mercredi 8 novembre 2017

Le point de vue des assureurs

Le New York Times, dans un article intitulé A Broke, and Broken, Flood Insurance Program (Un programme d'assurance en faillite, et en morceaux), nous conte les déboires des assurés Américains qui, de plus en plus, ne parviennent pas à se faire rembourser correctement leurs sinistres liés aux inondations dans ce doux pays que sont les USA (vous savez, ce pays où les armes circulent en grandes quantités et sont censées "protéger" les citoyens, du moins si l'on en croit monsieur Trump...)

L'article commence d'ailleurs très fort :
  • In August, when Hurricane Harvey was bearing down on Texas, David Clutter was in court, trying one more time to make his insurer pay his flood claim — from Hurricane Sandy, five years before.
    • En août, alors que l'ouragan Harvey s'abattait sur le Texas, David Clutter était au tribunal, tentant une fois de plus de faire payer à son assureur sa demande d'inondation, suite à l'ouragan Sandy, cinq ans auparavant.
La raison des problèmes des nombreux "David Clutter" (plus de 5 millions de ménages aux USA...) tient essentiellement au fait que les assureurs privés  refusent de couvrir les dégâts liés aux inondations, et c'est donc au secteur public qu'échoit la charge d'opérer ce genre de remboursement, via le National Flood Insurance Program (Programme national d'assurance contre les inondations) créé en 1968 ; ce programme oblige en principe les emprunteurs à s'assurer contre les risques d'inondations, les propriétaires ayant remboursé leurs emprunts étant donc libres de s'assurer ou non.

Pour diverses raisons (expliquées dans l'article de Wikipédia) les habitations dans les zones à risques sont davantage susceptibles d'être occupées par des personnes à bas revenus ou des infirmes ; par ailleurs, le Gouvernement subventionne et donc encourage ces habitants à résider dans ces zones à risques, ce qui entraine :
  • [...] properties that flooded 17 or 18 times that were still covered under the federal insurance program" without premiums going up.
    • [...] des propriétés qui ont été inondées 17 ou 18 fois et qui étaient toujours couvertes par le programme fédéral d'assurance «sans augmentation des primes».
Le problème est donc tout simplement que le programme en question se retrouve...en faillite, comme le précise le NYT :
  • The government-run National Flood Insurance Program is, for now, virtually the only source of flood insurance for more than five million households in the United States. This hurricane season, as tens of thousands of Americans seek compensation for storm-inflicted water damage, they face a problem: The flood insurance program is broke and broken.
    • Le programme national d'assurance contre les inondations, géré par le gouvernement, est pour l'instant la seule source d'assurance contre les inondations pour plus de cinq millions de foyers aux États-Unis. Cette saison des ouragans, alors que des dizaines de milliers d'Américains demandent à être indemnisés pour les dégâts causés par les tempêtes, ils font face à un problème : le programme d'assurance contre les inondations est en faillite (broke) et brisé (broken).
  • The program, administered by the Federal Emergency Management Agency, has been in the red since Hurricane Katrina flooded New Orleans in 2005. It still has more than a thousand disputed claims left over from Sandy. And in October, it exhausted its $30 billion borrowing capacity and had to get a bailout just to keep paying current claims.
    • Le programme, administré par l'Agence fédérale de gestion des urgences, est dans le rouge depuis que l'ouragan Katrina a inondé la Nouvelle-Orléans en 2005. Il reste encore plus d'un millier de revendications contestées provenant de Sandy. Et en octobre, il a épuisé sa capacité d'emprunt de 30 milliards de dollars et a dû obtenir un plan de sauvetage juste pour continuer à payer ses demandes d'indemnisation actuelles.
Un graphique présenté par le NYT est particulièrement éloquent :

By The New York Times | Source: Federal Emergency Management Agency. Note: Paid flood loss claims for 2017 are estimated.


La hausse des sinistres est bien connue et sans surprise : 
  • [...] relentless coastal development and the increasing frequency of megastorms [...]
    • [...] un développement côtier implacable et la fréquence croissante des méga tempêtes [...]
Le « développement côtier » est bien sûr à 100% de la responsabilité des hommes, quant à « la fréquence croissante des méga tempêtes » si le taux n'est pas de 100% il en est très proche.

Je passe sur les détails techniques du système d'assurance tel qu'il est actuellement et tel qu'il est envisagé pour remédier aux problèmes de bouclage financier, ce n'est pas vraiment le sujet de mon billet, ce qui est plus intéressant est de savoir ce que pensent les assureurs du risque climatique.

Les assureurs, et peut-être plus encore les réassureurs qui assurent les assureurs, ne sont pas par nature des petits plaisantins, ce sont des gens qui ont le souci de bien évaluer les risques, c'est leur métier, et en cela ils sont assez imperméables à toute tentative d'enfumage, même si bien sûr il peut leur arriver de commettre des erreurs, qui n'en commet pas ?

Ils dépensent d'ailleurs beaucoup d'argent, non pour soudoyer quelques scientifiques afin qu'ils leur disent ce qu'ils voudraient éventuellement entendre (ce qui serait ridicule de leur part), mais pour s'assurer (sans jeu de mot) que les risques qu'ils prennent en assurant des individus ou des entreprises ne sont pas susceptibles de leur faire couler la baraque.

Les assureurs ne sont ni philanthropes, ni joueurs de casino, ce sont des personnes rationnelles qu'on peut critiquer parce qu'ils nous prennent notre argent et se font parfois attendre avant de nous rembourser, mais en aucun cas ce ne sont des crétins qui cèderaient à une quelconque "religion du climat" afin par exemple de justifier une augmentation de leurs primes ; le fait que les assureurs privés rechignent à couvrir les inondations (aux USA) et que l'agence fédérale qui le fait se retrouve en grande difficulté tendrait plutôt à prouver que soit les primes ne sont pas assez élevées, soit les remboursement sont trop élevés, soit les deux mon capitaine.

Pour information, voici, pour les années 2003 à 2016, les bénéfices distribuables aux actionnaires, en millions de dollars, de la société Zurich :
Vous pouvez de votre côté faire le même exercice et trouver les bénéfices distribuables de la société d'assurance de votre choix, puis me dire si vous voyez une augmentation "anormale" desdits résultats.

Pour Zurich on constate une augmentation franche de 2003 à 2007, puis une chute les années suivantes, avec des dents de scie et une année noire, 2015.

Cela nous montre que les sociétés d'assurance, si elles augmentent parfois leurs primes, ont également des remboursements accrus du fait de risques eux-mêmes en augmentation ; prenons l'exemple des voitures dont les primes peuvent augmenter plus vite que l'inflation, mais dont les réparations coûtent de plus en plus cher, leur sophistication et l'électronique embarquée y étant probablement un peu pour quelque chose ; pour les inondations on peut penser qu'il en est de même, davantage de monde sur des zones qui sont de plus en plus à risque à cause d'événements climatiques de plus en plus violents, cela ne peut entrainer qu'une augmentation des remboursements de sinistres.

Les assureurs font un peu comme le système climatique qui tente de trouver un équilibre entre les entrées et les sorties ; pour les assureurs si les sorties l'emportent sur les entrées leur bénéfice baisse ; pour le système climatique si davantage de chaleur y entre par rapport à ce qui en sort cela ne peut que se traduire par une augmentation des températures, qui entraine une augmentation du niveau des mers provoquant des ondes de tempêtes plus fortes, ainsi qu'une augmentation de la quantité d'eau contenue dans l'air, le tout contribuant à augmenter les dommages causés aux populations qui s'agglomèrent de plus en plus dans les zones à risques.

Un passage de l'article du NYT nous donne deux sources intéressantes :
  • Environmental groups, though, argue it’s worse to repeatedly repair doomed houses on flood-prone sites as oceans warm and sea levels rise. The Natural Resources Defense Council argues that the flood-insurance program should buy such properties so the owners can move somewhere safer.
    • Les groupes environnementaux, cependant, font valoir qu'il est pire de réparer à plusieurs reprises des maisons condamnées sur des sites sujets aux inondations alors que les océans se réchauffent et que le niveau de la mer augmente. Le Conseil de défense des ressources naturelles soutient que le programme d'assurance contre les inondations devrait acheter ces biens immobiliers afin que les propriétaires puissent se déplacer quelque part en toute sécurité.
Le premier lien cité renvoie sur un document à l'attention des réassureurs intitulé Warming of the Oceans  and Implications for  the (Re)insurance Industry (Réchauffement des océans et conséquences pour l'industrie de la (ré) assurance) et produit par The Geneva Association.

Dans l'introduction on peut notamment lire :
  • There is now evidence that, over recent decades, the climate has changed and we have already reached a “new normal” for many climate-and weather-based (extreme) indices (IPCC, 2012). Even former “sceptics” of climate change have started to admit that global warming is detectable and that it is most likely attributable to human emissions of greenhouse gases (GHG) (Muller, 2012). In fact, this is true not only for the land surface of our planet, but also for the globalocean.
    • Il y a maintenant des preuves que, au cours des dernières décennies, le climat a changé et nous avons déjà atteint une «nouvelle normalité» pour de nombreux indices climatiques- et météo- extrêmes (GIEC, 2012). Même les anciens «sceptiques» du changement climatique ont commencé à admettre que le réchauffement climatique est détectable et qu'il est très probablement attribuable aux émissions humaines de gaz à effet de serre (GES) (Muller, 2012). En fait, cela est vrai non seulement pour la surface terrestre de notre planète, mais aussi pour l'océan mondial.
Il faut croire que certains "sceptiques" du changement climatique ne sont toujours pas convaincus, mais passons...

Je ne ferai pas un résumé du document, qui comporte une trentaine de pages, mais je montrerai quelques graphiques, selon le principe bien connu du dessin qui vaut mieux qu'un long discours.

Time series of monthly mean temperature abnormally above the 14oC isotherm (blue) and 220  (orange) for (a) Global Ocean, (b) Atlantic Ocean, (c) Pacific Ocean, and (d) Indian Ocean. The thick lines show these data after a 5-year low-pass filter has been applied. These data have been selected to have identical geographical coverage for the 14oC and 220m analyses. Also shown are the annual temperature anomalies with error bars (black) for the upper 300m of the Global Ocean (L05). Source: Palmer et al., 2007
A number of observation-based estimates of annual ocean heat content anomaly for the 0-700 m layer. Differences among the time series arise from: input data; quality control procedure; gridding and infilling methodology (what assumptions are made in areas of missing data); bias correction methodology; and choice of reference climatology. Anomalies are computed relative to the 1955–2002 average. Source: Palmer et al., 2010.

The global sea-level budget from 1961 to 2008. (a) The observed sea level using coastal and island tide gauges and (b) observed sea level and the sum of components.
 Source: Church et al., 2011.
Catastrophes climatiques dans le monde - nombre d'événements et tendance.
Catastrophes climatiques dans le monde - pertes totales (en vert) et assurées (en bleu) avec tendances.

Alors que penser de ces graphiques qui semblent montrer une assez nette corrélation entre augmentation des températures, augmentation de la chaleur contenue dans les océans, augmentation du niveau des mers, augmentation des événements climatiques extrêmes et augmentation des pertes engendrées ainsi qu'assurées ?

Est-ce que cette Geneva Association se permettrait de fournir aux réassureurs des documents trafiqués, et dans quel objectif si c'était le cas ?

Et si tout simplement ces documents représentaient la dure réalité à laquelle nous allons faire face ? A savoir que nous devons nous attendre à davantage d'événements extrêmes et donc à davantage de problèmes pour assurer les dégâts qu'ils vont causer (du moins on peut s'inquiéter sérieusement pour les Américains, enfin, les Américains les moins riches, c'est-à-dire ceux qui vont également se multiplier dans le futur...)


Le deuxième document mentionné par le NYT, paru en juillet de cette année et intitulé Seeking high ground: how to break the cycle of repeated flooding with climate-smart flood insurance reforms (À la recherche d'un terrain d'entente : comment briser le cycle des inondations répétées grâce à des réformes intelligentes de l'assurance contre les inondations liées au climat), rappelle les défauts du système Américain :
  • The National Flood Insurance Program (NFIP) was designed to help Americans recover from flood disasters, but it can also unintentionally trap homeowners who would prefer to move somewhere safer. Instead of moving, many policyholders find themselves rebuilding their homes again and again. Across the United States, more than 30,000 “severe repetitive loss properties” (SRLPs) have been covered under the NFIP. These properties have flooded an average of five times, according to FEMA data acquired by NRDC through a Freedom of Information Act request.
    • Le National Flood Insurance Program (NFIP) a été conçu pour aider les Américains à se remettre des inondations, mais il peut également involontairement piéger les propriétaires qui préfèreraient se déplacer quelque part en toute sécurité. Au lieu de déménager, de nombreux preneurs d'assurance se trouvent contraints à reconstruire leur maison encore et encore. À travers les États-Unis, plus de 30 000 «pertes répétitives sévères» (SRLP) ont été couvertes par le NFIP. Ces propriétés ont été inondées en moyenne cinq fois, selon les données FEMA récupérées par le NRDC à travers une demande de Freedom of Information Act.
Mais le plus intéressante, pour notre propos, c'est ce tableau (dans lequel il faudrait rajouter les données de 2017...) :

Tempêtes ayant causé des pertes catastrophiques pour le NFIP.
Mais aussi et surtout cette carte :

The top states, ranked by both the number of properties and total damages, are Louisiana (7,223 properties, $1.22 billion in damages),  Texas (4,889 properties, $0.96 billion), New Jersey (3,246 properties, $0.66 billion), New York (1,802 properties, $0.40 billion),  Florida (1,601 properties, $0.37 billion), and Missouri (1,526 properties, $0.19 billion).

Cette carte devrait rappeler des souvenirs à certains de mes lecteurs, car elle ressemble étrangement à ce que j'avais montré dans mon billet du 10 août dernier, Il parait qu'il va faire froid... ; comme par hasard les régions présentant les plus fortes anomalies de températures (côte sud-est) sont très proches de celles qui sont le plus exposées aux événements extrêmes, mais ce ne peut être qu'un hasard, n'est-ce pas monsieur BenHague ?


Je ne sais pas pour vous mais en ce qui me concerne je fais davantage confiance dans ce genre de documents que dans les élucubrations de deux énergumènes pérorant sur une radio de seconde zone.

Mais il est vrai qu'il est plus facile d'impressionner des endoctrinés qui ont la fainéantise de ne pas vérifier ce qu'on leur raconte plutôt que d'argumenter en citant les sources de ce qu'on avance.

Vous remarquerez que j'ai cité toutes les sources, qu'elles proviennent d'études revues par les pairs, ou qu'elles émanent d'organisations qu'il est difficile de suspecter de "religiosité ou de marxisme"...

A moins bien sûr de considérer que les assureurs et tous les chercheurs du monde entier fassent partie d'une vaste conspiration, après tout pourquoi pas ?





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire