Didier Raoult a été auditionné pour la deuxième fois devant le Sénat, c'était le 15 septembre dernier :
Au début (à partir de 2:30) il lui est demandé de prêter serment et de dire la vérité, rien que la vérité ; il lui est rappelé que tout propos mensonger est puni d'une peine pouvant aller jusqu'à 5 ans d'emprisonnement assortie d'une amende de 75 000 euros, après quoi Raoult répond brièvement par « je le jure », preuve d'une certaine inconscience de sa part...
Nous assistons dès le début à un court moment surréaliste quand Didier Raoult prend la parole et remercie le Sénat de l'avoir « invité », comme s'il avait été cordialement convié pour donner son point de vue tout personnel, alors qu'en fait il s'agit d'une audition qui a plutôt le caractère d'une « convocation » afin de l'obliger à s'expliquer sur ses errements ! On rappelle qu'il s'agit d'une commission d'enquête, un peu comme quand la police vous convoque au commissariat pour vous interroger, vous voyez un peu le topo si vous remerciez les pandores de vous avoir « invité » à donner votre version des faits...
Et Raoult, après avoir remercié la commission d'enquête, de commencer à se justifier de sa volonté de ne pas être confronté à ses collègues sous prétexte qu'il aurait été insulté par eux et que certains auraient porté plainte contre lui (voir par exemple bfmtv) ; en fait quand on connait un peu l'historique on s'aperçoit que c'est plutôt Raoult qui a continuellement insulté ses confrères en les traitant plus ou moins ouvertement d'incapables puisqu'ils n'étaient pas d'accord avec lui, quant à la plainte des infectiologues elle est totalement légitime étant donné qu'il a empiété sur leur domaine de compétence (rappelons ici aussi que Raoult n'est pas infectiologue !) en préconisant l'utilisation d'un traitement non validé et potentiellement dangereux.
Puis d'un ton qui n'admet pas la contradiction voilà notre éminent professeur qui assure la commission (à 4:00) que
je vous dis très solennellement, et après avoir juré de dire la vérité, je n'ai jamais fraudé de ma vie et j'ai écrit 3 500 publications internationales, je n'en ai jamais retracté aucune
Le plus fort c'est qu'on peut le croire quand il profère ces mots, il est certainement persuadé de n'avoir jamais fraudé de sa vie, ce qui est tout à fait probable, mais le problème c'est que non seulement parmi ses quelques 3 500 publications qu'il évoque il y en a un « certain nombre » qui sont de piètre qualité (il reconnait d'ailleurs des erreurs dans quelques unes) et n'apportent strictement rien de significatif à la connaissance scientifique (Raoult collectionnerait les bactéries comme on collectionne les timbres, voir Mais qui est vraiment Didier Raoult ?) ; quant au fait qu'il n'en ait retracté aucune c'est un non-argument qui ferait sourire n'importe quel scientifique, surtout en matière de médecine.
Suit un long laïus indigeste où Raoult avoue qu'il ne comprend pas la situation (pour ne pas dire le merdier) dans laquelle non seulement il se trouve mais également dans laquelle il a fichu la science médicale (aux environs de 7:00), prouvant par là même qu'il n'a toujours pas compris l'intérêt des essais randomisés en double aveugle qu'il s'est refusé de mener afin de montrer l'efficacité de son traitement.
Dans ce que raconte ensuite Raoult de manière totalement décousue tout n'est certainement pas faux, il y a même probablement beaucoup de choses vraies mais qui n'ont pas grand rapport avec ce qu'on lui reproche, à savoir d'avoir fait la promotion d'un traitement sans s'être auparavant assuré qu'il était efficace ET sans effet secondaires néfastes ; or la grande majorité de la littérature scientifique récente rejette l'HCQ, avec ou sans AZM, comme traitement du Covid-19, et il reste encore à savoir si l'administration de la potion raoultienne n'a pas provoqué davantage de morts qu'elle n'aurait épargné de vies.
Personnellement je pense que les divagations (i.e. les tentatives de diversions) introductives de Raoult lors de cette audition n'ont eu pour but que de noyer le poisson (le poison ?) en abreuvant les sénateurs de considérations diverses et variées éloignées du sujet pour lequel il était convoqué. Il est bien connu des parents que quand on est embêté par un enfant qui vous demande sans cesse quelque chose qu'on ne peut pas lui donner la meilleure manière de s'en sortir est de faire diversion en proposant au gamin autre chose qui pourra l'intéresser. Dans le cas présent les enfants sont les sénateurs et le parent astucieux est notre cher professeur à barbe blanche. Bien joué !
Viennent ensuite les questions de la première rapporteuse, à mon avis sans grand intérêt (mais ce n'est que mon avis), avant d'en arriver, suite à l'intervention du médecin sénateur Bernard Jomier (voir un zoom ici), à ce passage mémorable (à 1:03:26 ) qui a fait couler beaucoup d'encre depuis :
Nous on a estimé qu'il y avait 4,6 milliards de gens qui vivaient dans des pays dans lesquels on recommandait [bredouillement] l'hydroxychloroquine.
4,6 milliards, sans blague ?
LCI-santé a voulu vérifier dans Plus de la moitié de la population utilise-t-elle de l’hydroxychloroquine contre le Covid-19 ? en nous indiquant le site d'un jeune doctorant, Nathan Peiffer-Smadja, infectiologue à l'hôpital Bichat ; à noter que TF1, partenaire de LCI, a aussi démonté l'infox raoultienne (voir ici) en demandant à l'IHU de bien vouloir confirmer le chiffre avancé par Didier Raoult, sans réponse évidemment. Samira El Gadir estime la population concernée à 1,5 milliard de personnes, sur la base des données fournies par Nathan Peiffer-Smadja, soit 3,1 milliards de moins que ce que dit Raoult ; de son côté France Soir (certains ne seront pas surpris), dans INFO ou INFOX de Samira El Gadir en plein 20h sur TF1 ?, arrive à un minimum...de 4,088 milliards d'individus !
Quoi qu'il en soit même à 4,1 milliards nous sommes au-dessous de l'information balancée par le professeur Raoult aux sénateurs, une information que personne à l'IHU n'a pu confirmer.
Voici la carte réalisée à partir des données compilées par Nathan Peiffer-Smadja :
Recommandations officielles sur l'HCQ contre le Covid-19 |
On peut disserter à l'infini sur la validité des couleurs, sachant qu'aux Etats-Unis la situation est complexe, certains Etats étant « pro-HCQ », d'autres neutres et d'autres « anti-HCQ » ; si l'on en croit France Soir (on peut aimer vivre dangereusement) :
Quant aux Etats-Unis qui sont aussi en rouge sur la carte, il y a 26% de la population des pays (sic) qui vivent dans des états fédéraux recommandant l’hydroxychloroquine et 50% de la population qui vivent dans des états fédéraux aux Etats-Unis ou il y a des difficultés. 23% des Américains vivent dans des états ou il est impossible d’obtenir l’hydroxychloroquine. La carte des Etats Unis de AFLDS permet de voir la situation locale. En cliquant sur chaque état il y a la loi fédérale en place. Il est donc incorrect de dire que l’hydroxychloroquine n’est pas utilisée ou prescrite aux Etats-Unis.Pourquoi pas ? Voici la carte des Etats-Unis de AFLDS avec les codes couleurs :
Disponibilité de la HCQ aux États-Unis sur la base des réglementations fédérales |
Mais, mais mais...
Disponibilité mondiale de la HCQ sur la base des réglementations gouvernementales |
Ainsi on peut parfaitement avoir un pays où l'HCQ n'est pas officiellement recommandée mais où elle est quand même disponible sans trop de difficulté.
On remarquera au passage que la majorité des pays africains permettent la vente d'HCQ, mais parmi ceux-ci il y en a qui ne la préconisent pas pour le covid-19 si l'on en croit la carte de Nathan Peiffer-Smadja. On comprend cela quand on sait que l'HCQ est utilisée dans le traitement du paludisme, du moins là où des résistances ne sont pas apparues obligeant à préférer d'autres molécules ; ainsi dans Résistance aux médicaments antipaludiques : Vue d'ensemble on apprend que :
La résistance de P. falciparum à la chloroquine, l'ancien traitement recommandé contrele paludisme à P. falciparum, est apparue pour la première fois à la fin des années 1950 en Asie du Sud-Est ; elle s'est ensuite propagée, ou a émergé, dans d'autres pays d'Asie, puis en Afrique au cours des trente années suivantes avec des conséquences catastrophiques.
A ce sujet lire mon billet L'Ouganda et l'hydroxychloroquine si vous voulez en savoir davantage sur l'Ouganda et le phénomène de résistance à l'HCQ contre le paludisme.
Mais je voudrais terminer ce billet justement en faisant un zoom sur l'Afrique, puisque vous vous demandez peut-être, à la vision de la carte de Nathan Peiffer-Smadja, pourquoi le Maroc et l'Algérie sont en vert, ce qui signifie qu'ils recommandent l'usage de l'HCQ pour le traitement du covid-19.
Eh bien c'est simple et clair comme de l'eau de roche. Il suffit par exemple de consulter quelques sites et vous aurez la réponse qui coulera de source.
RAOULT L’AFRICAIN
Lors de la visite d’Emmanuel Macron [à l'IHU de Marseille], c’est d’ailleurs une équipe de jeunes chercheurs originaires d’Algérie, du Maroc, du Mali ou encore du Burkina Faso qui a accueilli le chef de l’État.
Je suis pas beau avec mon chapeau d'aventurier et mes lunettes négligemment suspendues à mon T-shirt de combat ? |
Didier Raoult, au croisement de l'Afrique et de la science
« Il y a douze ans, [Didier Raoult a] eu la chance de revenir pour [s]'occuper de l'unité de recherche de l'Institut de recherche pour le développement [IRD] au Sénégal. » Plus exactement dans l'hôpital principal de Dakar, où il est né, c'est là où il a inauguré en 2012 une plateforme de Recherche, la première en Afrique à être équipée d'un spectromètre de masse MALDI-TOF.
Raoult, masque bien accroché au visage, [...] lanc[e] aux membres de l'équipe : « Vous venez d'où ? » Réponses : « d'Algérie, du Maroc, de Tunisie, du Liban, du Sénégal, du Mali, du Burkina Faso ».
Ali Raoult l’Africain : un génie méprisé par des nains!
Ali Raoult, le grand sorcier blanc qui soigne tout, y compris le retour d'affection et les hémorroïdes. |
Le propre d’un génie c’est de posséder un potentiel et une force de raisonnement qui défient les normes usuelles. Il voit des choses qui nous échappent : il est capable de sentir, de déduire les éléments, les paramètres d’un monde invisible ; ce que le philosophe Arthur Schopanhauer décrit comme une cible que « le commun des mortels ne peut même pas voir ».
Si vous n'avez toujours pas compris je vais vous citer un proverbe qui devrait vous rappeler quelque chose :
Ne mords pas la main qui te nourrit
Capisci adesso?
Et pour fermer le ban, cet article de la Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique intitulé LA CHLOROQUINE OU L’HYDROXYCHLOROQUINE SONT-ELLES EFFICACES POUR PRÉVENIR OU TRAITER L’INFECTION PAR COVID-19 ? :
A l’heure actuelle, les données disponibles concluent que l’hydroxychloroquine n’est pas associée à une réduction de la mortalité à 28 jours. En revanche, elle est associée à une augmentation de la durée d’hospitalisation et à un risque accru du recours à la ventilation mécanique invasive ou le décès.
Les données disponibles suggèrent que la chloroquine ou l’hydroxychloroquine utilisées seules ou en association avec un macrolide (ex. azithromycine), ne sont pas cliniquement efficaces pour traiter le COVID-19, ni en prévention de l’infection chez les sujets à risque.
Est-il nécessaire d'insister ?
L'audition des vilains opposants à D. Raoult est également disponible (par exemple ici : https://youtu.be/dpSvO5MDvB8?t=8124) et elle vaut vraiment la peine d'être visionnée, surtout si vous avez subi celle de Raoult (Ô pauvre !).
RépondreSupprimerJe tiens à vous rassurer, je n'ai pas tout vu et j'ai fait beaucoup d'« avance rapide » tellement ces discussions au sénat sont soporifiques, surtout quand on a un Raoult qui prend 80% de son temps pour finalement ne pas dire grand chose.
SupprimerDans la seconde partie avec les « opposants » de Raoult que je qualifierais plutôt de « personnes rigoureuses », Raoult étant pour moi un mauvais artiste qui se croit en haut de l'affiche (Cf Charles Aznavour), l'intervention à mon avis la plus brillante est celle de la fin, quand Marie-Paule Kieny a expliqué pourquoi non seulement on pouvait mais surtout on DEVAIT faire des essais cliniques randomisés même dans le cas d'une épidémie qui faisait 60% de mort comme Ebola ; quelle différence avec les clowneries marseillaises !
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
SupprimerPour ma part j'ai bu le calice jusqu'à la lie (mais je n'irais pas prétendre que mon attention est restée égale tout du long, je suis humain). Ceci dit, cela procure un plus grand confort intellectuel (avoir suivi intégralement le propos d'un personne avec laquelle on est en désaccord et que l'on va critiquer, très probablement) mais aussi un certain amusement en comparant avec la partie scientifique (les "opposants") et profiter pleinement d'un contraste saisissant.
SupprimerEn ce qui concerne les essais cliniques (randomisés) je me permet de vous conseiller deux vidéos :
- une de "Monsieur Phi", qui aborde la question du point de vue de l'éthique : https://www.youtube.com/watch?v=bp_5Zd-E8VM
- une de "Risque Alpha", qui illustre très bien ce qui les justifie d'un point de vue scientifique et médical : https://www.youtube.com/watch?v=bp_5Zd-E8VM
Je dois avouer que je ne suis pas aussi courageux que vous, mais si je n'ai pas tout regardé de Raoult à 100% c'est surtout parce que de ce que j'ai regardé je n'ai strictement rien appris que je ne savais déjà ; sauf bien sûr le passage sur les « 4,6 milliards » qui a été abondement commenté et qui est le seul à mon avis à être vraiment original dans le long laïus de Raoult (mais si vous avez entendu des nouveautés qui m'auraient échappées cela m'intéresse de les connaitre, et puis comme vous avez déjà fait le travail d'écoute;)
SupprimerJe vais regarder les vidéos par contre, j'imagine qu'elles doivent être un bon complément de ce qu'a expliqué Marie-Paule Kieny (mais j'ai déjà vu d'autres vidéos justifiant les essais randomisés, ils sont nombreux quand même à être plus sérieux que Raoult)
Je ne suis pas si courageux que cela puisque ce doit-être la seule "interview" de Raoult que j'ai regardé (considérant que ce serait forcément plus intéressant qu'une confrontation avec des journalistes). Du coup, je ne saurais hélas vous indiquez les éventuelles nouveautés.
SupprimerSi cela vous intéresse vous trouverez quelques un des points qui m'ont particulièrement marqués (pas tous, il y en a trop !) et qui gagnaient à être mis en regard de la seconde partie dans mes réactions à la vidéo youtube (audition des scientifiques après celle de D. Roult) dont je vous ais donné le lien.
Il me semble que dans la version « mobile » de ce billet la première vidéo n'apparait pas, si c'est bien le cas je la mentionne ici : https://youtu.be/Uh6bgqv-vpk
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