mercredi 26 décembre 2018

Pablo Servigne, le catastrologue optimiste

Le dernier Télérama titre en couverture avec un seul verbe écrit en grand et en lettres capitales :

CROIRE

Et il nous invite à nous interroger sur nos croyances « au père Noël, en son art, en Dieu, à son horoscope, aux fausses infos, à l'amour, en soi… » et quelques autres thèmes abordés à partir de la page 22, mais dès la page 3 la question que l'on peut tout de suite se poser est celle-ci : doit-on croire Pablo Servigne quand il évoque l'« effondrement prochain de notre civilisation » ?

En vérité (je vous le dis) le verbe « croire » n'est pas celui qu'il faudrait utiliser, je suis sûr que Pablo Servigne se sert davantage du verbe « penser » qui fait davantage travailler les neurones et évite de s'enfouir la tête dans le sable pour ne pas regarder la réalité dans le blanc des yeux.

Servigne évoque d'ailleurs le philosophe Jean-Pierre Dupuy dont le livre Pour un catastrophisme éclairé dort quelque part dans ma bibliothèque à moins que je l'aie prêté à quelqu'un qui ne me l'ait jamais rendu, peu importe, je me souviens très bien de sa thèse résumée ainsi aux éditions du Seuil :
Le pire n’est plus à venir mais déjà advenu, et ce que nous considérions comme impossible est désormais certain. Et pourtant nous refusons de croire à la réalité du danger, même si nous en constatons tous les jours la présence. Face à cette situation inédite, la théorie du risque ne suffit plus : c’est à l'inévitabilité de la catastrophe et non à sa simple possibilité que nous devons désormais nous confronter.
Ce que l'on peut résumer par une image : si un rhinocéros fonce sur nous dans la savane nous avons plusieurs choix à faire qui sont contraints par deux hypothèses : soit l'animal va nous éviter au dernier moment, soit il va nous passer dessus ; dans ces conditions notre choix d'action immédiate se réduit à l'alternative suivante : soit nous restons immobile en croyant que le rhinocéros va nous éviter, soit nous tentons « quelque chose » afin d'éviter l'issue fatale.

Le climatosceptique de base choisira l'option qui consiste à rester immobile, car pour lui l'image du rhinocéros qui fonce sur lui est floue (il a oublié de mettre ses lunettes, le climatosceptique, pas le rhinocéros) et tant que la bête n'est pas sur lui il n'est pas certain qu'elle le piétine à mort, pourquoi donc s'inquiéter ?

Pablo Servigne, à la suite de Jean-Pierre Dupuy, est de ceux qui pensent (et non croient) que le rhinocéros a des chances de leur passer dessus, en tout cas ils préfèrent envisager l'hypothèse la plus pessimiste, on ne sait jamais, cela pourrait s'avérer payant.

Quoiqu'il en soit on est là face à une espèce de pari de Pascal, si on a envisagé le pire et que celui-ci ne se produit pas, on ne perd rien, ou pas grand chose, par contre si on a eu un excès de confiance et d'optimisme béat et que le pire arrive, alors là on perd tout et ça nous fait une belle jambe (quand on est mort on ne se soucie plus de rien)

Evidemment il n'y a pas que le climat qui soit source de problèmes à venir, on peut également citer, comme le fait l'introduction de l'article de Télérama, en plus du « climat qui se dérègle, la biodiversité qui disparait, la finance qui devient folle… », les points de suspension pouvant être remplacés par ce que l'on peut lire sur Wikipédia dans l'article consacré à Pablo Servigne et qui est une citation d'un certain Frédéric Joignot commentant le livre Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes :
Après avoir compilé une impressionnante quantité de méta-analyses portant sur l’aggravation du réchauffement, l’épuisement des ressources énergétiques, alimentaires, forestières, halieutiques et métallifères, leur thèse est claire : les écosystèmes s’écroulent, la catastrophe a commencé pour l’humanité. Elle va s’accélérer. Et la « collapsologie » est la nouvelle science interdisciplinaire qui regroupe les études, faits, données, prospectives, scénarios qui le démontrent11
Servigne et son co-auteur Raphaël Stevens ne sont pas les premiers à s'intéresser au thème de l'« effondrement », qui ne connait pas Jared Diamond et son best seller Collapse (Effondrement en français) qui narrait l'histoire de plusieurs civilisations ou peuplades qui avaient prospéré et qui s'étaient plus ou moins mystérieusement effondrées ?

Il n'est pas inutile de préciser que le titre complet du livre de Diamond est Effondrement : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie

Ainsi pour lui il est clair que ce sont les sociétés qui décident de leur avenir, et certaines de ces sociétés ont pu avoir dans le passé quelques succès en prenant les bonnes décisions (il mentionne l'ile de Tikopia, la Papouasie et l'Islande) qui leur ont permis de survivre là où bien d'autres ont échoué.

Les exemples emblématiques qui viennent immédiatement à l'esprit sont connus de tous, nous avons les Vikings qui n'ont pas su s'implanter au Groënland, alors que les Inuits prospéraient avec des modes de vie différents, l'ile de Pâques avec sa déforestation attestée, ou les Mayas et leur surpopulation leur ayant causé bien des soucis.

Au sujet des Mayas nous devrions réfléchir à leur destin et le comparer à ce qui nous attend, car il existe bien des similitudes avec notre situation ; ainsi le site maxisciences nous donne quelques indications bien utiles :
Pour Douglas Kennett, professeur d'anthropologie à l'Université de Pennsylvanie[…], "ce n'est pas seulement le changement climatique qui est important ici mais les conditions climatiques précédentes durant lesquelles la pluviosité exceptionnelle a permis l'abondance agricole et l'expansion de la population Maya ainsi que le développement d'une structure de société complexe", explique-t-il. Car c’est cette abondance qui "a créé ultérieurement les conditions de tensions sociétales et de fragmentation des institutions politiques quand la sécheresse s'est installée durablement", souligne l'anthropologue.
A méditer…

Pour en revenir à l'interview de Servigne dans Télérama, celui-ci, comme le titre de mon billet le laisse supposer, est néanmoins d'un optimisme certain puisqu'il avoue avoir « fait des enfants » malgré son parcours intellectuel qui aurait dû l'inciter à plus de prudence ! Il nous dit :
Il faut éviter les écueils du « tout est foutu, à quoi bon…» mais aussi de l'optimisme béat, qui équivaut au déni. Et celui, encore plus toxique et passif, de l'espoir, qui nous fait croire que le système va inexplicablement changer, ou que la technologie, ou bien la déesse mère vont nous sauver…
Et il ajoute un peu plus loin :
Aujourd'hui les utopistes sont les optimistes béats, qui croient que tout peut continuer comme avant. Et les réalistes sont ceux qui agissent en vue des catastrophes qui ont déjà eu lieu, et de celles à venir.
Les climato-réalistes apprécieront, eux qui prennent les autres pour des benêts et se prennent eux pour des gens ayant les pieds sur terre.

Mais Servigne nous précise bien en début d'entretien :
[…] malgré l'accumulation de savoirs scientifiques sur les catastrophes en cours, nous ne croyons toujours pas ce que nous savons.
En réalité je pense qu'il a tort, car les climatosceptiques sont persuadés d'être dans le vrai, ils n'ont donc aucune raison de croire quelque chose qu'ils ignorent, soit parce qu'il sont mal informés, soit parce que leur idéologie prime sur leur capacité à analyser correctement la situation et leur fait prendre des vessies pour des lanternes.

Mais l'explication vient plus loin :
Les humains sont des animaux de croyances […] elles sont souvent plus fortes que les faits. […] Nos croyances, ce sont le progrès, la croissance infinie, la technoscience qui domine la nature […] la compétition.
Quand on y réfléchit bien, on se rend compte qu'il s'agit de tout ce que la révolution industrielle a apporté avec elle, avec le CO2 en prime !

On comprend mieux pourquoi d'anciens ingénieurs ou techniciens ayant travaillé dans le pétrole ou le charbon et maintenant à la retraite sont si nombreux à faire partie des rangs des climatosceptiques, remettre en cause 40 ans d'activité professionnelle et de certitudes quant à la légitimité de ses actions sur une si longue période n'est pas à la portée du premier venu. On les comprend, ce qui ne veut pas dire qu'on les excuse.

Mais l'optimisme de Servigne prend un peu l'eau quand il nous dit un peu plus loin :
[…] plus on monte dans les échelons politiques, plus les verrous sont importants, à tous les niveaux - psychologique, juridique, financier, technique…[…] notre système politique n'est pas conçu pour traiter les questions de long terme.
Et
Les responsables politiques […] savent. Mais ils n'y croient pas […]
Non Pablo, ce n'est pas que les responsables politiques « n'y croient pas », c'est simplement qu'ils ont envie d'être réélus.


Mais l'important n'est-il pas de croire en soi, tout le reste n'ayant finalement que peu d'importance quand on sait que nous allons tous mourir un jour, et que notre civilisation prendra le même chemin, l'agonie sera simplement un peu plus longue pour elle.


Connaissez-vous la fable de la grenouille ?


3 commentaires:

  1. Pabl Servigne comme Maitre á penser .... cela laisse songeur ..
    Vous me reciterez trois "Notre pere" et 4 "Ave Maria" pour vos pechers consumeristes ...

    Lisez plutot ceci :
    http://lesakerfrancophone.fr/ce-que-les-militants-du-peak-oil-ne-peuvent-comprendre

    BenTorino



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    1. Vous aussi vous m'attribuez ce qui vous appartient ; je n'ai aucun maitre à penser, pas plus Servigne qu'un autre, je me contente d'écouter ce que chacun dit et je me fais une opinion par moi-même, et il se trouve que ce que dit Servigne, à quelques nuances près, est plutôt en phase avec mes propres déductions personnelles.

      Merci pour la lecture que vous me proposez mais elle ne m'apporte pas grand chose que je ne sache déjà, notamment ceci : « Le désastre viendra sous la forme d’un effondrement, ou de quoi que ce soit d’autre, et il viendra quand il le faudra, mais rien ne nous en libérera. »

      Au fait vous n'avez rien à dire concernant la disparition de la banquise arctique dans 150 ans...au mois de novembre ?

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    2. Intéressant, le lien fourni par monsieur Ben de Turin m'amène vers un blog espagnol o ù dans le dernier article on peut lire ceci : « la producción de petróleo no llega a ser en 2040 ni el 20% de lo que es hoy. », donc d'après ce monsieur en 2040 la production de pétrole n'atteindrait même pas 20% du volume actuel, intéressant, intéressant… Et dire qu'il y en a qui me disent catastrophiste, deux autres de mes lecteurs qui ne croient pas au pic pétrolier seraient décoiffés par cette information.

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