Aujourd'hui la tête au carré était consacrée au phénomène du bore-out.
Le bore-out est en quelque sorte tout le contraire du burnout, mais en fait c'est plus complexe que cela, du moins si j'en crois mon expérience personnelle, ayant moi-même expérimenté en peu de temps les deux pathologies...
Durant 22 années, de mi 1993 à mi 2015, j'ai été salarié cadre intermédiaire dans un grand groupe international (je ne citerai ni le nom, ni le domaine d'activité, ni la nationalité, sachant que ce qui m'est arrivé est pratiquement devenu la norme suite au phénomène de la mondialisation amplifié par les nouvelles technologies de l'information, internet en particulier)
Cette période de 22 années, je la scinde en deux parties quasiment égales:
Malheureusement tout cela s'écroula à partir de 2005 quand la première externalisation eut lieu.
En fait il y avait déjà eu quelques portions de l'entreprise qui avaient déjà été externalisées, notamment le service informatique "à la personne" (à distinguer de l'informatique des gros systèmes qui demeurait en local), et on avait pris l'habitude d'appeler un numéro quand on avait un problème de PC ou d'imprimante; d'abord on était en relation avec l'Irlande, ensuite ce fut un autre pays (que je ne me rappelle même plus) puis un autre pour enfin être dévolu à la Bulgarie. Le "service à la personne" avait à l'occasion subi de gros dégâts, mais on s'en accommodait peu ou prou, malgré la gêne occasionnée et la perte du contact humain dont on avait pris l'habitude pendant de nombreuses années; c'était "le progrès" nous disait-on, et on le croyait!
Là où les choses se gâtèrent carrément ce fut donc en 2005 quand l'externalisation d'une grande partie de mon service fut décidée (en fait la décision datait de plusieurs années auparavant, le groupe avait en la matière une vision à long terme...)
Les choses furent faites en peu de temps, il parait que nous étions efficaces dans la transmission des informations et modes de travail aux nouvelles équipes, mais ceux qui pensaient cela était bien sûr intéressés aux résultats de l'opération (ils avaient des "incentives") et il était hors de question de montrer à nos dirigeants (vous savez, ceux qui sont tout en haut de la montagne et qui regardent l'horizon avec leurs jumelles mais sont incapables de s'apercevoir qu'ils marchent dans la merde) que le transfert de notre activité était risqué étant donné que les délais étaient plutôt courts (l'opération commando des polonais(ses) débuta en août 2005 et il fallait être opérationnels en novembre) et que, de plus, le transfert des consignes n'était pas si parfait que cela, certaines des personnes chargées de les donner étant sur un siège éjectable et n'étant pas de ce fait particulièrement coopératives!
A ce propos j'ouvre une parenthèse concernant la gestion des projets: j'ai remarqué que souvent, quand quelqu'un de la base allumait un feu rouge sur un point particulier, ce feu passait à l'orange à l'étage intermédiaire pour finalement apparaître au vert dans les comptes-rendus produits "en haut lieu"; ne pas s'étonner ensuite des problèmes rencontrés par ceux qui récupèrent le bébé et qui sont toujours les mêmes: ceux "de la base"...en attendant, les "étages intermédiaires" ont empoché leurs bonus et les dirigeants peuvent lâcher leurs félicitations en toute impunité dans leurs lettres annuelles adressées au personnel. Je ferme la parenthèse.
Ce qui devait arriver arriva.
L'année 2006 fut horrible, notamment le début, car rien ne marchait évidemment comme prévu, et cela se traduisit par une charge de travail excessive du personnel resté sur place qui, de plus, était victime du syndrome du survivant organisationnel!
C'est en mars 2006 que je faillis faire mon premier et unique burnout, et la seule chose qui m'en empêcha fut que mon supérieur hiérarchique direct y succomba peu de temps avant moi (ou du moins avant que je n'aie la "possibilité" de le faire moi-même); tout d'un coup je me mis à relativiser et prendre du recul, au point que quelqu'un d'étranger qui n'aurait pas eu connaissance des conditions du moment aurait pu croire que "je me foutais de tout"!
Je suis donc passé à deux doigts du burnout, mais même si je ne l'ai pas véritablement expérimenté dans ma chair, le vent du boulet m'est passé suffisamment près pour que j'aie une vision assez claire de ce qu'il représentait.
Par la suite le service fut réorganisé, un nouveau chef de service arriva, l'externalisation continua de plus belle, et au final, durant les quatre à cinq dernières années de ma vie professionnelle, en gros de 2011 à 2015, du quasi burnout je suis passé au presque parfait bore-out de celui qui se retrouve à "superviser" des gens épars un peu partout sur la planète (j'exagère un peu, en fait la "planète" se limitait à la France, la Pologne et l'Inde), qui faisaient souvent n'importe quoi, d'ailleurs avec beaucoup de bonne volonté (ah la bonne volonté des gens peu ou mal formés qui essaient de bien faire mais que vous devez sans cesse reprendre en main), et qui occasionnaient à certaines personnes restées en local beaucoup plus de soucis que si elles avaient effectué le travail elles mêmes.
Mon âge "avancé" me procurait certains avantages par rapport aux "petits jeunes" qui prenaient tout le sale boulot, j'essayais de les motiver comme je le pouvais (en fait il s'agissait souvent davantage de consolation que de motivation, car ces jeunes n'étaient pas dupes de la situation et la motivation n'était clairement pas leur moteur) mais cela avait des limites et mon "travail" lui-même s'était tellement appauvri et dévalorisé que ma "motivation" n'avait pas les accents de sincérité nécessaires à une bonne application de la posologie sur les autres.
C'est ainsi que ma fin de carrière s'est effectuée sous un régime de bore-out plus ou moins léger, l'ennui étant trompé (escroqué?) par de fallacieuses occupations diverses qui pouvaient laisser penser à certaines personnes que j'étais très occupé, voire débordé par moments.
Je ne sais pas exactement, et ne saurai sans doute jamais, qui dans le service était conscient ou non de ma situation, mais un jour de fin 2014 me fut proposée une fin de contrat par consentement mutuel, encore appelée rupture conventionnelle, que nous devons (que je dois) à Nicolas Sarkozy. Je ne sais pas si c'était une bonne réforme de sa part, je laisse chacun en juger, mais pour moi ce fut la délivrance, tout cela aux frais de l'Unedic, enfin en partie car le délai de carence dans mon cas est de plus de sept mois (à la date d'aujourd'hui je ne suis toujours pas payé par Pôle Emploi, bien que mon contrat ait cessé fin juillet 2015)
Je suis donc en quelque sorte en pré-retraite financée par le régime d'assurance chômage, tout cela est légal et parfaitement voulu par la classe politique ainsi que par toutes les parties prenantes, puisqu'il est évident qu'à mon âge il est plus qu'illusoire de retrouver un travail salarié, qu'il soit équivalent ou non à mon dernier emploi. J'aurais bien sûr la possibilité de "créer mon entreprise" ou de "faire du consulting", mais honnêtement, quand quelqu'un est à deux doigts de prendre sa retraite après en avoir bavé pendant sa dernière décennie professionnelle, j'estime qu'il a bien mérité un peu de repos (d'ailleurs largement financé pendant près de quatre décennies en cotisations chômage dans mon cas)
La rupture conventionnelle est LA bonne solution pour les entreprises qui ne veulent pas se casser la tête avec les salariés dont elles désirent se débarrasser à plutôt bon compte. Du moment que le salarié n'est pas (trop) lésé dans l'affaire, que demande le peuple?
Le bore-out est en quelque sorte tout le contraire du burnout, mais en fait c'est plus complexe que cela, du moins si j'en crois mon expérience personnelle, ayant moi-même expérimenté en peu de temps les deux pathologies...
Durant 22 années, de mi 1993 à mi 2015, j'ai été salarié cadre intermédiaire dans un grand groupe international (je ne citerai ni le nom, ni le domaine d'activité, ni la nationalité, sachant que ce qui m'est arrivé est pratiquement devenu la norme suite au phénomène de la mondialisation amplifié par les nouvelles technologies de l'information, internet en particulier)
Cette période de 22 années, je la scinde en deux parties quasiment égales:
- de 1993 à 2005 : très forte activité dans le service dont j'avais la charge, entrainant une forte charge de travail, mais avec un sentiment de "faire quelque chose d'utile", car il s'agissait de nombreux projets liés
- à des acquisitions de sociétés
- à des améliorations du système informatique (passage à SAP, changements de version, mise en place d'outils de messagerie et de partage de l'information, etc)
- passage à l'an 2000 (1 an à travailler dessus...)
- passage à l'euro (idem que pour l'an 2000...)
- de 2005 à 2015 : activité en baisse dans le service, mais de nature différente, et pour cause!
- en 2005 externalisation en Pologne, à Cracovie (chez Capgemini), d'une partie du service dont j'avais la charge, avec reclassement du personnel et licenciements pour ceux qui ne pouvaient pas "suivre"
- en 2011 externalisation en Inde, à Bangalore (toujours chez Capgemini), de pratiquement tout ce qui restait effectué en local, avec également transfert de ce qui avait été externalisé en 2005 en Pologne; quasiment tout se retrouvait en Inde (seules restaient en Pologne quelques personnes parlant le français afin d'être capables de communiquer avec notre personnel n'ayant pas une connaissance suffisante de l'anglais...)
Malheureusement tout cela s'écroula à partir de 2005 quand la première externalisation eut lieu.
En fait il y avait déjà eu quelques portions de l'entreprise qui avaient déjà été externalisées, notamment le service informatique "à la personne" (à distinguer de l'informatique des gros systèmes qui demeurait en local), et on avait pris l'habitude d'appeler un numéro quand on avait un problème de PC ou d'imprimante; d'abord on était en relation avec l'Irlande, ensuite ce fut un autre pays (que je ne me rappelle même plus) puis un autre pour enfin être dévolu à la Bulgarie. Le "service à la personne" avait à l'occasion subi de gros dégâts, mais on s'en accommodait peu ou prou, malgré la gêne occasionnée et la perte du contact humain dont on avait pris l'habitude pendant de nombreuses années; c'était "le progrès" nous disait-on, et on le croyait!
Là où les choses se gâtèrent carrément ce fut donc en 2005 quand l'externalisation d'une grande partie de mon service fut décidée (en fait la décision datait de plusieurs années auparavant, le groupe avait en la matière une vision à long terme...)
Les choses furent faites en peu de temps, il parait que nous étions efficaces dans la transmission des informations et modes de travail aux nouvelles équipes, mais ceux qui pensaient cela était bien sûr intéressés aux résultats de l'opération (ils avaient des "incentives") et il était hors de question de montrer à nos dirigeants (vous savez, ceux qui sont tout en haut de la montagne et qui regardent l'horizon avec leurs jumelles mais sont incapables de s'apercevoir qu'ils marchent dans la merde) que le transfert de notre activité était risqué étant donné que les délais étaient plutôt courts (l'opération commando des polonais(ses) débuta en août 2005 et il fallait être opérationnels en novembre) et que, de plus, le transfert des consignes n'était pas si parfait que cela, certaines des personnes chargées de les donner étant sur un siège éjectable et n'étant pas de ce fait particulièrement coopératives!
A ce propos j'ouvre une parenthèse concernant la gestion des projets: j'ai remarqué que souvent, quand quelqu'un de la base allumait un feu rouge sur un point particulier, ce feu passait à l'orange à l'étage intermédiaire pour finalement apparaître au vert dans les comptes-rendus produits "en haut lieu"; ne pas s'étonner ensuite des problèmes rencontrés par ceux qui récupèrent le bébé et qui sont toujours les mêmes: ceux "de la base"...en attendant, les "étages intermédiaires" ont empoché leurs bonus et les dirigeants peuvent lâcher leurs félicitations en toute impunité dans leurs lettres annuelles adressées au personnel. Je ferme la parenthèse.
Ce qui devait arriver arriva.
L'année 2006 fut horrible, notamment le début, car rien ne marchait évidemment comme prévu, et cela se traduisit par une charge de travail excessive du personnel resté sur place qui, de plus, était victime du syndrome du survivant organisationnel!
C'est en mars 2006 que je faillis faire mon premier et unique burnout, et la seule chose qui m'en empêcha fut que mon supérieur hiérarchique direct y succomba peu de temps avant moi (ou du moins avant que je n'aie la "possibilité" de le faire moi-même); tout d'un coup je me mis à relativiser et prendre du recul, au point que quelqu'un d'étranger qui n'aurait pas eu connaissance des conditions du moment aurait pu croire que "je me foutais de tout"!
Je suis donc passé à deux doigts du burnout, mais même si je ne l'ai pas véritablement expérimenté dans ma chair, le vent du boulet m'est passé suffisamment près pour que j'aie une vision assez claire de ce qu'il représentait.
Par la suite le service fut réorganisé, un nouveau chef de service arriva, l'externalisation continua de plus belle, et au final, durant les quatre à cinq dernières années de ma vie professionnelle, en gros de 2011 à 2015, du quasi burnout je suis passé au presque parfait bore-out de celui qui se retrouve à "superviser" des gens épars un peu partout sur la planète (j'exagère un peu, en fait la "planète" se limitait à la France, la Pologne et l'Inde), qui faisaient souvent n'importe quoi, d'ailleurs avec beaucoup de bonne volonté (ah la bonne volonté des gens peu ou mal formés qui essaient de bien faire mais que vous devez sans cesse reprendre en main), et qui occasionnaient à certaines personnes restées en local beaucoup plus de soucis que si elles avaient effectué le travail elles mêmes.
Mon âge "avancé" me procurait certains avantages par rapport aux "petits jeunes" qui prenaient tout le sale boulot, j'essayais de les motiver comme je le pouvais (en fait il s'agissait souvent davantage de consolation que de motivation, car ces jeunes n'étaient pas dupes de la situation et la motivation n'était clairement pas leur moteur) mais cela avait des limites et mon "travail" lui-même s'était tellement appauvri et dévalorisé que ma "motivation" n'avait pas les accents de sincérité nécessaires à une bonne application de la posologie sur les autres.
C'est ainsi que ma fin de carrière s'est effectuée sous un régime de bore-out plus ou moins léger, l'ennui étant trompé (escroqué?) par de fallacieuses occupations diverses qui pouvaient laisser penser à certaines personnes que j'étais très occupé, voire débordé par moments.
Je ne sais pas exactement, et ne saurai sans doute jamais, qui dans le service était conscient ou non de ma situation, mais un jour de fin 2014 me fut proposée une fin de contrat par consentement mutuel, encore appelée rupture conventionnelle, que nous devons (que je dois) à Nicolas Sarkozy. Je ne sais pas si c'était une bonne réforme de sa part, je laisse chacun en juger, mais pour moi ce fut la délivrance, tout cela aux frais de l'Unedic, enfin en partie car le délai de carence dans mon cas est de plus de sept mois (à la date d'aujourd'hui je ne suis toujours pas payé par Pôle Emploi, bien que mon contrat ait cessé fin juillet 2015)
Je suis donc en quelque sorte en pré-retraite financée par le régime d'assurance chômage, tout cela est légal et parfaitement voulu par la classe politique ainsi que par toutes les parties prenantes, puisqu'il est évident qu'à mon âge il est plus qu'illusoire de retrouver un travail salarié, qu'il soit équivalent ou non à mon dernier emploi. J'aurais bien sûr la possibilité de "créer mon entreprise" ou de "faire du consulting", mais honnêtement, quand quelqu'un est à deux doigts de prendre sa retraite après en avoir bavé pendant sa dernière décennie professionnelle, j'estime qu'il a bien mérité un peu de repos (d'ailleurs largement financé pendant près de quatre décennies en cotisations chômage dans mon cas)
La rupture conventionnelle est LA bonne solution pour les entreprises qui ne veulent pas se casser la tête avec les salariés dont elles désirent se débarrasser à plutôt bon compte. Du moment que le salarié n'est pas (trop) lésé dans l'affaire, que demande le peuple?
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