Quand un article scientifique ne vous plait pas parce qu'il expose quelque chose qui ne va pas dans le sens où vous voudriez qu'il aille, vous pouvez faire alors comme de Lorgeril dans Grandeur et décadence de la modélisation mathématique en santé publique :
Je vais prendre un exemple simple à partir d’un article récent paru dans la prestigieuse revue scientifique britannique NATURE (ci-dessous).
J’ai pris la précaution de mettre « prestigieuse » en italique tant cette revue a vu son niveau scientifique s’effondrer ces derniers mois.
N'est-ce pas splendide ?
On sait maintenant que de Lorgeril n'aime pas la vaccination contre le Covid-19, entre autres, par conséquent pour lui toutes les études qui tendent à montrer que celle-ci fonctionne sont forcément à jeter à la poubelle, et les revues qui les publient sont forcément en train de s'effondrer, cela coule de source !
L'article en question dont de Lorgeril montre le début est celui-ci : COVID reinfections likely within one or two years, models propose (Les modèles suggèrent une réinfection du COVID d'ici un ou deux ans) ; et qu'est-ce qui déclenche sa moue de mécontentement ? Je vous le donne en mille :
Comme la COVID-19 a moins de 24 mois d’existence, nos puissants statisticiens ne peuvent évaluer le risque de réinfection à deux ans après une première infection sur des données réelles.
Ils vont donc modéliser à l’aide d’outils mathématiques et de quelques données éparses récoltées à tort et à travers dans différentes bases de données récentes ou anciennes.
Dans le langage moderne des académiciens, on appelle ça parfois « intelligence artificielle » ou encore « deep learning » ou encore « autre chose » ; mais je ne retiendrais que les adjectifs « artificiel » et « deep » [profond en français] pour donner mon impression générale : ce type de travail est profondément artificiel !
Notre bon docteur ne croit qu'en la médecine « traditionnelle », celle qui soigne les patients, donc que des modèles soient utilisés par des mathématiciens c'est vraiment trop pour lui, même si, comme il l'explique d'ailleurs très bien, ces modèles ne sont utilisés que parce que nous n'avons pas assez de recul sur la maladie et que les scientifiques ont quand même envie d'avoir une certaine vision de l'avenir pour appréhender l'evolution de l'épidémie, ce qui intéresse par ailleurs également les autorités politiques qui doivent gérer la situation ; rien n'est plus malsain que d'être comme un aveugle qui tenterait de s'orienter une nuit sans lune dans un labyrinthe non éclairé, on préfère avoir une estimation grossière du parcours à emprunter plutôt que de rester dans l'inconnu total.
Comme le dit l'adage utilisé notamment en climatologie, « tous les modèles sont faux mais certains sont utiles » ; en effet, aucun modèle ne représentera jamais exactement la réalité, mais mieux vaut un modèle approximatif que pas de modèle du tout, tout comme une entreprise préfèrera établir un compte de résultat estimatif tout en sachant que la réalité pourra être assez différente, on appelle cela de la saine gestion à comparer avec du pilotage en aveugle (voir au-dessus l'histoire du labyrinthe...)
Mais est-ce que, comme le prétend de Lorgeril, les modélisateurs ont utilisé des « données éparses récoltées à tort et à travers dans différentes bases de données récentes ou anciennes » ?
Je ne suis pas qualifié pour répondre à cette question mais je note le profond mépris de notre « bon » docteur pour des scientifiques qui ont publié un article révisé par les pairs dans une revue prestigieuse (sans guillemets ni lettres en italiques) telle que Nature dont Wikipédia nous dit qu'elle est
une revue scientifique généraliste de référence, à comité de lecture et publiée de manière hebdomadaire. C'est l'une des revues scientifiques les plus anciennes et les plus réputées au monde.
Mais aujourd'hui il ne fait pas bon pour certains de faire partie du consensus scientifique, c'est comme pour le climat ou d'autres sujets, quand on peut se démarquer et vendre des livres au passage, on sait qu'il y aura toujours suffisamment de « contestataires » pour les acheter, ce qui assurera un appréciable petit pécule qui mettra un peu de beurre dans le pinard quotidien.
Regardons quand même d'un peu plus près ce que nous dit l'étude dont il est question. Voici quelques extraits de l'article de Nature :
People who have been infected with SARS-CoV-2 can expect to become reinfected within one or two years, unless they take precautions such as getting vaccinated and wearing masks. That’s the prediction of modelling based on the genetic relationships between SARS-CoV-2 and other coronaviruses1.
Les personnes qui ont été infectées par le SRAS-CoV-2 peuvent s'attendre à être réinfectées dans un délai d'un ou deux ans, à moins qu'elles ne prennent des précautions telles que la vaccination et le port de masques. C'est ce que prédit une modélisation fondée sur les relations génétiques entre le SRAS-CoV-2 et d'autres coronavirus1.
Le 1 renvoie en fait sur la véritable étude qui est parue non pas dans la revue Nature, qui ne se fait ici que l'interprète, mais dans The Lancet Microbe et relayée par PubMed : The durability of immunity against reinfection by SARS-CoV-2: a comparative evolutionary study (La durabilité de l'immunité contre la réinfection par le SRAS-CoV-2 : une étude comparative évolutive)
La méthode utilisée est « clairement » indiquée, mais peut-être que de Lorgeril ne sait pas ce qu'est une analyse phylogénétique, ce qui expliquerait bien des choses ; voici un extrait des méthodes utilisées pour l'étude :
We conducted phylogenetic analyses of the S, M, and ORF1b genes to reconstruct a maximum-likelihood molecular phylogeny of human-infecting coronaviruses.
Nous avons effectué des analyses phylogénétiques des gènes S, M et ORF1b afin de reconstruire une phylogénie moléculaire de maximum de vraisemblance des coronavirus infectant l'homme.
Les paléoanthropologues utilisent justement cette méthode afin de remonter le passé et combler éventuellement les trous représentés par les fossiles manquants (voir par exemple Les analyses phylogénétiques informatisées : une révolution en Anthropologie ?) ; ces méthodes d'analyses phylogénétiques « informatisées » ne sont donc pas nouvelles, mais il semblerait que de Lorgeril ne soit pas au courant qu'elles existent et donnent d'excellents résultats.
Dans le cas présent qui nous occupe il ne s'agit évidemment pas de remonter dans le passé mais plutôt d'aller dans le futur avec ce système, même si les chercheurs se sont servis du passé pour entrer les données dans leur modèle afin de le faire fonctionner correctement. Ils se sont d'ailleurs inspirés d'autres études passées comme indiqué ici :
To estimate the durability of SARS-CoV-2 immunity, he and his colleagues wanted to understand how antibody levels from a previous infection affect the risk of reinfection. Data from an earlier study2 allowed the team to chart this effect over years for ‘endemic’, or continually circulating, coronaviruses that cause the common cold. But SARS-CoV-2 is too new for such long-term data to be available.
Pour estimer la durabilité de l'immunité contre le SRAS-CoV-2, ses collègues et lui ont voulu comprendre comment les niveaux d'anticorps d'une infection précédente influent sur le risque de réinfection. Les données d'une étude antérieure2 ont permis à l'équipe d'établir un graphique de cet effet sur plusieurs années pour les coronavirus " endémiques ", c'est-à-dire circulant en permanence, qui causent le rhume. Mais le SRAS-CoV-2 est trop récent pour que de telles données à long terme soient disponibles.
Le 2 renvoie vers Seasonal coronavirus protective immunity is short-lasting (L'immunité protectrice contre le coronavirus saisonnier est de courte durée) publié en novembre 2020 ; dans le résumé il est écrit que
We monitored healthy individuals for more than 35 years and determined that reinfection with the same seasonal coronavirus occurred frequently at 12 months after infection.
Nous avons suivi des personnes en bonne santé pendant plus de 35 ans et déterminé que la réinfection par le même coronavirus saisonnier était fréquente 12 mois après l'infection.
35 ans ! Même si les coronavirus saisonniers (i.e. ceux qui causent les rhumes) ne sont pas exactement identiques au Covid-19, ce sont quand même des coronavirus ! Et 35 ans de recul c'est il me semble légèrement significatif...
Et Nature d'enchainer dans son article :
The study looked at people who got COVID-19 in 2020, some of whom became reinfected in May or June 2021. It found that those who had not had a vaccine were more than twice as likely to get reinfected in that period as those who had both the virus and a vaccine3.
L'étude a porté sur des personnes ayant contracté le COVID-19 en 2020, dont certaines ont été réinfectées en mai ou juin 2021. Elle a révélé que les personnes qui n'avaient pas été vaccinées étaient deux fois plus susceptibles d'être réinfectées au cours de cette période que celles qui avaient été vaccinées et qui avaient été infectées par le virus3.
Le 3 nous renvoie vers Reduced Risk of Reinfection with SARS-CoV-2 After COVID-19 Vaccination - Kentucky, May-June 2021 (Réduction du risque de réinfection par le SRAS-CoV-2 après la vaccination par le COVID-19 - Kentucky, mai-juin 2021) et il n'est pas question ici du moindre modèle informatique, il s'agit de données issues d'observations réelles ; voici ce que dit le résumé :
Although laboratory evidence suggests that antibody responses following COVID-19 vaccination provide better neutralization of some circulating variants than does natural infection (1,2), few real-world epidemiologic studies exist to support the benefit of vaccination for previously infected persons.
L'étude reconnait donc qu'« il existe peu d'études épidémiologiques en situation réelle », c'est pourquoi elle se propose deBien que les données de laboratoire suggèrent que les réponses en anticorps après la vaccination contre le COVID-19 neutralisent mieux certains variants circulants que l'infection naturelle (1,2), il existe peu d'études épidémiologiques en situation réelle pour étayer le bénéfice de la vaccination pour les personnes déjà infectées.
details the findings of a case-control evaluation of the association between vaccination and SARS-CoV-2 reinfection in Kentucky during May-June 2021 among persons previously infected with SARS-CoV-2 in 2020.
Et de donner les résultats :Détailler les résultats d'une évaluation cas-témoins de l'association entre la vaccination et la réinfection par le SRAS-CoV-2 au Kentucky en mai-juin 2021 chez des personnes précédemment infectées par le SRAS-CoV-2 en 2020.
These findings suggest that among persons with previous SARS-CoV-2 infection, full vaccination provides additional protection against reinfection.
Mais pour de Lorgeril cela fait partie des « quelques données éparses récoltées à tort et à travers dans différentes bases de données récentes ou anciennes » !Ces résultats suggèrent que chez les personnes ayant déjà été infectées par le SRAS-CoV-2, la vaccination complète offre une protection supplémentaire contre la réinfection.
Lectures additionnelles :
- Without Covid-19 jab, ‘reinfection may occur every 16 months’ (Sans le vaccin Covid-19, "une réinfection peut se produire tous les 16 mois".)
- Réinfection par le coronavirus : combien de temps l'immunité naturelle peut-elle durer ?
- COVID immunity following natural infection likely short-lived: Study (L'immunité du COVID après une infection naturelle est probablement de courte durée : Étude)
- The durability of immunity against reinfection by SARS-CoV-2: a comparative evolutionary study (La durabilité de l'immunité contre la réinfection par le SRAS-CoV-2 : une étude comparative évolutive)
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