samedi 6 avril 2019

Le conflit syrien selon Les Crises

J'ai déjà écrit (notamment dans C'est la crise chez Berruyer !) sur le sujet de la Syrie et le traitement qu'en donnait le blog Les Crises, aujourd'hui on en remet une couche avec Roland Hureaux : Syrie, le grand aveuglement… Par Richard Labévière où l'on apprend que l'« [o]n commence enfin à y voir plus clair sur la Syrie », il était temps !

Comme d'habitude sur ce site le grand Satan serait bien sûr l'Amérique (les USA, pas le continent) qui aurait décidé depuis longtemps de détrôner Assad et qui mettrait tous les moyens en œuvre pour parvenir à ses fins.

Je suis personnellement d'accord avec pas mal de choses qui sont écrites par ce monsieur Richard Labévière qui cite un certain Roland Hureaux, deux parfaits inconnus pour le commun des mortels, par conséquent deux personnes prises très au sérieux par Olivier Berruyer au point de leur faire un pont d'or pour soutenir la ligne éditoriale du site, à savoir que la crise syrienne serait une construction de la CIA pour faire tomber le régime d'Assad.

Cependant je suis très partagé sur l'essentiel du contenu de l'article publié le 18 mars dernier par Les Crises.

Comme je le disais certaines parties ont plutôt mon assentiment, par exemple quand dans l'introduction Rudyard Kipling est cité :

la première victime d’une guerre, c’est la vérité
C'est bien joli mais même si cette citation (attribuée à Kipling mais également revendiquée par Hiram Warren Johnson qui aurait dit « Quand une guerre éclate, la première victime c’est toujours la vérité » ) représente bien la réalité, il faut néanmoins être bien conscient que cela vaut pour TOUT ce qui se dit, y compris sur un site comme Les Crises !

Mais le plus intéressant est ici :
Robert F. Kennedy, avocat new-yorkais, petit-fils de Robert Kennedy, frère de John, a vendu la mèche en affirmant dans un article de Politico2 que renverser Assad pour lui substituer un régime pro-occidental était une décision prise par les Etats-Unis dès 2009, immédiatement après le refus d’Assad de laisser passer le gazoduc venant du Qatar, deux ans donc avant les premiers troubles.
Que les Etats-Unis aient eu dans l'idée de renverser Assad pour une question de gros sous me parait assez probable, par contre rien ne permet d'en inférer que la crise syrienne a été créée de toutes pièces en 2011 par les Américains afin de poursuivre cet objectif, ces derniers ont peut-être tout simplement bénéficié d'une « opportunité » qui les arrangeait bien.

Autre point auquel j'adhère en grande partie :
[…] on ne saurait comprendre cet engagement sans se référer aux orientations générales de la politique américaine depuis vingt ans. On peut les résumer à l’idéologie appelée néo-conservatrice et qu’il vaudrait mieux appeler libérale-impérialiste, illustrée par des hommes comme Irving Kristol et son fils William, Albert Wohlstetter, Norman Podhoretz, Robert Kagan quant à la théorie, Richard Perle, Paul Wolfowitz, Madeleine Albright, Dick Cheney, Donald Rumsfeld, le sénateur John McCain quant à son application. Kagan et Kristol créèrent en 1997 le « think tank » Project for the New American Century pour les réunir. Leur idéologie traverse désormais les clivages entre Républicains et Démocrates. Elle a inspiré aussi bien George Bush Jr que Bill et Hillary Clinton. Obama en a été tributaire tout en tempérant les effets. Donald Trump, lui, la conteste tout en étant contraint de composer avec elle ».
Hormis le début, avec « cet engagement » qui résulterait de « la volonté des Occidentaux, Etats-Unis en tête, d’y renverser un gouvernement pro-russe », le reste me va assez bien ; l'idéologie néo-con ou « libérale-impérialiste » avec une entente Républicains-Démocrates sur le sujet, chaque parti reprenant à son compte les grandes idées d'une Amérique sure d'elle et voulant imposer son diktat à l'ensemble du monde, tout cela est par exemple très bien expliqué par Noam Chomsky dans L'an 501 - La conquête continue, paru en 1993 mais dont pas une seule ligne ne serait à refaire tellement ce livre est toujours d'actualité ; on peut au passage remarquer que le couple Labévière/Hureaux se plante quand il date tout cela de seulement il y a 20 ans, c'est en réalité bien plus ancien que ça !

Par contre là où je suis plus que sceptique, c'est quand il est affirmé ce qui suit :
Les services spéciaux américains, britanniques et français vont soutenir et armer les factions jihadistes les plus radicales, à l’époque coordonnées par une structure des plus opaques et rhizomatiques : L’Armée syrienne libre (ASL).
On croit rêver !

L'ASL aurait donc été dès le début composée de djihadistes soutenus notamment par la France, ce qui est en contradiction totale avec tout ce que l'on peut lire ailleurs sur le sujet.

Par exemple le site leconflitsyrienpourlesnuls nous explique ainsi l'origine du conflit syrien :
Comme pour les autres révolutions du « Printemps arabe » au début de l’année 2011, la contagion contestataire a atteint la Syrie en mars dans la foulée de la Tunisie, l’Egypte, la Libye, le Bahreïn et le Yémen. Les Syriens s’étaient enthousiasmés pour le renversement des dictatures de Ben Ali puis de Moubarak. Comme les autres peuples arabes, ils ont voulu manifester leur aspiration au changement, pour réclamer « liberté, justice et dignité », selon les premiers mots d’ordre de la révolution syrienne.
Et « qu'est-ce qui a mis le feu aux poudres ?
En mars 2011, de jeunes collégiens, des adolescents dont l’âge est celui de la transgression, écrivent par jeu sur les murs de Deraa dans le sud du pays le slogan scandé dans toutes les rues arabes : « Le peuple veut la chute du régime ». Ils sont arrêtés par les services de sécurité et torturés. À la suite de cet acte, les manifestations s’étendent par capillarité dans tout le pays. Des centaines de milliers de manifestants pacifiques réclament la démocratie et la fin de la corruption. Les forces du régime répondent systématiquement en tirant sur la foule, faisant des morts et des blessés. Dans le même temps, des centaines de jeunes activistes et autres civils sont arrêtés et disparaissent dans les prisons du régime. La répression chaque jour plus féroce, provoque de nouvelles protestations et demandes de réformes. Le cycle manifestation/répression se poursuit pendant des mois. A la fin de l’année 2011, l’ONU dénombre déjà 5000 morts.
Tout ce qui précède correspond parfaitement à ce que ma mémoire a retenu de ces événements au jour le jour, mais également de ce que j'ai pu lire par la suite sur la question syrienne avec les livres Aux origines du drame syrien (paru en 2013) et La Syrie de Bashar Al-Asad (paru en 2013 également)

Au tout début il n'était question d'aucun djihadiste ; faut-il rappeler que la création de l'Etat Islamiste date de juin 2014, soit trois ans après le début de la « révolution syrienne » (le Front al-Nosra, lui, a été créé en janvier 2012, un an après le soulèvement), et que cette création doit probablement beaucoup à Bachar El-Assad qui avait fait libérer de ses prisons de nombreux islamistes peu après le soulèvement de son peuple, comme il avait également libéré Chaker Absi en 2005 (source courrierinternational) afin de justifier son intervention au Liban.

Quant à l'ASL elle est formée en juillet 2011 à partir essentiellement de déserteurs de l'armée syrienne ; je me souviens très bien de reportages dans lesquels on pouvait voir les combattants de l'ASL côtoyer tout d'abord les islamistes du Front al-Nosra sans qu'il y ait entre eux la moindre coopération, mais avec une certaine neutralité, leur objectif principal étant avant tout le régime syrien ; mais peu à peu les islamistes s'en sont pris aux forces de l'ASL, qu'ils jugeaient certainement trop « laïques », et ces dernières se sont retrouvées prises entre deux feux, ce qui a provoqué leur affaiblissement puis leur disparition ; évidemment pour l'armée syrienne « loyaliste » ainsi que pour les Russes venus à la rescousse, il n'y avait aucune différence entre l'ASL et les islamistes, ils étaient tous qualifiés de « terroristes » et bombardés en tant que tels.

Amnesty International ne dit pas autre chose dans 7 ans de conflit Syrien quand ils écrivent :
Le conflit en Syrie est un des plus meurtrier de la région. Il a éclaté le 15 mars 2011 après la répression brutale du gouvernement de Bachar el Assad contre les gigantesques manifestations qui étaient en cours dans le pays.

En 7 ans, nous avons publié plus de 40 enquêtes et rapports sur le pays où nous avons mis en lumière les crimes commis de parts et d’autres.
Et Médiapart nous donne également sa version de l'origine du conflit syrien dans Syrie : où en sommes nous ? Pourquoi le conflit demeure? :
Tout a commencé en Septembre 2011, dans la vague du printemps arabe, avec la naissance d’une rébellion en Syrie. D’après les informations officielles recueillies, celle-ci avait comme ferme ambition de renverser Bachar Al-Assad. Les rebelles réclamaient une transition politique mais sans celui qu'ils considèrent comme un tyran. Ils ne voulaient, ni plus ni moins, que la destitution du président Bachar Al-Assad. Ainsi, aux oreilles du monde entier, la crise syrienne trouvait ses origines dans une guerre pour la souveraineté et la démocratie. Cependant, pour d’aucuns, la réalité serait d'une toute autre nature sur le front. En témoigneraient d’ailleurs les trois autres guerres engendrées par ce seul conflit.
Ainsi pour Médiapart il y aurait deux versions, une officielle et une autre plus proche de la réalité qui serait la suivante :
[…] ce qui à l'origine était parti comme un simple mouvement de protestation dans le but de réclamer un État démocratique, a pris une telle ampleur que les États voisins et même les puissances mondiales se retrouvent aujourd’hui à jouer des rôles dans lesquels on ne les attendait pas forcément, l'appui militaire. La crise syrienne est donc à l'heure actuelle une guerre internationale qui a déjà fait plus de 400 000 morts et des millions de déplacés à l'intérieur comme à l’extérieur du pays.
Mais qu'en est-il des Etats-Unis et de leur rôle dans la crise syrienne ?
Pour ce qui est du rôle des États-Unis dans la guerre syrienne, leur soutien serait allé aux rebelles. Avec eux, quelques pays européens dont la France depuis 2015. Pour les occidentaux, cette aide viserait à éliminer la menace que constitue l’État islamique et en même temps à assurer une transition sans Bachar Al-Assad. Un objectif qui semblerait cependant avoir été revu depuis.
A comparer avec le texte paru dans Les Crises, je vous laisse faire…

Mais il y aurait d'après Médiapart des « raisons cachées » :
Contrairement à la version officielle qui trouve les origines de la crise syrienne dans les mouvements de rébellion de septembre 2011, pour certains, il faudrait remonter jusqu'en 2009 pour comprendre les véritables raisons de cette guerre. Ainsi, pour eux, cette année-là Bachar Al-Assad aurait dévoilé un projet qui faisait de la Syrie un carrefour incontournable dans le commerce du gaz et du pétrole, non seulement dans le Moyen-Orient, mais aussi dans le monde. Un projet économique, dont la réalisation aurait mis à mal les intérêts financiers de la Turquie et d'autres pays comme le Qatar.
Il faut préciser que d'autres éléments de réponses contradictoires ont repris le même point de vue en précisant que le conflit aurait commencé en Syrie au lendemain de la signature du premier contrat de réalisation du gazoduc avec l'Iran, partenaire de la Syrie. Coïncidence pour certains, conséquence pour d’autres, c'était en 2011. Et ce serait aussi cette même année que les appuis militaires auraient commencé par fuser de toutes parts pour les rebelles qui, jusque-là, n'étaient pas bien dangereux.
Comme on le voit Médiapart se montre, à juste titre, très prudent sur les causes de la crise syrienne, mais de tout ce que l'on peut tirer de l'histoire récente à ce sujet c'est que cette crise a bien été déclenchée par un mouvement de jeunes contestataires, tout comme en Tunisie cela avait commencé avec  l'immolation d'un jeune vendeur de légumes ambulant de 26 ans ; par la suite bien d'autres acteurs que les jeunes contestataires du début sont entrés dans le jeu plus ou moins forcés en essayant de tirer parti de la situation dans la mesure du possible mais sans vraiment rien maitriser comme la suite des événements a pu nous le démontrer.

Pour le moment tout ce que l'on peut constater c'est que Bachar el-Assad est toujours au pouvoir, sauvé par ses amis russes qui en ont profité pour asseoir leur domination sur cette petite partie du monde négligée quoi qu'on en dise par les Américains : Obama n'a pas voulu intervenir quand il en avait la possibilité en 2013 et Donald Trump fait tout ce qu'il peut pour se sortir de ce guêpier, tout ce qu'il s'avère capable de faire « pour le bien » de la région étant de déclarer Jérusalem capitale de l'Etat d'Israël...

Nous sommes loin, très loin, des thèses complotistes de monsieur Roland Hureaux qui, est-ce vraiment une surprise, a eu sur Radio Courtoisie une émission à son nom… Finalement tout se recoupe, n'est-ce pas ?


2 commentaires:

  1. Je ne suis pas totalement d'accord avec vous sur cette analyse de la Guerre Syrienne.

    Par exemple , l'ASL n'a jamais existé autre part que dans les médias (TV, journaux) occidentaux á des buts de propagande ( á la fois par les opposants syriens en exil pour se donner un poids et une légitimité et par les gouvernements occidentaux pour justifier leurs actions anti-Assad) : http://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Fwww.eurasiareview.com%2F17032013-the-free-syrian-army-doesnt-exist-analysis%2F
    En revanche comme vous , je ne crois pas qu'il y ait de "Grand complot" .. De maniére générale, la vision stratégique des démocraties est court termiste et est guidée par les prochaines elections , au contraire de pays aux régimes non -démocratiques ( Russie , CHine) qui peuvent inscrire leur stratégie dans le temps long .. Et pour la France , considérant l'équipe au pouvoir entre 2012-2017 , je ne peux y voir de "complot" . Pour qu'il y ait complot , il faut qu'il y ait compétence ....

    Je pense que ce site vous interessera :
    https://lavoiedelepee.blogspot.com/2019/03/petit-retour-sur-la-guerre-de-la-france.html

    Il y de nombreux articles sur la crise syrienne . Jamais l'auteur ne tombe dans le complotisme au contraire du site "Les Crises" qui est pour moi une daube sans nom ...

    Benhague

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. « l'ASL n'a jamais existé autre part que dans les médias »

      Comme il est dit dans le lien que vous fournissez l'ASL pourrait être comparée à la Résistance française, de là à prétendre que l'ASL n'a jamais existé que dans les médias c'est un peu fort de café ; vous me citez Wikiwix, ce n'est pas exactement ce que l'on peut lire dans Wikipédia ; ce n'est pas non plus ce que j'ai pu retenir de mes lectures (mentionnées dans mon billet) ; en fait l'ASL n'est pas une entité homogène en tant que telle, elle est le regroupement de plusieurs factions qui se battent contre el-Assad et contre les islamistes radicaux (il y a dans l'ASL des islamistes modérés) et leur combat n'a rien à voir avec une partie de Fortnite.

      En fait c'est bien plus compliqué que cela et il y a beaucoup d'avis sur la question, il n'en reste pas moins que des combattants non islamistes radicaux se sont battus contre Assad, comme des résistants français se sont battus contre les Allemands, et on les regroupe sous le terme d'ASL même si celle-ci n'a pas déposé ses statuts au Tribunal de commerce du coin.

      Enfin merci pour le lien vers le site d'un colonel qui sait sûrement de quoi il parle, mais ma passion pour les événements syriens ne va pas jusqu'à étudier tous les détails de ce conflit ; mon billet n'avait pour but que de réagir au complotisme de Berruyer qui menace de trainer en justice toute personne qui l'accuserait de complotisme mais qui fait tout son possible pour accréditer cette thèse.

      Supprimer