dimanche 16 juillet 2023

Un peu de désinformation en une leçon avec Jacques Henry

 Ce qui est bien avec les désinformateurs c'est que, quand ils vous refilent ce qu'ils croient être un scoop allant dans le sens de leur idéologie, généralement il suffit de faire un minimum attention, d'aller voir les sources et références qu'ils proposent, ou d'aller les chercher soi-même s'ils ne le font pas, et bingo ! on s'aperçoit qu'ils racontent n'importe quoi et avec un peu de chance on apprend quelque chose qu'on ignorait jusqu'à présent.

C'est quasiment toujours le cas avec Jacques Henry, et je pense que je pourrais écrire un billet pour chacun des siens afin d'apporter une facile réfutation, si je ne le fais pas c'est tout bonnement parce que je n'ai pas que ça à faire et que je rate certainement un bon nombre de ses inepties.

Là j'ai trouvé que j'avais de la matière intéressante avec son billet du 14 juillet dernier (moi je suis allé m'oxygéner ce jour-là au port de Vénasque) intitulé de manière extra-sensationnelle Un gros pavé dans la mare idéologique des écologistes : la disparition des insectes enfin expliquée !

Non vous n'avez pas rêvé, pour Jacques Henry ça y est, on a trouvé LA cause unique de la disparition des insectes. D'ailleurs dès le début il nous donne une sérieuse piste quant à son penchant idéologique avec ceci :

Les grands médias en particulier occidentaux reprennent inlassablement les arguments des protecteurs de la nature au sujet de la raréfaction des insectes variés en accusant l’activité humaine et en particulier l’usage de xénobiotiques tels que les pesticides ou encore les engrais azotés de synthèse ainsi que les modes de culture intensive.

Vous l'avez compris, les « médias occidentaux » sont ceux que l'on appelle mainstream, en France Le Monde, Libération, Le Figaro, L'Express pour n'en citer que quelques-uns, à l'étranger The Guardian ou The New York Times pour n'en mentionner que deux parmi les plus connus ; quant aux « protecteurs de la nature » il faut traduire par « les écologistes de Greenpeace » appelés familièrement et amicalement les « escrologistes » afin de bien montrer qu'on n'est pas dupes hein non mais quand même !

Dans ce court passage on notera l'absence totale de la communauté scientifique qui est pourtant à l'origine de tous les travaux repris par les « médias occidentaux » et les « protecteurs de la nature », mais je pense que vous l'aviez remarqué tellement rien ne vous échappe. Je me trompe ?

Plus loin dans son billet Jacques Henry insiste pour bien enfoncer le clou (dans son cercueil ?) :

L’accusation récurrente de l’utilisation de pesticides dans le secteur agricole pour expliquer la disparition des insectes est donc invalidée par ces observations.

Et d'en rajouter une couche :

si les règles de l’art sont respectées il est impossible que des pesticides quels qu’ils soient puissent être retrouvés sur les grains de pollen.

Et de conclure avec l'air supérieur de celui qui a apporté une preuve accablante :

Cette remise en cause du dogme de l’origine anthropique de la disparition des insectes provoquée par l’utilisation (abusive ?) de pesticides est donc remarquablement mise en cause car cette étude démontre qu’il s’agit d’une interaction physique entre les micro-particules et les organes de détection des insectes, organes vitaux pour leur survie et leur reproduction, CQFD. 

Je crois avoir déjà écrit quelque part que quand on trouve le mot dogme dans un texte prétendant apporter une preuve scientifique on peut immédiatement jeter le tout à la poubelle sans chercher à aller plus loin. Comme j'ai fait l'effort surhumain de continuer jusqu'à la fin j'ai pu constater que Jacques Henry avait malencontreusement inséré le lien de l'étude qui soi-disant remettrait en cause le « dogme » de la disparition des insectes dont l'origine serait l'utilisation des pesticide : Short-term particulate matter contamination severely compromises insect antennal olfactory perception, paru dans Nature Communications (La contamination à court terme par les particules compromet gravement la perception olfactive des antennes des insectes)

Je vais dès à présent vous livrer moi-même un scoop comparable à celui de Jacques Henry : cette étude ne dit en aucun cas que les pesticides sont exonérés de leur responsabilité dans la disparition des insectes !

Cette étude pointe simplement sur une des nombreuses causes affectant les insectes, à savoir que la pollution aérienne peut (les auteurs utilisent le verbe may) avoir une influence, ainsi ils écrivent noir sur blanc :

Since particulate matter can be transported thousands of kilometres from its origin, these effects may represent an additional factor responsible for global declines in insect numbers, even in pristine and remote areas.
Étant donné que les matières particulaires peuvent être transportées à des milliers de kilomètres de leur origine, ces effets peuvent représenter un facteur supplémentaire responsable du déclin mondial du nombre d'insectes, même dans les régions vierges et éloignées.
D'ailleurs ils écrivent également (toujours noir sur blanc afin que même les myopes comme Jacques Henry puissent les lire) :
The reasons for this massive disappearance of insects are thought to derive from a complex combination of habitat changes and anthropogenic pollutants48, perhaps also including the effects of air pollution on odour detection.
On pense que les raisons de cette disparition massive d'insectes proviennent d'une combinaison complexe de changements d'habitat et de polluants anthropiques⁴⁸, incluant peut-être aussi les effets de la pollution de l'air sur la détection des odeurs.
On remarquera assez aisément que les auteurs de l'étude sont bien plus prudents que Jacques Henry et se gardent bien de tirer des conclusions définitives suite à leurs investigations. La référence numéro 48 nous mène vers l'étude A potential link among biogenic amines-based pesticides, learning and memory, and colony collapse disorder: A unique hypothesis (Un lien potentiel entre les pesticides à base d'amines biogènes, l'apprentissage et la mémoire et le trouble d'effondrement des colonies : une hypothèse unique) dans laquelle on peut lire :
This overview is an attempt to discuss a hypothetical link among biogenic amines-based pesticides, olfactory learning and memory, and CCD.
Cet aperçu est une tentative de discuter d'un lien hypothétique entre les pesticides à base d'amines biogènes, l'apprentissage et la mémoire olfactifs et le CCD.

Ici aussi l'auteur prend toutes les précautions d'usage, il s'agit de sa part d'une hypothèse, pas de certitudes, contrairement à Jacques Henry qui, lui, est pétri de certitudes.

Cependant il suffit de s'informer un peu et, par exemple, on tombe sur le site gouvernemental du Ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire qui est très clair sur le sujet :

Les néonicotinoïdes sont une famille de substances employées dans des produits insecticides. Ces substances agissent sur le système nerveux central des insectes. En raison de leur toxicité sur les pollinisateurs, mise en évidence par de nombreuses études, ces substances sont une des causes du déclin des colonies d’abeilles.

L'Anses apporte également sa pierre à l'édifice :

De nouveaux éléments scientifiques ont conduit l’Union européenne à restreindre progressivement les usages de ces substances n’en laissant que deux autorisées pour des usages phytopharmaceutiques.
Et si l'on veut aller plus loin on peut s'acheminer vers Google Scholar, entrer les mots neonicotinoids effect et on obtient environ 40 000 résultats que je vous laisse consulter si vous avez un peu de temps devant vous.

Chez moi le premier résultat me donne l'étude Effects of neonicotinoids and fipronil on non-target invertebrates parue en 2014 et concluant :
Given the clear body of evidence presented in this paper showing that existing levels of pollution with neonicotinoids and fipronil resulting from presently authorized uses frequently exceed lowest observed adverse effect concentrations and are thus likely to have large-scale and wide ranging negative biological and ecological impacts, the authors strongly suggest that regulatory agencies apply more precautionary principles and tighten regulations on neonicotinoids and fipronil.
Compte tenu de l'ensemble des preuves présentées dans cet article montrant que les niveaux existants de pollution par les néonicotinoïdes et le fipronil résultant des utilisations actuellement autorisées dépassent fréquemment les concentrations d'effets nocifs les plus faibles observées et sont donc susceptibles d'avoir des impacts biologiques et écologiques négatifs à grande échelle et de grande envergure , les auteurs suggèrent fortement que les organismes de réglementation appliquent davantage de principes de précaution et renforcent la réglementation sur les néonicotinoïdes et le fipronil.

Stéphane Horel, dans son livre Lobbytomie paru en 2018, écrivait déjà page 207 :
Bayer et Syngenta ont pris possession des cénacles chargés d'évaluer l'impact mortifère de leurs insecticides néonicotinoïdes sur les abeilles et les insectes⁶⁹.
La référence 69 renvoie à un livre de Stéphane Foucart paru en 2014, La fabrique du mensonge.

La référence suivante, la 70, mène vers...Les Marchands de doute de Naomi Oreskes et Erik Conway, un classique que Jacques Henry ne doit pas posséder dans sa bibliothèque.

Marchands de doute, fabricants de mensonges, lobbys en tous genres, voilà probablement l'explication la plus simple au dérèglement non pas du climat mais de la lucidité de certains.

Un commentateur a attiré mon attention :

C’est fou , dès que chimie ou pesticides sont mentionnés , les ultracrépidarianistes rappliquent , je suis atterré du monceau de conneries qu’on peut lire …

Je ne sais pas à qui c'est destiné, peut-être que monsieur Decoene ne se rend pas compte que c'est à lui qu'il s'adresse ?


 

2 commentaires:

  1. Ça decoenne sec 😁
    Merci en tout cas Ged pour tout tes articles…
    Une délectation souvent 😋

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    1. Je suis le premier à me délecter, peut-être devrais-je consulter ?

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