons qu'il existe l'alter-science, la science de l'autre univers parallèle dans lequel évoluent des gens comme Benoit Rittaud ou Roy-"Fox News"-Spencer ; celui-ci se vante sur son blog d'avoir mouché le nez de Bill Nye et James Hansen dans un billet qui restera dans les annales (My Tucker Carlson Interview Last Night, and Calling Out Bill Nye & James Hansen), mais il se fend également d'un article dans USA Today qui demeurera à son passif jusqu'à la fin de sa carrière (et certainement au-delà), dans lequel il nous dit en titre que « L'ouragan Florence n'est pas le changement climatique ou le réchauffement climatique. C'est juste la météo. », ce qui confirme la qualification que lui donne Fox News, à savoir météorologiste :

Roy Spencer, le nouveau présentateur météo de Fox News ?

Moi qui pensais naïvement que Spencer pouvait se prévaloir du titre de climatologue, voilà en fait qui explique ses accointances avec Anthony Watts, un ancien monsieur météo de télévision finissant sa carrière en tenant un pitoyable blog dédié aux admirateurs de Trump et consorts.

Comme on pouvait s'y attendre Roy Spencer se fait remonter les bretelles et remettre à sa place par le site Climate Feedback qui juge son intervention dans USA Today bien au-dessous de la moyenne, avec un piteux -1,5 de fiabilité :

Four scientists analyzed the article and estimated its overall scientific credibility to be ‘low’ to ‘very low. A majority of reviewers tagged the article as: , , . Quatre scientifiques ont analysé l’article et ont estimé que sa crédibilité scientifique globale était «faible» à «très faible». Une majorité de réviseurs ont marqué l'article comme suit: tendancieux, raisonnement erroné, trompeur.

Parmi les quatre scientifiques ayant corrigé la copie de l'élève Spencer, Kerry Emanuel, considéré comme un expert dans les mouvements atmosphériques et les cyclones tropicaux, répond à plusieurs des affirmations gratuites sorties du chapeau (de clown ?) de Spencer ; quand Spencer écrit :
If humans have any influence on hurricanes at all, it probably won’t be evident for many decades to come.
Si les humains ont une influence sur les ouragans, cela ne sera probablement pas évident avant plusieurs décennies.
Kerry Emanuel lui répond :
In many metrics, it is already evident (e.g. for rain*). Waiting for the signal to emerge unambiguously before acting would be foolish, particularly when, by then, it would be too late. No battlefield general would ever take such a position. Damage and loss of life from weather hazards is done mainly by events rare enough that human society has not adapted to them. The incidence of such rare events is affected disproportionately by climate change, even while changes in such rare events are, by definition, hard to detect in historical data. Mitigating risk means acting on the best available evidence, and the best scientific evidence available suggest that hurricane risks will increase quite substantially as the climate warms.
Dans de nombreux paramètres, cela est déjà évident (par exemple pour la pluie *). Attendre que le signal émerge sans ambiguïté avant d’agir serait insensé, en particulier lorsque, d’ici là, il serait trop tard. Aucun général du champ de bataille ne prendrait jamais une telle position. Les dommages et les pertes de vie dus aux aléas climatiques sont principalement causés par des événements suffisamment rares pour que la société humaine ne s'y soit pas adaptée. L'incidence de tels événements rares est affectée de manière disproportionnée par le changement climatique, même si les changements dans de tels événements rares sont, par définition, difficiles à détecter dans les données historiques. Atténuer les risques signifie agir sur les meilleures données disponibles, et les meilleures preuves scientifiques disponibles suggèrent que les risques d’ouragans augmenteront considérablement avec le réchauffement climatique.
Comme on le voit quand un benêt climatosceptique écrit une ânerie en tout juste deux lignes, cela en demande au minimum quatre à cinq fois plus à un véritable expert pour réfuter l'ânerie en question ; pas étonnant que les climatosceptiques médiatisés aient autant de succès auprès de personnes qui, comme l'explique Daniel Kahneman, ont l'habitude de « penser vite » du moment que cela leur évite des efforts qu'ils jugent inutiles puisqu'ils ont déjà tout compris.

L'astérisque après le mot « pluie » dans la réponse de Kerry Emanuel renvoie à cette étude de novembre 2017, Assessing the present and future probability of Hurricane Harvey’s rainfall, dont voici le résumé :
We estimate, for current and future climates, the annual probability of a really averaged hurricane rain of Hurricane Harvey’s magnitude by downscaling large numbers of tropical cyclones from three climate reanalyses and six climate models. For the state of Texas, we estimate that the annual probability of 500 mm of area-integrated rainfall was about 1% in the period 1981–2000 and will increase to 18% over the period 2081–2100 under Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC) AR5 representative concentration pathway 8.5. If the frequency of such event is increasingly linearly between these two periods, then in 2017 the annual probability would be 6%, a sixfold increase since the late 20th century.
Nous estimons, pour les climats actuels et futurs, la probabilité annuelle d’une pluie d’ouragans moyennement élevée selon l’ampleur de l’ouragan Harvey en réduisant considérablement un grand nombre de cyclones tropicaux à partir de trois réanalyses climatiques et de six modèles climatiques. Pour l'État du Texas, nous estimons que la probabilité annuelle de 500 mm de précipitations intégrées à la surface était d'environ 1% entre 1981 et 2000 et atteindrait 18% entre 2081 et 2100 dans le cadre de la concentration représentative du scénario 8.5 du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Si la fréquence d'un tel événement est de plus en plus linéaire entre ces deux périodes, alors en 2017, la probabilité annuelle serait de 6%, soit une multiplication par six depuis la fin du 20ème siècle.
Cette étude a bien évidemment été revue et approuvée par les pairs, contrairement aux objections télévisuelles d'un Roy Spencer ou aux vaticinations d'un Benoit Rittaud prévoyant en janvier 2010 une prochaine chute brutale des températures que nous attendons encore huit ans plus tard.

Et comme le disait le premier commentateur du billet prémonitoire de notre mathématicien déboussolé, un certain Laurent Berthod :
Je cite l’article :

« Il reste que, contrairement aux prévisions du GIEC, la température de la Terre a brutalement chuté depuis trois ans »

C’est-ce que, dans son article du Mail Online, dit Richard North à propos des derniers hivers en Grande-Bretagne. J’ai moi-même observé un hiver un peu plus froid chaque année ces trois dernières années dans le nord Vaucluse. J’en ai fait un petit article humoristique sur mon blog, avec quand même dans l’idée de susciter quelques doutes chez mes lecteurs sur ce que racontent les réchauffistes.
Car c'est ben vrai ça, quand il fait froid dehors en plein hiver c'est ben que le réchauffement climatique c'est rien que des bêtises ma pauvre dame !

Le prochain âge de glace va faire beaucoup d'heureux, surtout dans les salles de cinéma !

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