jeudi 4 avril 2019

Mauvaise nouvelle, vraiment ?

Nous savons depuis longtemps qu'un climatosceptique est quelqu'un qui a décidé une bonne fois (ou foi…) pour toutes de ne pas « croire » en la science, et c'est pour cela qu'il essaiera autant que faire se peut de consolider ses convictions personnelles en cherchant, et en trouvant, des « preuves » allant dans son sens ; le comble est quand les preuves en question montrent quasiment le contraire de ce qu'il « croit », comme nous allons le voir avec un certain Daniel qui a posté le commentaire suivant sur le célèbre site Skyfall :
3167. Daniel | 2/04/2019 @ 17:21

Mauvaise nouvelle pour ceux qui pensent que le CO2 contrôle le climat.

Natural climate processes overshadow recent human-induced Walker circulation trends
https://www.eurekalert.org/pub_releases/2019-04/ifbs-ncp040119.php
Donc il parait qu'il s'agirait d'une « mauvaise nouvelle » pour les scientifiques, allons donc voir de quoi il retourne.

Le lien fourni gracieusement par le dénommé Daniel nous mène sur un article intitulé Natural climate processes overshadow recent human-induced Walker circulation trends (Les processus climatiques naturels occultent les tendances récentes de la circulation de Walker induites par l'homme)

Fichtre, diantre, bigre !

J'ai beau me frotter les yeux et lire et relire le titre de ce papier, je n'arrive pas à voir en quoi cela viendrait à remettre en cause le fait que le CO² d'origine humaine est bien ce qui « contrôle » actuellement le climat dans le sens où l'augmentation de ce gaz produit ce qui est admis par tout le monde exceptée une poignée d'irréductibles, à savoir une hausse anormale des températures (anormale signifiant que la nature seule ne peut pas en être à l'origine)

En effet, le titre est explicite : il y a des phénomènes naturels qui cachent la signature humaine dans ce que l'on appelle la circulation de Walker, autrement dit s'il y a une cause humaine (i.e. les gaz à effet de serre injectés par l'homme) elle n'est pas visible car des phénomènes naturels l'occultent (overshadow = éclipser ou faire de l'ombre)

Le titre semble même quasiment affirmer qu'il y a bien des « tendances récentes […] induites par l'homme », par conséquent note ami Daniel soit a des problèmes avec la langue anglaise qu'il ne maitrise pas, soit a des difficultés de compréhension engendrées par un fort biais de confirmation qui lui fait voir tout et n'importe quoi sous un jour climatosceptique (vous savez, quand votre seul outil est un marteau tout problème ressemble à un clou, dixit Abraham Maslow)

Mais pour y voir plus clair le mieux est de lire l'article en question.

Disons tout de suite que l'article fait référence à une étude parue dans Nature Climate Change et intitulée Reconciling opposing Walker circulation trends in observations and model projections (Concilier les tendances opposées de la circulation de Walker dans les observations et les projections de modèles), dont voici le résumé :
A strengthening of the Pacific Walker circulation (PWC) over recent decades triggered an intense debate on the validity of model-projected weakening of the PWC in response to anthropogenic warming. However, limitations of in situ observations and reanalysis datasets have hindered an unambiguous attribution of PWC changes to either natural or anthropogenic causes. Here, by conducting a comprehensive analysis based on multiple independent observational records, including satellite observations along with a large ensemble of model simulations, we objectively determine the relative contributions of internal variability and anthropogenic warming to the emergence of long-term PWC trends. Our analysis shows that the satellite-observed changes differ considerably from the model ensemble-mean changes, but they also indicate substantially weaker strengthening than implied by the reanalyses. Furthermore, some ensemble members are found to reproduce the observed changes in the tropical Pacific. These findings clearly reveal a dominant role of internal variability on the recent strengthening of the PWC.
Un renforcement de la Circulation Pacifique Walker (PWC) au fil des récentes décennies a déclenché un débat intense sur la validité de l'affaiblissement projeté par les modèles de la PWC en réponse au réchauffement anthropique. Cependant, les limites des observations in situ et des ensembles de données de réanalyse ont empêché l'attribution non équivoque de changements de PWC à des causes naturelles ou anthropiques. Ici, en effectuant une analyse complète basée sur plusieurs enregistrements d’observation indépendants, y compris des observations satellites et un vaste ensemble de simulations de modèles, nous déterminons de manière objective les contributions relatives de la variabilité interne et du réchauffement anthropique à l’émergence de tendances à long terme des PWC. Notre analyse montre que les changements observés par satellite diffèrent considérablement des changements de la moyenne d'ensemble des modèles, mais ils indiquent également un renforcement nettement plus faible que celui suggéré par les réanalyses. En outre, il a été constaté que certains membres de l’ensemble reproduisaient les changements observés dans le Pacifique tropical. Ces résultats révèlent clairement un rôle dominant de la variabilité interne dans le récent renforcement de la PWC.
Les points importants à mentionner sont les suivants :
  • La circulation Walker dans le Pacifique s'est renforcée durant les dernières décennies ;
  • Ce renforcement est allé à l'encontre de ce que disaient les modèles qui prévoyaient plutôt un affaiblissement de cette circulation ;
  • Cependant il est très compliqué de déterminer la part des variations naturelles et celle attribuée à l'activité humaine (par exemple limite des observations sur site et réanalyses des données) ;
  • Les données satellitaires montrent un renforcement bien plus faible que ce qu'indiquent les réanalyses ;
  • En conclusion il semblerait que la variabilité naturelle soit prédominante dans le récent renforcement de la circulation Walker dans le Pacifique.
Le reste de l'étude est payant donc il va falloir se référer à ce qu'en dit le site eurekalert pour savoir de quoi il retourne.

Notons toutefois en premier lieu que l'étude se concentre sur le Pacifique où se situe la principale circulation Walker étroitement liée au phénomène ENSO ; mais l'Atlantique Sud et l'océan Indien ont également une circulation Walker, bien plus réduite que dans le Pacifique étant données les tailles respectives de ces océans.

J'avais déjà évoqué la circulation Walker dans La buse vous fait la bise et dans La circulation atmosphérique pour les nuls en montrant les schémas suivants (les sources sont mentionnées dans les articles en question) :

Cette répartition inégale de l'énergie solaire entrante crée un déséquilibre des températures qui est à l'origine de quelques circulations mondiales dominantes. L'une de ces grandes circulations est la cellule de Hadley, qui transporte la chaleur en direction des pôles de l'équateur aux régions subtropicales. La cellule de Ferrel aux latitudes moyennes et la cellule polaire aux latitudes polaires sont d’autres caractéristiques majeures de la circulation. La Circulation de Walker déplace l'air dans les directions est-ouest et verticalement sous les tropiques.

La circulation de Walker : les alizés induisent un déplacement (les flèches blanches) des masses d'eaux chaudes (caractérisées par la couleur rouge). Au niveau de la warm pool (ou piscine d'eau chaude) à l'ouest du bassin, l'eau s'évapore, c'est la zone convective. D'autres cellules du même type existent sur l'Atlantique et l'océan Indien tropicaux. © Pierre cb, NOAA 

Le premier schéma montre la circulation Walker en compagnie des autres cellules régissant les mouvements atmosphériques (cellules de Hadley, de Ferrel et polaire) ; le deuxième schéma fait un zoom sur la circulation Walker dans le Pacifique en expliquant son mécanisme (source futura-sciences mais aussi Wikipédia)

Quand on connait l'importance du phénomène ENSO (i.e. El Niño/La Niña) on comprend que la variabilité naturelle puisse jouer dans cette vaste région du monde un rôle prédominant par rapport aux activités humaines qui y sont très limitées.

Donc que nous dit l'article que nous ne pouvons pas voir dans l'étude dont seul le résumé nous est accessible ?

Tout d'abord il nous explique en quoi consiste la circulation Walker dans le Pacifique, avec à l'appui ce schéma que l'on pourra comparer avec ceux montrés ci-dessus :

Les modèles climatiques forcés par l'augmentation des concentrations de gaz à effet de serre simulent un affaiblissement de la circulation de Walker (en bas). (Droite) Évolution temporelle des tendances de la circulation de Walker simulées par le modèle, avec la ligne bleu foncé et les ombres orange indiquant respectivement les changements induits par l'homme et l'impact des processus naturels.
Normal conditions (top), strengthening due to natural variability (middle) and weakening due to greenhouse warming (bottom). Black arrows represent horizontal and vertical winds with the shading on the background map illustrating ocean temperatures. Over the past few decades, natural variability has strengthened the Pacific Walker circulation leading to enhanced cooling in the equatorial central-to-eastern Pacific (middle). Climate models forced by increasing greenhouse gas concentrations simulate weakening of the Walker circulation (bottom). (Right) Temporal evolution of model-simulated Walker circulation trends, with the dark blue line and orange shading denoting anthropogenically-induced changes and the impact of natural processes, respectively.
L'auteur principal, Eui-Seok Chung, est cité :
The discrepancy between climate model projections and observed trends has led to speculations about the fidelity of the current generation of climate models and their representation of tropical climate processes
La divergence entre les projections des modèles climatiques et les tendances observées a conduit à des spéculations sur la fidélité de la génération actuelle de modèles climatiques et leur représentation des processus climatiques tropicaux.
Un des co-auteurs, Axel Timmermann, s'exprime à son tour :
Using satellite data, improved surface observations and a large ensemble of climate model simulations, our results demonstrate that natural variability, rather than anthropogenic effects, were responsible for the recent strengthening of the Walker circulation.
En utilisant des données satellitaires, des observations de surface améliorées et un vaste ensemble de simulations de modèles climatiques, nos résultats démontrent que la variabilité naturelle, plutôt que les effets anthropiques, était responsable du renforcement récent de la circulation de Walker.
Un autre co-auteur, Viju John, renchérit :
We found that some models are even consistent with the observed changes in the tropical Pacific, in stark contrast to other computer experiments that exhibit more persistent weakening of the Walker circulation during the observational period.
Nous avons constaté que certains modèles concordaient avec les changements observés dans le Pacifique tropical, contrairement à d'autres expériences sur ordinateur montrant un affaiblissement plus persistant de la circulation de Walker pendant la période d'observation.
Puis c'est au tour de Kyung-Ja Ha de s'exprimer :
Natural climate variability, associated for instance with the El Niño-Southern Oscillation or the Interdecadal Pacific Oscillation can account for a large part of diversity in simulated tropical climate trends.
La variabilité climatique naturelle, associée à l'oscillation El Niño-Southern ou à l'oscillation interdécennale du Pacifique, peut expliquer une grande partie de la diversité des tendances simulées du climat tropical.
Et c'est enfin à Brian Soden de conclure :
The observed trends are not that unusual. In climate model simulations we can always find shorter-term periods of several decades that show similar trends to those inferred from the satellite data. However, in most cases, and when considering the century-scale response to global warming, these trends reverse their sign eventually.
Les tendances observées ne sont pas si inhabituelles. Dans les simulations de modèles climatiques, nous pouvons toujours trouver des périodes à court terme de ces décennies montrant des tendances similaires à celles déduites des données satellitaires. Toutefois, dans la plupart des cas, et compte tenu de la réaction du réchauffement planétaire à l’échelle du siècle, ces tendances finissent par se renverser.
Mais ce qu'il faudra surtout retenir c'est la conclusion de l'article :
The study concludes that the observed strengthening of the Walker circulation from about 1990-2013 and its impact on western Pacific sea level, eastern Pacific cooling, drought in the Southwestern United States, was a naturally occurring phenomenon, which does not stand in contrast to the notion of projected anthropogenic climate change. Given the high levels of natural decadal variability in the tropical Pacific, it would take at least two more decades to detect unequivocally the human imprint on the Pacific Walker Circulation (see Figure 1, right panel).
L’étude conclut que le renforcement observé de la circulation de Walker de 1990 à 2013 et son impact sur le niveau de la mer du Pacifique occidental, le refroidissement du Pacifique oriental, la sécheresse dans le sud-ouest des États-Unis, était un phénomène naturel qui ne se démarque pas de la notion de changement climatique anthropique projeté. Compte tenu des niveaux élevés de variabilité naturelle décennale dans le Pacifique tropical, il faudrait au moins deux décennies de plus pour détecter sans équivoque l'empreinte humaine sur la Circulation Walker dans le Pacifique (voir la figure 1, en bas à droite).



Il est savoureux de constater que c'est à partir de modèles que ces chercheurs ont déterminé que d'autres modèles pouvaient se tromper, mais que de toute façon cela ne remettait pas en cause le réchauffement climatique global d'origine humaine.

Il faudra donc encore d'autres décennies d'observations pour détecter une possible influence humaine dans cette circulation atmosphérique qui concerne une immense région océanique dominée par un phénomène purement naturel dont l'intensité est capable de modifier temporairement le climat de la planète entière.

Donc non, monsieur Daniel de Skyfall, il ne s'agit pas d'une mauvaise nouvelle mais d'une nouvelle faisant avancer la science, mais pas sûr qu'il se trouvera une âme charitable pour vous déniaiser (faut pas compter sur AntonioSan qui ne jure que par les AMP, alors ne restent plus que BenHague, phi et the fritz, qui va s'y coller ?)


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