vendredi 16 novembre 2018

L'Australie à l'épreuve du dérèglement climatique

Il y a en Australie des climatosceptiques qui font entendre leur voix, cela est probablement dû à des petites choses comme le fait que Rupert Murdoch est Australien et que pour lui un « climatosceptique » n'est pas un « négateur » (a denier) du changement climatique, ajouté au fait qu'il est l'une des plus grandes fortunes de la planète et possède nombre de médias qui tous, quel hasard, promeuvent le climatoscepticisme.

Des personnalités politiques telles que l'ancien premier ministre Tony Abbott sont également là pour enfoncer le clou, sans parler de quelques scientifiques plutôt insignifiants sur la scène internationale comme Jennifer Marohasy ou Joanne Nova qui chacune tient son petit blog de désinformation à l'attention des naïfs prêts à écouter religieusement tout ce qui leur fait du bien.

Mais l'Australie est un pays complexe qui en soi pourrait être considéré comme une planète en résumé de par sa diversité tant humaine que géographique (et climatique !)

Ainsi nous connaissons l'excellent blog HotWhopper (que l'on pourrait traduire par énorme mensonge brûlant) tenu par l'Australienne Miriam O'Brien qui s'est donnée pour tâche essentielle de démolir toutes les âneries produites par Anthony Watts sur son site WUWT, en argumentant et en expliquant pourquoi ce sont des âneries, faisant en l'occurrence du fact-checking ciblé, mais il faut dire que vu le nombre d'articles d'intoxication qu'est capable de produire le blog de l'ex monsieur météo américain il y a du pain sur la planche sans qu'il soit possible de tout réfuter étant donnée l'énormité de la tâche (rappelez-vous, il suffit de quelques secondes pour dire ou écrire une ânerie qui demandera peut-être plusieurs heures pour être réfutée, et les climatosceptiques en profitent pleinement)

Cependant la position de la communauté scientifique australienne, malgré quelques apparences trompeuses comme nous l'avons vu, est bien en phase avec le « consensus » scientifique qui nous dit que :
  • on constate un réchauffement climatique anormal, les valeurs actuelles de température et de concentration en CO2 n'ayant jamais été connues depuis qu'Homo sapiens peuple la planète ;
  • ce réchauffement climatique est provoqué quasi exclusivement par nos émissions de gaz à effet de serre : CO2 (dont la concentration est passée de 280 à près de 410 ppm, avec un forçage radiatif de 1,68W/m2 contre moins de 0,1W/m2 pour l'irradiance solaire), CH4 (deuxième gaz responsable du réchauffement climatique avec un forçage radiatif de près de 1W/m2) et N2O (298 fois plus puissant que le CO2, passé de 270 à 319 ppb mais heureusement en quantités trop faibles pour avoir un effet significatif) ;
  • ce réchauffement climatique va s'amplifier et poser de sérieux problèmes à notre descendance.

Ainsi quelques scientifiques australiens sont reconnus pour leur contribution à l'étude du climat (par ordre alphabétique) :

Comme on peut le constater, nos deux midinettes Jen et Jo font bien pâle figure et ne pèsent pas lourd face aux véritables experts en sciences de la Terre et du climat qui sont pourtant leurs compatriotes ; mais nous avons bien ici en France des Jean Jouzel ou Hervé Le Treut face à des Benoit Rittaud ou François Gervais, les premiers reconnus par la communauté internationale à leur juste valeur, les deuxièmes totalement insignifiants et se contentant de parader sur les médias locaux afin de vendre leur dernier bouquin (source de revenus additionnels qui sont toujours les bienvenus pour faire bouillir la marmite)

Pour en revenir à l'Australie, un récent rapport intitulé DELUGE AND DROUGHT: AUSTRALIA’S WATER SECURITY IN A CHANGING CLIMATE donne une idée actualisée de l'état complexe du sous-continent océanien ; ses quelques 80 pages contiennent de nombreuses cartes informatives dont voici un simple échantillon avec mes commentaires.

Figure 2: Major atmospheric circulation patterns at the global level. Source: Adapted from BoM (2018a).

Evidemment aucune mention des AMP (anticyclones mobiles polaires), ceux-ci étant simplement nommés « cellules polaires » comme dans toute la littérature scientifique sur la météo et le climat ; on voit que l'Australie est principalement impactée par des hautes pressions subtropicales causées par les descentes d'air des cellules de Hadley et de Ferrel, avec en surface des vents majoritairement venant du sud-est.

Table 2: Observed and future changes in Australia’s water cycle.
Ici il ne s'agit pas uniquement de prédictions, on voit les tendances passées depuis 1970 jusqu'à nos jours pour ce qui concerne le sud-ouest de l'Australie de l'ouest (WA) et depuis 1990 pour le sud-est de l'ile ; pour chaque sujet le passé est accompagné des prévisions, ainsi les précipitations sous forme de pluies (rainfall) sont en déclin dans le passé et vont continuer à décliner dans le futur ; l'écoulement des eaux (runoff) a lui aussi été en déclin et va continuer à décliner, davantage dans le sud-ouest que dans le sud-est ; le temps de sécheresse (time spent in drought) au contraire est en augmentation tant dans le passé que pour le futur.

Figure 7: Seasonal variations in rainfall across Australia. Source: (BoM 2018b). Note the wet summer season in the north, but higher rainfall in autumn and winter across the south.

Ces quatre cartes illustrent parfaitement la complexité du climat australien, avec un nord très exposé aux précipitations, surtout en été, alors que le sud est beaucoup plus sec avec des précipitations un peu plus abondantes en automne et en hiver ; le titre du chapitre où ces cartes sont incluses est d'ailleurs très explicite : « L'Australie est le continent habité le plus aride de la planète. Son cycle de l'eau est très variable, tant sur le plan géographique que saisonnier. »

L'explication des changements de régimes de précipitations entre l'été et l'hiver nous est donnée avec cette carte :

Figure 8: Movement of the sub-tropical ridge during winter (left) and summer (right). Source: BoM (2018a).

En été la dorsale (ridge) subtropicale se déplace vers le sud, asséchant le sud et provoquant d'importantes précipitations dans le nord, alors qu'en hiver, avec le déplacement de la dorsale vers l'équateur, c'est le sud qui bénéficie à son tour de quelques précipitations alors que le nord s'assèche de son côté.

Une autre carte, plus générale, nous montre l'influence des moussons ainsi que des épisodes El Niño :

Figure 9: Climate drivers that influence Australian rainfall. Source: BoM (2018a).

Ainsi, coincée entre le SAM (que l'on appelle aussi l'oscillation antarctique) au sud, ENSO à l'est, MJO au nord et IOD à l'ouest, l'Australie sans surprise présente un climat très contrasté qu'il est difficile de résumer en quelques phrases (et je ne vais pas m'y aventurer)

Un schéma très simple nous rappelle quelques principes de base que certains n'ont toujours pas assimilé, à savoir que plus la température augmente et plus l'air peut se charger en humidité :

Figure 10: The influence of climate change on the water cycle. Source: Climate Commission 2013.

Cela semble évident, pourtant il est toujours utile de le faire remarquer chaque fois que l'occasion se présente !

Et plus loin le rapport nous dit, page 20 :
Climate change has caused some regions to get wetter and some regions to get drier.
C'est-à-dire que le changement climatique provoque dans certaines régions un accroissement des précipitations et dans d'autres régions une augmentation des périodes de sécheresse.

Certains auteurs résument ce fait en disant « the Wet Get Wetter and the Dry Drier », soit l'humide devient plus humide et le sec plus sec.

Ce fort contraste amplifié par le réchauffement climatique est illustré avec la carte suivante :

Figure 12: Southern Australia has experienced a drying trend in the April – October period from 1996-2015. Source: CSIRO and BoM (2016).

Il s'agit bien d'observations pour la période 1996-2015 et non d'une quelconque projection issue d'un modèle climatique ; on voit très nettement la tendance à l'assèchement du sud et aux plus fortes précipitations au nord pour la période avril-octobre ; pour octobre-avril voici la situation :

Figure 13: Northern Australia has experienced very much above average rainfall during October-April (1995-2016).  Source: CSIRO and BoM (2016).

En hiver la Tasmanie et le sud-est présentent une très forte tendance à l'assèchement alors que la majorité de l'ile est plutôt en tendance inverse.

Mais un intéressant graphique nous est proposé pour illustrer le renforcement de la dorsale subtropicale entre 1950 et 2017, avec une nette tendance à l'augmentation de la pression atmosphérique au niveau de la mer durant cette période :

Figure 14: April – June mean sea level pressure over southern Australia, showing the effect of the strengthening of the subtropical ridge from 1950 to 2017. Source: BoM (2017).

Il faudrait que quelqu'un se dévoue (BenHague peut-être ?) pour expliquer à François Gervais que la pression atmosphérique ce n'est pas que de la météo, comme la température ce n'est pas que du climat, les choses sont un peu plus complexes que ce que notre distingué physicien retraité laisse entendre sur les ondes ou dans ses bouquins (voir François Gervais toujours sur la brèche, et toujours aussi ébréché )

Comme il faut s'y attendre, les très fortes précipitations sont en augmentation, par exemple dans les épisodes méditerranéens ou dans les ouragans de l'Atlantique ou les typhons du Pacifique ; ainsi ce graphique concernant les fortes précipitations en Australie :

Figure 15: Increase in heavy rainfall in Australia. Source: Gallant et al. 2014, reprinted in CSIRO and BoM (2015).

Toujours des observations, rien que des observations.

Et de manière tout aussi concomitante, certains graphiques montrent une pente inverse :

Figure 18: Annual total streamflow for Axe Creek at Longlea (Campaspe Basin), Victoria. Source: BoM (2015).

Donc les fortes précipitations augmentent, mais l'écoulement des cours d'eau diminue dans le même temps ; cet apparent paradoxe s'explique tout simplement par le fait que même si les fortes précipitations augmentent, les précipitations moyennes, elles, diminuent.

Le rapport indique d'ailleurs qu'une réduction de 1% des précipitations peut mener à une diminution de 2 à 3,5% de l'écoulement des eaux (Chiew 2006)

Mais dans le nord de l'Australie, dans la rivière Adélaïde, voici ce que l'on peut mesurer pour la même période :

Figure 19: Annual total streamflow for Adelaide River at Railway Bridge (Adelaide Basin), Northern Territory. Source: BoM (2015).

On vous le disait, plus humide au nord, là où c'est déjà humide, et plus sec au sud, là où c'est déjà sec.

Et les tendances ne sont pas près de s'inverser.

Cela dépendra évidemment de nos émissions futures, mais nous savons qu'elles ne vont pas baisser demain (ni après-demain) ; ainsi voici la situation projetée pour deux régions, l'est et le nord de l'Australie, en ce qui concerne les durées de sécheresse (la barre grisée représente la situation réelle en 1995) :

Figure 22: Changes in time spent in drought across Australia for five 20-year periods through the 21st century. Source: CSIRO and BoM (2015).

Et c'est guère plus reluisant pour les deux autres régions mentionnées dans le rapport que je vous laisse aller consulter si vous n'avez pas la flemme.

Et quand vous entendrez François Gervais vous dire que le CO2 c'est bon pour les plantes et que plus il y en a et plus cela profite à la végétation, vous pourrez vous remémorer ce schéma qui montre que dans la « réalité » c'est un peu plus compliqué que ça :

Schematic illustrating the classical definitions of drought and the associated processes. Precipitation deficits are the ultimate driver of most drought events, with these deficits propogating over time through the hydrological cycle. Other climate variables, particularly temperature, can also affect both agricultural and hydrological drought. Credit: Cook et al. (2018)

Mais il est vrai que si un professeur de physique à la retraite se montre incapable de comprendre ce genre de schéma, vous êtes excusé de ne pas y arriver vous-même.

Le rapport termine avec les impacts du réchauffement climatique sur la santé et l'agriculture que je vais vous épargner afin de ne pas trop vous saper le moral ; je ne vous montrerai qu'une photo vous faisant entrevoir ce que sera peut-être l'avenir de nos petits-enfants en de nombreux endroits.

Figure 25: Water contamination due to sewage overflows in New Zealand.
Extreme

Et il parait que la Nouvelle Zélande est un pays développé, je dis ça je dis rien.


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