lundi 14 mars 2022

Le pire n'est pas certain, il est seulement possible

 On ne connait pas les buts de guerre de Poutine, ni les initiaux, quand il décida d'envahir l'Ukraine, ni les actuels, maintenant qu'il se rend compte que ce sera bien moins facile que ce qu'il croyait.

Beaucoup d'hypothèses circulaient et circulent encore, on parlait avant même le début des hostilités d'une volonté de Poutine de seulement annexer le Donbass et éventuellement la partie sud de l'Ukraine afin d'établir une jonction avec la Crimée déjà absorbée en 2014 ; d'autres étaient plus hardis et évoquaient une annexion totale du pays, mais il faut dire dans un scénario qu'ils jugeaient peu probable.

Avant le début du conflit je me souviens avoir visionné la vidéo d'un gars qui échafaudait plusieurs scénarios, cartes à l'appui, mais je n'arrive pas à retrouver son nom ! (si ça me revient je rajouterais le lien ici) De mémoire, l'un de ses scénarios incluait ce qui se produit en ce moment même...

Alors on se demande tous jusqu'où tout cela peut nous mener.

Il parait qu'un certain Pedro Calderón de la Barca aurait dit un jour :

Contrairement aux apparences, « Le pire n'est pas toujours certain. »

Mais d'autres sources donnent Paul Claudel qui aurait avancé quelque chose d'approchant :

Le pire n'est pas toujours sûr.

 On trouve même un certain (sic) Harold Bernat qui aurait écrit dans une de ses oeuvres :

Bien au contraire, le pire n’est jamais certain, et c’est pour cette raison qu’il faut faire bouger les choses, s’adapter, ne pas se résigner.

Il y a même un livre intitulé Le pire n'est pas certain dont on nous dit dans la description 

Or il y a une alternative.

Une alternative c'est en fait un dilemme, un problème qui propose deux solutions, l'une excluant l'autre.

Il y aurait donc « le pire » et à côté...le « moins pire » ?

Le pire du pire on voit assez bien de quoi il s'agit : une troisième guerre mondiale agrémentée de l'usage de la bombe atomique à des fins stratégiques, bref l'anéantissement d'une bonne partie de la population « civilisée » (pourquoi aller bombarder les pays en voie de développement ? hein, je vous le demande)

Cependant avant d'en arriver à cette extrémité il y a quand même, et heureusement, des paliers intermédiaires à franchir.

Dans le numéro du Monde d'aujourd'hui il y a un court article (page 39) intitulé Le scénario du pire pour l'Ukraine et la Russie, écrit par Piotr Smolar qui, comme son nom l'indique clairement, est un journaliste français correspondant permanent du journal Le Monde à Washington. De plus, ce journaliste d'origine polonaise est marié...à une Russe ! Ça tombe plutôt bien n'est-ce pas ? Alors que nous dit-il en substance ? Ceci :

Il est indispensable d'envisager, parmi tous les scénarios, le pire possible [qui] est le suivant : une Ukraine transformée en Syrie, et une Russie en Corée du Nord.

Nous somme encore loin du scénario apocalyptique que je mentionnais plus haut, mais nous sommes également très loin de celui consistant à décrire bêtement l'Ukraine comme un nouvel Afghanistan pour les Russes...

Piotr Smolar a d'excellents arguments à faire valoir :

Son but [à Poutine] : fracturer le territoire [ukrainien] en îlots de désolation, rendre l'Etat failli et transformer le pays en ruine ingouvernable [...]

Il ajoute plus loin ce que j'ai déjà lu sous d'autres plumes et que j'ai évoqué plus haut :

Sur un plan territorial, il serait possible, pour la Russie, de se replier sur une sorte de Donbass très élargi, relié à la Crimée et au sud de l'Ukraine [...] Et puis d'attiser sans fin la déstabilisation du reste du pays.
Pour la Russie il précise que les gros problèmes qu'elle rencontrerait suite notamment aux lourdes sanctions
ne garanti[raien]t en rien un vaste mouvement de contestation
Nous sommes bien dans une configuration coréenne nordique dans laquelle un dictateur (de père en fils), Kim Jon-un, décide de tout en faisant régner la terreur dans son entourage et en contraignant sa population de vivre dans un extrême dénuement sans qu'elle ne soit en mesure de se révolter.

Mais bien malin celui ou celle qui trouvera la bonne réponse à la question épineuse suivante : mais où va-t-on ?

Même Michel Goya, expert pourtant incontesté (voir Michel Goya, expert d’élite de la guerre en Ukraine), a reconnu s'être planté ; ainsi sur son blog il admettait le 4 mars dernier ses erreurs :
Je me suis trompé deux fois dans mes analyses sur la guerre en cours. Une première fois au niveau stratégique, sur l’intention réelle de Vladimir Poutine, une seconde fois en estimant que la manœuvre opérative russe réussirait, même si cela ne signifiait pas la fin de la guerre.
Reconnaitre ses erreurs est tout à son honneur, et à mon avis beaucoup d'experts en géopolitique devraient s'en inspirer...

Mais certains semblent plus visionnaires que d'autres, ainsi en 2017 on pouvait lire dans Assessing Russia’s Reorganized and Rearmed Military  :
a number of veteran scholars of Russian military affairs argue that the power of the current Russian military is commonly overestimated, suggesting that it is hostage to many problems inherited from its traumatic post-Soviet degeneration, critically challenged by overstretch, technologically backward, or all three.
un certain nombre de spécialistes chevronnés des affaires militaires russes soutiennent que la puissance de l'armée russe actuelle est communément surestimée, suggérant qu'elle est l'otage de nombreux problèmes hérités de sa traumatisante dégénérescence post-soviétique, qu'elle est mise à rude épreuve par un effort (ou épuisement) excessif, qu'elle est technologiquement arriérée, ou les trois.
Etonnant, non ?

C'était 3 ans après l'annexion de la Crimée et l'envoi de paramilitaires (russes bien sûr, avec notamment le groupe Wagner) au Donbass afin de déstabiliser la région Est, et 5 ans avant les événements actuels.

Donc l'annexion de la Crimée et les troubles au Donbass n'avaient pas fait illusion sur tout le monde.

Et pour comprendre un peu mieux la situation je ne peux pas m'empêcher de vous faire part de ce petit sketch tragi-comique relaté le 27 février dernier par Illia Ponomarenko, un reporter du Kyiv Independent :
These two Russian idiots in Shevchenkove, Kharkiv oblast, had their vehicle sputtered out. Guess what they did? They came to a local Ukrainian police station. And asked if they could have some fuel.
Ces deux idiots russes à Shevchenkove, dans l'oblast de Kharkiv, ont vu leur véhicule tomber en panne. Devinez ce qu'ils ont fait ? Ils sont allés à un poste de police ukrainien local. Et ont demandé s'ils pouvaient avoir un peu de carburant.
Je ne sais pas dans quelle mesure cette « anecdote » est véridique, peut-être a-t-elle été inventée afin de se moquer (pour ne pas employer d'autres terme...) gentiment des deux conscrits qu'on voit menottés et l'air contrit, mais cela me semble assez plausible eu égard à ce que l'on sait maintenant de la situation.

Il est même possible que les deux bidasses en question se soient tout simplement rendus et aient inventé cette histoire eux-mêmes, ou qu'on leur ait forcé la main !

Bref rien n'est joué, l'Ukraine n'est toujours pas tombée, mais ça risque d'être plutôt tendu pour elle dans les semaines et les mois qui viennent.

Qui vivra verra, stay tuned.


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