mardi 20 novembre 2018

Jean Jouzel s'exprime sur Télérama

Nous devrions être fiers de compter en France un climatologue de l'envergure de Jean Jouzel, reconnu mondialement pour ses travaux sur les glaces de l'Antarctique, en collaboration avec un autre éminent scientifique, Claude Lorius, ayant permis de mieux comprendre les interactions entre CO2 et variations de températures.

Alors que certain mathématicien médiocre choisit de le dénigrer en pinaillant sur le prix Nobel reçu par le GIEC alors que Jouzel était vice-président de cet organisme, Télérama préfère se concentrer sur l'essentiel avec une interview dans laquelle le prix Nobel du GIEC n'est même pas évoqué par le journaliste, mais seulement et rapidement à la fin, par Jouzel lui-même qui souligne que
[l]a lutte contre le réchauffement  est un facteur de paix - c'était le sens profond du prix Nobel de la paix attribué en 2007 au GIEC et à Al Gore. Ne pas lutter est un facteur de chaos.
Mais le plus important de l'entretien se trouve avant, car cette référence au GIEC arrive en guise de conclusion, les tout derniers mots de Jouzel étant
Il est sidérant de voir que les dirigeants du monde agissent si peu.
Notons à ce propos qu'il est cocasse de constater que l'armada des climatosceptiques de tous bords ne cesse de répéter que le GIEC est un organisme purement politique, donc à la botte des politiques qui dicteraient aux scientifiques ce qu'ils doivent écrire dans chaque rapport en alarmant les populations afin de pouvoir justifier des taxes toujours plus élevées ; si c'était le cas on ne pourrait que convenir qu'il y a une incohérence certaine entre le but présumé du GIEC et les résultats lamentables qu'il obtient dans la réalité, les dirigeants du monde entier étant de toute évidence davantage préoccupés par le court-terme, qui est leur horizon électoral, que par le long-terme que même les populations qui votent ne mettent pas dans leurs priorités du moment.

Mais revenons à l'entretien de Jean Jouzel dans le Télérama de cette semaine.

Dans l'introduction de l'article, page 3, le journal résume la position de Jouzel en quelques mots :
Notre Terre bout ? Il n'est pas trop tard, mais presque, dit le climatologue. […]
Jouzel se garde donc une once d'optimisme dans un océan de pessimisme, mais à y regarder de plus près on s'aperçoit que les jeux sont pratiquement faits.

Le journaliste rappelle à Jouzel qu'en 2003 il était plus optimiste qu'aujourd'hui, celui-ci lui déclare :
Il n'était pas facile de répondre à la question qu'on nous posait : la canicule exceptionnelle de cet été-là était-elle liée aux activités humaines ? La prudence s'imposait. […]
Et il rappelle une vérité que je ressors moi-même chaque fois que c'est nécessaire :
[…] cette chaleur supplémentaire (un degré depuis le début du XXe siècle) que nous créons par nos émissions de gaz à effet de serre reste seulement pour 1% dans l'atmosphère. Plus de 90% vont dans l'océan. Le véritable test du réchauffement climatique, c'est l'océan.
Je suis heureux de voir que quand j'écris quelque chose sur mon blog cela ne fait que refléter ce que dit la science globalement et Jean Jouzel en particulier ; il confirme le 1% de chaleur additionnelle qui reste dans l'atmosphère (j'ai parfois lu 3% mais mon livre de référence parle bien de 1%) alors que « plus de 90% vont dans l'océan », en fait 93% si j'en crois mes mêmes sources ; de plus il confirme ce que je n'arrête pas de dire, à savoir que le climat se joue essentiellement dans les océans de la planète, l'atmosphère n'étant que la partie émergée de l'iceberg climatique dans laquelle on ne parle essentiellement que de conditions météorologiques (pour mémoire, en plus de l'atmosphère et de l'océan on trouve les surfaces continentales incluant la biosphère et la lithosphère pour le cycle du carbone, auxquelles il faut encore ajouter les surfaces englacées pour constituer l'ensemble que l'on appelle le système climatique terrestre)

Plus loin dans l'entretien Jean Jouzel explique des réalités que certains soi-disant « réalistes » feraient bien de prendre en compte afin d'éviter de se ridiculiser ; il nous fait un bref historique de ses travaux en Antarctique :
Au début des années 1980, [l]e forage de Vostok atteignait 2 kilomètres de profondeur, ce qui permettait d'atteindre des glaces vieilles de cent cinquante mille ans, donc de remonter jusqu'à la précédente période glaciaire. […] On a publié nos résultats en novembre 1987, ils ont vraiment fait du bruit, parce qu'ils montraient clairement qu'en période interglaciaire le taux de CO2 était nettement plus élevé que pendant la glaciation […]
Et à la remarque du journaliste « Certains continuent à nier aujourd'hui l'importance du CO2 dans les variations du climat…» Jean Jouzel répond :
La cause première des cycles climatiques […] ce n'est pas le CO2 […] mais les variations de l'orbite terrestre […] [le] CO2 […] ne joue qu'un rôle d'amplificateur […] La nouveauté, c'est que depuis un siècle et demi on a envoyé dans l'atmosphère […] des centaines de milliards de tonnes de CO2. Nous faisons donc à l'échelle terrestre, et à grande vitesse, une expérience chimique inédite ! »
Jean Jouzel ici ne fait que rappeler que si dans le passé la hausse de température précédait bien la hausse du CO2, cette dernière agissait comme une rétroaction positive et amplifiait le réchauffement initié par le léger surplus d'irradiation solaire ; cependant aujourd'hui ce sont bien nos émissions de gaz à effet de serre (CO2 et CH4 principalement) qui sont la cause première du réchauffement de 1°C que nous constatons depuis un siècle environ.

Il continue :
[…] pendant les périodes les plus chaudes de la Terre, la concentration en CO2 dans l'atmosphère  n'[a] jamais dépassé les 300 ppm. Or on est passé en seulement cent cinquante ans à plus de 400 ppm, du jamais-vu depuis huit cent mille ans. Et cela va continuer à monter…
Donc pendant 800 000 ans au moins, c'est-à-dire beaucoup plus que la durée d'existence de notre espèce, Homo sapiens, la concentration en CO2 a toujours été inférieure à 300 ppm, et depuis les débuts de la « révolution industrielle », soit il y a à peu près 150 ans, cette concentration a subitement augmenté pour atteindre aujourd'hui plus de 400 ppm, cela devrait faire réfléchir mais certains n'ont apparemment pas le courage, ou la lucidité, pour se poser les bonnes questions, ils préfèrent demeurer dans le déni.

A ce propos de déni, Jouzel nous apprend (en tout cas à moi) quelque chose d'intéressant :
Hélas, en France, François Mitterrand s'en fichait complètement [du protocole de Kyoto de 1997, entre autres], comme à peu près tous les socialistes, qui étaient sous la coupe de Claude Allègre.
Ainsi nous avons la confirmation du rôle délétère que peut avoir un seul individu narcissique, imbu de sa personne et surtout fort en gueule, sur la classe politique à laquelle il appartenait, pendant une période où les préoccupations des dirigeants étaient d'ordre social ou culturel plus que scientifique ; Mitterrand nous aura légué la BNF et la cinquième semaine de congés payés, mais il aura fait prendre à la France énormément de retard sur tout ce qui touche à la science en général et à la climatologie en particulier ; mais fallait-il en attendre davantage de la part d'un président qui consultait régulièrement une astrologue…?

Enfin Jean Jouzel confirme que la tendance n'est pas vraiment au beau fixe :
On est sur une tendance à 3 degrés, au moins d'ici à 2100, ce qui est extrêmement inquiétant ; je ne parle pas pour les générations futures, mais pour les jeunes d'aujourd'hui. […] Les mouvements migratoires vont s'amplifier.
Les jeunes d'aujourd'hui, s'ils sont encore en vie seront des vieillards à la fin du siècle, et effectivement les temps risquent d'être durs pour eux, mais on me dira qu'ils auront eu la possibilité de s'adapter pendant toute leur vie d'adulte en migrant par exemple vers des contrées plus clémentes, à condition bien sûr qu'ils en aient eu les moyens financiers et que leurs hôtes les aient acceptés, ce qui risque de ne pas être une partie de plaisir ; quant aux migrants des « pays du sud » ils viendront combler les trous que laisseront les plus fortunés et se chamailleront avec ceux qui n'auront pas eu la chance de pouvoir se mettre au frais (en Islande ou en Sibérie, des terres d'avenir parait-il) ce qui promet de belles empoignades.

D'ailleurs Jean Jouzel nous propose, pour lutter contre le réchauffement climatique, de relocaliser les emplois et de modérer les échanges internationaux ; à mon avis il n'est pas très réaliste, là…

Soyons « réalistes » et admettons le fait que tant que notre système économique actuel basé sur le capitalisme libéral et mondialisé perdurera aucun changement du type préconisé par Jean Jouzel ne pourra avoir lieu ; tant que le critère des hommes (et femmes) politiques sera la « croissance économique pour préserver le plein-emploi », symbolisé par le PIB, rien ne changera, point barre.

Le journaliste essaie de pousser Jouzel dans ses retranchements en lui posant la question qui tue : « Y a-t-il des raisons de croire que l'humanité va s'en sortir ? », ce à quoi il obtient cette réplique :
C'est loin d'être gagné. J'ai longtemps gardé un certain optimisme, je l'ai perdu. […] Mais je ne crois pas pour autant à l'effondrement de nos sociétés. 
Personnellement je n'y crois pas non plus, pour ce qui est du 21ème siècle.

Pour après rien n'est écrit, mais les raisons d'espérer sont vraiment faibles.

Le seul point positif qui me donne de l'espoir, c'est que je serai mort avant.

Pierre Boulle l'avait déjà prévu, c'était il y a cinquante cinq ans…


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