samedi 2 janvier 2021

Flash-back de janvier (préambule)

Les climato-désinformateurs, que bientôt tout le monde appellera les climatonégationnistes sans plus se poser de questions existentielles sur l'usage du mot négationniste comme le font encore certains aujourd'hui, aiment bien revenir sur le passé en recensant toutes les prédictions en relation avec le climat qui ne se sont pas encore...révélées justes ! En effet ce n'est pas parce qu'on se trompe sur une date qu'un événement n'arrivera jamais ; si je prédis la mort de quelqu'un un jour précis et que ce jour-là la personne est toujours en vie, ce qui est certain c'est qu'elle mourra bien un jour dans le futur ; de la même façon si l'on se trompe (ce qui au demeurant reste à prouver) sur la date de survenance d'un événement climatique, comme par exemple la disparition totale de la banquise arctique à la fin de l'été, cela ne veut en aucun cas dire que cette banquise ne disparaitra jamais à un moment de l'année.

Ainsi le site professionnel de désinformation WUWT nous a régalé début janvier d'un article intitulé 10 Failed Predictions qui reprenait servilement une vidéo d'un autre désinformateur professionnel en la personne de Steve Milloy qui, vous ne l'auriez jamais deviné, a sa fiche personnalisée sur Desmogblog qui dit de lui
Steve Milloy joined the Heartland Institute's board of directors in 2020. He previously worked as director of external policy and strategy at Murray Energy Corp, which claims to be the largest privately-owned coal producer in the United States.
Steve Milloy a rejoint le conseil d'administration de l'Institut Heartland en 2020. Auparavant, il a travaillé comme directeur de la politique et de la stratégie extérieures chez Murray Energy Corp, qui prétend être le plus grand producteur privé de charbon aux États-Unis.
Et quelles sont les qualifications de Steven Milloy en matière de science climatique ? Nulles. En effet, ce gentleman est, selon Wikipédia,
a lawyer, lobbyist, author and Fox News commentator.
un avocat, lobbyiste, auteur et commentateur de Fox News.
Ce qui n'est pas démenti par son employeur lui-même, le Heartland Institute, qui dit de lui :
Steven Milloy is a recognized leader in the fight against junk science with more than 25 years of accomplishment and experience. He joined the Board of Directors of The Heartland Institute in 2020.
Steven Milloy est un leader reconnu dans la lutte contre la pseudo-science, avec plus de 25 ans de réalisations et d'expérience. Il a rejoint le conseil d'administration du Heartland Institute en 2020.
Quand on représente la « junk science », c'est-à-dire la pseudo-science, la meilleure stratégie à adopter pour berner les gogos est de prétendre qu'on lutte en réalité contre elle et donc qu'on défend la « vraie science », celle, vous l'avez compris, qui est dispensée par la revue scientifique WUWT dont le comité de lecture est composé...de ses lecteurs !

Et la boucle est ainsi bouclée :
  • WUWT mentionne Steve Milloy dans ses articles
  • Steve Milloy s'appuie sur des sites comme WUWT
  • WUWT mentionne etc.
Pour la petite histoire Steve Milloy, tout comme feu Fred Singer au passage, a nié les effets délétères du tabagisme passif comme nous l'indique encore Wikipédia (que l'on ne remerciera jamais assez pour le boulot effectué) :
Milloy has criticized research linking second-hand tobacco smoke to cancer, claiming that "the vast majority of studies reported no statistical association."[
Milloy a critiqué les recherches reliant le tabagisme passif au cancer, affirmant que "la grande majorité des études n'ont fait état d'aucune association statistique".
Ainsi notre ami écrivait en 2001 sur son propre site, Junkscience.com -- Secondhand Smokescreen (archive.org) :
A credible link between secondhand smoke and lung cancer remains elusive despite more than 40 published studies.
Un lien crédible entre le tabagisme passif et le cancer du poumon reste insaisissable malgré plus de 40 études publiées.
Evidemment en 2001 on avait suffisamment d'indices prouvant que le tabagisme passif pouvait causer le cancer du poumon de personnes non fumeuses vivant ou travaillant près de fumeurs « actifs », tout comme aujourd'hui nous savons pertinemment quels sont les effets attendus de nos émissions de CO₂ sur le climat global ; mais le boulot de Steve Milloy, ce pour quoi il est (grassement) payé, c'est de jeter le doute, bref nous sommes bien en présence d'un « marchand de doute » pour reprendre le titre d'un livre de Naomi Oreskes et Erik Conway.

Pour en revenir à l'article des « 10 prédictions qui ne se sont pas réalisées » (10 failed predictions) l'une d'elles, la première citée, nous parle d'un article publié dans le journal Science en 1978 qui aurait pronostiqué qu'avant 2020 les niveaux de CO₂ atmosphériques doubleraient et qu'en 2060 ils seraient de 5 à 10 fois plus élevés, et on nous montre alors ceci :

A 1:05 - En 1978, un article paru dans la prestigieuse revue Science affirmait que d'ici 2020, les niveaux de CO2 atmosphérique auront doublé...(source YouTube)

Personnellement, n'ayant aucune formation scientifique j'ai toujours un peu de mal pour lire correctement les papiers de ce genre, cependant j'ai des yeux pour voir et justement je vois dans la figure 6 la courbe a qui de mon point de vue représente la concentration en CO₂ de l'atmosphère, puisque l'on part d'un peu moins 300 ppm en 1900 pour en arriver...à environ 400 ppm aujourd'hui, ce qui correspond assez bien à la réalité ! Par contre je ne m'explique pas la courbe de gauche (figure 5) qui monte jusqu'à des niveaux stratosphériques de plus de 2 500 ppm vers 2100, mais je me dis que là on (c'est-à-dire Milloy) est en train d'essayer de me prendre pour un con ! Je n'ai pas accès à l'intégralité de l'article qui est derrière un paywall (voir Predicting future atmospheric carbon dioxide levels - PubMed (nih.gov)) cependant le résumé nous dit ceci :
Results from different models for the natural carbon dioxide cycle are compared. Special emphasis is given to the type of ocean modeling (diffusive deepsea or two-box ocean), behavior of the biosphere, and value of the oceanic buffer factor against carbon dixoide (sic) uptake. According to the most probable models, the fraction of the cumulative production remaining airborne will be between 46 and 80 percent 100 years from now for any realistic assumptions concerning future carbon dioxide production. For a prescribed maximum increase of 50 percent above the preindustrial carbon dioxide level, the production could grow by about 50 percent until the beginning of the next century, but should then decrease rapidly.
Les résultats de différents modèles pour le cycle naturel du dioxyde de carbone sont comparés. Une attention particulière est accordée au type de modélisation de l'océan (océan profond diffusif ou océan à deux compartiments), au comportement de la biosphère et à la valeur du facteur tampon océanique contre l'absorption du dixoide (sic) de carbone . Selon les modèles les plus probables, la fraction de la production cumulative restant dans l'air se situera entre 46 et 80 % dans 100 ans pour toute hypothèse réaliste concernant la production future de dioxyde de carbone. Pour une augmentation maximale prescrite de 50 % au-dessus du niveau préindustriel de dioxyde de carbone, la production pourrait augmenter d'environ 50 % jusqu'au début du siècle prochain, mais devrait ensuite diminuer rapidement.
Je me permets donc de lancer un appel au secours à mes quelques lecteurs ayant les capacités pour comprendre ce charabia et de m'expliquer ce que signifie en réalité le graphique stratosphérique ! Est-ce que par hasard, comme semble le suggérer la légende, il représenterait le taux de CO₂ si l'on arrivait à brûler tout ce qui réside dans le sol en tant que combustible dit fossile (charbon, pétrole et gaz) ? Mais même cela j'ai du mal à le comprendre, cela me parait totalement disproportionné...

Quoi qu'il en soit, pas la peine de visionner le reste si l'on a affaire au même genre d'information frelatée sortie de son contexte et triturée de façon à lui faire dire probablement des choses que les auteurs n'avaient certainement pas l'intention de prétendre ; on aura compris que Steve Milloy utilise les mêmes ficelles qu'un Pierre Gosselin quand celui-ci nous sort une liste de papiers supposés contredire la science « officielle » mais qui, lorsqu'on les lit attentivement, ne montrent pour l'immense majorité d'entre eux rien de tel (voir à ce sujet Difficultés de compréhension ou simple mauvaise foi chez Skyfall ? ainsi que Bientôt un consensus à 100% ?)

Bref nous sommes en présence de ce qu'on appelle maintenant de la « réinformation », c'est-à-dire une information acclimatée (sic) à la mode de l'extrême droite et des énergies fossiles réunies pour le meilleur et surtout pour le pire.

Alors comme ces messieurs (oui pas beaucoup de dames dans ce marigot, à part Judith Curry et Susan Crockford) se permettent de revenir quelques décennies en arrière pour tenter de tirer suffisamment de matière afin d'alimenter leur machine à fadaises, j'ai eu moi-même l'idée de lancer un nouveau projet que j'ai baptisé de manière très originale Flash-back (preuve que j'ai de l'imagination hein !) afin de vous transporter dans le passé et de vous faire découvrir les véritables âneries que l'on peut dénicher chez les habituels suspects qui œuvrent pour la plupart toujours actuellement (certains sont morts mais ils ne seront pas épargnés)

Je ne pense pas pouvoir remonter le temps jusqu'en 1978 comme le fait si bien Steve Milloy, pour la bonne raison que ce qu'on nomme mal à propos le climato-« scepticisme » est un phénomène relativement récent ayant émergé peu après la création du GIEC en 1988 et la chute du bloc soviétique en 1989-1991. Avant cette période troublée il n'y avait pas photo, même « Big Oil » partageait le consensus général et en 1978 Exxon lui-même était parfaitement informé par ses scientifiques maison et ne le cachait pas (voir Le long chemin du climatoscepticisme)

A cette occasion je mets d'ailleurs au défi mes lecteurs de me montrer un lien vers un article, une vidéo, un livre remettant en cause le réchauffement climatique anthropique et datant d'avant disons 1990. Comme le développement de l'internet à des fins purement personnelles, notamment avec les blogs puis les réseaux sociaux, ne date que du début des années 1990, à mon avis il vous sera très difficile de trouver quelque chose à vous mettre sous la dent, mais je vous fais confiance, avec un peu de persévérance vous pouvez arriver à dénicher la perle rare !

Pour ma part je pense que je remonterai donc au maximum aux années 2000, j'ai déjà un petit stock sous la main et j'essayerai de vous le délivrer au compte-goutte mois après mois afin de bien faire durer le plaisir.

2 commentaires:

  1. Bonjour Ged, et bonne année.

    Je suis allé lire l'article de Siegenthaler et Oeschger. Surprise, surprise, il ne fait pas de prédictions, mais teste un modèle du cycle du carbone avec certains scénarios. Bien évidemment, Milloy n'a considéré que le scénario le plus extrême, en se gardant bien de le spécifier. C'est donc, comme vous l'avez pressenti, de la désinformation pure et simple.

    Pour faire bref, les auteurs précisent d'entrée de jeu la portée de leur travail : "The CO₂ problem has three aspects: (i) the prediction of future CO₂ levels, (ii) the climatic consequences of a CO₂ increase, and (iii) the impact a given climatic change will have on man. We intend to discuss here the first aspect only, by means of models for the global CO₂ cycle. [...] Our aim is to compare predictions for various input functions and different model approaches to find the extent to which predictions are possible today and the uncertainties that are involved because of our limited knowledge of the global carbon system"

    Et donc ils passent quelque pages à décrire les hypothèses de leur modèle, basés sur des échange simples entre trois boîtes représentant les trois composantes principales du cycle du carbone : l'océan, la biosphère et l'atmosphère. Les détails ne sont pas intéressants, et les modèles ont probablement bien évolués depuis plus de 40 ans. Certaines hypothèses aussi sont probablement infondées, comme leur choix de ne pas considérer que la biosphère pourrait augmenter, du fait des activités humaines, notamment la déforestation. Cela mène leur modèle a probablement surestimer la fraction aérienne (airborne fraction), la proportion de CO₂ produit qui va rester dans l'atmosphère, mais peu importe.
    Ce qui est évidemment plus intéressant est la suite : les scénarios utilisés. Ils se sont d'abord contentés de deux scénarios, un décrivant la "lower limit" et un l'"upper limit". Le premier considère que la production de CO₂ reste stable au niveau de 1975, c-à-d 2.4 ppm/an (attention, il s'agit de production donc une partie seulement de ce CO₂ reste dans l'atmosphère. Sous ce scénario, la fraction aérienne serait toujours de l'ordre de 40 à 60%, et un doublement de la concentration de CO₂ serait atteint entre les annnées 2160 et 2480 ! La figure 4 de l'article, malencontreusement oubliée par Milloy, décrit ce scénario.
    Le scénario opposé (upper limit) suppose que tout le carbone raisonnablement disponible (équivalent selon eux à 3340 ppm) est brûlé rapidement, avec la production de CO₂ qui augmente de 5% par an dès 1970. Sous ce scénario, la fraction aérienne pourrait augmenter jusque 83% en 2070, et effectivement, un doublement de concentration serait atteint en 2020, et la concentration pourrait atteindre des niveaux incroyables de 5 à 10 fois le niveaux pré-industriel, entre 40 et 80 ans après le pic de production, estimé en 2060.
    Bien sûr, ce scénario n'est évoqué que pour tester le fonctionnement du modèle, quel dommage que ce point crucial ait échappé à Milloy.
    Pour terminer leur travail, les auteurs font ensuite une démarche inverse, déterminer le scénario sous lequel la concentration de CO₂ resterait à un niveau supposé raisonnable (par les premiers modèles climatiques, qui déjà à l'époque, estimaient la sensibilité climatique autour de 3K), à savoir pas plus de 50% en plus par rapport au niveau pré-industriel. Le scénario qui sort de cet exercice détermine que la production de CO₂, qui augmente rapidement jusqu'en 2000, devrait diminuer après cela, pour atteindre des niveaux de 1970 entre 2030 et 2080. Ce qui n'est pas loin de ressembler aux engagements actuels des pays industrialisés dans le cadre des accords de Paris. C'est ce scénario qui est décrit à la figure 6.
    Voilà l'explication. Merci de m'avoir permis ce petit exercice d'aeration du cerveau en ce dimanche matin paresseux et légèrement teinté de gueule de bois ;-)

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    1. Merci VB pour vos vœux que je vous retourne aussi sec, que les vents de 2021 vous soient favorables à vous et votre petite famille ainsi qu’à tous ceux qui comptent sur vous dans le domaine professionnel (et je sais qu’ils sont nombreux !)

      Je pensais bien que si quelqu’un devait répondre à mon appel au secours il y avait de grandes chances que ce soit vous, même si j’ai toujours des doutes en me demandant si vous continuez à me lire, et là je dois dire que je suis agréablement surpris, surtout par la rapidité avec laquelle vous avez réagi !

      Merci, encore une fois un grand merci pour vos interventions qui apportent la touche scientifique qui me manque cruellement, et dans le cas présent vos explications limpides (j’espère que le mal de crâne est passé…) permettent de lever définitivement le voile sur la tentative de désinformation qui était pour moi évidente sans que je puisse le prouver avec les détails que vous donnez.

      Je pense que si j’avais eu accès à l’intégralité de l’article j’aurais pu expliquer « à peu près » l’arnaque, tout comme n’importe quel quidam aurait d’ailleurs pu le faire, mais bien évidemment un bon désinformateur tel que Milloy va s’arranger pour ne fournir que le strict nécessaire qui suffira pour enfumer les gogos paresseux qui n’iront pas chercher plus loin du moment que cela colle avec ce qu’ils croient.

      J’ai d’ailleurs remarqué que vous n’aviez pas, malgré la gueule de bois, perdu votre sens de l’humour avec vos allusions aux « oublis » de Steve Milloy ou à des choses qui lui auraient « échappé » ! Effectivement un bon réinformateur est quelqu’un qui sait présenter à ses lecteurs des morceaux choisis permettant une dégustation parfaite non polluée par des éléments perturbateurs pouvant éventuellement amener à réfléchir.

      Je pense que l’année 2021 s’annonce bien, des Steve Milloy il y en a bien d’autres et ils auront encore du travail pour longtemps, du moins tant que leurs employeurs jugeront qu’il est toujours utile de les rémunérer.

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