mercredi 8 mai 2019

Vous reprendrez bien un peu de glaciers qui fondent ?

Nous avons vu précédemment trois énergumènes qui s'échinaient à vouloir nous démontrer que la température marquait le pas dans les Alpes et que l'enneigement augmentait depuis une trentaine d'années en hiver (voir ici, ici et ici dans les commentaires), mais comme je l'ai déjà dit dans L'avis d'un skieur suisse il vaut mieux demander à un véritable spécialiste de donner son avis sur la question plutôt que de se fier à des rigolos dont l'un d'entre eux se base sur ses impressions personnelles devant le pas de porte de sa maison pour juger de l'évolution du climat sur le long terme.

Comme on peut éventuellement objecter que l'avis d'un skieur professionnel qui pratique sa discipline un peu partout dans le monde n'a pas vraiment de caractère « scientifique », alors que dire quand c'est un glaciologue tel que Christian Vincent qui s'exprime sur le sujet ?

Si vous tapez « Christian Vincent » sur Google Scholar vous obtenez...1 790 000 résultats ! Il est donc préférable de rajouter le mot glacier et vous n'en avez plus que…10 400 !

Nous avons donc affaire à quelqu'un que l'on peut raisonnablement qualifier de spécialiste du sujet si l'on considère que le sujet qui nous intéresse ici est la santé des glaciers.

Christian Vincent est d'ailleurs basé à Grenoble, au Laboratoire de glaciologie et de géophysique de l'environnement (LGGE), il est donc entouré de montagnes et n'a pas beaucoup de route à faire pour juger de l'état de certains glaciers.

Il est à noter que, comme le souligne Wikipédia, « La réputation scientifique du LGGE4 s'est faite avec la reconstitution de l'évolution des climats depuis 800 000 ans, grâce à l'analyse en 1978, par Claude Lorius et son équipe, des gaz traces issus de l'atmosphère terrestre piégée dans les glaces de l'Antarctique près de la base antarctique Concordia. Ils sont également leaders dans la chimie de l'atmosphère et la surveillance des glaciers des Alpes françaises (service d'observation GLACIOCLIM »

Concernant ce dernier site, GLACIOCLIM, voici ce que nous dit la présentation :
[…] le "Service National d’Observation" GLACIOCLIM (SNO/INSU) assure le suivi de neuf sites dans le monde (Alpes, Andes et Antarctique), auxquels s’ajoutent deux glaciers (Népal et Pyrénées) dans le contexte du "Systèmes d’observation et d’expérimentation au long terme pour la recherche en environnement" CRYOBSCLIM (SOERE/All’envi) . Ces sites représentent des zones climatiques variées.
Donc Christian Vincent a une vue d'ensemble sur des « zones climatiques variées » qui sont représentées par pas moins de onze glaciers répartis sur toute la planète, on peut donc lui faire confiance, il sait de quoi il parle s'il parle de glaciers.

 Et justement, il n'y a pas longtemps, c'était le 19 avril dernier, il a été possible de l'entendre parler des glaciers sur France Inter dans l'émission d'Axel Vidard, La une de la science, intitulée Les neiges éternelles vont bientôt disparaitre (on remarquera l'absence de point d'interrogation…)

Alors écoutons-le attentivement (extraits)

Introduction (paroles d'un guide de haute montagne)
Au début on ne se rendait pas trop compte […] l'été on avait toujours de la neige sur le glacier […] fin des années 70 jusqu'au début 80 on avait de la neige sur les glaciers, des neiges éternelles, et puis au milieu des années 80 on a vu cette neige commencer à fondre, chaque été de plus en plus, et maintenant chaque été on est quasiment à la glace, tout le temps.
Ce témoignage d'un non-scientifique est à rapprocher de celui du skieur suisse Daniel Yule, ce sont deux pratiquants en milieu montagnard qui font part de leur vécu personnel, la question étant de savoir si ce vécu est confirmé par un scientifique tel que Christian Vincent, nous allons voir cela très rapidement.

1:18
Ça fait longtemps [des sommets sans glace et sans neige l'été dans les Alpes] parce que au cours de l'Holocène, donc au cours de la période chaude que l'on vit actuellement, donc depuis la fin de la dernière glaciation où il y a eu des fluctuations des glaciers alpins, il y en a eu pas mal, mais depuis quelques centaines d'années il y a toujours eu des glaciers sur les Alpes et sur les autres continents.
Le glaciologue fait un très court résumé de l'historique, il n'a évidemment pas le temps de développer (l'émission ne dure que 7 minutes…), mais on comprend très bien qu'il faut remonter très loin dans le temps pour retrouver la situation actuelle et, surtout, la situation telle qu'elle se présente dans un très proche avenir…

1:55
Les 94% dont vous parlez [d'après le scénario pessimiste d'une étude suisse à laquelle Axel Vidard fait référence] correspondent effectivement à un scénario pessimiste, en fait l'étude des Suisses révèle l'évolution future des glaciers alpins d'ici la fin du 21ème siècle et ils ont utilisé pour cela différents scénarios climatiques qui correspondent à différents scénarios d'émissions de gaz à effet de serre, donc il y a un scénario optimiste, un scénario moyen et puis un scénario pessimiste, le scénario pessimiste correspond à la politique du laisser-faire et suivant ce scénario pessimiste effectivement les glaciers devraient perdre près de 95% de leur masse d'ici 2100, les glaciers dans les Alpes hein, [et si on essaye d'être optimiste] on est près de 60% pour le scénario optimiste, dans tous les cas ça va engendrer de très fortes pertes ; de notre côté on a simulé aussi des glaciers dans le massif du Mont Blanc ou dans d'autres massifs et on trouve à peu près la même chose ; le deuxième glacier le plus grand en France, Argentière, risque de disparaitre avant 2100.
Le glacier d'Argentière cela me parle puisque j'ai gravi l'aiguille d'Argentière dans les années 1980 et que mon souvenir est toujours (j'ai des photos quelque part, faudrait que je les retrouve, mais à l'époque on faisait essentiellement des diapos...) celui d'un très long glacier bien rempli et en excellente santé, en tout cas à l'époque on ne parlait pas de réchauffement climatique et de risque de perte des glaciers à l'horizon 2100. Donc même si nous faisions les efforts que nous nous avérons totalement incapables de fournir dans la réalité nous aurions quand même une perte de 60% de masse, inutile donc de dire que ces 60% correspondent à l'hypothèse basse de ce qui va arriver et que le mieux est d'imaginer une hypothèse tendant plutôt vers les quasi 100% de perte de masse glaciaire d'ici la fin de ce siècle (il devrait encore rester quelques morceaux englacés jalousement préservés comme on garde dans des parcs animaliers des espèces en voie d'extinction)

3:17
Par rapport à d'autres glaciers de la planète les Alpes sont fortement menacées, en fait il y a une très forte diversité régionale [...] il y a une autre étude qui est parue la semaine dernière sur la perte de masse des glaciers au cours des 50 dernières années qui montre globalement une perte de masse importante des glaciers qui contribue d'ailleurs assez fortement à l'élévation du niveau des mers […] mais ce qu'on voir aussi c'est que ces pertes de masse sont très différentes d'une région à l'autre, par exemple les glaciers d'Alaska ont perdu 1 mètre d'épaisseur de glace par an au cours de la dernière décennie, c'est à peu près similaire à ce qui se passe dans les Alpes, en Patagonie c'est à peu près la même chose, mais dans d'autres régions du monde il y a des pertes beaucoup moins importantes, par exemple dans la chaine himalayenne en moyenne les glaciers perdent 20 centimètres par an, ce qui est faible en comparaison des Alpes […] sur la chaine himalayenne le chiffre que je vous donne, une perte de 20 centimètres par an, c'est pas du tout homogène sur la chaine himalayenne, ils perdent beaucoup plus dans l'est de la chaine himalayenne que dans l'ouest de la chaine himalayenne, et même dans l'ouest de la chaine himalayenne, dans par exemple le massif du Kunlun, c'est au nord du Karakorum, les bilans masse, les pertes de masse sont très faibles, presque de zéro, donc pour vous dire qu'il y a une diversité régionale qui est très importante, ce qui n'empêche pas que l'on voit une tendance au réchauffement un peu partout.
Evidemment quand un climatosceptique va évoquer le sujet des glaciers il va tout naturellement parler des glaciers de l'Himalaya qui ne perdent pas de masse, nous en avons un magnifique exemple avec Contrepoints dans Selon les experts climatiques indiens, les glaciers de l’Himalaya ne fondent pas, à mourir de rire ou pleurer de désespoir devant tant de bêtise.

5:10
Les glaciers sont en fait un équilibre entre l'accumulation de neige et la fonte, c'est-à-dire qu'ils sont alimentés par les précipitations neigeuses, les précipitations solides, c'est comme ça qu'ils gagnent de la masse, et ils perdent de la masse par la fonte ; alors si les gains […], par l'accumulation de neige, compensent exactement les pertes par la fonte, le glacier est dans un état d'équilibre parfait, c'est-à-dire qu'il ne perd pas d'épaisseur, il s'écoule toujours à la même vitesse, etc. Ce n'est pas du tout le cas au cours des 30 dernières années, au cours des 30 dernières années les glaciers sont en très très fort déséquilibre et ce phénomène s'est accentué en fait au cours des 10 dernières années en particulier dans les Alpes, et là dans les Alpes on sait parfaitement pourquoi, c'est la fonte qui a fortement augmenté et cette accumulation de neige elle ne compense plus du tout les pertes.
Ce passage est spécialement dédié à nos trois zigotos qui croient dur comme fer que depuis 30 ans il y aurait une stagnation dans les Alpes en ce qui concerne l'enneigement ainsi que les températures, Christian Vincent dit exactement le contraire, il y aurait donc même une « accentuation » au cours des 10 dernières années du déséquilibre faisant pencher la balance vers davantage de fonte que d'accumulation de neige.

6:12
Ça va d'abord changer les paysages, bien sûr, en 30 ans la Mer de Glace a perdu 100 mètres d'épaisseur dans sa partie basse, sa longueur a diminué de 780 mètres, donc c'est des choses qui se voient pratiquement à l'oeil nu, quand on va sur la Mer de Glace d'année en année, un autre glacier du massif du Mont Blanc, le glacier des Bossons, a perdu plus de 1 kilomètre de longueur en 30 ans, donc ce sont des choses qui se voient, et en plus […] ça peut avoir des conséquences notamment des conséquences hydrologiques puisque ça va affecter le régime des rivières situées à proximité des massifs englacés.
Celui-là, de passage, est à l'attention de monsieur BenHague qui considérait comme une connerie les potentiels risques de pénurie d'eau dus à la future perte de masse des glaciers, ne me disait-il pas : « Quand (sic) á la pénurie d'eau en Europe á cause de la peu probable disparition des glaciers alpin , c'est plus de la plaisanterie , c'est de la connerie ….»

7:08
Pour un glacier de montagne typiquement Alpin il faut plusieurs centaines d'années pour reconstruire un glacier
Cela évidemment dans l'hypothèse hautement improbable où nous arrêterions dans les jours qui viennent toute émission de gaz à effet de serre afin de « refroidir la planète », ce qui évidemment n'arrivera pas avant longtemps car même en stoppant toute émission dès maintenant la planète continuerait de se réchauffer pendant de nombreuses décennies avant de trouver un équilibre puis de se mettre à refroidir lentement.


L'étude suisse dont il est question dans l'émission s'intitule Modelling the future evolution of glaciers in the European Alps under the EURO-CORDEX RCM ensemble et voici son résumé :
Glaciers in the European Alps play an important role in the hydrological cycle, act as a source for hydroelectricity and have a large touristic importance. The future evolution of these glaciers is driven by surface mass balance and ice flow processes, of which the latter is to date not included explicitly in regional glacier projections for the Alps. Here, we model the future evolution of glaciers in the European Alps with GloGEMflow, an extended version of the Global Glacier Evolution Model (GloGEM), in which both surface mass balance and ice flow are explicitly accounted for. The mass balance model is calibrated with glacier-specific geodetic mass balances and forced with high-resolution regional climate model (RCM) simulations from the EURO-CORDEX ensemble. The evolution of the total glacier volume in the coming decades is relatively similar under the various representative concentrations pathways (RCP2.6, 4.5 and 8.5), with volume losses of about 47 %–52 % in 2050 with respect to 2017. We find that under RCP2.6, the ice loss in the second part of the 21st century is relatively limited and that about one-third (36.8 % ± 11.1 %, multi-model mean ±1σ) of the present-day (2017) ice volume will still be present in 2100. Under a strong warming (RCP8.5) the future evolution of the glaciers is dictated by a substantial increase in surface melt, and glaciers are projected to largely disappear by 2100 (94.4±4.4 % volume loss vs. 2017). For a given RCP, differences in future changes are mainly determined by the driving global climate model (GCM), rather than by the RCM, and these differences are larger than those arising from various model parameters (e.g. flow parameters and cross-section parameterisation). We find that under a limited warming, the inclusion of ice dynamics reduces the projected mass loss and that this effect increases with the glacier elevation range, implying that the inclusion of ice dynamics is likely to be important for global glacier evolution projections.
Les glaciers des Alpes européennes jouent un rôle important dans le cycle hydrologique, constituent une source d'hydroélectricité et revêtent une grande importance touristique. L'évolution future de ces glaciers dépend des processus de bilan de masse en surface et d'écoulement de la glace, processus qui, à ce jour, ne sont pas explicitement inclus dans les projections régionales des glaciers pour les Alpes. Ici, nous modélisons l'évolution future des glaciers dans les Alpes européennes avec GloGEMflow, une version étendue du modèle mondial d'évolution des glaciers (GloGEM), dans laquelle le bilan de masse en surface et le flux de glace sont explicitement pris en compte. Le modèle de bilan de masse est calibré avec des bilans de masse géodésiques spécifiques à un glacier et forcé avec des simulations à haute résolution de modèles climatiques régionaux (MCR) à partir de l'ensemble EURO-CORDEX. L'évolution du volume total des glaciers au cours des prochaines décennies est relativement similaire sous les différentes voies de concentration représentatives (RCP2.6, 4.5 et 8.5), avec des pertes de volume d'environ 47% à 52% en 2050 par rapport à 2017. Nous trouvons que sous RCP2.6, la perte de glace dans la deuxième partie du 21e siècle est relativement limitée et qu’environ un tiers (36,8% ± 11,1%, moyenne multimodèle ± 1σ) du volume de glace actuel (2017) sera toujours présent en 2100. Sous l’effet d’un fort réchauffement (RCP8.5), l’évolution future des glaciers est dictée par une augmentation substantielle de la fonte en surface, et les glaciers devraient disparaître en grande partie d’ici à 2100 (perte de volume de 94,4 ± 4,4% par rapport à 2017). ). Pour un RCP donné, les différences dans les changements futurs sont principalement déterminées par le modèle climatique global (GCM), plutôt que par le RCM, et ces différences sont plus grandes que celles résultant de divers paramètres de modèle (par exemple, paramètres de flux et paramétrage de section transversale). Nous constatons que sous un réchauffement limité, l'inclusion de la dynamique de la glace réduit la perte de masse projetée et que cet effet augmente avec la plage d'élévation des glaciers, ce qui implique que l'inclusion de la dynamique de la glace sera probablement importante pour les projections d'évolution globale des glaciers.

Les trois scénarios considérés sont visualisés dans ce graphique :
Figure 2Debiased temperature anomaly (a: annual b: June–July–August) and debiased precipitation anomaly (c: annual and d: October–March) between 1950 and 2100 relative to 1961–1990 (horizontal dotted line). All values correspond to the mean over all grid cells used in this study, weighed by the glacier area (at inventory date) in every cell. The thick black line represents the evolution of the variables for observational period (E-OBS dataset). The coloured thin lines represent the evolution for individual RCM simulations from the EURO-CORDEX ensemble (51 in total; see Table S1), and the thick lines are the RCM simulation means (one per RCP).


Oublions le scénario RCP2.6 qui n'a aucune chance de se réaliser, la vérité se trouve entre le RCP4.5 et le RCP8.5 même si ce dernier semble lui aussi irréaliste ; en effet on peut penser que durant le 21ème siècle soit nous serons capables de limiter volontairement nos émissions en améliorant par exemple notre efficacité énergétique (i.e. employer moins d'énergie pour arriver au même résultat), soit nous les limiterons contraints et forcés suite par exemple à une succession de crises économiques du style 1929 ou 2008, voire pires que celles-ci.

Quoi qu'il en soit l'augmentation de températures sera de l'ordre de 3°C au minimum et si nous voyons une quasi stabilité des précipitations durant le 21ème siècle il va sans dire qu'avec une température qui augmente elles se produiront davantage sous forme de pluie que sous forme de neige, ce qui n'est évidemment pas favorable à la bonne santé de nos glaciers…

Pour ce qui est justement de l'état de ces glaciers à la fin du siècle, le graphique suivant nous en donne une idée :
Figure 13Future glacier volume evolution as simulated with (i) the dynamic model forced with an SMB calibrated to individual glaciers (standard run), (ii) the Δh parameterisation (Huss et al., 2010b) and (iii) the dynamic model, for which the SMB model component is calibrated with a region-wide MB estimate. Results are shown for glaciers longer than 1 km at inventory date and correspond to the multi-model values from RCM simulations from the EURO-CORDEX ensemble (for a given RCP).

Ici aussi nous pouvons ignorer les scénarios RCP2.6 et RCP8.5, et nous voyons que les prévisions pour 2100 ne sont pas franchement optimistes (et cela s'applique également au scénario RCP2.6 dit « optimiste »…)

Est-il nécessaire de continuer ?

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