mardi 17 novembre 2020

La bombe méthane qui fait pschittt

 On critique souvent les études foireuses effectuées par des scientifiques climatosceptiques (allons-y avec ce mot en évitant de les qualifier de manière...plus honteuse) niant le réchauffement principalement (pour ne pas dire exclusivement) causé par l'homme, mais parfois on peut se trouver confrontés à l'excès inverse.

Parce que oui, il y en a qui exagèrent nettement la gravité de la situation, mon bandeau de droite en contient quelques exemples sous l'appellation « Climat : à consulter à ses risques et périls... » où figurent des sites climato-fantaisistes tels que WUWT, Skyfall ou Climate Etc., mais aussi d'autres comme Nature Bats LastArctic News ou Paul Beckwith, Climate System Scientist qui sont, eux, franchement catastrophistes (ou catastrophiques)

Une étude récente vient de paraitre avec comme titre An earth system model shows self-sustained melting of permafrost even if all man-made GHG emissions stop in 2020 (Un modèle du système terrestre montre une fonte auto-entretenue du permafrost même si toutes les émissions de GES d'origine humaine cessent en 2020) ; déjà le titre en question semble poser problème comme le fait remarquer une certaine Merritt Turetsky dans l'article de Dharna Noor Climate Scientists Debunk ‘Point of No Return’ Paper Everyone’s Freaking Out About (Des climatologues démystifient le "point de non-retour", un document qui fait peur à tout le monde) :

The problems with the study begin with its title, which refers to the “melting of permafrost.” That’s a red flag because as Merritt Turetsky, an ecologist who directs the Institute of Arctic and Alpine Research at the University of Colorado, Boulder, noted, permafrost thaws rather than melting.

“Pockets of ice stored here and there within permafrost can melt,” she said. “But these are very distinct processes.” The distinction, she said, makes her think the researchers don’t really know what permafrost is.
Les problèmes que pose l'étude commencent avec son titre, qui fait référence à la "fonte du permafrost". C'est un signal d'alarme car, comme l'a noté Merritt Turetsky, une écologiste qui dirige l'Institut de recherche arctique et alpine de l'Université du Colorado, à Boulder, le permafrost dégèle plutôt qu'il ne fond.

" Des poches de glace stockées ici et là dans le permafrost peuvent fondre ", a-t-elle déclaré. "Mais ce sont des processus très distincts". Cette distinction, dit-elle, lui fait penser que les chercheurs ne savent pas vraiment ce qu'est le permafrost.

Mais cette dernière remarque concernant leur ignorance au sujet du permafrost (ou pergélisol en bon français) n'est pas si étrange que cela quand on apprend que :

They’re not climate scientists, they’re business school professors.
Ce ne sont pas des climatologues, ce sont des professeurs d'école de commerce.

Etonné par cette affirmation je suis allé vérifier ce que je pouvais trouver sur les deux auteurs de l'étude, Jørgen Randers l'auteur principal et Ulrich Golüke le coauteur :

Jørgen Randers :

Norwegian academic, professor emeritus of climate strategy at the BI Norwegian Business School,[1] and practitioner in the field of future studies.[2] His professional field encompasses model-based futures studies, scenario analysis, system dynamics, sustainability, climate, energy and ecological economics.
Universitaire norvégien, professeur émérite de stratégie climatique à la BI Norwegian Business School[1] et praticien dans le domaine des études prospectives[2], son domaine professionnel englobe les études prospectives basées sur des modèles, l'analyse de scénarios, la dynamique des systèmes, la durabilité, le climat, l'énergie et l'économie écologique.
Ulrich Golüke :
has spent his professional life in business, academia, NGOs and as a freelancer. He is a system dynamicist by training has worked for over thirty years with systems modeling (in shipping, health care, real estate. economics and climate change). 
a passé sa vie professionnelle dans le monde des affaires, à l'université, dans des ONG et en tant que travailleur indépendant. Dynamicien de système de formation, il travaille depuis plus de trente ans sur la modélisation des systèmes (dans les domaines du transport maritime, des soins de santé, de l'immobilier, de l'économie et du changement climatique).
Nous n'avons pas a priori affaire à des charlots, tous deux ont des compétences en matière climatique ainsi que de systèmes numériques autrement appelés « modèles », mais effectivement ils enseignent (ou ont enseigné) dans des écoles de commerce (business schools) et/ou ont travaillé essentiellement dans des domaines très éloignés de la glaciologie...

Quoi qu'il en soit « fonte » ou « dégel » je dois humblement avouer que je n'aurais pas fait la différence, pour moi ces deux mots sont synonymes mais je ne suis pas expert en la matière, cependant Wikipédia nous dit :
Le dégel1 est un terme désignant le phénomène climatologique de fonte de la neige ou de la glace accumulée en un lieu donné.
Mais, mais, mais, en anglais voici ce qu'on nous dit dans Melt vs Thaw - What's the difference? :
As nouns the difference between melt and thaw is that melt is molten material, the product of melting while thaw is the melting of ice, snow, or other congealed matter; the resolution of ice, or the like, into the state of a fluid; liquefaction by heat of anything congealed by frost.

As verbs the difference between melt and thaw is that melt is (ergative) to change (or to be changed) from a solid state to a liquid state, usually by a gradual heat while thaw is to melt, dissolve, or become fluid; to soften; — said of that which is frozen; as, the ice thaws specifically by gradual warming.
Comme noms, la différence entre la fonte et le dégel est que la fonte est une matière fondue, le produit de la fonte tandis que le dégel est la fonte de la glace, de la neige, ou d'autres matières congelées ; la transformation de la glace, ou autre, en un fluide ; la liquéfaction par la chaleur de tout ce qui est congelé par le gel.
En tant que verbes, la différence entre fondre et dégeler est que fondre est (ergatif) changer (ou être changé) d'un état solide à un état liquide, généralement par une chaleur progressive tandis que dégeler est fondre, dissoudre, ou devenir fluide ; ramollir ; - dit de ce qui est gelé ; ainsi, la glace dégèle spécifiquement par un réchauffement progressif.
Les différences entre ces deux mots sont tellement subtiles que je pose mon joker et fais confiance à Merritt Turetsky qui doit savoir de quoi elle parle.

Donc l'étude incriminée en arriverait à la conclusion indiquée en introduction de l'article de Dharna Noor :
On Thursday, a new study came out warning that even if we stopped emitting carbon dioxide, the world has reached the “point of no return” for climate change. The paper claims that’s because Arctic permafrost—carbon-rich, permanently frozen earth made of rocks, water, and dead wildlife—is melting irreversibly, and it could continue to heat the planet for centuries by releasing carbon dioxide. Terrifying, right?
Jeudi, une nouvelle étude est sortie, avertissant que même si nous arrêtions d'émettre du dioxyde de carbone, le monde a atteint le "point de non-retour" du changement climatique. Le document affirme que c'est parce que le permafrost de l'Arctique - une terre riche en carbone et gelée en permanence, faite de roches, d'eau et de restes d'animaux et de végétaux - fond de manière irréversible et pourrait continuer à chauffer la planète pendant des siècles en libérant du dioxyde de carbone. Terrifiant, n'est-ce pas ?
Je vais pinailler, mais l'étude parle de « carbone » qui serait libéré et non de « dioxyde de carbone » ; voici exactement ce qu'elle dit dans son résumé :
This warming is the combined effect of three physical processes: (1) declining surface albedo (driven by melting of the Arctic ice cover), (2) increasing amounts of water vapour in the atmosphere (driven by higher temperatures), and (3) changes in the concentrations of the GHG in the atmosphere (driven by the absorption of CO2 in biomass and oceans, and emission of carbon (CH4 and CO2) from melting permafrost).
Ce réchauffement est l'effet combiné de trois processus physiques : (1) la diminution de l'albédo de la surface (due à la fonte de la couverture glaciaire arctique), (2) l'augmentation des quantités de vapeur d'eau dans l'atmosphère (due à la hausse des températures), et (3) les changements dans les concentrations de GES dans l'atmosphère (dus à l'absorption de CO2 dans la biomasse et les océans, et à l'émission de carbone (CH4 et CO2) due à la fonte du permafrost).
Quand on critique quelqu'un ou quelque chose il faut le faire avec le souci du détail afin de ne pas soi-même prêter le flanc à une contre-critique qui s'attarderait sur des points de détail en faisant oublier l'essentiel ; par ailleurs on notera qu'il y a trois « effets combinés » causant le réchauffement, et pas seulement le dégel du permafrost !

Ce n'est qu'un peu plus bas dans l'article que la journaliste parle de la vapeur d'eau :
The new report also overestimates water vapor concentrations, which lead the model to run unusually hot.
Le nouveau rapport surestime également les concentrations de vapeur d'eau, ce qui conduit le modèle à fonctionner de manière anormalement chaude.
Quant à l'albédo il n'est tout simplement jamais mentionné dans l'article alors qu'il s'agit du point numéro un de l'étude !

Cependant l'étude attribuerait (à tort selon la journaliste) un rôle majeur aux émissions de méthane :
The authors claim that methane will be the chief driver of future temperature increases, but in doing so, they exaggerate the temperature increase that the methane concentrations in their model could produce.
Les auteurs affirment que le méthane sera le principal moteur des futures augmentations de température, mais ce faisant, ils exagèrent l'augmentation de température que les concentrations de méthane dans leur modèle pourraient produire.
Je ne suis évidemment pas compétent en la matière et ne peux porter aucun jugement personnel sur la qualité de l'étude, je remarque néanmoins que de véritables experts sont cités comme Kate Marvel ou Zeke Hausfather, ce dernier concluant :
Folks are missing that its (sic) a simple model created by non-experts [...] I’m also worried that there is a bit of a bias to cover it given its purported dramatic findings.
Les gens ne savent pas qu'il s'agit d'un modèle simple créé par des non-experts [...] Je suis également inquiet qu'il y ait un certain biais pour le couvrir étant donné ses prétendues conclusions dramatiques.
Hausfather s'inquiète donc du fait que « les gens », c'est-à-dire le public, vous, moi, tous les autres non experts du sujet, prennent cette étude à la lettre et en viennent à « paniquer » en raison de son caractère « dramatique » ; c'est l'effet exactement inverse de la situation dans laquelle on se trouve avec des études de climatonégateurs qui à l'extrême opposé tentent de nous « rassurer » en avançant des arguments fallacieux tels que « le climat a toujours changé » ou « le CO₂ c'est de la nourriture pour les plantes ».

Kate Marvel, elle, précise ceci :
I want to be clear: thawing permafrost is likely to result in a net increase in atmospheric methane concentrations. And methane is a potent greenhouse gas. But methane concentrations are increasing sharply right now, and it’s not because of permafrost[...]. It’s because of the oil and gas industry and large-scale agriculture.
Je tiens à être claire : le dégel du permafrost va probablement entraîner une augmentation nette des concentrations de méthane dans l'atmosphère. Et le méthane est un puissant gaz à effet de serre. Mais les concentrations de méthane augmentent fortement en ce moment, et ce n'est pas à cause du permafrost [...]. C'est à cause de l'industrie pétrolière et gazière et de l'agriculture à grande échelle.
Bref nos deux enseignants en école de commerce feraient mieux de revoir leur copie, ou plutôt leur modèle climatique jugé trop « simpliste ».

On peut lire des critiques similaires chez Ken Rice (aka ...and Then There's Physics) dans A little domain knowledge can go a long way (Un peu de connaissance du domaine peut faire beaucoup) :
A rather bizarre paper has been published in Scientific Reports (yes, that Scientific Reports) claiming that [an] earth system model shows self-sustained melting of permafrost even if all man-made GHG emissions stop in 2020.
Un article assez bizarre a été publié dans Scientific Reports (oui, ce Scientific Reports) affirmant qu'un modèle du système terrestre montre une fonte auto-entretenue du permafrost même si toutes les émissions de GES d'origine humaine cessent en 2020.
Rice pointe du doigt à cette occasion l'insulte faire au peuple Inuit en utilisant l'acronyme ESCIMO (phonétique d'esquimaux) pour désigner le modèle climatique, ce qui serait une preuve supplémentaire que les auteurs de l'étude ne savent pas de quoi ils parlent...

Et comme Rice a de la bouteille il est capable de voir assez vite ce qui ne va pas :
What’s very odd is that you just need to look at the figures in the paper to see numerous problems.
Ce qui est très étrange, c'est qu'il suffit de regarder les chiffres dans le papier pour voir de nombreux problèmes.
La première remarque qu'il fait est que la concentration en CO₂ mentionnée dans les deux scénarios du modèle déficient serait de 300 ppm en l'an 2200 alors que cette concentration ne devrait pas passer en-dessous des 350 ppm et ce pendant de nombreuses génération, quoi que nous fassions aujourd'hui ; une autre anomalie réside dans le fait que dans le deuxième scénario, celui où les émissions seraient réduites à zéro avant 2100, les concentrations commenceraient à diminuer avant que les émissions n'arrivent à zéro, ce qui semble effectivement peu probable !

Et de se demander comment cette étude a pu passer le barrage de la revue par les pairs :
It’s hard to see how anyone who has developed an earth system model wouldn’t notice these obvious problems, and it’s particularly difficult to understand how any competent reviewer could let these pass.
Il est difficile de voir comment quelqu'un qui a développé un modèle du système terrestre ne remarquerait pas ces problèmes évidents, et il est particulièrement difficile de comprendre comment un examinateur compétent pourrait les laisser passer.
Ce qui tendrait à faire penser que parmi les réviseurs il n'y avait pas de personne compétente en modèles climatiques.

Nous avons déjà vu (pour le climat ou pour le Covid-19) que des études pouvaient être rétractées après avoir passé avec succès l'épreuve de la révision, attendons de voir ce qu'il en sera pour celle-là.


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