mardi 12 janvier 2021

Comme un poulet sans tête

 

Républicains en plein désarroi.

Le soir du 6 janvier dernier je n'aurai manqué de regarder CNN à 19 heures précises pour rien au monde. Je me doutais qu'il pouvait se passer quelque chose, par exemple que Mike Pence refuse de certifier les résultats et qu'il y ait donc du spectacle au Congrès, et France Info, par exemple, faisait état de certaines craintes dans Etats-Unis : journée décisive au Congrès pour Joe Biden (francetvinfo.fr) où l'on entend Loïc de La Mornais dire notamment que « les députés vont voter pour confirmer les résultats de l'élection de novembre et certains, des conservateurs trumpistes, ont annoncé qu'ils voteraient contre la confirmation de Joe Biden » en ajoutant cependant que « Ça ne changera rien au résultat, Joe Biden sera investi le 20 janvier prochain. »

On pouvait donc s'attendre à une représentation simplement « comique », mais à la place nous avons eu du « tragi-comique » gratiné que pas grand monde aurait pu imaginer.

On savait pourtant que Donald Trump allait prendre la parole devant ses partisans ce même jour, juste avant la certification de Joe Biden au Congrès, et ses paroles résonnent aujourd'hui de manière éclatante et prémonitoire. Nous en avons la transcription exacte que chacun peut vérifier avec This is what Trump told supporters before many stormed Capitol Hill - ABC News (go.com) :

Donald J. Trump dans son numéro favori de claquettes.

Voici par exemple l'un des moments clés :

All of us here today do not want to see our election victory stolen by a bold and radical left Democrats, which is what they are doing, and stolen by the fake news media. That is what they have done and what they are doing. We will never give up. We will never concede. It doesn't happen. You don't concede when there's theft involved.
Nous tous ici présents ne voulons pas voir notre victoire électorale volée par une gauche démocrate audacieuse et radicale, ce qu'elle fait, et volée par les pseudo-médias. C'est ce qu'ils ont fait et c'est ce qu'ils sont en train de faire. Nous n'abandonnerons jamais. Nous ne céderons jamais. Cela n'arrive pas. On ne concède pas quand il y a un vol.

Et il termine son discours ainsi :

So we are going to--we are going to walk down Pennsylvania Avenue, I love Pennsylvania Avenue, and we are going to the Capitol, and we are going to try and give--the Democrats are hopeless, they are never voting for anything, not even one vote but we are going to try--give our Republicans, the weak ones because the strong ones don't need any of our help, we're try--going to try and give them the kind of pride and boldness that they need to take back our country. So let's walk down Pennsylvania Avenue.
Nous allons donc - nous allons marcher sur Pennsylvania Avenue, j'adore Pennsylvania Avenue, et nous allons aller au Capitole, et nous allons essayer de donner - les démocrates sont sans espoir, ils ne votent jamais pour quoi que ce soit, pas même un vote, mais nous allons essayer - pardonner à nos républicains, les faibles parce que les forts n'ont pas besoin de notre aide, nous allons essayer - d'essayer de leur donner le genre de fierté et d'audace dont ils ont besoin pour reprendre notre pays. Alors, marchons sur Pennsylvania Avenue.

On passera sur le style décousu pour ne pas dire extrêmement médiocre qui est la marque de fabrique de tout discours public de Trump, ce qui compte c'est le fond, et ici le fond est suffisamment explicite : Trump incite clairement ses supporters à marcher sur le Capitole pour tenter d'inverser le résultat des élections !

A ce stade-là on est en droit de se poser une question en forme d'alternative : qu'est-ce qui est le plus hallucinant ?

  • que Donald Trump, président de la première puissance économique et militaire du monde, se permette de se comporter tel un dirigeant de république bananière ?
  • ou que ses nombreux partisans le suivent sans réfléchir ?
Nous avons dans l'histoire d'autres exemples où des dirigeants ont réussi à subjuguer leur peuple, du moins une assez grande partie de celui-ci, afin de l'entrainer dans le chaos : Hitler, Mussolini et Staline viennent immédiatement à l'esprit, mais on peut y ajouter Mao, Franco, Pinochet, même si ces derniers n'ont pas vraiment eu la volonté de commettre des meurtres de masse ; plus récemment nous avons eu des dictateurs soft (i.e. des dictateurs potentiels qui le deviendraient réellement si on leur en donnait la possibilité) tels que Bolsonaro, Orbán ou Modi, entre autres, tous régulièrement élus et bénéficiant donc du soutien d'une large partie de la population ; on pourrait y ajouter les « en devenir » comme Le Pen ou Maréchal (nous voilà) pour la France, elles aussi ont le soutien d'une large partie de la population et comme par hasard elles aussi soutiennent Trump dans ses délires (la Marine essaie de faire croire que « Trump n'a pas mesuré la portée de ses propos »)

Alors maintenant la suite...

Si vous voulez connaitre mon sentiment (et je ne doute pas que vous le vouliez) il ne va rien se passer de particulier d'ici le 20 janvier prochain.

Nous aurons très probablement des manifestations de gros barbus dopés à la bière et au McDo, mais en aucun cas les autorités ne laisseront se reproduire un 6 janvier bis dans l'un des 50 Capitoles de la fédération ; les forces de l'ordre tireront sans complexe aucun sur quiconque essaierait de rééditer l'« exploit » des décérébrés du 6 janvier et Joe Biden, dans un environnement ultra-protégé, sera confirmé comme le 46ème président des Etats-Désunis d'Amérique.

Qu'arrivera-t-il à tous ceux qui ont soutenu le clown orange, tels Rudi Giuliani ou Ted Cruz ou Josh Hawley, en jetant de l'huile sur le feu en encourageant la foule d'écervelés à investir par la force le Capitole ? Je n'en sais fichtrement rien mais j'ai peur que rien de malheureux ne leur arrive et qu'ils n'aient pas vraiment à répondre de leurs actes, nous verrons bien.

La question se pose de la nécessité de destituer ou de mettre en accusation (impeach) Donald Trump ; certains redoutent que de telles procédures en feraient un martyr, mais Donald Trump est DEJA un martyr aux yeux de ses adorateurs qui ne voient en lui que le héro ayant « rendu à l'Amérique sa grandeur » qui s'est fait voler le résultat de l'élection avec un second mandat à la clé, et à mon avis ce serait une gravissime erreur de « laisser pisser » et donner ainsi l'impression que finalement il n'avait rien à se reprocher puisque n'est-ce pas, si on ne tente rien contre lui c'est donc qu'il est blanc comme neige !

Le destituer avec la procédure de l'impeachment aurait au moins un avantage : l'empêcher définitivement de se représenter en 2024 ainsi qu'à n'importe quelle élection, ou du moins rendre de telles choses incroyablement difficiles à réaliser.

A noter que la procédure de l'impeachment peut être invoquée pour n'importe quel « fonctionnaire public » qui se serait rendu coupable de méfaits, bien qu'il soit difficile de dire en quoi consistent exactement ces méfaits ; ainsi dans What is impeachment, who invokes it and what is the House voting on? | The Independent :
The president, under the Constitution, can be removed from office for "Treason, Bribery, or other High Crimes and Misdemeanours".

High crimes and misdemeanours have historically encompassed corruption and abuses of the public trust, as opposed to indictable violations of criminal statutes.

En vertu de la Constitution, le président peut être révoqué pour "trahison, corruption ou autres crimes et délits graves".

Les crimes et délits graves ont toujours englobé la corruption et les abus de confiance du public, par opposition aux violations des lois pénales.
Nous avons vu, avec la première procédure d'impeachment à l'encontre de Donald Trump, qu'il est assez facile, finalement, de noyer le poisson et de faire passer des « crimes et délits graves » pour de simples écarts de conduite sans réelles conséquences, et en cela Mitch McConnell s'est montré d'une redoutable efficacité pour faire en sorte que rien n'aboutisse et que son protégé à la Maison Blanche s'en sorte haut la main avec en prime la certitude qu'il pouvait à partir de là se permettre de franchir d'autres limites encore plus lointaines que celles qu'il avait déjà largement dépassées sans se soucier du qu'en-dira-t-on.

Les jours qui viennent, jusqu'au 20 janvier mais aussi au-delà, vont être passionnants dans le sens où j'ai hâte de lire les réactions des tarés complotistes qui bien évidemment n'accepteront jamais Joe Biden comme LEUR président.

Un adorateur de Donald Trump répétant cot cot cot à qui veut l'entendre.


4 commentaires:

  1. Je pense que crier au populo-nazisme d'une frange (qui finit par être large) de débiles, est également se comporter en poulet sans tête, courant simplement dans un autre poulailler. Essayer de décortiquer les mécanismes à l'oeuvre,y compris si cela est extrêmement désagréable,pourrait être si ce n'est salvateur,au moins constructif.

    Je propose l'approche suivante : la massification des sociétés humaines implique un "désencapacitement" des individus par l'hyperspécialisation et (donc) une certaine forme de fosilisation de l'ordre hiérarchique nécessaire à la tenue cohérente de l'ensemble. Cette forme d'impuissance individuelle devient problématique lorsque tout ou partie d'une société rencontre des difficultés (matérielles, énergétiques,sanitaires,etc.).

    Il semblerait alors que tout bipède en tension préférera trouver un héros/un bouc émissaire plutôt que de faire face au vide de sa propre impuissance. C'est ainsi que je m'explique le surgissement de colères irrationnelles, mais également l'incapacité collective des "sachants", comme des "débiles" à faire face aux défis grandissants qui surgissent dans le monde réel (par opposition au monde-scène de théâtre des sociétés humaines civilisées) et qui sont les fruits délétères de ladite organisation.

    En effet, le groupe des rationnels a beau jeu de désignerle groupe des irrationnels comme un poids mort ou à éduquer, alors que globalement il est aux manettes du monde depuis des décennies à minima, et donc qu'il façonne la société d'individus impuissants.

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    1. « le groupe des rationnels [...] est aux manettes du monde depuis des décennies à minima, et donc qu'il façonne la société d'individus impuissants.»

      Oui, certes, il s'agit là d'une partie non négligeable du problème, et si Trump a été élu en 2016 c'est un peu « grâce » à Hillary Clinton qui était perçue comme la « représentante de Wall-Street » ; on ne dira jamais assez les ravages du capitalisme, tendance néo-libérale, sur la montée des extrêmes, qu'ils soient de gauche ou de droite.

      Il n'empêche qu'aux US c'est bien l'extrême droite, avec les Proud Boys et le mouvement Qanon qui ont pris le relai du Tea Party, qui est la vedette des derniers événements ; Donald Trump n'en est pas l'initiateur, il est seulement opportuniste et joue la seule corde de son instrument qui suffit à faire bander quasiment la moitié des Américains. La religion y joue une part prépondérante, sans être la seule explication au phénomène de délabrement de la démocratie.

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  2. Oui, c'est un opportuniste né. Il y aurait également un volet de techno-critique à articuler avec mon point précédent, mais c'est long.

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  3. En complément au sujet de l'impeachment : https://www.politifact.com/factchecks/2021/jan/11/facebook-posts/fact-checking-viral-post-about-impeachment-and-tru/

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