dimanche 18 novembre 2018

Encore un graphique pour les nuls, par Willis Eschenbach

Il y a plusieurs façons de prendre les gens pour des crétins, l'une d'elles consistant à leur présenter un graphique censé « prouver » quelque chose.

Petit rappel (sûrement pas exhaustif) de ce qui a pu être rapporté ici sur ce blog.

Nous commencerons avec notre meilleur client à ce jour, Benoit Rittaud, qui nous donnait des leçons de trucage de graphique que je reportais le 21 novembre 2017 dans Apprenons avec Benoit Rittaud comment manipuler des chiffres et truquer des graphiques avec notamment ce magnifique graphique à forme exponentielle :

Surface des forêts selon la Banque mondiale.

Ce graphique est l'archétype même, nous allons le voir, de la façon la plus simple qui soit de prendre ses lecteurs pour des cons ; on constate assez facilement que l'axe des y, l'ordonnée, démarre à zéro, ce qui a pour effet immanquable de ratatiner la courbe et faire croire aux gogos qu'il n'y a pas de variation significative.

Enchainons avec un précurseur, le sieur Bernard Beauzamy, dit Bozo le clown, lui aussi distingué mathématicien ayant un problème avec la représentation des chiffres dans un graphique, que j'avais épinglé le 22 mai 2016 dans Bernard Beauzamy, le nouveau clown du cirque Skyfall ? parce qu'il avait osé nous montrer ce graphique :

La courbe de tendance (droite de régression) a une pente de 0,0016 degré par an, soit 1,6°C d'augmentation en mille ans. Source : ncdc.noaa

Ici l'arnaque consiste à faire référence à un organisme réputé, la NOAA, pour lui faire dire qu'il y aurait une augmentation de la température de 1,6°C...sur une période de mille ans ! Mais Beauzamy n'avait pas osé trafiquer le graphique au point de faire commencer son axe des y par zéro, il tenait vraiment à paraitre sérieux en nous montrant que la température pouvait varier d'une année sur l'autre, sauf évidemment que son graphique sur une période de seulement douze années ne signifiait pas grand chose et ne présageait en rien de la tendance à long terme.

Mais revenons à notre cheval favori, celui qui les bat tous à plate couture, dont je dévoilais quelques techniques de manipulation le 22 novembre 2017 dans Quand un manipulateur dénonce la manipulation avec par exemple ce graphique évocateur tiré de son propre site :

Hausse des températures à la mode Christian Gérondeau.

Ce graphique est en fait une synthèse des deux précédents, il utilise la technique de l'axe des y qui part de zéro pour nous « démontrer » que la température n'a quasiment pas changé depuis 1880 et que donc dans les mille ans qui viennent nous n'avons pas trop de souci à nous faire (ce n'est pas clairement dit mais fortement suggéré)

Nous en arrivons maintenant à des choses plus subtiles, comme ce Ron Clutz que j'évoquais le 25 septembre dernier dans Comment trafiquer un graphique ? en montrant cet exquis assemblage :

Données NOAA à la sauce Ron Clutz.

Là-aussi l'idée à inoculer dans la boite crânienne de ceux qui ont encore de grandes capacités à combler afin de lester le haut du corps, c'est que la perte de glace n'est vraiment pas dramatique, vous voyez bien que la surface englacée ne diminue plus depuis une dizaine d'années, sauf évidemment qu'à l'analyse tout ce petit édifice ressemblant à un château de sable s'effondre dès que la marée monte sous la forme d'un billet de tamino que je vous laisse (re)découvrir si vous désirez avoir des détails, le but ici n'étant pas de réexpliquer ce que j'ai déjà écrit dans un autre billet.

On remarquera quand même que ce graphique lui-aussi commence par zéro sur son axe des y et que la courbe montre par conséquent un déclin très timide de 1979 à 2007 ; ce procédé a donc fait ses preuves et est utilisé à qui mieux mieux chaque fois que l'occasion se présente.

Et l'occasion s'est présentée récemment sur l'indémodable site de désinformation WUWT où l'on peut lire un article qui fera date, écrit pas Willis Eschenbach et intitulé The Picasso Problem.

Je ne pense pas utile de traduire le titre, dont la valeur scientifique n'échappera j'imagine à personne.

Dans cet article consacré à la sensibilité climatique le graphique suivant est proposé aux lecteurs lobotomisés habitués à fréquenter les sites qui les brossent dans le sens du poil :
Figure 3. HadCRUT global average actual surface temperature (the same data shown in Figure 2) and also the approximate average lunar temperature, in kelvin.

Ici nous touchons à la perfection en matière de sobriété dans l'enfumage des foules, c'est-à-dire dans la façon de montrer le moins possible tout en suggérant on ne sait quoi mais en étant persuadé que le lecteur saura de quoi l'on parle.

De nombreuses choses ne vont pas dans ce graphique, essayons de les lister succinctement :
  • l'axe des y commence par la valeur zéro (nous avons vu que c'est devenu un grand classique) ;
  • la température est exprimée en Kelvin, sachant que 0K équivaut à -273,15°C, une température jamais atteinte nulle part et que personne, même le scientifique le plus doué, n'a la moindre idée de ce que cela représente dans la « réalité » ;
  • on compare les températures de la Terre et de la Lune, dans un article consacré à la sensibilité climatique, sachant que sur la Lune le climat reste encore à inventer…

Et Eschenbach d'en conclure, triomphant :
Why does the global temperature change so little?

Oui vous avez bien lu, il se demande pourquoi la température globale change si peu !

On a l'impression qu'il surfe sur la vague déjà chevauchée par l'illustre prix Nobel Ivar Giaever dont j'avais relaté les exploits le 13 mai dernier dans Ivar Giaever, ou la déchéance d'un prix Nobel qui prend les gens pour des cons et qui avait marqué l'un de mes lecteurs fétiches (voir les commentaires du billet cité) qui était tombé les deux pieds joints dans le panneau ; dans une présentation qui restera dans les mémoires et ternira à jamais son CV Giaever avait montré ceci :

« A Albany il y a une différence d'à peu près 80°C entre l'été et l'hiver »

On admirera l'habileté du vieux singe à qui plus personne n'apprend à faire ses grimaces, il montre en effet un graphique correct mais en l'assortissant de commentaires qui en reviennent à utiliser la méthode de l'axe des y qui commence à zéro, il fallait le faire ! Il en déduit une augmentation de la température de 0,3 malheureux pourcents (en K ou en degrés Celsius c'est la même chose) et se permet en outre le luxe de remarquer que chez lui (pas en Albanie, pas folle la guêpe) la température peut varier de 80K entre la plus basse et la plus haute.

Il ne se rend pas compte, avec cet exemple, qu'il se tire une balle dans le pied, car il reconnait que la température habituelle à laquelle un homme comme lui peut être confronté dans sa vie de tous les jours présente une amplitude de seulement 80°C.

Si l'on part du principe que l'échelle de températures « à taille humaine » va de -40°C à +40°C, des valeurs que l'on peut rencontrer dans certaines régions assez régulièrement (dans le Canada ou la Russie pour la plus basse, au Moyen-Orient pour la plus haute), on devrait en réalité considérer que la base de départ pour un calcul correct en Kelvin serait donc 233K et irait jusqu'à 313K, la valeur 233K devrait par conséquent être la valeur zéro pour calculer correctement une augmentation « à échelle humaine » ; je laisse à chacun le soin de calculer l'augmentation que cela représenterait puisqu'avec cette échelle (toute personnelle je l'admets) nous passerions de +55 à +55,8 ce qui est tout de suite un peu plus significatif.

Mais pour en revenir à l'article de Willis Eschenbach, celui-ci s'étonne que la sensibilité climatique n'ait pas évolué dans les différents rapports du GIEC et qu'elle se situe toujours dans la fourchette 1,5-4,5°C depuis le tout premier rapport.

Je n'ai aucun avis sur la question, qui me dépasse totalement, mais je rappellerai mon billet du 10 juillet dernier, Leçon de cherry-picking avec Ross McKitrick , dans lequel je montrais l'historique des études sur la sensibilité climatique depuis le début du 21ème siècle, avec ce graphique plutôt parlant :

Historique des études publiées sur la sensibilité climatique à l'équilibre (ECS)

On voit que le GIEC a plutôt été prudent en restant avec sa fourchette de 1,5-4,5°C, puisque certaines études évoquent une ECS pouvant atteindre les 9°C dans le haut de leur fourchette !

Et on comprend pourquoi le GIEC demeure sur les mêmes bases, la majorité des études récentes reflétant justement une ECS proche de la fourchette 1,5-4,5°C.

Bref Willis Eschenbach est quand même un as dans l'entourloupe et la manipulation des cerveaux surmenés qui trônent entre les deux oreilles de ses lecteurs chéris, il nous donne la recette dans cette phrase pleine de bon sens que mon lecteur fétiche déjà mentionné va déguster à sa juste mesure :
You can’t use degrees Celsius or Fahrenheit for these calculations, because °C and °F have arbitrary zero points. You have to use the Kelvin scale, it’s the only one that works. Kelvin has the same size units as Celsius, just a different zero point, which is at minus 273.15°C (minus 459.67°F).
Vous ne pouvez pas utiliser de degrés Celsius ou Fahrenheit pour ces calculs, car °C et °F ont des points zéro arbitraires. Vous devez utiliser l’échelle Kelvin, c’est la seule qui fonctionne. Kelvin a les mêmes unités de taille que Celsius, juste un point zéro différent, qui est à moins 273,15°C (moins 459,67°F).
Voilà, tout est dit, on vous donne même le détail de l'arnaque, en vous intimant l'ordre (vous « devez ») d'utiliser l'échelle Kelvin car c'est la seule qui permette de vous faire prendre des vessies pour des lanternes.

Et il parait qu'on appelle cela le climato « réalisme ».

Cela vous fait quoi de savoir que vous lisez ce blog dans une pièce à la température de 298K ?



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