mardi 15 décembre 2020

En 1978 tout était déjà écrit à quelques détails près

 On voit souvent écrit que le GIEC aurait été créé en 1988 pour « prouver » le réchauffement climatique et notamment le rôle du CO₂ dans ce réchauffement ; par exemple nous avons les inévitables bonimenteurs de service toujours fidèles au poste pour raconter leurs âneries (c'est moi qui souligne en rouge) :

Thierry Godefridi dans Réchauffement climatique : le pavé dans la mare ! | Contrepoints :

Jean-Marc Bonnamy vous rassure : vous avez raison de vous interroger et il explique pourquoi dans Réchauffement climatique : Le pavé dans la mare ! », innocentant au passage le CO2 de toute responsabilité dans un « réchauffement » – ou « changement », ou « dérèglement »… – de la planète, à l’encontre des allégations du GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, créé en 1988 pour se pencher sur la question.

Jean-Pierre Bardinet dans Climat : pourquoi le GIEC n’est pas crédible | Contrepoints : 

[blablabla] avant même que le GIEC n’ait commencé ses travaux, on lui impose LA SOLUTION : il y a réchauffement (ce qui est vrai, mais il est minime : +0,7°C en 150 ans, non linéaire et une seule fois en phase avec le CO2, sur 1980-1998) ET il est anthropique.

Donc, mécaniquement, les dirigeants du GIEC vont tout faire pour justifier cette solution [blablabla]

Ainsi le GIEC aurait été créé uniquement pour justifier une « solution » ou pour « se pencher sur la question » ; évidemment pour qui a un peu étudié le sujet le GIEC a été essentiellement créé en 1988 pour récapituler et résumer toutes les études concernant le climat qui jusqu'alors étaient disséminées sur toute la planète et dans de nombreuses disciplines disparates : météorologie, physique, chimie, glaciologie, océanographie, paléoclimatologie, dendrologie, statistique, géologie, géographie, biologie, astronomie, histoire, etc. (j'en oublie certainement)

Réduire la création du GIEC à une affaire politique et idéologique est se ficher gentiment de la tête des gogos et les deux auteurs susmentionnés se sont montrés experts en la matière à de nombreuses reprises en laissant croire qu'avant le GIEC il n'y avait pas de réchauffement climatique puisque celui-ci aurait été « inventé » de toute pièce par cet organisme international et multidisciplinaire.

Pourtant cela fait deux siècles maintenant, avec Joseph Fourier en 1824 (voir Annales de chimie et de physique | 1824 | Gallica (bnf.fr)), que nous avons une petite idée de ce qui se passe dans l'atmosphère et de l'impact de celle-ci sur la température dont nous bénéficions.

Texte fondateur de l'« effet de serre » par Joseph Fourier.

Plus tard, en 1896, avec Svante Arrhenius nous saurons que le CO₂, ou plus exactement l'acide carbonique (H₂CO₃), est responsable d'une grande partie de l'effet de serre atmosphérique (voir On the Influence of Carbonic Acid in the Air upon the Temperature of the Ground (rsc.org)) :

Sur l'influence de l'acide carbonique dans l'air sur la température au sol (source Wikipédia)

Dans cet article Arrhenius estimait qu'un doublement du taux de CO₂ entrainerait une augmentation de la température d'environ 5°C ; aujourd'hui la plupart des études sur la sensibilité climatique à l'équilibre donnent une valeur tournant autour de 3°C, on peut donc dire qu'il y a un siècle, avec les moyens du bord, le savant suédois n'était pas tombé très loin !

Mais sans aller aussi loin dans le passé, en 1978 par exemple, soit dix ans avant la création du GIEC, les choses étaient quasiment pliées, avec notamment un article d'un certain William Welch Kellogg, intitulé 1978: Is mankind warming the Earth? (1978 : L'humanité réchauffe t-elle la Terre ?) dans lequel on peut voir ce graphique évocateur :

Figure 2 : dioxyde de carbone dans l'atmosphère terrestre.

Ce graphique, publié donc il y a exactement 42 ans, nous montre une extrapolation de la concentration en CO₂ jusqu'en 2040 ; mais regardez bien, que voyez-vous pour l'année 2020 ? Aux alentours de 420ppm, alors qu'à la date du 14 décembre de cette année cette concentration était de 413,35ppm !

Concentration en CO2 de ces derniers jours au mont Mauna Loa (source Global Monitoring Laboratoryv))

Pas mal, non ?

Par contre pas de projection de températures, mais à la place des considérations intéressantes :

A number of theoretical calculations have been made of the changes in radiative equilibrium and temperature corresponding to a given carbon dioxide increase, based on a variety of atmospheric models ranging from globally averaged one-dimensional models to two-dimensional latitude-dependent models with varying degrees of complexity to a three-dimensional model that includes a simplified ocean (an ocean that has no circulation and no heat capacity).
Un certain nombre de calculs théoriques ont été effectués sur les changements de l'équilibre radiatif et de la température correspondant à une augmentation donnée du dioxyde de carbone, sur la base de divers modèles atmosphériques allant de modèles unidimensionnels dont la moyenne mondiale est calculée par des modèles bidimensionnels dépendant de la latitude et présentant divers degrés de complexité à un modèle tridimensionnel qui comprend un océan simplifié (un océan qui n'a ni circulation ni capacité thermique).

Nous voyons qu'à l'époque les modèles climatiques existaient déjà mais étaient encore préhistoriques si on les compare à ce que l'on peut avoir aujourd'hui à notre disposition. L'article continue comme suit :

The results, after corrections are made for some errors or inconsistencies in some of the earlier calculations, 13 turn out to converge on approximately the same conclusion. That is, an increase from the present 325 parts per million by volume (ppmv) of carbon dioxide to the 400 ppmv expected around the turn of this century will correspond to an average surface warming of about 1°C, and a doubling to around 650 ppmv will correspond to a warming of 2 to 3°C. The latter, as can be seen from Figure 2, could occur around 2050 A.D. if we continue on our present course. Furthermore, in the polar regions one would expect a warming some 3 to 5 times greater than the global average. 14
Les résultats, après correction de certaines erreurs ou incohérences dans certains des calculs précédents, convergent vers une conclusion à peu près identique. En d'autres termes, une augmentation de 325 parties par million en volume (ppmv) de dioxyde de carbone, actuellement, à 400 ppmv prévus au tournant de ce siècle, correspondra à un réchauffement moyen de la surface d'environ 1°C, et un doublement d'environ 650 ppmv correspondra à un réchauffement de 2 à 3°C. Ce dernier, comme le montre la figure 2, pourrait se produire vers 2050 si nous continuons sur notre lancée actuelle. En outre, dans les régions polaires, on s'attendrait à un réchauffement environ 3 à 5 fois plus important que la moyenne mondiale.

On voit ici des valeurs assez semblables à ce que l'on connait en 2020, les 1°C ont été atteints et le « réchauffement de 2 à 3°C [...] vers 2050 » n'est pas si absurde que cela. A noter que dans cet article la base de départ pour le doublement de la concentration en CO₂ est l'année 1978 alors qu'en principe, si je ne me trompe pas, aujourd'hui on prend plutôt la période préindustrielle quand cette concentration était de 280ppm.

Il me semble voir là une raison supplémentaire d'harmoniser la façon de représenter les choses, et la création du GIEC a été justement l'occasion pour les scientifiques de parler un langage commun.

L'article nous disait également, et cela a son importance, que la température n'était pas le seul facteur à prendre en compte pour envisager les risques futurs :

However, temperature is only one measure of the environment in which we live, and the wind patterns and regional rainfall trends will be of equal or even greater practical importance to agriculture, water resources, energy demand and so forth.
Toutefois, la température n'est qu'une mesure de l'environnement dans lequel nous vivons, et la configuration des vents et l'évolution des précipitations régionales auront une importance pratique égale, voire plus grande encore, pour l'agriculture, les ressources en eau, la demande énergétique, etc.

Cela faisait donc longtemps, bien longtemps avant la création du GIEC, que les scientifiques se préoccupaient des changements climatiques pouvant avoir une influence sur « l'agriculture, les ressources en eau, la demande énergétique ».

On remarquera également que dans cet article de 1978 c'est surtout de « changement climatique » dont on parlait à l'époque et non de « réchauffement climatique » ; on trouve 7 occurrences de « climate change » et seulement 3 pour « global warming », ce dernier concept étant employé pour des situations particulières puisqu'il n'est qu'une composante d'un changement global entrainant bien d'autres choses qu'une simple augmentation des températures ; par exemple une carte nous montre les régions du globe susceptibles de devenir plus sèches ou au contraire plus humides :

La période « altithermique »

Cette période dite « altithermale », qui s'appelle aujourd'hui l'optimum climatique de l'Holocène (ce qui montre au passage que les termes scientifiques évoluent dans le temps), était légèrement plus chaude que ce que nous connaissons actuellement, elle est donc un bon indicateur de ce à quoi nous devons nous attendre dans un futur très proche ; Wikipédia nous montre d'ailleurs ce graphique :

Reconstruction synthétique d'après plusieurs séries de données de la variation des températures durant l'Holocène. La période la plus récente est à droite, mais le réchauffement le plus récent ne figure pas sur le graphique (source Wikipédia)

Comme il est dit dans la légende la hausse récente des températures ne figure pas sur ce graphique...

William Kellogg se servait donc de données historiques pour imaginer ce que pourrait être l'avenir sur notre planète, un exercice couramment adopté aujourd'hui notamment par les paléoclimatologues.

Mais il est bien connu que l'Homme n'apprend jamais rien de l'Histoire et qu'il commet toujours les mêmes erreurs en y apportant simplement sa touche personnelle. Et quand il n'était même pas là quand les événements se sont produits ne demandez pas à des Godefridi ou des Bardinet de trop se poser de questions. C'est au-dessus de leurs forces.


PS - Cet article de 1978 a été récemment republié à l'occasion du 75ème anniversaire du Bulletin of the Atomic Scientists.


10 commentaires:

  1. L'optimum de l'Holocène "était légèrement plus chaud[e] que ce que nous connaissons actuellement". Avec une anomalie de +1.2°C par rapport à la référence pré-industrielle, nous sommes plutôt déjà au dessus de l'optimum d'environ 0.5°C.

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    1. Je me suis basé sur ce qui est écrit dans Wikipédia : « En termes de moyenne mondiale, la température est probablement plus élevée qu'actuellement (pondérée de la position en latitude et des variations saisonnières). »

      Cependant en cherchant d'autres sources je tombe sur https://www.lemonde.fr/blog/huet/2019/12/12/climat-une-mauvaise-nouvelle-de-6000-ans/ où il est écrit notamment : « à l’échelle planétaire, l’écart de température entre l’optimum Holocène et la période climatique d’avant la Révolution industrielle est très faible, car les tropiques ne montrent pas de réchauffement, elles sont mêmes plus froides. »

      Donc il semblerait effectivement que nous soyons légèrement au-dessus de l'optimum holocène, mais pouvez-vous me dire où vous avez trouvé cette valeur d'environ 0,5°C ?

      Chez Johan Lorck j'ai retrouvé ce commentaire (dans https://global-climat.com/2020/01/16/temperature-mondiale-mise-a-jour-du-bilan-2019/) : « En 2013,la température était censée être plus chaude qu’au moins 75% de l’Holocène. La hausse a été assez importante depuis 2013, donc cela n’a fait que renforcer ce constat. La comparaison reste cependant difficile en raison de la résolution des reconstructions. »

      J'ai l'impression qu'il y a quand même une petite incertitude sur les valeurs de cette période lointaine, quoi qu'il en soit avant la fin de ce siècle on peut être assurés que les températures globales seront bien supérieures à l'holocène, alors...

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  2. Voir par exemple cette étude récente :
    http://oceanrep.geomar.de/50582/1/s41467-020-18478-6.pdf

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    1. Merci Goupil pour le lien, cependant comment en arrivez-vous à déduire de cette étude que nous serions aujourd'hui environ 0,5°C au-dessus du maximum de l'optimum holocène...?

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  3. Selon les études, l'optimum, en terme de moyenne mondiale, se situe entre +0.5 et +1°C par rapport à la référence pré-industrielle. Nous sommes à +1.2°C actuellement. De mémoire, Johan Lorck a commencé à évoquer le dépassement possible de l'optimum Holocène dès 2015. Ha voilà, retrouvé : https://global-climat.com/2015/12/03/lannee-2015-est-elle-vraiment-si-chaude-au-regard-du-passe-lointain/

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    1. Johan reste très prudent, tant en 2015 qu'en 2019...

      En 2019 il écrivait « En 2013,la température était censée être plus chaude qu’au moins 75% de l’Holocène. La hausse a été assez importante depuis 2013, donc cela n’a fait que renforcer ce constat. La comparaison reste cependant difficile en raison de la résolution des reconstructions. » et en 2015 « il est difficile de situer le climat moyen de l’Holocène par rapport à l’époque moderne. »

      75% de l'holocène, cela laisse 25% de cette période qui pourrait avoir été aussi chaude voire plus qu'aujourd'hui, en fait on n'en sait rien tant les paléo-mesures sont imprécises.

      Ce qui est certain cependant c'est qu'au cours du 21ème siècle les températures atteindront des niveaux records pour l'holocène, et ça continuera durant le siècle d'après...

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  4. Oui, on peut pousser le raisonnement sur les incertitudes des reconstructions paléo-climatiques assez loin. Ainsi à +2°C (dans environ 20 ans donc),on pourra encore faire prévaloir la prudence scientifique et affirmer qu'on est encore dans l'épaisseur du trait de l'optimum Holocène. Circulez, rien à signaler. Pour mémoire, le mur contemporain du CO2 est tellement vertigineux qu'il tutoie le Miocène depuis son sommet. Bref, je me basais sur les valeurs médianes multi-proxies de l'Holocène pour mon estimation.

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    1. Nous sommes bien d'accord que nous sommes face à un mur que l'holocène n'a jamais vu (à ma connaissance)

      Et ce qui est important n'est pas de savoir si la température actuelle bat un record ou non durant cette période ; il y a plusieurs milliers d'années le monde vivant avait largement le temps de s'habituer aux changements de températures, de plus les températures vers lesquelles nous nous dirigeons n'auront aucun équivalent de « mémoire humaine » en plus de survenir excessivement rapidement.

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  5. Bonjour. Je me permets d'apporter une modeste contribution à ce très bon article. Dans un texte écrit en 1955 et intitulé "Can we survive technology?", le grand John Von Neumann écrit ceci : "The carbon dioxide released into the atmosphere by industry's burning of coal and oil-—more than half of it during the last generation—may have changed the atmosphere's composition sufficiently to account for a general warming of the world by about one degree Fahrenheit."

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    1. Merci Stef pour votre appréciation concernant mon billet, qui n'est lui aussi qu'une très modeste contribution de ma part !

      Ce texte de Von Neumann est paru effectivement en 1955 dans le magazine Fortune (https://fortune.com/2013/01/13/can-we-survive-technology/) mais il faut s'abonner pour pouvoir le consulter en entier.

      J'ai également trouvé d'autres liens mentionnant cet article qui semble être une sorte de texte fondateur non seulement pour le réchauffement climatique mais aussi et peut-être surtout pour la géoingénierie susceptible de le contrer si l'on en croit https://arizonaskywatch.com/article/articles/Can%20We%20Survive%20Technology.pdf : « ” It is undoubtedly the first significant mention of the SRM geoengineering thesis and arguably the first mention of the modern theory of man-made global warming »

      Déjà à l'époque, soit il y a une soixantaine d'années, Von Neumann se montrait « catastrophiste » : « man’s technological capabilities are stretching the Earth’s
      resources and [...] this, if unchecked, might lead to global catastrophe. »

      C'était réellement un visionnaire !

      Mais ce n'est pas tout, on apprend également que Von Neumann était loin d'être le seul à savoir que le climat changeait par la faute des activités humaines : « Johnny was not alone. Von Neumann and pretty much all of the other top Manhattan Project
      scientists were proponents of what they called ‘planetary engineering;’ analogous, of course, to today’s geoengineering. In essence, pretty much all of the other top Manhattan Project scientists were proponents of weather control. »

      Evidemment aujourd'hui on est un peu revenu sur la manipulation du climat qui présente des risques probablement aussi grands sinon plus que le changement climatique lui-même, mais l'important est de constater qu'il fut une époque où le consensus était de 100% !

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