mercredi 25 mars 2020

Retour sur une exponentielle en piteux état

Il est toujours bon de revenir sur le passé afin de ne pas oublier certaines choses, comme par exemple des prédictions ineptes.

Voici la courbe concernant la France à l'heure actuelle d'après le site elm :

France : Codiv-19 avec la fonction Gompertz + 10 jours (source elm.nsupdate.info)

L'axe des abscisses correspond au nombre de jours depuis le début de l'année, donc le 25 mars nous en sommes au jour 85, or le graphique semble s'arrêter au jour 82, soit au dimanche 22 mars, peu importe.

Maintenant laissez-moi tracer deux droites verticales :

Repérage des jours 64, 65 et 66 (les 4, 5 et 6 mars derniers)

Comme indiqué dans la légende ces deux droites verticales représentent les 4, 5 et 6 mars derniers ; alors vous me allez me demander : pourquoi avoir choisi cet intervalle de temps ?

Tout simplement pour vous rappeler l'article intitulé Coronavirus : décès et pyramide des âges dans lequel Benoit Rittaud nous parlait justement de ces trois dates en nous montrant le graphique suivant :

Graphique made in Rittaudland.

Les trois carrés de droite concernent, vous l'aurez deviné, les jours 64, 65 et 66, donc les 4, 5 et 6 mars, bien que monsieur Rittaud, mathématicien de son état, n'ait pas jugé utile de préciser ce que signifiait son axe des abscisses, ce qui fait qu'on ne sait pas ce que veulent dire les chiffres qui y sont mentionnés ; cependant son texte, daté du 6 mars, est sans ambiguïté, qui nous dit ceci :
Au 5 mars, le nombre total de décès en France causés par le coronavirus est de 6, un nombre qui, du point de vue statistique, ne peut pas être exploité. Le nombre de cas, lui, a augmenté de 92 en une journée, ce qui est tout à fait en ligne avec l’évolution de l’épidémie jusque là. Il y avait eu 81 nouveaux cas la veille, c’est-à-dire un nombre du même ordre.
Entre le 4 et le 5 le nombre de cas a donc augmenté de 92, ce qui correspond effectivement au passage de 200 à un peu moins de 300 ; et entre le 5 et le 6 nous avons bien une augmentation de 81, soit d'un peu moins de 300 à environ 375 (entre 350 et 400) ; nous en déduisons par conséquent que le 9 de Rittaud correspond au jour 64 (le 4 mars) et son 11 au jour 66 (le 6 mars, date de son billet)

Mais le plus intéressant est dans l'analyse que notre brillant mathématimancien faisait le 6 mars à la vue de ces quelques données :
Cette fois, ce sont les trois derniers jours qui sont en-dessous de l’interpolation exponentielle (il n’y en avait que deux hier), ce qui renforce l’éventualité que nous soyons désormais assez près du point d’inflexion de la logistique, selon un rythme normal. En un sens, il ne s’est donc rien passé aujourd’hui, seulement une évolution de l’épidémie qui n’a rien d’imprévisible et ne se prépare pas à atteindre des sommets catastrophiques. Nous devons rester vigilants, sans toutefois nous inquiéter plus que de raison.
Nous étions donc, d'après lui, « assez près du point d’inflexion de la logistique », commentaire qui prend toute sa saveur quand on constate comment la courbe a évolué depuis !

Dans son billet Rittaud n'explique pas ce qu'est une courbe logistique, il faut retourner sur un de ses billets précédents, Coronavirus : l’exponentielle adoucie, pour avoir des explications laborieuses qui montrent son génie en matière de vulgarisation.

Le mathématicien Etienne Ghys a publié dans Le Monde un article bien plus court, sans blablas et très explicatif, intitulé Epidémies : aplatir les exponentielles ; il nous explique notamment :
Dans une croissance logistique, le nombre de nouveaux cas de contamination est proportionnel au nombre de personnes déjà contaminées, mais aussi au nombre de personnes contaminables, c’est-à-dire qui n’ont pas déjà été contaminées. Heureusement, le nombre de personnes contaminables diminue au fur et à mesure de l’épidémie, et l’évolution s’infléchit.
Nous obtenons ainsi une courbe en cloche et non pas une exponentielle qui grandit jusqu'à l'infini, ce qui est évidemment ridicule étant donné que la population est finie, ce qui veut dire que si tout le monde était touché la courbe s'arrêterait alors automatiquement et chuterait brusquement au niveau zéro ; en fait l'ensemble de la population ne sera même pas touché, car la courbe s'infléchira bien avant que l'épidémie ait atteint tout le monde, et la courbe aura alors la forme d'une cloche (autrement appelée courbe de Gauss si je ne me trompe pas)

La courbe logistique tient compte du fait qu'il existe un nombre de personnes qui ne seront pas affectées par le virus et Ghys nous explique ce qui suit :
En formule, y’ = ay (1-y/b) où b désigne la population totale. Dans ce modèle, le nombre de nouveaux cas suit la courbe en cloche dessinée par le ministre. Une croissance exponentielle au début (quand le nombre de cas est encore petit), puis un maximum, et enfin une décroissance. Le seul paramètre sur lequel nous pouvons agir est ce coefficient « a » qui semble anodin, lié au nombre moyen de nos contacts. Lorsqu’on diminue « a », la courbe garde la même allure, mais elle s’aplatit. Certes le pic arrive plus tard, mais il sera moins haut. L’épidémie dure plus longtemps, mais elle est moins meurtrière. Voilà pourquoi il faut rester chez soi !
Le y’ à gauche de l'équation est « la dérivée […] du nombre de cas y [...] proportionnelle à y », ce qui donne l'équation de base de l'exponentielle :
 y’ = ay
Le petit a représente « le coefficient [qui] dépend du nombre moyen de contacts que nous avons » ; autrement dit si nous avons deux contacts (i.e. si nous contaminons deux personnes) nous avons la suite :

1, 2, 4, 8, 16, etc.

Si nous contaminons chacun non plus deux personnes mais trois, la suite devient :

1, 3, 9, 27, etc.

C'est ce qu'on appelle la « phase explosive » de l'épidémie qui correspond à son début et qui prend la forme d'une courbe exponentielle, jusqu'à ce que les choses se calment, que la courbe s'assagisse, arrive à un plateau pour redescendre ensuite jusqu'à extinction totale au bout « d'un certain temps ».

En effet Ghys nous précise ceci :
Dans une croissance logistique, le nombre de nouveaux cas de contamination est proportionnel au nombre de personnes déjà contaminées, mais aussi au nombre de personnes contaminables, c’est-à-dire qui n’ont pas déjà été contaminées. Heureusement, le nombre de personnes contaminables diminue au fur et à mesure de l’épidémie, et l’évolution s’infléchit.
Ce qui nous donne la formule suivante :

y’ = ay (1-y/b)

On voit tout de suite que par rapport à l'équation simple de l'exponentielle un nouveau facteur est apparu, le petit b qui représente la population totale.

Et Ghys d'insister sur le point clé à bien comprendre :
Le seul paramètre sur lequel nous pouvons agir est ce coefficient « a » qui semble anodin, lié au nombre moyen de nos contacts. Lorsqu’on diminue « a », la courbe garde la même allure, mais elle s’aplatit. Certes le pic arrive plus tard, mais il sera moins haut. L’épidémie dure plus longtemps, mais elle est moins meurtrière. Voilà pourquoi il faut rester chez soi !

Non ! Non, on ne doit pas rire de tout !

Et surtout, surtout, ne pas écouter ceux qui vous disent calmement :
il ne s’est donc rien passé aujourd’hui, seulement une évolution de l’épidémie qui n’a rien d’imprévisible et ne se prépare pas à atteindre des sommets catastrophiques.


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