jeudi 5 novembre 2015

Xavier Denamur, un chef qui s'engage

Le dernier numéro de l'Expansion consacre son "grand entretien" au restaurateur Xavier Denamur, que je n'avais jusqu'à présent pas l'honneur de connaître.

 N'étant pas particulièrement attiré par la "bouffe", qu'elle soit grande, bonne ou autre (ma devise serait plutôt du style "il faut manger pour vivre et non vivre pour manger") je ne suis pas en principe séduit par les articles consacrés à la nourriture, sauf s'il s'agit de diététique, et encore...

Mais dans le cas présent j'ai été agréablement surpris par ce que j'ai pu lire dans cet entretien, dont voici quelques extraits (mes commentaires en italique) :

  • Xavier Denamur [...] à quelques semaines de la conférence des Nations unies sur les changements climatiques, [...] dénonce les pratiques peu ragoutantes du milieu de la restauration, les ravages de l'agriculture conventionnelle qui pollue la planète, mais aussi l'hypocrisie de la grande distribution et le double discours des hommes politiques à l'égard du monde agricole. [...]
  • "Arrêtons de vouloir concurrencer l'Allemagne, la Chine ou le Brésil. On n'y arrivera pas" [...]
Voilà le problème posé en quelques mots bien sentis et sans langue de bois (et je rappelle que nous sommes dans l'Expansion, journal écolo-communiste comme tout le monde sait...) 

Petite parenthèse pour compléter le côté "pratiques peu ragoutantes" : le livre Vous êtes fous d'avaler ça! que je vous recommande chaudement.

  • S'il le décide, un agriculteur peut choisir de passer au bio, et créer un écosystème en fédérant autour de lui d'autres agriculteurs qui vont, à leur tour, basculer dans autre chose que l'agriculture conventionnelle, chimique et forcément nocive. [...]
  • [...] Mais il faut pour cela que les agriculteurs réussissent à briser le lien de dépendance noué avec les coopératives qui poussent à consommer des produits phytosanitaires et les chambres d'agriculture inféodées à la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA). [...]
En quelques mots tout est dit; et cela peut parfaitement s'appliquer à d'autres domaines, comme l'industrie pharmaceutique ou les industries "fossiles" (pétrole, charbon, gaz), où les intérêts en jeu sont tellement importants que quelques puissantes corporations parviennent à asservir la quasi totalité de l'humanité en la dopant à la consommation de masse: la bagnole et le pétrole, l'électricité à volonté et le charbon, les maladies imaginaires (le "mauvais cholestérol" par exemple) et les pharmaciens, la malbouffe et l'agriculture conventionnelle couplée à la grande distribution avec la complicité des chimistes, etc.

A noter le terme "produits phytosanitaires" qu'emploie Xavier Denamur, parce qu'il est poli et évite de parler de pesticides, mot politiquement incorrect mais pourtant tellement plus juste et parlant.

  • On nous a embarqués dans un système de production intensif, écrit dans les années 60, où tout était axé sur la spécialisation et l'export. Résultat, on a abouti à une agriculture qui pollue, des élevages hors-sol, des cultures sous-serres...[...]
  • Il faut que la COP21 soit l'occasion de revoir entièrement notre façon de travailler.
D'autres, comme Naomi Klein dans son livre Tout peut changer, pensent qu'il faudra se défaire du système capitaliste néo-libéral actuel si l'on veut que les choses évoluent dans le bon sens; il faut malheureusement avouer que cela serait effectivement nécessaire, pour ne pas dire indispensable. Cependant on est en droit de douter que la COP21 parvienne à un tel résultat...

Là aussi le "système de production intensif" ne s'applique pas qu'au domaine agricole, tout le monde l'aura bien compris (sauf les habituels naïfs qui pensent par exemple que le progrès technique règlera tous nos problèmes)

  • Les coûts directs de production de l'agriculture biologique sont plus élevés, c'est certain. Mais si on prenait en compte tous les coûts sociaux et environnementaux de l'agriculture conventionnelle, la balance pencherait certainement de l'autre côté.
Remplacez "agriculture biologique" par "énergies renouvelables" et "agriculture conventionnelle" par "énergies fossiles" et vous obtenez ceci: "Les coûts directs de production des énergies renouvelables sont plus élevés, c'est certain. Mais si on prenait en compte tous les coûts sociaux et environnementaux des énergies fossiles, la balance pencherait certainement de l'autre côté." Ce qui garde tout son sens.

  • [...] ce sont surtout les industriels comme Xavier Beulin (PDG de Sofiprotéol et président de la FNSEA) qui vont bénéficier [du CICE], alors que mon producteur de volailles en liberté va toucher des clopinettes.
Là encore, le parallèle avec les énergies fossiles qui engrangent 4 à 5 fois plus de subventions que les renouvelables est criant...

  • Les gouvernements successifs n'ont pas empêché la majorité des agriculteurs de s'enfoncer dans la misère et le surendettement.
On peut par conséquent douter de la volonté des politiques de faire bouger les choses également en matière climatique; ce qui est comique c'est que les climatosceptiques n'arrêtent pas de nous seriner que ce sont les politiques qui sont aux manettes des régulations en matière climatique, alors que tout montre qu'ils sont lamentablement incompétents et incapables (jusqu'à présent du moins, nous verrons bien après la COP21...) de réduire nos émissions de CO2.
  • Les effets sur la santé [des pesticides] s'observent sur deux ou trois générations. On aura une idée de l'effet cocktail des pesticides, des additifs et des métaux lourds, dans vingt, trente, quarante ans. Faut-il attendre pour réagir?
Quelle magnifique conclusion à cet entretien!

On ne manquera pas de rapprocher "les effets qui s'observent sur plusieurs générations" avec ce qui nous attend en matière de changement climatique; les climatosceptiques affirment qu'il ne faut pas s'inquiéter car nous ne subissons pas actuellement de véritable "catastrophe climatique", si l'on excepte les quelques événements (sècheresse, incendies, inondations...) qu'il est encore difficile d'attribuer clairement au changement climatique.

Faudra-t-il donc attendre deux ou trois générations que les effets néfastes se fassent vraiment sentir, et nous impactent de manière tellement négative que nul ne pourra les nier, afin de commencer à réagir?

En sachant que l'inertie du climat est telle qu'à partir du moment où nous commencerons à réagir les températures continueront de monter pendant encore très, très longtemps...

 

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