jeudi 21 avril 2016

Les ingénieurs, responsables mais pas coupables

Nous sommes tous responsables de nos actions, qu'elles soient bénéfiques, maléfiques ou sans importance, mais la culpabilité est affaire soit de morale personnelle (à géométrie variable bien entendu) soit de législation; dans ce dernier cas c'est la loi qui précise le domaine de la culpabilité d'un individu en fonction de ses agissements, et là aussi, comme pour la morale, on trouve plusieurs interprétations de la loi comme il y a plusieurs lois en fonction des pays dans lesquels celles-ci s'appliquent.

On ne peut pas contester que les ingénieurs sont responsables, depuis toujours, d'un certain nombre de conséquences issues des technologies qu'ils ont permis de mettre en œuvre.

Ainsi, les ingénieurs qui ont développé les automobiles ont pour sûr favorisé un accroissement de la mortalité causée par les accidents de la route; pour autant le développement des transports a amené quantité d'avantages qui paraissent l'emporter sur les désagréments des morts supplémentaires qui ont pu en découler.

Difficile de faire la balance des pour et des contre, cependant on estime que les pour l'emportent nécessairement en concluant de manière naturelle et quasi automatique que "c'est le progrès".

On peut quand même être "pour le progrès" et pas forcément vouloir le progrès "à tout prix", mais il s'agit là d'une subtilité qui semble pourtant échapper à beaucoup de gens qui justifient le progrès dans toutes les circonstances, des gens qui, dans beaucoup de cas, sont...ingénieurs!

Le dernier billet du lapin est intéressant sur ce point, il montre un parallèle entre l'ingénierie et la science:

L'ingénierie

  • est une profession
  • les ingénieurs fournissent à des tiers une prestation rémunérée
  • le résultat de l'ingénierie est la propriété de ceux qui ont payé pour le service
  • l'ingénierie est une économie de marchandises (commodity economy)

La science

  • est une économie du don (gift economy)
  • en science ceux qui contribuent le plus sont ceux qui sont le plus valorisés
  • la science est caractérisée par l'échange et la confiance mutuels
On peut certes discuter de cette distinction entre ingénierie et science, et c'est ce que ne manque pas de faire un commentateur (climatosceptique, qui l'eut cru) qui "montre" que chaque caractéristique peut s'appliquer à l'une ou à l'autre, en conseillant de chercher sur Google "engineering science", soit la fusion des deux concepts, ce qui ne fait pas réellement avancer la question et ne sert, on s'en serait douté, qu'à jeter de la poudre aux yeux de ceux qui ont déjà la vue embrouillée.
Dans le dernier numéro de Sciences & Vie (n° 1184) un article sur l'amiante nous dit que "le problème ne fait que commencer", extraits:
  • Charge aux historiens d'étudier le rôle des lobbies industriels dans la mise en place tardive des bonnes règles de prévention face à ce matériau si particulier [...] le danger était connu depuis le début du XXe siècle! (son caractère cancérogène est connu depuis les années 50, et wikipedia indique que "les dangers de l'amiante [ont] été identifiés clairement dès les années 1890[11]")
  • En 2016 l'Hexagone est toujours envahi d'amiante.
  • C'est qu'à l'époque, les ingénieurs ne s'étaient pas contentés d'en faire des flocages destinés à la lutte anti-incendie [...] l'amiante fut, des années 1960 aux années 1990, incorporé dans des ciments [longue liste...] enrobés routiers...[...] Autant de matériaux sur lesquels la moindre intervention risque aujourd'hui de libérer un nuage de fibres délétères [...]
  • [L'amiante] est un puissant cancérigène sans seuil, c'est-à-dire que l'on ne peut pas définir une limite de concentration au-dessous de laquelle il n'y a pas de risque.
De deux choses l'une
  • soit les ingénieurs ne savaient pas que l'amiante est un matériau dangereux, dans ce cas ils étaient incompétents (au sens d'ignares)
  • soit les ingénieurs savaient que l'amiante est un matériau dangereux, dans ce cas ils étaient "achetés" par leur employeur
Chaque ingénieur concerné lisant ces lignes devra se situer dans l'un ou l'autre camp, à moins de me démontrer qu'il en existerait un troisième dont je n'aurais pas connaissance.






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