Il existe un mythe en économie qui a la vie dure et qui est repris par bon nombre de politiques, de journalistes ou de représentants divers des entreprises, dont le Medef qui n'hésite pas à se contredire dans le même article :
Ou comment confondre créations d'emplois et embauches de salariés.
Et Juppé, que je pensais un peu plus au fait des questions économiques, qui reprend cette baliverne hier soir au JT de TF1 face à Anne-Claire Coudray :
Il n'a pas compris que sans croissance le gâteau ne peut pas grandir, et que dans ces conditions si une entreprise agrandit sa part du gâteau et embauche des salariés pour faire face à un carnet de commandes plus fourni ce sera forcément aux dépens des autres entreprises qui seront obligées de licencier, donc au niveau macro-économique il s'agit d'un jeu à somme quasi-nulle.
Pour créer des emplois il faut que le gâteau s'agrandisse, il faut donc de la croissance et cette croissance n'est certainement pas générée par le bon vouloir des entreprises comme le reconnait le Medef : il s'agit de volonté politique plus que de désir des entreprises et de leurs patrons.
En la matière deux politiques s'affrontent :
Et pour bien comprendre pourquoi ce ne sont pas les entreprises qui créent les emplois on peut raisonner à partir d'un exemple très simple.
Considérons deux agents économiques, A et B, ayant à peu près chacun le même revenu disponible (c'est-à-dire déduction faite des impôts et cotisations obligatoires, hormis la TVA qui ne se paye que lorsque l'on consomme)
A est plutôt cigale, il dépense la totalité de son revenu disponible et n'épargne rien ; B, quant à lui, ne dépense que le strict nécessaire et, comme il s'y connait en bourse, place tout le reste en actions qu'il vend au plus haut et achète au plus bas (je sais c'est très utopique, mais c'est pour la beauté de la démonstration, et puis on admet que B est très doué pour boursicoter)
B participe de toute évidence bien moins que A à l'activité de ce que l'on appelle l'économie « réelle », celle qui justement est susceptible de produire de la croissance et donc par voie de conséquence des emplois ; la bourse n'est qu'un gigantesque casino, ceux qui gagnent le font aux dépens de ceux qui perdent, aucune valeur n'est ajoutée, on nage dans le virtuel complet (les seules « créations » d'emplois étant éventuellement celles de traders ou autres intermédiaires financiers...)
A, par sa consommation, permet deux choses :
Maintenant si l'on dit que A est fonctionnaire (professeur des écoles, infirmière, postier, peu importe) et que B est petit patron employant une dizaine de salariés...
Imaginons que B, suite à la consommation compulsive de A, voie son carnet de commandes gonfler et soit obligé d'embaucher du personnel pour faire face à la demande, quelle conclusion peut-on en tirer ?
Un représentant des patrons affirmera sans rire que B a créé des emplois, et si on lui demande ce qu'il en est de A, il dira, toujours sans rire, qu'il s'agit d'une personne improductive vivant aux crochets de la société et qu'il est impératif, avec les problèmes de sous-emploi que nous connaissons, de réduire au maximum le nombre de fonctionnaires au profit des salariés du privé !
Il est probable qu'Alain Juppé tirerait plus ou moins le même genre de conclusion, mais il ne serait certainement pas le seul à le faire, on en trouverait même à « gauche » avec des gens comme Hollande ou Valls...
Pour terminer, et afin de convaincre ceux qui auraient encore des doutes, voici une étude de Michel Husson sur le partage de la valeur ajoutée dont on peut tirer les graphiques suivants :
On constate que :
Et que penser du mythe « allégeons les charges des entreprises afin qu'elles investissent davantage » ?
On constate que :
Mais chut, cela est politiquement incorrect et pourrait froisser certaines sensibilités, de droite comme de gauche d'ailleurs.
En tout cas cela relativise le mythe de l'entreprise « créatrice d'emplois », du moins en ce qui concerne celles qui sont cotées en bourse et qui « détruisent » réellement des emplois en externalisant à tout va dans des pays lointains à faible coût de main-d’œuvre (par exemple en Inde pour les services informatiques ou en Chine pour des productions de pacotille)
Il n'y a pas de baguette magique pour créer des emplois et ce ne sont certainement pas les entreprises qui auraient ce pouvoir « féérique » ; ce n'est que par la volonté politique que cela peut se faire, exactement comme pour la lutte contre le réchauffement climatique, si on laisse cela au bon vouloir des entreprises on n'est pas près d'arriver à quoi que ce soit.
Pour aller plus loin sur ce sujet il y a cet article que j'ai trouvé intéressant :
Un autre lien « utile », celui de cette étude de Jean-Marie Harribey de laquelle on sortira avantageusement ce graphique :
Cela concerne les États-Unis, mais comme chacun sait tout ce qui se fait aux USA est supposé se faire un jour ou l'autre ailleurs...
On constate qu'entre les deux périodes (1970-1979 d'une part et 1998-2007 d'autre part)
Frédéric Lordon, encore lui, prônait la suppression de la Bourse. Ce serait une solution radicale qui règlerait beaucoup de problèmes, seulement il s'agit d'un vœu pieu, un peu comme si l'on prônait la suppression de l'alimentation carnée ou à base de lait, ou encore la suppression de la maladie et, pourquoi pas, de la mort tant qu'on y est.
Au point où nous en sommes seule une révolution globale et radicale permettrait éventuellement de changer le cours des choses, et encore, à condition de ne pas être récupérée dans la foulée comme le furent tant (toutes ?) de révolutions.
Autrement dit, le chômage n'est pas près de baisser.
- Le Medef encourage la convergence fiscale et sociale qui permettra à l'Europe de développer une stratégie de compétitivité et de croissance cohérente et conquérante.
- Le Medef encourage cette ligne et appelle à développer une politique plus ambitieuse de réduction budgétaire et à développer concrètement une politique favorable aux entreprises et aux entrepreneurs qui permettront d'inverser la courbe du chômage durablement. Ce sont les entreprises qui créent les emplois.
Ou comment confondre créations d'emplois et embauches de salariés.
Et Juppé, que je pensais un peu plus au fait des questions économiques, qui reprend cette baliverne hier soir au JT de TF1 face à Anne-Claire Coudray :
- [...] pour débloquer la situation de l'emploi [...] ce que je propose moi c'est de faire confiance aux entreprises [...] elles sont les seules à pouvoir créer des emplois durables [...]
Il n'a pas compris que sans croissance le gâteau ne peut pas grandir, et que dans ces conditions si une entreprise agrandit sa part du gâteau et embauche des salariés pour faire face à un carnet de commandes plus fourni ce sera forcément aux dépens des autres entreprises qui seront obligées de licencier, donc au niveau macro-économique il s'agit d'un jeu à somme quasi-nulle.
Pour créer des emplois il faut que le gâteau s'agrandisse, il faut donc de la croissance et cette croissance n'est certainement pas générée par le bon vouloir des entreprises comme le reconnait le Medef : il s'agit de volonté politique plus que de désir des entreprises et de leurs patrons.
En la matière deux politiques s'affrontent :
- la politique de l'offre, qui consiste à faire des cadeaux aux entreprises (et donc aux patrons), par exemple par des crédits d'impôts (CICE, CIR) ou des baisses d'impôts pour les plus riches (ISF) ou des baisses de cotisations sociales, le but étant d'augmenter leurs marges en espérant qu'elles investiront et embaucheront
- la politique de la demande, qui consiste à favoriser la consommation, par exemple en relevant les salaires ou en baissant les impôts de ceux qui ont le plus de propension à consommer (i.e. les bas revenus) en espérant ainsi relancer la machine économique
Et pour bien comprendre pourquoi ce ne sont pas les entreprises qui créent les emplois on peut raisonner à partir d'un exemple très simple.
Considérons deux agents économiques, A et B, ayant à peu près chacun le même revenu disponible (c'est-à-dire déduction faite des impôts et cotisations obligatoires, hormis la TVA qui ne se paye que lorsque l'on consomme)
A est plutôt cigale, il dépense la totalité de son revenu disponible et n'épargne rien ; B, quant à lui, ne dépense que le strict nécessaire et, comme il s'y connait en bourse, place tout le reste en actions qu'il vend au plus haut et achète au plus bas (je sais c'est très utopique, mais c'est pour la beauté de la démonstration, et puis on admet que B est très doué pour boursicoter)
B participe de toute évidence bien moins que A à l'activité de ce que l'on appelle l'économie « réelle », celle qui justement est susceptible de produire de la croissance et donc par voie de conséquence des emplois ; la bourse n'est qu'un gigantesque casino, ceux qui gagnent le font aux dépens de ceux qui perdent, aucune valeur n'est ajoutée, on nage dans le virtuel complet (les seules « créations » d'emplois étant éventuellement celles de traders ou autres intermédiaires financiers...)
A, par sa consommation, permet deux choses :
- la réduction du déficit budgétaire de l’État, par la TVA qu'il paye sur sa consommation (la TVA est l'impôt qui rapporte le plus, bien plus que l'impôt sur le revenu), et accessoirement la diminution de son endettement (avec un excédent budgétaire il peut rembourser une partie de sa dette, par ailleurs une consommation accrue entrainant en principe un peu d'inflation, celle-ci peut permettre également de rembourser la dette)
- l'accroissement de l'activité économique de tous ses fournisseurs
Maintenant si l'on dit que A est fonctionnaire (professeur des écoles, infirmière, postier, peu importe) et que B est petit patron employant une dizaine de salariés...
Imaginons que B, suite à la consommation compulsive de A, voie son carnet de commandes gonfler et soit obligé d'embaucher du personnel pour faire face à la demande, quelle conclusion peut-on en tirer ?
Un représentant des patrons affirmera sans rire que B a créé des emplois, et si on lui demande ce qu'il en est de A, il dira, toujours sans rire, qu'il s'agit d'une personne improductive vivant aux crochets de la société et qu'il est impératif, avec les problèmes de sous-emploi que nous connaissons, de réduire au maximum le nombre de fonctionnaires au profit des salariés du privé !
Il est probable qu'Alain Juppé tirerait plus ou moins le même genre de conclusion, mais il ne serait certainement pas le seul à le faire, on en trouverait même à « gauche » avec des gens comme Hollande ou Valls...
Pour terminer, et afin de convaincre ceux qui auraient encore des doutes, voici une étude de Michel Husson sur le partage de la valeur ajoutée dont on peut tirer les graphiques suivants :
On constate que :
- la part des salaires dans la VA n'a pas cessé de chuter dans les pays développés
- la productivité dans le même temps s'est fortement accrue
Et que penser du mythe « allégeons les charges des entreprises afin qu'elles investissent davantage » ?
On constate que :
- les taux de marge et les taux d'investissement s'éloignent les uns des autres (graphiques en forme de ciseaux ouverts)
- les dividendes (revenus distribués par les sociétés) augmentent régulièrement (en France depuis peu avant...l'élection de François Mitterrand ! Lequel n'a rien fait pour inverser la tendance...), seul le Royaume-Uni enregistrant une « pause » depuis une vingtaine d'années, mais à des hauteurs bien supérieures à celles de la France
Mais chut, cela est politiquement incorrect et pourrait froisser certaines sensibilités, de droite comme de gauche d'ailleurs.
En tout cas cela relativise le mythe de l'entreprise « créatrice d'emplois », du moins en ce qui concerne celles qui sont cotées en bourse et qui « détruisent » réellement des emplois en externalisant à tout va dans des pays lointains à faible coût de main-d’œuvre (par exemple en Inde pour les services informatiques ou en Chine pour des productions de pacotille)
Il n'y a pas de baguette magique pour créer des emplois et ce ne sont certainement pas les entreprises qui auraient ce pouvoir « féérique » ; ce n'est que par la volonté politique que cela peut se faire, exactement comme pour la lutte contre le réchauffement climatique, si on laisse cela au bon vouloir des entreprises on n'est pas près d'arriver à quoi que ce soit.
Pour aller plus loin sur ce sujet il y a cet article que j'ai trouvé intéressant :
- « CE SONT LES ENTREPRISES QUI CRÉENT L’EMPLOI » : Cet énoncé, sans cesse répété, a comme corollaire, « on ne crée pas l’emploi par décret ». Au cœur du néolibéralisme, ces deux assertions justifient la nécessité de « faire confiance aux entreprises », de les exonérer des cotisations sociales et d’alléger la fiscalité qui est supposée peser sur elles. Il suffirait pourtant d’observer ce qui se passe autour de soi ou d’examiner les statistiques pour se rendre compte de la fausseté de ces deux assertions : les entreprises détruisent l’emploi qui, précisément, est créé par décret.
- C’est pourquoi, en matière de création d’emplois, on se tourne d’ailleurs vers les pouvoirs publics et non vers les entreprises . Celles-ci sont sollicitées pour ne pas délocaliser, limiter les restructurations, respecter des durées de préavis et élaborer des plans sociaux. À présent, suite à tant d’années de restriction salariale et de stagnation du pouvoir d’achat, nous sommes menacés par la déflation. L’heure n’est donc pas à « faire confiance aux entreprises » et à prôner « la pause des salaires », mais à doper la conjoncture en relançant l’activité et le pouvoir d’achat.
- Il ne se passe plus une semaine sans que le gouvernement socialiste français affiche son ralliement aux stratégies économiques les plus libérales : « politique de l’offre », amputation des dépenses publiques, stigmatisation du « gâchis » et des « abus » de la Sécurité sociale. Au point que le patronat hésite sur le cap à tenir. Et que la droite avoue son embarras devant tant de plagiats…
- Et voilà ce gros nigaud de Roubaud qui déballe tout sans malice ni crier gare : « encore faut-il que les carnets de commandes se remplissent... » (16) répond-il en toute candeur à la question de savoir si « les entreprises sont prêtes à embaucher en échange » (17). C’est pas faux Roubaud ! Or si les entreprises « produisaient » elles-mêmes leurs propres carnets de commandes, la chose se saurait depuis un moment et le jeu du capitalisme serait d’une déconcertante simplicité. Mais non : les entreprises enregistrent des flux de commandes sur lesquels elles n’ont que des possibilités d’induction marginale (et à l’échelle agrégée de la macroéconomie aucune possibilité du tout (18)) puisque ces commandes ne dépendent que de la capacité de dépense de leurs clients, laquelle capacité ne dépend elle-même que de leurs carnets de commande à eux (19), et ainsi de suite jusqu’à se perdre dans la grande interdépendance qui fait le charme du circuit économique.
- Les entrepreneurs et les entreprises ne créent rien (en tout cas en matière d’emploi) — ce qui ne veut pas dire qu’elles ne font rien : elles se font concurrence pour capter comme elles peuvent des flux de revenu-demande, et font leur boulot avec ça.
Un autre lien « utile », celui de cette étude de Jean-Marie Harribey de laquelle on sortira avantageusement ce graphique :
Cela concerne les États-Unis, mais comme chacun sait tout ce qui se fait aux USA est supposé se faire un jour ou l'autre ailleurs...
On constate qu'entre les deux périodes (1970-1979 d'une part et 1998-2007 d'autre part)
- la part des salaires du dernier décile (les 90-100) a augmentée de 7 points
- la part des autres salaires (les 0-90) a baissé de 7 points
- la part des dividendes a augmenté de 3 points
Frédéric Lordon, encore lui, prônait la suppression de la Bourse. Ce serait une solution radicale qui règlerait beaucoup de problèmes, seulement il s'agit d'un vœu pieu, un peu comme si l'on prônait la suppression de l'alimentation carnée ou à base de lait, ou encore la suppression de la maladie et, pourquoi pas, de la mort tant qu'on y est.
Au point où nous en sommes seule une révolution globale et radicale permettrait éventuellement de changer le cours des choses, et encore, à condition de ne pas être récupérée dans la foulée comme le furent tant (toutes ?) de révolutions.
Autrement dit, le chômage n'est pas près de baisser.
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