Je me permets de reprendre tel quel un article du Monde qui vient de paraitre (voir Lutte contre le Covid-19 : « La médecine ne relève pas d’un coup de poker »)
Cela viendra en complément de tous les billets que j'ai dédiés au covid-19 et comme c'est signé par plus de 1800 professionnels de la santé le poids de cette tribune sera incomparablement plus élevé que mes propres réflexions.
La seule éthique de la discipline « associe recherche et soins » et ne peut aucunement se baser « sur l’intuition », rappelle, dans une tribune au « Monde », un collectif de dix médecins soutenus par plus de 1 800 collègues, soignants et chercheurs.
Tribune. Lors de la crise sanitaire liée au Covid-19, certains veulent faire croire que l’intuition ou le « bon sens » médical seraient suffisants pour décider de l’efficacité et de la sécurité d’un traitement. Ils déclarent être les tenants d’une « éthique du traitement » qui serait opposée à une « éthique de la recherche ».
Surfant sur la vague de la désinformation et persuadés de l’adhésion de la population, ils proposent même des « sondages » pour appuyer leurs hypothèses médicales, comme si la décision médicale pouvait être un quiz géant auquel n’importe qui pourrait participer.
Nous, médecins et soignants, qui, depuis plusieurs mois, travaillons sans relâche à soigner les malades qui nous sont confiés, à leur procurer les meilleurs traitements dont nous disposons, à les soutenir humainement et médicalement ; nous, chercheurs, qui travaillons sans cesse à mieux comprendre le Covid-19, à en définir les facteurs de risque et l’évolution et à trouver, parmi les pistes thérapeutiques, les médicaments qui auront le plus d’efficacité et de sécurité pour soigner cette maladie ; nous, associations, qui nous efforçons d’apporter l’information la plus juste et rigoureuse sur cette épidémie à celles et ceux avec qui nous agissons, estimons qu’il est de notre devoir de réagir à ces propos.
Il nous semble tout d’abord essentiel de rappeler certains éléments sur le Covid-19. Face à cette maladie émergente que nous ne connaissions pas voici quelques mois, il n’y a pas, de façon évidente, « un traitement qui marche ». Les données actuelles de la médecine et de la science ne permettent toujours pas de savoir quels médicaments sont efficaces et à quel stade de la maladie. Il serait actuellement faux de prétendre le contraire.
De nombreux médicaments candidats sont présentés à la communauté scientifique et médicale, et leur évaluation rigoureuse est indispensable afin de savoir s’ils sont bénéfiques ou délétères pour les patients. Il est irresponsable, dans la situation actuelle, de se concentrer sur un seul « protocole » proposé sur la base d’études bâclées et d’une simple croyance, si bruyamment martelée et assénée soit-elle.
Stratégies thérapeutiques
Même s’il n’y a pas de médicament efficace connu à ce jour, nous prenons bien sûr en charge les patients depuis le début de l’épidémie. Cette prise en charge associe le traitement des symptômes, l’hospitalisation quand elle est nécessaire, le support respiratoire pour les patients qui en ont besoin, la prévention des complications thromboemboliques, la surveillance et le suivi, pour ne citer que quelques éléments.
De plus, nous proposons aux patients les stratégies thérapeutiques les plus prometteuses, tout en les associant à une démarche scientifique d’évaluation. Ces stratégies sont proposées soit dans le cadre d’essais cliniques, soit en dehors d’essais cliniques pour les patients qui ne peuvent pas ou ne veulent pas y participer.
Toute personne qui a quelques connaissances de l’histoire de la médecine sait combien il est dangereux de se fier aveuglément à l’intuition ou au « bon sens médical » quand il s’agit de tester l’efficacité et la sécurité d’un médicament. Les exemples ne manquent pas dans lesquels on était persuadé de l’efficacité d’un médicament, jusqu’au jour où une évaluation rigoureuse a montré que ce médicament avait des effets plus délétères que bénéfiques.
Par conséquent, si des médecins ou des chercheurs pensent avoir trouvé le remède miracle qui va stopper de manière « spectaculaire » une maladie, il est de leur devoir de tout faire pour convaincre la communauté médicale de la nécessité de donner ce traitement aux patients. Ainsi, leur premier objectif doit être de proposer une étude suffisamment rigoureuse pour que toute équipe médicale dans le monde puisse donner ce traitement en toute confiance, sans transformer la décision médicale en un coup de poker.
Cet objectif ne peut être rempli qu’en associant recherche clinique et soins et il est faux, dangereux et contre-productif d’opposer l’intuition médicale, ou « éthique du traitement », et la démarche de recherche clinique, ou « éthique de la recherche ».
Concilier trois éléments essentiels
Pour nous, médecins, soignants et/ou chercheurs, un seul choix s’est imposé face à l’urgence sanitaire, celui de mettre toute notre énergie, non pas à communiquer à tout-va des résultats peu fiables et collectés dans la précipitation, mais à concilier en un même geste trois éléments essentiels à la médecine.
Premièrement, soigner le plus efficacement et le plus humblement possible, en s’appuyant sur les données actualisées de la science et de la médecine ; deuxièmement et simultanément, participer à la recherche clinique pour essayer de trouver un traitement qui puisse être efficace contre le Covid-19, en publiant dès que possible les résultats de nos recherches dans des journaux scientifiques fiables, afin d’en faire bénéficier l’ensemble de la communauté ; et troisièmement, ne jamais risquer la vie des malades avec des traitements qui pourraient avoir plus d’effets indésirables graves que d’effets bénéfiques.
Nous, médecins, soignants et/ou chercheurs, n’oublions jamais ces mots du serment d’Hippocrate : « J’informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance et n’exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences ».
Nathan Peiffer-Smadja, coordinateur du Réseau des jeunes infectiologues français ; France Roblot, présidente du Conseil national professionnel des maladies infectieuses et tropicales ; Albert Sotto, président du Collège des universitaires des maladies infectieuses et tropicales ; Pierre Tattevin, président de la Société de pathologie infectieuse de langue française.
Avec le soutien de : Francis Abramovici, président de l’Union nationale des associations de formation médicale continue ; Aurélien Beaucamp, président d’Aides ; Elisabeth Bouvet, membre du collège de la Haute autorité de santé ; François Dabis, directeur de l’ANRS (France Recherche Nord & Sud Sida-hiv Hépatites) ; Marie-Paule Kieny, directrice de Recherche Inserm ; Emmanuel Rusch, président de la Société française de santé publique, et plus de 1 800 autres signataires. Liste complète sur : https://tinyurl.com/appeldes10
Cela viendra en complément de tous les billets que j'ai dédiés au covid-19 et comme c'est signé par plus de 1800 professionnels de la santé le poids de cette tribune sera incomparablement plus élevé que mes propres réflexions.
*****
La seule éthique de la discipline « associe recherche et soins » et ne peut aucunement se baser « sur l’intuition », rappelle, dans une tribune au « Monde », un collectif de dix médecins soutenus par plus de 1 800 collègues, soignants et chercheurs.
Tribune. Lors de la crise sanitaire liée au Covid-19, certains veulent faire croire que l’intuition ou le « bon sens » médical seraient suffisants pour décider de l’efficacité et de la sécurité d’un traitement. Ils déclarent être les tenants d’une « éthique du traitement » qui serait opposée à une « éthique de la recherche ».
Surfant sur la vague de la désinformation et persuadés de l’adhésion de la population, ils proposent même des « sondages » pour appuyer leurs hypothèses médicales, comme si la décision médicale pouvait être un quiz géant auquel n’importe qui pourrait participer.
Nous, médecins et soignants, qui, depuis plusieurs mois, travaillons sans relâche à soigner les malades qui nous sont confiés, à leur procurer les meilleurs traitements dont nous disposons, à les soutenir humainement et médicalement ; nous, chercheurs, qui travaillons sans cesse à mieux comprendre le Covid-19, à en définir les facteurs de risque et l’évolution et à trouver, parmi les pistes thérapeutiques, les médicaments qui auront le plus d’efficacité et de sécurité pour soigner cette maladie ; nous, associations, qui nous efforçons d’apporter l’information la plus juste et rigoureuse sur cette épidémie à celles et ceux avec qui nous agissons, estimons qu’il est de notre devoir de réagir à ces propos.
Il nous semble tout d’abord essentiel de rappeler certains éléments sur le Covid-19. Face à cette maladie émergente que nous ne connaissions pas voici quelques mois, il n’y a pas, de façon évidente, « un traitement qui marche ». Les données actuelles de la médecine et de la science ne permettent toujours pas de savoir quels médicaments sont efficaces et à quel stade de la maladie. Il serait actuellement faux de prétendre le contraire.
De nombreux médicaments candidats sont présentés à la communauté scientifique et médicale, et leur évaluation rigoureuse est indispensable afin de savoir s’ils sont bénéfiques ou délétères pour les patients. Il est irresponsable, dans la situation actuelle, de se concentrer sur un seul « protocole » proposé sur la base d’études bâclées et d’une simple croyance, si bruyamment martelée et assénée soit-elle.
Stratégies thérapeutiques
Même s’il n’y a pas de médicament efficace connu à ce jour, nous prenons bien sûr en charge les patients depuis le début de l’épidémie. Cette prise en charge associe le traitement des symptômes, l’hospitalisation quand elle est nécessaire, le support respiratoire pour les patients qui en ont besoin, la prévention des complications thromboemboliques, la surveillance et le suivi, pour ne citer que quelques éléments.
De plus, nous proposons aux patients les stratégies thérapeutiques les plus prometteuses, tout en les associant à une démarche scientifique d’évaluation. Ces stratégies sont proposées soit dans le cadre d’essais cliniques, soit en dehors d’essais cliniques pour les patients qui ne peuvent pas ou ne veulent pas y participer.
Toute personne qui a quelques connaissances de l’histoire de la médecine sait combien il est dangereux de se fier aveuglément à l’intuition ou au « bon sens médical » quand il s’agit de tester l’efficacité et la sécurité d’un médicament. Les exemples ne manquent pas dans lesquels on était persuadé de l’efficacité d’un médicament, jusqu’au jour où une évaluation rigoureuse a montré que ce médicament avait des effets plus délétères que bénéfiques.
Par conséquent, si des médecins ou des chercheurs pensent avoir trouvé le remède miracle qui va stopper de manière « spectaculaire » une maladie, il est de leur devoir de tout faire pour convaincre la communauté médicale de la nécessité de donner ce traitement aux patients. Ainsi, leur premier objectif doit être de proposer une étude suffisamment rigoureuse pour que toute équipe médicale dans le monde puisse donner ce traitement en toute confiance, sans transformer la décision médicale en un coup de poker.
Cet objectif ne peut être rempli qu’en associant recherche clinique et soins et il est faux, dangereux et contre-productif d’opposer l’intuition médicale, ou « éthique du traitement », et la démarche de recherche clinique, ou « éthique de la recherche ».
En effet, il n’y a, en médecine, qu’une seule éthique, rassemblant soin et recherche, et à laquelle nous adhérons pleinement : celle qui, conformément au serment d’Hippocrate, consiste à employer tous les moyens dont nous disposons pour « rétablir, préserver ou promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux ».
Concilier trois éléments essentiels
Pour nous, médecins, soignants et/ou chercheurs, un seul choix s’est imposé face à l’urgence sanitaire, celui de mettre toute notre énergie, non pas à communiquer à tout-va des résultats peu fiables et collectés dans la précipitation, mais à concilier en un même geste trois éléments essentiels à la médecine.
Premièrement, soigner le plus efficacement et le plus humblement possible, en s’appuyant sur les données actualisées de la science et de la médecine ; deuxièmement et simultanément, participer à la recherche clinique pour essayer de trouver un traitement qui puisse être efficace contre le Covid-19, en publiant dès que possible les résultats de nos recherches dans des journaux scientifiques fiables, afin d’en faire bénéficier l’ensemble de la communauté ; et troisièmement, ne jamais risquer la vie des malades avec des traitements qui pourraient avoir plus d’effets indésirables graves que d’effets bénéfiques.
Nous, médecins, soignants et/ou chercheurs, n’oublions jamais ces mots du serment d’Hippocrate : « J’informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance et n’exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences ».
Nous devons répondre à cette exigence en fournissant aux concitoyens un éclairage rationnel, mesuré, argumenté, compréhensible et humble, comme l’exprime l’article 13 du code de déontologie médicale : « Lorsque le médecin participe à une action d’information du public de caractère éducatif et sanitaire, quel qu’en soit le moyen de diffusion, il doit ne faire état que de données confirmées, faire preuve de prudence et avoir le souci des répercussions de ses propos auprès du public ».
Nathan Peiffer-Smadja, coordinateur du Réseau des jeunes infectiologues français ; France Roblot, présidente du Conseil national professionnel des maladies infectieuses et tropicales ; Albert Sotto, président du Collège des universitaires des maladies infectieuses et tropicales ; Pierre Tattevin, président de la Société de pathologie infectieuse de langue française.
Avec le soutien de : Francis Abramovici, président de l’Union nationale des associations de formation médicale continue ; Aurélien Beaucamp, président d’Aides ; Elisabeth Bouvet, membre du collège de la Haute autorité de santé ; François Dabis, directeur de l’ANRS (France Recherche Nord & Sud Sida-hiv Hépatites) ; Marie-Paule Kieny, directrice de Recherche Inserm ; Emmanuel Rusch, président de la Société française de santé publique, et plus de 1 800 autres signataires. Liste complète sur : https://tinyurl.com/appeldes10
https://www.revmed.ch/RMS/2020/RMS-N-694/Science-et-doutes-le-bazar
RépondreSupprimerMerci Jojo pour cet excellent article que j'aurais bien aimé écrire moi-même !
SupprimerC'est daté du 20 mai et ça n'a pas pris une ride, même après la rétractation de l'étude du Lancet que certains aimeraient comparer à la victoire du grand professeur au « look ésotérico-rebelle » (et j'ai bien aimé la « piste savonneuse [de Marseille] d'un antimalarique miracle »;)
Nous ferons les comptes après l'épidémie, quand tout sera devenu « presque » normal, et alors nous verrons bien qui se baignait à poil (Cf Warren Buffet, https://www.brainyquote.com/quotes/warren_buffett_383933)