Lu dans l'Express page 12, dans les actualités de la semaine :
Samedi 12 mai, une des balles tirées par la police pour stopper Khamzat Azimov a fini sa course dans un café du quartier de l'Opéra, à Paris. L'autre a atteint mortellement le terroriste.[le reste sans importance]
Ainsi on comprend qu'au moins deux balles ont été tirées par un policier et que l'une d'entre elle est allée se perdre dans un café voisin...
Information confirmée sur certains détails par France Soir
Le policier dit avoir utilisé à deux reprises son arme paralysante, mais sans succès. "Ce pistolet c’est un peu comme une prise électrique, il faut que les deux ardillons touchent en même temps la cible pour que cela fonctionne. (Il) a une portée de trois mètres pour être efficace. Mais trois mètres, c’est peu quand vous êtes face à un individu armé d’un couteau".
Entre les deux tentatives, l'agresseur a déjà tenté de poignardé (sic) un des policiers mais sa lame s'est heurté (sic) au gilet pare-balles. "Mon collègue sait que je n’ai que deux cartouches, et il décide de tirer. À deux reprises. Une des deux balles touche l’assaillant qui, blessé, tombe au sol", poursuit le policier.
Une video nous permet également de corroborer ce qu'écrivent L'Express et France Soir, avec l'interview sur les lieux des faits d'un des deux policiers pris à partie par le déséquilibré, plus exactement celui qui a tenté d'arrêter celui-ci avec son pistolet Taser, sans succès ; avec en prime des images du point d'impact de la balle ayant « raté » l'agresseur :
Source videos |
Source videos |
Récapitulons :
- Apparemment deux policiers en service et armés correctement, l'un avec un Taser (on ne sait pas pour l'autre) et les deux avec chacun un pistolet tirant à balles réelle, font face à un individu qu'ils prennent pour un « simple » déséquilibré (ils ne sont pas au courant qu'il a déjà tué une personne avec son couteau) ;
- L'agresseur tente de poignarder l'un des deux policiers mais la lame de son couteau se brise sur son gilet pare-balles ;
- Un policier tente de neutraliser l'agresseur avec son Taser, à deux reprises, mais semble avoir fait preuve d'un manque flagrant de sang-froid (pour ne pas dire qu'il a paniqué...) en utilisant son arme de trop loin, rendant les deux tirs inopérants ;
- L'autre policier, voyant que son collègue a manqué ses deux tirs et que de plus l'agresseur a tenté de le poignarder, tire à deux reprises alors qu'il est quasiment au corps-à-corps avec lui, mais malgré cela une des deux balles se retrouve dans la vitre d'un café, et donc dans le café lui-même !
Conclusion que l'on pourrait tirer à chaud :
- Il faudrait équiper la population avec des gilets pare-balles afin de la protéger efficacement.
Ceci est une (demie) boutade.
Evidemment qu'il est irréaliste d'équiper toute la population avec des gilets pare-balles.
Mais est-il plus réaliste de l'équiper avec des armes à feu afin de faire face à ce genre de situation ?
Selon certains (comme ici chez Contrepoints avec l'inénarrable h16)
IL N’Y A AUCUNE CORRELATION entre morts par balle et détention d’armes à feu.
Un peuple désarmé, c’est plein de contribuables. Un peuple armé, c’est plein de citoyens.
Il existe plein de pays avec plus d’armes par habitant que la France et pour lesquels l’insécurité perçue ou réelle est plus faible.
Vous me direz que le déséquilibré (car c'en est un, c'est trop facile de simplement le traiter de terroriste à la solde de DAESCH) n'avait qu'un simple couteau et qu'il n'a donc pas tué avec une arme à feu, mais je répondrais à cette objection deux choses :
- C'est h16 lui-même qui a amené le sujet en relation avec cet « attentat », la discussion a donc dérapé en partant d'une attaque à l'arme blanche pour en arriver aux « morts par balles et détention d'armes à feu » ;
- Ensuite, qu'aurait-on dit, et surtout qu'aurait écrit h16 si la balle perdue du policier s'était retrouvée dans la tête d'un client prenant tranquillement une collation dans le café.
Alors je demande à chacun de bien réfléchir au fait que nous étions en présence de deux jeunes policiers, armés, entrainés (en principe) à faire face à ce genre de situation, et que ces deux policiers n'ont pas été capables de gérer l'incident de manière convenable en maitrisant l'agresseur sans risquer de faire des victimes collatérales.
Vous me direz (encore) que vous voudriez bien m'y voir, moi, à leur place, et vous auriez raison.
Laissez-moi vous dire que malgré mes 40 ans de pratique du judo je ne suis pas du tout certain que j'aurais su maitriser l'individu...avec une arme à feu ! Pour cela encore faudrait-il que je sois entrainé régulièrement (et pas tous les trois ans) au tir en situation proche de la réalité, et pas seulement en faisant des cartons sur des cibles immobiles.
Et même en étant entrainé, comme doivent l'être ces deux policiers, eh bien euh...nous avons vu le résultat...
A la limite j'aurais eu davantage de chance en affrontant l'agresseur à mains nus en faisant confiance à mes réflexes de judoka entrainé au combat et (un peu) à la self-défense, mais ce n'est même pas certain, car il était jeune et vigoureux et en ce qui me concerne, euh...bon enfin, vous m'avez compris, on ne peut pas être et avoir été...
Seulement voilà, peu de gens sont aptes à se battre dans la rue, que ce soit avec ou sans armes ; et avec une arme ils peuvent se montrer plus dangereux qu'un agresseur en ne maitrisant pas son maniement, alors pensez-donc, armer les citoyens pour qu'ils se défendent contre des terroristes ou de simples déséquilibrés, c'est vraiment se moquer du monde.
Et dire que le clown d'outre Atlantique a (ou avait) dans l'idée d'armer les professeurs afin qu'ils puissent neutraliser les tueurs de masse dont l'Amérique semble si friande (380 morts en 2015, avec près d'une tuerie par semaine dans les écoles, 30 tueries de masse déjà au 15 février 2018) comme s'il s'agissait de LA solution au problème.
A la date d'aujourd'hui nous en sommes à ce bilan (aux Etats-Unis bien sûr) d'après gunviolencearchive
Bilan au 16 mai 2018 (source gunviolencearchive) |
Donc oui, 100 tueries de masse au 16 mai, soit 70 de plus depuis le 15 février ; et surtout plus de mille enfants et adolescents tués ou blessés, dont on ne sait pas quelle est la proportion concernant les tueries de masse ou les « autres » décès par arme à feu, mais est-ce vraiment important à ce stade de faire la différence ?
On notera les « tirs non intentionnels », au nombre de 623, démontrant s'il était nécessaire que l'usage des armes à feu n'est pas des plus évidents et que même au pays des armes à feu il y a de nombreux individus qui ne savent pas s'en servir !
Et The Conversation nous explique pourquoi ce n'est vraiment pas une bonne idée d'armer les professeurs.
Tout d'abord parce que « l'un des plus grands risques liés à l'armement des enseignants serait de manquer la cible - littéralement. » !
Et c'est là que nous apprenons que d'après une étude intitulée Evaluation of the New York City Police Department Firearm Training and Firearm-Discharge Review Process (Évaluation de la formation sur les armes à feu et du processus d'examen des décharges d'armes à feu du service de police de la ville de New York) « les policiers impliqués dans des fusillades tirent avec un taux de précision...de seulement 18% » !! On peut lire page 14 :
As has been reported nationally, police officers often miss their targets (Morrison, • 2006, p. 332). The NYPD reports hit-rate statistics both for officers involved in a gunfight and for officers who shoot at subjects who do not return fire. Between 1998 and 2006, the average hit rate was 18 percent for gunfights. Between 1998 and 2006, the average hit rate in situations in which fire was not returned was 30 percent. In 2006, the hit rate against subjects who did not return fire was 27 percent.
Comme cela a été rapporté à l'échelle nationale, les agents de police manquent souvent leurs cibles (Morrison, • 2006, page 332). Le NYPD rapporte des statistiques de taux de réussite à la fois pour les officiers impliqués dans une fusillade et pour les officiers qui tirent sur des sujets qui ne ripostent pas. Entre 1998 et 2006, le taux de succès moyen était de 18% pour les fusillades. Entre 1998 et 2006, le taux de succès moyen dans les situations où le feu n'a pas été renvoyé était de 30%. En 2006, le taux de réussite contre les sujets n'ayant pas riposté était de 27%.
Sans compter que les tueurs auraient, quant à eux, des objectifs à neutraliser en priorité, à savoir les professeurs !
Et une étude, intitulée Preparing for the Attack: Mitigating Risk through Routines in Armed Self-Defense (Se préparer à l'attaque : réduire les risques par des routines dans l'autodéfense armée), vient expliquer les raisons qui font rater les cibles ; en voici le résumé :
Prior research has shown that owning firearms for self-defense can be motivated by perceived risks and a desire to mitigate those risks. Keeping and carrying guns for self-defense also introduces risks to owners and others. We examine ways that consumers mitigate these latter risks. We employ theories of practice and prior work on risky consumption to interpret observational, interview, and textual data gathered from a multi-sited ethnography of consumers of handguns for self-defense. We reveal that these consumers attempt to mitigate risks in three ways: through readiness practices with guns but no assailant, simulated scenario practices incorporating simulated assailants, and mental rehearsals incorporating imagined assailants. This research contributes a model of risk mitigation in risky consumption, explicates how social norms and mental activities foster a sense of security from specific risks, and shows that collaboration is required for development of practical understanding of risk-mitigating routines that incorporate multiple people.
Des recherches antérieures ont montré que posséder des armes à feu pour se défendre peut être motivé par des risques perçus et un désir d'atténuer ces risques. Garder et porter des armes à feu pour l'auto-défense présente également des risques pour les propriétaires et les autres personnes. Nous examinons les façons dont les consommateurs atténuent ces derniers risques. Nous utilisons des théories de la pratique et des travaux antérieurs sur la consommation risquée pour interpréter les données d'observation, d'entrevue et de texte recueillies à partir d'une ethnographie multi-localisée de consommateurs d'armes de poing pour la légitime défense. Nous montrons que ces consommateurs tentent d'atténuer les risques de trois façons : par des pratiques de préparation avec des armes à feu, mais sans agresseur, des pratiques simulées comprenant des assaillants simulés, et des répétitions mentales incorporant des assaillants imaginés. Cette recherche fournit un modèle d'atténuation des risques dans la consommation risquée, explique comment les normes sociales et les activités mentales favorisent la sécurité face aux risques spécifiques et montre qu'une collaboration est nécessaire pour développer une compréhension pratique des routines d'atténuation des risques incluant plusieurs personnes.
Pendant 24 mois, l'équipe de recherche a suivi 6 879 discussions dans quatre forums de discussion en ligne axés sur l'autodéfense armée. Un auteur a suivi une formation sur les permis de pistolet dissimulé. Deux auteurs ont assisté à la convention annuelle de la NRA. Les principaux auteurs ont assisté à deux expositions d'armes à feu et ont interrogé deux policiers et neuf civils qui gardaient et / ou portaient des armes de poing pour se défendre.
On apprend ainsi que certains individus ont exprimé leurs craintes de ne pas pouvoir appliquer ce qui leur avait été enseigné s'ils devaient se retrouver un jour confrontés à une situation de danger réelle ; ils avaient peur d'être littéralement « tétanisés » (possibility of “freezing up”) ou de sortir leur arme de manière maladroite (clumsily drawing their weapons)
Mais surtout, beaucoup, y compris des policiers et des militaires, reconnaissent que se retrouver dans une situation de stress provoque (ou peut provoquer) des « réponses physiques involontaires » (involuntary physical responses) comme un emballement des battements du cœur ou une « perte de motricité fine » (loss of fine motor skills)
D'autres risques bien compréhensibles sont notés, comme celui de se tromper de cible et de tirer sur un innocent, ou bien tout simplement d'être pris pour cible par le tueur qui voit que vous êtes armé.
Une autre raison, principalement due au contexte, est que dans les tueries de masse se produisant dans les écoles et collèges les tueurs sont très souvent des étudiants que les professeurs connaissent très bien ; on comprend ce qui doit alors se passer dans la tête d'un enseignant qui se retrouve face à face avec l'un de ses élèves...va-t-il lui tirer dessus sans réfléchir...? et s'il réfléchit trop longtemps...?
Mais finalement, et « ironiquement » devrait-on dire, ce qui fait que la mesure d'armer les enseignants serait une bêtise c'est tout bonnement que les tueries de masse dans les écoles et collèges sont...rares ! Seulement 17% pour la période 2000-2013, soit 27 tueries de masse au total dans des établissements scolaires (écoles élémentaires, moyennes et secondaires) ; de ces chiffres j'en déduis personnellement qu'il y a eu un total de 160 tueries de masse pour la période 2000-2013 (27 / 0,17 = 159 exactement) à comparer avec les 100 tueries de masse comptabilisées en 2018 au 16 mai...
De tout cela on peut tirer deux conclusions :
- Il y a une accélération très nette du nombre de tueries de masse ;
- Armer les enseignants, avec un ratio bénéfice/risque très défavorable, est ce que l'on peut appeler l'archétype de la fausse bonne idée.
Mais il y a plus intéressant encore quand on apprend, d'après un rapport du FBI, qu'entre 2000 et 2013 ce sont des civils non armés qui sont davantage venus à bout d'« événements de tireurs actifs » (active shooter events) par comparaison avec des civils armés : 13,1% contre 3,1% respectivement :
Extrait de la page 11 du rapport du FBI (source fbi.gov) |
Il y a pourtant des solutions pour minimiser les risques, elles sont mentionnées au nombre de 10 dans un autre article de The Conversation, les voici :
- Teach social and emotional skills
- Hire more counselors and school resource officers
- Use technology to identify troubled students
- Doctors should conduct standard mental health screenings
- Enlist social media companies in the effort to detect threats
- Think critically about your child’s social media use
- Consider what your child is missing out on
- Assess your child’s relationships
- Fret productively about screen time
- Talk with your child
Mais tout cela c'est bien compliqué, alors qu'armer les citoyens c'est tellement plus simple, n'est-ce pas ?
Et puis comme le dit si bien h16 :
Il existe plein de pays avec plus d’armes par habitant que la France et pour lesquels l’insécurité perçue ou réelle est plus faible.
Il y a un site qui recense les homicides par armes à feu dans le monde, il s'appelle stacian et voici ce qu'il nous montre :
Nombre d'homicides pour 100 000 habitants en 2012 (source stacian) |
Les Etats-Unis ne sont cependant pas en tête, ils sont nettement devancés par des pays comme la République Démocratique (sic) du Congo ou le Venezuela, ce qui n'est pas particulièrement rassurant...
J'avais déjà évoqué la question des armes à feu dans Comment résoudre le problème des armes à feu ? Avec davantage d'armes à feu !, et je mentionnais le site gunpolicy en prévenant qu'il avait cessé ses mises à jour en 2016 faute de financement, cependant je m'aperçois qu'il y a des documents datés de mars 2018, donc il a repris du service. N'hésitez pas à le consulter et à comparer notre beau pays, la France, avec au hasard les Etats-Unis, rien que pour voir. Par exemple :
Nombre d'armes à feu possédées par les civils (source gunpolicy) |
Nombre total de décès par arme à feu (source gunpolicy) |
Mais ça vous le saviez déjà, non ?
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