J'ai beaucoup d'estime pour François-Marie Bréon...quand il s'exprime sur le climat, parce que c'est sa spécialité et qu'il est amplement légitime pour en parler ; et qu'un expert donne son avis ou son opinion sur un sujet qu'il maitrise est quelque chose de naturel.
Par contre quand le même expert donne son point de vue sur une question qui est clairement en dehors de son champ de compétence, alors là il y a comme un hic.
Ainsi Bréon twitte ceci :
C’est con, si il l’avait dit plus tôt, il aurait pu être cité comme « sous l’influence des Lobby » dans un bouquin écrit par des journalistes d’un grand quotidien national (du soir)
Et il montre ce qui suit :
Quand les apiculteurs confirment l'innocuité des #neonicotinoides et défendent la filière betteraves. Enfin du bon sens.
Source twitter |
Mais il suffit de se renseigner un peu et on apprend que ledit Réseau Biodiversité pour les Abeilles, dont le président est le Philippe Lecompte jovial que l'on peut voir sur la photo, a pour partenaire...BASF ! Or BASF est un producteur...de néonicotinoïdes :
Dans les années 1980, des géants mondiaux de l'agrochimie (Bayer, BASF), mettent au point des néonicotinoïdes, insecticides neurotoxiques plus efficaces en raison de leur traitement systémique et leur meilleure stabilité moléculaire que la nicotine.
On a la confirmation du partenariat entre le RBA et BASF sur le site de ce dernier :
Le maïs produit un pollen de faible qualité nutritive pour les abeilles. Cette particularité peut contribuer au dépérissement des colonies dans les régions où le maïs est dominant. Pour remédier à cet inconvénient, BASF met en place, avec son partenaire le Réseau Biodiversité pour les Abeilles, des jachères apicoles à proximité des champs de maïs.
C'est clair et net, aucun complot entre les deux partenaires, tout se joue au grand jour.
Evidemment BASF, dans sa « communication corporate », nous dit le plus grand bien des abeilles et cherche à nous convaincre que la société les aime et ne cherche que leur bonheur avec, donc, l'aide précieuse du réseau de Philippe Lecompte :
Parcelle de jachère apicole à base de phacélie mise en place par le Réseau Biodiversité pour les Abeilles (source agro.basf) |
C'est beau l'amour n'est-ce pas ?
Mais il y a comme un petit problème.
En effet, Stéphane Foucart, qui à ma connaissance a la même vision du climat que François-Marie Bréon, n'est pas du tout, mais alors là pas du tout sur la même longueur d'onde que lui sur le sujet des néonicotinoïdes ; dans Tout comprendre aux pesticides néonicotinoïdes, paru en 2016, Foucart écrivait ceci :
L’effet délétère [des néonicotinoïdes], au côté d’autres facteurs, sur les pollinisateurs sauvages fait l’objet d’un consensus scientifique. A la différence des autres générations d’insecticides, les néonicotinoïdes agissent à des doses très faibles sur le système nerveux central des insectes en général et des abeilles en particulier. Lorsqu’elles sont trop faibles pour les tuer directement, ces expositions altèrent leur sens de l’orientation, leur faculté d’apprentissage, leur capacité de reproduction, etc.
Et d'enchainer :
Par exemple, des travaux français ont montré que l’exposition d’une abeille à environ un milliardième de gramme d’un néonicotinoïde couramment utilisé réduisait sensiblement sa capacité de retrouver le chemin de sa ruche. Or, si les butineuses ne reviennent pas à la ruche, c’est toute la colonie qui est fragilisée et qui peut s’effondrer. D’autres travaux ont montré que les bourdons étaient plus sensibles encore que les abeilles à ces substances qui, aux niveaux d’exposition rencontrés dans l’environnement, peuvent réduire de près de 80 % leur capacité à se reproduire…
Mais plus récemment sur France Culture, le 14 septembre dernier, deux véritables spécialistes étaient invités à expliquer aux auditeurs ce qu'il en est du danger des néonicotinoïdes :
- Jean-Marc Bonmatin, chimiste et toxicologue CNRS au Centre de biophysique moléculaire d’Orléans
- Christian Huygue, directeur scientifique agriculture à l’INRAE et généticien des plantes
Et que retient-on des explications de ces deux experts ? Essentiellement que les néonicotinoïdes sont extrêmement efficaces pour tuer les pucerons qui inoculent un virus (en fait 4 virus différents si j'ai bien compris) aux betteraves et protègent très bien celles-ci, on peut donc comprendre que les agriculteurs betteraviers y tiennent tant puisqu'il n'y a à l'heure actuelle aucun substitut aux néonicotinoïdes !
Mais il y a un tout petit détail, ou plutôt plusieurs petits détails embêtants, et comme tout le monde le sait le diable se cache dans les détails ; en effet, les néonicotinoïdes non seulement ne sont absorbés, via l'enrobage des graines, qu'à hauteur de seulement 20 % maximum (de 2 à 20% là aussi si j'ai bien pigé) par la plante, le reste se retrouvant « dans la nature » et pouvant aller visiter le champ bio du voisin, mais également ces insecticides ne font pas de différence entre les pucerons...et tous les autres insectes, dont évidemment les abeilles qui passaient par là pour faire leurs courses !
Il nous est précisé que les néonicotinoïdes sont 7 000 (sept mille) fois plus puissants que le DDT, et que bien qu'ils soient utilisés à peu près en quantités 5 (cinq) fois moins importantes un simple calcul mental permet de se rendre compte de leur puissance de frappe...Imaginez que le DDT agisse pour disons 100, 5 fois moins cela donne 20, que l'on multiplie par 7 000 et l'on obtient...140 000 ; le rapport entre DDT et néonicotinoïde est donc de 140 000 / 100 = 1 400 fois plus fort ! (merci de me dire si je me suis planté dans mon calcul)
Ces informations proviennent donc de deux spécialistes, l'un du CNRS et l'autre de l'INRA, s'exprimant il y a seulement une quinzaine de jours, donnant donc des informations up to date.
On comparera ces informations avec ce qu'essaie de nous vendre le sieur Philippe Lecompte quand il nous dit le plus sérieusement du monde :
C'est une décision sage (i.e. la dérogation accordée aux betteraviers) [...] C'est une bonne décision pour l'industrie sucrière, car comment pourrait-elle supporter une baisse de rendement de 30 à 50% ?
Il nous donne là la véritable motivation derrière les agriculteurs, la FNSEA qui les représente (du moins qui représente les plus gros, les petits préférant plutôt la Confédération Paysanne...) et bien sûr Philippe Lecompte qui joue à on ne sait trop quel jeu dans l'affaire.
Oui parce que le dilemme est simple :
- soit on continue à utiliser les néonicotinoïdes et ce sont les insectes qui dégustent (80% de pertes durant les 30 dernières années, correspondant...à l'introduction des néonicotinoïdes dans les années 1990s...) ;
- soit on les interdit immédiatement et ce sont les betteraviers qui en font les frais.
- soit on continue à émettre des gaz à effet de serre et on va à la catastrophe climatique ;
- soit on diminue drastiquement leur usage et on fout en l'air l'économie mondiale avec les conséquences qui vont avec.
David Sheeren @sheeren_david·13h
Je fais simple (loi de Brandolini) : - neonics bien plus toxique que DDT (cf. Tab1, Pisa et al. 2015) : http://bit.ly/3iVx2OW - baisse rendement 30 à 50% = pente savonneuse Rendement attendu 2020 : https://bit.ly/332gejO Rendement années précédentes : La France toujours championne de la production de sucre en Europe
Despite large knowledge gaps and uncertainties, enough knowledge exists to conclude that existing levels of pollution with neonicotinoids and fipronil resulting from presently authorized uses frequently exceed the lowest observed adverse effect concentrations and are thus likely to have large-scale and wide ranging negative biological and ecological impacts on a wide range of non-target invertebrates in terrestrial, aquatic, marine and benthic habitats.
Malgré d'importantes lacunes et incertitudes, il existe suffisamment de connaissances pour conclure que les niveaux actuels de pollution par les néonicotinoïdes et le fipronil résultant des utilisations actuellement autorisées dépassent fréquemment les concentrations minimales avec effet nocif observées et sont donc susceptibles d'avoir des incidences biologiques et écologiques négatives à grande échelle et sur une large gamme d'invertébrés non ciblés dans les habitats terrestres, aquatiques, marins et benthiques.
Faut-il en rajouter ?
Et pas de réaction de François-Marie Bréon, aurait-il réalisé au vu des commentaires qu'il se serait fourvoyé ?
Quant à moi je ne suis ni spécialiste du climat ni spécialiste ès néonicotinoïdes ; pour le climat je fais donc confiance à François-Marie Bréon (entre autres) et pour les néonicotinoïdes je fais confiance à des gens comme Jean-Marc Bonmatin et Christian Huygue.
Et au passage je demande à François-Marie Bréon de se mêler de ce qui le regarde et d'arrêter de se ridiculiser.
Conseil d'ami.
En complément voici une revue par Pierre-Henri Gouyon du livre de Stéphane Foucart, Et le monde devint silencieux : https://www.sfecologie.org/regard/ro14-juill-2020-p-h-gouyon-monde-silencieux/
RépondreSupprimerExtrait : « Les méthodes des ingénieurs sociaux chargés de désinformer la population de façon à servir les intérêts des industriels ont progressé au cours des bientôt 70 ans de pratique. Les entreprises d’agrochimie ont été capables au cours des dernières décennies d’impulser de nombreuses études sur toutes les causes de disparition des abeilles, sauf sur les pesticides, de façon à créer un brouhaha inextricable. »
FM Bréon n'est bien sûr pas payé par les industries des pesticides, mais il est étonnant qu'il tombe dans leur piège de manière aussi naïve ; on dirait qu'il n'a pas lu Naomi Oreskes au sujet des marchands de doute.
Il y a deux problèmes distinctes :
RépondreSupprimer- la question des nénonicotinoïdes (bien plus complexe que vous la présentez)
- la récente sortie d'un ouvrage indigne, "les gardiens de la raison" (dont Foucart est l'un des trois auteurs) et qui défend la thèse d'un grand complot "libertaro-industriel", anti écologique, anti féministe et anti "genre, dont seraient soient directement complices, soit les marionnettes, un grand nombre de vulgarisateurs scientifiques, dont, par exemple... Le Reveilleur.
Je ne doute pas que la question des néonicotinoïdes soit bien plus complexe que ce que mon modeste billet peut laisser voir, mais avez-vous écouté les deux scientifiques qui s'exprimaient récemment sur France Culture ? Je n'ai pas eu l'impression qu'ils aient montré une approche complotiste comme celle que vous prêtez à Stéphane Foucart ; en ce qui le concerne je n'ai pas lu son dernier livre et ne m'avancerai donc pas à le qualifier d'indigne ou de quoi que ce soit d'autre, cependant j'ai comme un doute et me demande s'il a vraiment défendu la thèse d'un grand complot libertaro-industriel comme vous l'affirmez.
SupprimerJ'ai moi-même été employé pendant 22 ans par un acteur majeur de l'industrie agro-alimentaire et j'ai donc une vision « de l'intérieur » que vous n'avez peut-être pas ; nul complot dans la stratégie d'un grand groupe international dont le but est essentiellement de maximiser ses profits afin de satisfaire ses actionnaires, il s'agit là de la norme dans un monde capitaliste où l'argent, la compétition, la loi du marché, la tyrannie du progrès à tout prix encadré mollement par des législations paresseuses, sont monnaie courante sans qu'il soit besoin de faire appel au moindre complot ; tout se joue à visage découvert, tout est connu et des livres ont été publiés pour essayer de vous montrer ce qu'il en est en réalité, je pense évidemment aux Marchands de doute d'Oreskes et Conway, mais Foucart me semble aller dans le même sens, peut-être avec moins de tact, je n'en sais rien, il faudrait que je lise son bouquin pour me faire une idée.
En attendant les problèmes des néonicotinoïdes ou du glyphosate, pour ne prendre que ces exemples, me font furieusement penser à ce qui s'est passé dans les années 1950-60 pour le tabac qui était censé ne pas causer le cancer des poumons, on peut même voir des publicités de l'époque vantant les Camels que les médecins (oui, les médecins) préféraient parmi toutes les clopes à disposition ; puis il y a eu le tabagisme passif qui a été contesté sur le même principe (par Fred Singer notamment), les pluies acides, le trou dans la couche d'ozone, le changement climatique...
Dans quelques années (ou décennies) on saura vraiment ce qu'il en est des pesticides, on aura toutes les preuves de manière irréfutable, cependant on le sait déjà, simplement c'est noyé dans les eaux troubles de la désinformation que les industriels distillent en prétendant qu'il y a de nombreuses causes aux maladies, aux disparitions d'insectes et d'oiseaux, et que leurs produits n'y sont pour rien ou pour si peu.
Nous avons dès à présent le choix, soit être naïf et prendre le risque de se trouver ridicule plus tard pour avoir été berné à ce point, soit regarder les choses en face sans se cacher derrière son petit doigt.
Concernant le récent livre de Foucart il a fait l'objet d'un véritable tir de barrages des personnes qui étaient citées dedans :
Supprimer- https://ruptures-presse.fr/culture/reponse-daure-gardiens-raison-foucart-horel-laurens/
- https://menace-theoriste.fr/la-raison-nest-pas-un-trophee-reponse-a-foucart-horel-laurens/
- http://www.marcel-kuntz-ogm.fr/2020/09/merci-aux-auteurs-du-livre-les-gardiens-de-la-raison.html
- http://www.scilogs.fr/ramus-meninges/les-champions-de-lintox/
- https://www.pseudo-sciences.org/Journalisme-d-insinuation-apres-les-articles-le-livre
- https://lemediapourtous.fr/des-journalistes-du-monde-et-un-sociologue-attaquent-jean-bricmont-dans-un-livre-il-repond/
Il y a certainement beaucoup de vrai dans toutes ces critiques, mais est-on sûr que leurs auteurs ne passent pas sous silence les passages « embêtants » ?
Concernant l'AFIS, depuis leur article signé...Benoit Rittaud (voir https://www.afis.org/Un-point-de-vue-sceptique-sur-la-these-carbocentriste) j'ai une confiance très relative sur tout ce qu'ils peuvent écrire sur quelque sujet que ce soit ; je regrette mais c'est comme ça, une fois qu'on a trompé ma confiance il est très difficile de la reconquérir (jusqu'à cet article je tenais l'AFIS en haute estime...)
Je n'achèterai pas le livre de Foucart et consorts, il est probablement allé un peu trop loin et il semblerait qu'il manque de sérieux sur ses sources, cependant je continuerai à le lire pour ce qui concerne le sujet du climat...et des pesticides !
(1/2)
SupprimerEn ce qui concerne les néonicotinoïdes, j'ai bien suivi les débats, aussi bien les exposés des "pro" que des "contra" (en particulier les articles de Foucart). Je n'ai pas les qualifications pour me faire ma propre opinion sur la base d'une analyse complète de l'abondante littérature scientifique sur le sujet (je note que ce n'est pas votre cas puisque, pour vous, "on le sait déjà"). Il m'a semblé que bon nombre de scientifiques et de journalistes scientifiques auxquels j'accorde du crédit (Sylvestre HUET par exemple) voient dans cette classe de molécule un problème pour la biodiversité. L'EFSA va dans le même sens. En conséquence, je suis favorable à leur interdiction.
Cela ne m'empêche pas de constater que, bien que ces insecticides soient présentés par certains comme des tueurs surpuissants auxquels rien ne résiste, en particulier les abeilles, il n'y a aucune preuve directe de leurs effets en conditions réelles d'utilisation, ce qui est quand même étrange (et doit inciter à relativiser le risque).
Ce psychodrame du retour des néonicotinoïdes pour les betteraves à sucre est assez désolant (est-ce que vraiment l'avenir de l'humanité est en jeu ?) mais c'est aussi un retour de bâton après toute une communication anxiogène basée sur les gentilles abeilles qui font du bon miel alors que dans ce cas ce ne sera clairement pas le problème (si problème il doit y avoir). Reste que les "anti néonic" se sont bien plantés sur leur communication à cette occasion.
Sinon, oui, je connais (indirectement) les travaux sur la fabrique du doute d'Oreskes et Conway. Foucart y fait constamment allusion et s'en réclame ouvertement.
(2/2)
SupprimerPour le tabac, il ne vous aura pas échappé que la campagne de désinformation visait le grand publique (et les législateurs) et n'a pas eu d'effet sur la connaissance scientifique (le caractère cancérigène du tabac a très vite été mis en évidence et n'a jamais été remis en question, malgré toute la puissance de l'industrie cigarettière).
Et justement, puisque vous faite un parallèle avec le glyphosate, est-ce que vous croyez que Monsanto (et les autres fabricants de glyphosate) disposent de moyens financiers comparables à ceux des marchands de tabac ? Au point qu'ils puissent intoxiquer des agences sanitaires du monde entier alors même que, contrairement au tabac, la substance doit passer des tests standardisés ? Même en admettant des limites à l'analogie (en particulier ces entreprises de l'agrochimie on sans doute, par nature, plus de liens avec le monde de la recherche que les cigarettiers et par ce biais bénéficient peut-être d'une plus grande influence), c'est quand même étrange, pour le moins.
Notez que c'est la même chose pour le réchauffement climatique : toute la puissance des industries des énergies fossiles n'aurai rien changé au consensus sur le sujet.
Dans le cas du glyphosate, la bataille a opposé des experts sur des points de méthodologies (de tests statistiques en particulier) pointus. Il n'y a rien eu de tel pour tabac et cet exemple n'est clairement pas probant. Une conclusion raisonnable, concernant le glyphosate, est que même s'il devait s'avérer réellement cancérigène, son effet serait sans commune mesure avec celui du tabac.
Si je puis me permettre de citer un autre "idiot utile du complot libertaro-industriel", je vous conseille la lecture d'un billet de David Louapre, de Science Étonnante (https://scienceetonnante.com/2017/11/12/glyphosate-le-nouvel-amiante/).
Si je puis me permettre un aparté sur les leviers de propagandes. Les moyens financiers ne sont pas les seuls à peser et une communication "gentilles victimes contre méchants empoisonneurs" sera aussi bien plus facilement audible que des arguments en faveurs de la non toxicité de telle ou telle molécule. Puisque vous mentionnez les "marchands de doutes", les communications de "Générations Futures" ou des "pisseurs de glyphosate" relèvent-elles selon vous du débat ouvert et rationnel ?
Vous prenez comme exemple les pluies acides et le trou dans la couche d'ozone, qui sont justement deux exemples sur lesquels les états ont pris des mesures fortes (était-ce le but recherché par les marchands de doute ?). Si ce n'est pas le cas pour le réchauffement climatique, je n'y vois pas pour a part l'effet de lobbys ou de propagande mensongère (sauf aux États-Unis) mais un "prix à payer" en terme de richesse et de confort bien trop important en l'état actuel de nos technologies.
Votre conclusion opposant les naïfs aux réalistes est, hélas, un bon exemple de "faux dilemme".
Merci BN pour votre intervention, j’aime être bousculé quand mon contradicteur apporte des arguments raisonnables.
SupprimerEvidemment, vous vous en doutez un peu, j’ai quelques remarques à faire concernant vos commentaires et je vais essayer de les faire en respectant la chronologie de ceux-ci.
« je note que ce n'est pas votre cas puisque, pour vous, "on le sait déjà" »
Si j’ai écrit « on le sait déjà » c’est je dois bien l’avouer un peu présomptueux de ma part, mais je ne fais finalement que regarder ce qui est arrivé dans le passé pour en déduire qu’il y a de fortes probabilités pour qu’effectivement « on le sache déjà », comme d’ailleurs vous le reconnaissez vous-même pour le cas du tabac et du cancer (voir plus loin) ; en tout cas j’en reviens à cette interview des deux scientifiques sur France Culture, pour les néonicotinoïdes cela semble plié, par contre pour le glyphosate il y a encore beaucoup de fumée répandue par les principaux acteurs (je vous rappelle que j’ai bossé pendant deux décennies pour un de ces acteurs…)
« je suis favorable à leur interdiction »
Vous êtes donc d’accord avec moi, mais cela ne nous avance guère, interdire certains pesticides ou la totalité des pesticides est quelque chose que nous ne savons pas faire sans poser d’énormes problèmes aux agriculteurs ; c’est la rançon de la politique d’agriculture intensive menée essentiellement depuis l’après-guerre afin de nourrir l’humanité (ou plutôt les pays riches pouvant se le permettre) avec le moins de personnel possible dans les champs, rentabilité oblige.
« il n'y a aucune preuve directe de leurs effets en conditions réelles d'utilisation »
Ce n’est pas ce que j’ai compris de l’interview des deux scientifiques sur France Culture…
Par ailleurs comment expliquez-vous que les néonicotinoïdes soient utilisés depuis près d’une trentaine d’années et que dans le même temps la population des insectes ait chuté de 80% ? Corrélation n’est pas causalité, mais quand même, il y a de quoi se poser des questions !
« est-ce que vraiment l'avenir de l'humanité est en jeu ? »
Non, ce n’est certainement pas le problème des néonicotinoïdes à lui seul qui met l’avenir de l’humanité en jeu, je ne pense pas que quelqu’un ait prétendu cela.
« les "anti néonic" se sont bien plantés sur leur communication »
C’est bien possible, mais se planter sur la communication d’un problème ne fait pas disparaitre le problème pour autant.
« Pour le tabac, il ne vous aura pas échappé que la campagne de désinformation visait le grand publique (et les législateurs) et n'a pas eu d'effet sur la connaissance scientifique »
SupprimerBien sûr, et il en est de même pour tous les autres sujets environnementaux (pluies acides, trou dans la couche d’ozone, changement climatique) cependant il ne vous aura pas échappé que les campagnes de désinformation menées par les industriels n’ont pas pour objet de convaincre les scientifiques mais de jeter le doute parmi la population et par ricochet les politiques qui sont les législateurs !
« est-ce que vous croyez que Monsanto (et les autres fabricants de glyphosate) disposent de moyens financiers comparables à ceux des marchands de tabac ? »
Oui, sans aucun doute, surtout que les sommes dépensées ne sont pas si importantes que vous le pensez quand on les rapporte aux chiffres d’affaires et aux bénéfices ; de plus ces dépenses sont déductibles du résultat fiscal…
« Au point qu'ils puissent intoxiquer des agences sanitaires du monde entier »
Voilà un sujet intéressant sur lequel je ne m’étendrais pas ; pour ce qui est de l’« impartialité » des agences sanitaires vous pouvez consulter le blog de Michel de Lorgeril, ça parle de médicaments mais c’est transposable à beaucoup de choses à mon avis ; cela-dit je ne voudrais pas paraitre complotiste sur ce coup-là, mais croire qu’il n’existe aucun lien d’intérêt entre les agences sanitaires et les industries (pharmaceutiques et autres) relève de la plus tendre des naïvetés, même s’il y a beaucoup de personnes honnêtes qui travaillent pour elles (à la fois pour les agences ET pour les industries…), mais quand des intérêts financiers sont en jeu certains reflexes naturels reviennent à la surface presque spontanément et la tentation est trop forte pour les plus faibles.
« la substance doit passer des tests standardisés ? »
Oui certes, mais les tests ne concernent qu’une molécule, jamais un cocktail de molécules qu’il serait impossible d’inclure dans un essai tellement il y a de possibilités différentes qu’il faudrait tester ! Chaque champ a ses propres caractéristiques, un champ conventionnel peut côtoyer d’autres champs employant des combinaisons différentes de phytos (pour éviter de dire pesticides…) ainsi que des champs bio qui vont recevoir ce que les autres leur balancent généreusement sans avoir rien demandé. Ensuite si quelqu’un a un cancer quelconque dans le coin comment allez-vous attribuer sa maladie à tel ou tel agriculteur ou à « pas de bol » ? Parfois il y a surmortalité d’un petit groupe de personnes dans une zone spécifique, mais même dans ce cas les plaintes éventuelles ont peu de chances de toucher le véritable responsable.
« les communications de "Générations Futures" ou des "pisseurs de glyphosate" relèvent-elles selon vous du débat ouvert et rationnel ? »
SupprimerDébat ouvert oui, rationnel non, mais il a le mérite d’exister et je ne vois pas pourquoi on l’interdirait, il suffit de le prendre avec circonspection ; on n’est pas obligé d’adhérer à toutes les thèses des « antis », comme on n’est pas obligé d’avaler toutes les affirmations des « pros », de chaque côté il y a du vrai, du faux et beaucoup d’à peu près, le problème pour les non-experts c’est d’arriver à faire le tri dans tout ce merdier.
« Vous prenez comme exemple les pluies acides et le trou dans la couche d'ozone, qui sont justement deux exemples sur lesquels les états ont pris des mesures fortes »
Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire si des « mesures fortes » ont été prises dans ces deux cas c’est uniquement parce que ces mesures pouvaient être prises à court terme du moment qu’il existait des solutions techniques pas trop coûteuses pour les industriels et sans impact sur le « bien-être » des populations autre que la disparition des nuisances ; la croissance économique n’a pas vraiment été ralentie par les mesures adoptées et nous avons pu tous continuer à consommer sans modération ni entrave. Pour le réchauffement climatique je ne vous ferai pas un dessin, je pense que vous connaissez les enjeux, votre avant dernière phrase le prouve.
« Votre conclusion opposant les naïfs aux réalistes est, hélas, un bon exemple de "faux dilemme". »
Opposer les naïfs aux réalistes n’est pas en soi un dilemme, c’est une sorte de constatation : il y a d’un côté des naïfs (les climatoréalistes par exemple) qui gobent tout ce que leur disent des désinformateurs professionnels payés par ceux qui ont intérêt à ce que rien ne change, ou du moins que les entraves légales arrivent le plus tard possible (et ça a très bien marché avec le tabac), et de l’autre côté les gens qui ne se laissent pas abuser sans pour autant comprendre tous les tenants et aboutissants du problème (ce qui est mon cas) ; le dilemme, qui n’a rien de faux, consiste à choisir entre souffrir un peu tout de suite, en limitant fortement notre impact sur l’environnement et donc en nous privant de beaucoup de choses que la société de consommation nous a habitués à ingurgiter, et souffrir voire mourir (je parle de la civilisation actuelle, pas de l’humanité et encore moins de la planète) un peu plus tard. De toute façon le choix ne peut en aucun cas s’effectuer individuellement, ceux qui croient qu’en consommant moins dans leur coin ils « sauveront la planète » se bercent de douces illusions.
J'ai trouvé une critique équilibrée du livre de Foucart et consorts : http://zet-ethique.fr/2020/09/27/recension/
SupprimerJe dois dire que j'adhère à 100% ; extrait significatif : « prétendre sceller le sort de la teneur du livre sur la base de simples passages tirés de leur contexte est une diversion qui évite d’avoir à regarder en face les nombreux arguments solidement étayés qui méritent pourtant d’être discutés. » Cela fait évidemment allusion aux autres critiques dont j'ai mentionné les liens plus haut.
Finalement je vais peut-être l'acheter, ce livre.
Merci pour ce dernier lien (je reviendrai plus tard sur nos précédents échanges, je suis en train d'écouter l'épisode de La Conversation Scientifique auquel vous vous référiez).
SupprimerQuoique cette recension soit pondérée, trois points me posent problèmes :
- la description des stratégies des "marchands de doute" correspond bien plus à des "ONG" comme "Générations Futures" qu'à l'AFIS ou autre (et en ce qui concerne le dénigrement des instances de régulation officielle, il faut y ajouter... Foucart et Horel !)
- passer aussi facilement par pertes et profits des insinuations, des accusations sans aucune preuve ou des amalgames sans fondements au prétexte que de ci de là c'est étayé, je trouve cela léger. A moins que les lecteurs "bienveillants" ne démontrent, par exemple, le bien fondée des attaques contre Franck Ramus, je ne suis pas près de rejoindre les naïfs ;
- sur l'AFIS, je trouve carrément dérangeante l'attaque sur la non réponse. Le communiqué de l'AFIS indique que Horel les a contacté uniquement pour avoir confirmation et copie d'un courrier envoyé au CSA suite à un "Cash Investigation" d'anthologie (reportage qui illustre parfaitement le renouveau des marchands de doute). L'AFIS répond n'avoir jamais envoyé de courrier au CSA. Le livre affirme que l'AFIS a envoyé un tel courrier. Conclusion : l'AFIS aurait du répondre ???
PS : petite remarque sur l'ironie du sort : l'auteur de la recension illustre les dérives médiatiques par un article de Libération revenant sur les limites et contresens de Cash Investigation. Très bien. Sauf que cet article de Libération a a son tour été attaqué par... Stéphane Foucart (https://www.lemonde.fr/planete/article/2016/02/29/maudits-97_4873354_3244.html) !
Je dois vous avouer que je suis un peu perdu dans tout ça, à l'origine de mon présent billet il ne s'agissait que de néonicotinoïdes qui sont sans grand doute possible responsables de la surmortalité des abeilles et autres insectes, et je me désolais que FMB prenne le parti de quelqu'un ayant des liens avec un des industriels qui les produit et les commercialise ; là vous m'entrainez un peu plus loin que je ne voudrais, car comme je n'ai pas (encore ?) lu le livre de Foucart et consorts il m'est difficile de juger et de prendre position. Cependant il me semble, du peu que j'ai pu lire ici ou là, que l'AFIS n'est pas vraiment considérée comme un marchand de doute au sens « Oreskes et Conway », mais plutôt comme une association qui se laisserait « berner » par les industriels dont elle prend systématiquement la défense contre les environnementalistes anti ceci ou cela. J'ai déjà dit que je me méfiais de l'AFIS depuis que j'ai lu sur leur site (je rappelle : https://www.afis.org/Un-point-de-vue-sceptique-sur-la-these-carbocentriste) un « point de vue sceptique sur le climat » par nul autre que Benoit Rittaud ; FMB m'avait assuré qu'il avait mis bon ordre quand il est arrivé au comité de parrainage puis au conseil d'administration, on peut d'ailleurs voir que des « précisions » (en réalité un avertissement au lecteur) ont été apportées en tête de l'article, mais pour moi le mal était fait, je ne considère plus l'AFIS comme un organisme suffisamment sérieux pour tout problème autre que le climat (sur ce point comme Bréon supervise je n'ai aucun souci)
SupprimerOui, vous avez raison, désolé de vous avoir entraîné sur cette digression pénible.
SupprimerDès que j'aurai pu écouter jusqu'à son terme l'émission La Méthode (et non la discussion comme je l'ai écrit plus haut) Scientifique consacrée au retour des néonicotinoïdes je me permettrai de revenir poster mes commentaires sur ce sujet.
C'est vrai que j'ai dit que « vous m'entrainez un peu plus loin que je ne voudrais », cependant vous êtes libre d'aller au-delà des néonicotinoïdes du moment que ça reste dans le sujet général des pesticides, quant à moi je ne peux effectivement pas trop vous suivre du moment que je n'ai pas toutes les billes en main ;)
SupprimerÇa me fait toujours une impression étrange lorsqu'on force des comparaisons de sujets aux portées variées :
RépondreSupprimer- changement climatique : origine systémique, impact mondial
- trou couche d'ozone : origine cadrée, impact mondial
- tabac : origine cadrée, impact individuel/sociétal
- néonicotinoïdes : origine systémique, impact local (& individuel ?)
On voit bien les difficultés de légifèrer, en fonction des combinaisons origine et impact. Lorsque l'origine est cadrée, la possibilité d'une substitution permet de légifèrer. Pour ce qui relève du systémique (et les néonicotinoïdes en font partie dans le sens qu'il s'agit plus d'un mode d'agriculture que d'un produit proprement dit) il semblerait bien que cela relève du casse tête pour le législateur, qui par nature, ne peut mener une démarche qu'anthropocentrée, et non pas biocentrée.
On peut effectivement tout autant oublier les douches courtes dans le cas du changement climatique, que les courses en biocoop pour les néonic, dans l'un comme l'autre cas le cadrage est systémique.
Je n'avais pas envisagé le problème sous cet angle, si je comprends bien ce que vous dites ce qui est « cadré » peut facilement trouver une solution que la société acceptera sans problème, alors que ce qui est « systémique » amènera au dilemme que j'ai évoqué ; ai-je bien compris ?
SupprimerOui, c'est ce que j'ai essayé de condenser.
RépondreSupprimerAprès écoute de cette épisode de La Méthode Scientifique et voici ce qui me pose problème :
RépondreSupprimer- les néonicotinoïdes sont présentés "en situation réelle" comme 1400 fois plus toxique que le DDT pour les abeilles (J-M. Bonmatin insiste sur cette "mauvaise affaire" pour les abeilles)
- J-M Bonmatin insiste aussi sur le fait que l'on saurait depuis longtemps que ces insecticides sont dangereux mais ne donne pas de références (bon, ce n'est pas forcément choquant dans ce cadre ; à ma connaissance il n'existe pas de telle étude). Il fait en revanche allusion à une expérience très célèbre publiée dans Science sur la désorientation des abeilles. Justement, cette étude élégante (mais qui n'est pas "en condition réelle" : les abeilles ont consommé un sirop préparé, elles portaient des puces RFID etc.) est célèbre pour avoir pour la première fois proposée une piste d'effet "sub létal" de ces substances alors que les expériences in situ ne montraient rien.
Le problème est que l'on ne peut pas tenir les deux positions en même temps. On peut admettre que les effets des néonicotinoïdes aient des effets à long terme gravement sous estimés (et justifiant leur interdiction) mais difficile à mettre en évidence directement mais on ne peut pas soutenir en même temps que leur utilisation est équivalente à utiliser 1400 fois plus de DDT à l'hectare qu'à l'époque du DDT ! Qui peut imaginer que des doses de DDT 1400 fois plus élevées que l'utilisation normale n'auraient pas d'effet directement visibles ? Est-ce que les gens qui prétendent cela seraient prêts à proposer du DDT à des doses "seulement 1000 fois plus élevées qu'à l'époque", jugeant cette solution préférable aux néonicotinoïdes ?
Attention, les néonicotinoïdes ne sont pas utilisés avec les mêmes doses que l'était le DDT qui était épandu en larges quantités ! Donc quand on dit que les néonic sont 1 400 fois plus puissants que le DDT c'est à dose équivalente, or ils sont utilisés à doses infiniment plus faibles. Voir le passage suivant : « des travaux français ont montré que l’exposition d’une abeille à environ un milliardième de gramme d’un néonicotinoïde couramment utilisé réduisait sensiblement sa capacité de retrouver le chemin de sa ruche. »
SupprimerJe ne fais que reprendre l'exposé de J-M Bonmatin, exactement de la même manière que vous dans votre billet : les néonicotinoïdes sont 7000 fois plus efficaces que le DDT mais sont utilisés à des doses 5 fois plus faibles.
SupprimerCela fait bien, pour l'auditeur, une efficacité au champ 1400 fois supérieure au DDT.
Les "travaux" français" en question sont certainement ceux de l'article de Science que je mentionnais.
Au temps pour moi, vous avez parfaitement raison !
SupprimerCela dit n'étant pas spécialiste je me fie aux deux scientifiques qui se sont exprimés, je ne peux pas en dire plus.