jeudi 10 mars 2022

Poutine n'est pas fou, il est simplement crétin

 On voit passer beaucoup de jugements sur la personne de Vladimir Poutine ; il serait soit un grand stratège pour les uns, soit complètement fou pour les autres.

Par exemple sur Causeur on titre Poutine est-il encore un grand stratège?, sous-entendant donc qu'il aurait été dans le passé un grand stratège mais qu'il ne le serait plus :

L’homme qui passait pour le grand stratège du xxie siècle voit son champ d’influence en Europe en train de se rétrécir.

D'autres n'hésitent pas à rejeter ce qualificatif, comme le Journal de Montréal dans Poutine, un fin stratège? :

Poutine est peut-être un fin tacticien, mais il est loin d’être un habile stratège.

D'autres encore hésitent entre deux termes, ainsi sur Slate on peut lire dans Vladimir Poutine, fin stratège ou tête brûlée? :

À quoi joue Vladimir Poutine, dont on se demande s'il avance en fin stratège ou en tête brûlée.

Enfin certains mettent les pieds dans le plat en invoquant la folie, comme Les Dernières Nouvelles d'Alsace qui titrent Guerre en Ukraine. Vladimir Poutine est-il fou ? :

Pour l'opposant russe Lev Ponomarev, il n'y a pas de doutes. « Poutine est un malade mental et un fou, a-t-il déclaré dans un entretien au quotidien italien La Repubblica.
Mais la folie n'empêcherait pas une certaine rationalité puisque dans le même numéro on lit plus loin :
Poutine est fou. Peut-être, mais peu importe, car nous avons surtout besoin de comprendre la rationalité interne de son action. Nous avons besoin de cerner l'étendue de son projet, de voir ses points saillants.
Ces derniers propos tirés d'un tweet d'Anna Colin Lebedev que je suis à la trace, cette dernière ayant écrit exactement, en entier :
1. "Poutine est fou." Peut-être, mais peu importe, car nous avons surtout besoin de comprendre la rationalité interne de son action. Nous avons besoin de cerner l'étendue de son projet, de voir ses points saillants (l'Ukraine, et au-delà, les Etats-Unis, l'Occident)
Je vous conseille de lire la suite de son fil Twitter et de vous abonner à son compte, après tout elle n'est que spécialiste des sociétés post-soviétiques, ça peut aider, on ne sait jamais.

Et puis nous avons un psychiatre, Daniel Zagury, qui donne son avis éclairé dans le Journal du Dimanche avec Le psychiatre Daniel Zagury : « Vladimir Poutine est-il devenu fou ? » :
le comportement de Vladimir Poutine témoigne, en dehors des données géopolitique et de façon déterminante, d'une pathologie mentale. [...] On s’est acharné à voir le stratège là où il n’y avait plus qu’un dictateur en bout de course, emporté par sa mégalomanie. 

Alors, fin stratège ou fou furieux ? Et si la réalité se situait entre les deux ? Et si Vladimir Poutine n'était après tout...qu'un parfait crétin ?

Je sais ce que vous allez me rétorquer : on ne devient pas président à vie de la deuxième puissance militaire mondiale si on est un crétin, a priori ça tombe sous le sens. Pourtant...

Pourtant si l'on regarde du côté des Etats-Unis on voit qu'ils ont élu à la fonction suprême des gens comme Ronald Reagan, George W. Bush ou Donald Trump ! Les deux premiers étaient des bigots idéologues ayant l'un lancé le néo-libéralisme sur les rails, avec les succès que l'on a connus depuis, l'autre provoqué une guerre en Irak sous le prétexte fallacieux d'armes de destruction massive qui restent encore à découvrir, avec là aussi des conséquences dont nous voyons toujours les effets ; pour Trump je n'en dirai pas plus, j'ai épuisé mon quota, et puis il y a tellement de choses à relever que vous seriez vite lassés, et je tiens à vous tenir éveillés.

Donc des crétins peuvent tout à fait devenir des chefs d'Etat, en cherchant un peu on pourrait trouver d'autres exemples mais j'en resterai à ces trois-là. En y ajoutant Vladimir Poutine.

 Réfléchissez un peu et rembobinez le film jusqu'à la fin du siècle dernier.

Il se trouve que Vladimir Poutine a surtout eu la chance de se trouver au bon endroit au bon moment.

Pour le dire autrement, ou plutôt d'une façon différente, si l'URSS n'avait pas implosé Mikhaïl Gorbatchev aurait pu garder le pouvoir ou aurait été remplacé (ce qui est arrivé en fait) par un autre satrape comme Anatoli Loukianov, peu importe, en tout cas le calamiteux Boris Eltsine n'aurait pas été président de la fédération de Russie de 1991 à 1999 et personne n'aurait entendu parler d'un obscur officier du KGB nommé Vladimir Poutine !

Ce dernier n'était en effet qu'un simple officier de renseignement sans grande envergure du KGB, détaché en Allemagne de l'Est (ex-RDA) uniquement parce qu'il parle couramment la langue locale.

L'ascension de Poutine n'a donc été possible que grâce à la chute du mur de Berlin, puis à la disparition de l'empire soviétique transformé en Communauté d'Etats Indépendants où les anciens apparatchiks ont été remplacés (ou se sont transformés ?) en oligarques s'en mettant plein les poches, profitant de la faiblesse de Boris Eltsine, lequel n'a rien trouvé de mieux que de se donner comme successeur...Vladimir Poutine !

La suite on la connait, Poutine n'a dû son succès en politique qu'en menant des campagnes militaires faciles, d'abord en Tchétchénie (1999-2000), puis en Georgie (2008), puis en Crimée (annexée en 2014), puis en Syrie (2015), puis au Haut-Karabakh (2020), puis au Kazakhstan (début 2022), puis...

Je dis « campagnes militaires faciles », car en cas de résistance trop affirmée la solution était effectivement très simple, consistant à massacrer les populations civiles en les noyant sous un tapis de bombes, les soldats combattant parmi elles étant par là même « terminés » de manière très efficace.

Il faut une grande imagination pour voir dans tout cela la marque d'un « grand stratège », pour autant Poutine n'est pas vraiment fou, il a sa logique propre, façonnée par ses années passées au KGB, avec en sus l'humiliation qu'il a dû ressentir, et on peut le comprendre, quand il s'est fait virer de RDA à coups de pieds dans le fondement (c'est une image, ne prenez pas ça au premier degré)

Il a donc décidé fin février d'envahir l'Ukraine parce qu'il croyait que ça allait être du gateau.

Oui, Vladimir Poutine est un crétin, mais c'est probablement le crétin le plus dangereux qui ait jamais existé sur la planète.


4 commentaires:

  1. Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument, disait Saint Just. Et la corruption est une folie.

    "Poutine n'a dû son succès en politique qu'en menant des campagnes militaires faciles", pour le coup c'est faux. Il est arrivé après Eltsine en promettant l'arrêt du dépeçage du pays, post URSS. Il y est parvenu en s'appuyant sur un cercle d'oligarques restreint, mais ça a suffit à redonner un sentiment de fierté nationale aux russes sur lequel il surfe allègrement depuis. Pour autant, les russes ne sont pas dupes, mais de leur point de vue c'est le moins mauvais choix. Et je me demande qui peut leur en vouloir de faire le moins mauvais choix en la matière.

    Le psychologisation de tel ou tel chef d'Etat me semble assez contre-productive. Il faut forcément avoir un sérieux pète au casque pour imaginer et surtout désirer gouverner la vie de millions de gens.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Vous me dites « "Poutine n'a dû son succès en politique qu'en menant des campagnes militaires faciles", pour le coup c'est faux. », je suis d'accord, j'aurais dû être plus subtil, évidemment qu'il y a du multifactoriel dans son succès au pouvoir depuis 22 ans, il n'empêche que ses succès militaires jusqu'à présent étaient plutôt « faciles » et lui ont probablement fait penser qu'il n'allait faire qu'une bouchée de l'Ukraine.

      Quant à « désirer gouverner la vie de millions de gens » effectivement il faut en vouloir surtout sur de telles durées, mais ce n'est pas vraiment avoir « un sérieux pète au casque », je dirai plutôt que, pour connecter avec la première partie de votre commentaire, quand on a le pouvoir on y prend goût (quel scoop !) et on a tendance à devenir corrompu, ou encore plus corrompu que ce qu'on était auparavant.

      Je ne sais pas si Poutine était réellement corrompu avant 1999, ou avant l'implosion de l'URSS, mais il est avéré qu'il l'est aujourd'hui et qu'il a corrompu son « cercle d'oligarques restreint » pour reprendre vos mots, sachant que ces oligarques étaient probablement pas mal corrompus avant qu'il ne se serve d'eux.

      Supprimer
  2. Son parcours sous Eltsine aurait tendance à montrer qu'il a surtout un goût immodéré pour le pouvoir non ?
    Par ailleurs, les victoires militaires faciles visant à réintégrer les populations russophones/philes des ex satellites de l'URSS, concordent bien avec "surfer" sur la vague d'une (soi disant) fierté nationale retrouvée. Sinon comment expliquer que Poutine conserve une telle popularité au sein de la population russe ?
    Personnellement, j'ai le sentiment que le mécanisme à l'oeuvre est assez proche de celui qui au sortir de la première guerre mondiale, a conduit à l'émergence de l'Allemagne nazie à la fin des années 20 (humiliation->repli national->vengeance expansionniste).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Nous sommes d'accord, mais le disons différemment.

      « Son parcours sous Eltsine aurait tendance à montrer qu'il a surtout un goût immodéré pour le pouvoir non ? »
      Vous confirmez que sans Eltsine Poutine ne serait rien aujourd'hui. Il a profité du moment Eltsine, il a bien été là au bon endroit et au bon moment !

      Et vous confirmez aussi ce que je disais sur ses succès militaires qui l'ont aidé à monter en politique, s'il n'avait pas fait la guerre ou s'il avait connu des revers (il aurait pu perdre la guerre de Tchétchénie par exemple ou se planter complètement en Georgie) il aurait vite dégagé, le peuple ne le lui aurait pas pardonné. Ce dernier est majoritairement avec lui uniquement parce qu'il lui a redonné une fierté qu'il avait perdue avec la fin de l'URSS.

      Et votre rapprochement avec l'Allemagne nazie est très juste, si on n'avait pas humilié les Allemands après la guerre de 14-18 Hitler n'aurait pas eu le parcours qu'on lui connait.

      Supprimer