lundi 4 novembre 2019

Roy Spencer est-il équilibré ?

Tout le monde connait Roy Spencer, le créationniste en chef qui est d'avis que Dieu est le seul à la manœuvre dans le changement climatique puisqu'il est le grand ordonnateur de toutes choses ici-bas.

Dans Does the Climate System Have a Preferred Average State? Chaos and the Forcing-Feedback Paradigm (Le système climatique a-t-il un état moyen préféré ? Le chaos et le paradigme de la rétroaction forcée) il se pose la question de savoir si son dieu permet au climat de trouver un équilibre dans un univers régi par le chaos :
I’d like to address the question of whether there really is an average state that the climate system is constantly re-adjusting itself toward, even if it is constantly nudged in different directions by the sun.
J'aimerais aborder la question de savoir s'il existe vraiment un état moyen vers lequel le système climatique se réajuste constamment, même s'il est constamment poussé dans différentes directions par le soleil.
On remarquera que sa question inclut le rôle du soleil mais pas du CO₂ d'origine anthropique, faut pas pousser Dieu le père dans les orties quand même !

Bref il se demande, si j'ai bien compris son raisonnement, s'il existe une telle chose que le forçage radiatif, de quelque nature qu'il soit mais de préférence de la part du soleil si ce concept a une quelconque réalité.

Et il pose dans la foulée ce que cela  signifie :
If there is such a preferred average state, then the forcing-feedback paradigm of climate change is valid.
S'il existe un tel état moyen préféré, alors le paradigme de la rétroaction forcée du changement climatique est valide.
Je ne suis pas sûr de bien comprendre ce qu'il tente d'expliquer à ses lecteurs ; tout d'abord j'ai pensé qu'il acceptait donc explicitement de se représenter l'idée qu'il puisse ne pas y avoir de forçage radiatif et donc que dans ce cas ce qu'il appelle le « paradigme de la rétroaction forcée du changement climatique » serait invalidée ; en effet, si on raisonne en se disant que le système climatique tendrait vers un équilibre naturel au fil du temps mais que dans la réalité on constaterait qu'il ne parviendrait pas à cet équilibre divin, alors cela voudrait dire que nous les hommes serions responsables du déséquilibre ainsi constaté, quelque chose de totalement impensable pour un spencérien qui se respecte !

Mais à la relecture il me semble plutôt comprendre que son « paradigme de la rétroaction forcée du changement climatique » est ce qui ferait que le système climatique atteindrait cet équilibre naturellement, sans aucune intervention humaine...Il écrit en effet ceci qui « clarifie » un tantinet son élucubration du jour :
In that system of thought, any departure of the global average temperature from the Nature-preferred state is resisted by radiative “feedback”, that is, changes in the radiative energy balance of the Earth in response to the too-warm or too-cool conditions. Those radiative changes would constantly be pushing the system back to its preferred temperature state.
Dans ce système de pensée, tout écart de la température moyenne globale par rapport à l'état préféré de la nature est empêché par le "feedback" radiatif, c'est-à-dire les changements du bilan énergétique radiatif de la Terre en réponse à des conditions trop chaudes ou trop froides. Ces changements radiatifs ramèneraient constamment le système à son état de température préféré.
Dans cette dernière phrase on comprend que le « feedback » (ou rétroaction) radiatif permettrait à la nature de garder son équilibre et que par conséquent le système climatique, grâce aux « rétroactions forcées » (ma traduction de forcing-feedback que DeepL traduit également par forçage de rétroaction ou forçage en retour ainsi que de bien d'autres expressions), parviendrait ainsi à trouver un équilibre naturel.

Comme je ne suis pas sûr et certain de mon interprétation de la prose de quelqu'un que je sais être une personne bien orientée idéologiquement (i.e. religieusement et politiquement) je demande à tout un chacun de me dire si vous avez de votre côté compris différemment, et je ne vous en voudrais pas si vous divergez de ma compréhension de ce que Spencer a bien pu vouloir dire avec ses circonvolutions !

Il enchaine en précisant son point de vue personnel sur la question :
I am of the opinion that the F-F paradigm does indeed apply for at least year-to-year fluctuations, because phase space diagrams of the co-variations between temperature and radiative flux look just like what we would expect from a F-F perspective. I touched on this in yesterday’s post.

Where the F-F paradigm might be inapplicable is in the context of long-term climate changes which are the result of internal fluctuations.
Je suis d'avis que le paradigme F-F s'applique effectivement aux fluctuations d'une année à l'autre, car les diagrammes spatiaux de phase des co-variations entre la température et le flux radiatif ressemblent exactement à ce que l'on pourrait attendre dans une perspective F-F. J'en ai parlé dans le post d'hier.

Là où le paradigme F-F pourrait être inapplicable, c'est dans le contexte des changements climatiques à long terme qui sont le résultat de fluctuations internes.
Je dois avouer que je suis un peu (euphémisme) perdu dans toutes ces considérations, surtout venant d'un climato « sceptique » avéré qui s'échine à vouloir prouver à tout prix que les températures n'augmentent pas tant que ça, en tout cas moins que ce que dit son concurrent RSS qui pourtant exploite exactement les mêmes données en provenance des satellites mais les traite différemment, et qui également veut nous convaincre que la part de CO₂ anthropique dans l'air est insignifiante et ne présente aucun danger pour l'avenir de notre civilisation bénie des dieux, pardon, bénie de Dieu !

Alors pour me sortir de cette ornière je me retourne vers des choses plus simples à comprendre, comme par exemple ce graphique montrant les températures depuis très très longtemps :
D'après François Gervais - L'urgence climatique est un leurre (voir François Gervais passé à la moulinette de François-Marie Bréon)
Ce schéma est tiré de la célèbre vidéo de François Gervais, par conséquent on peut lui faire confiance, n'est-ce pas ? (oui c'est ironique, vous avez bien compris)

Et que constate-t-on ? On constate que dans les temps anciens (ici jusqu'à 600 millions d'années en arrière) le CO₂ et la température avaient tendance à faire le yoyo avec de grandes variations, puisque le CO₂ a pu varier de 7 000 ppm à son maximum jusqu'aux 280 ppm qu'on lui connait de l'ère préindustrielle, alors que la température a évolué dans le même temps dans une fourchette d'une dizaine de degrés Celsius.

Dans mon vieux billet intitulé Frédéric Decker contaminé par Hacène Arezki ? je montrais ce graphique de la température moyenne globale :

Évolution des températures moyennes globales depuis 500 millions d'années (source Histoire du climat avant 1850)

Là-aussi nous voyons de grandes variations de températures dans le lointain passé, mais nous voyons aussi plus précisément que dans le graphique sommaire de Gervais que plus nous nous approchons du temps présent et plus les températures ont eu tendance...à trouver leur équilibre, du moins jusqu'au milieu du 19ème siècle !

Mais si vous regardez attentivement vous remarquez tout à fait à droite, marquées avec des ronds rouges sur la barre verticale des ordonnées, les températures prévues en 2050 et 2100 ; de toute évidence il y a pour cette période du proche futur (2100 c'est demain, les enfants d'aujourd'hui seront pour beaucoup d'entre eux toujours vivants à cette date) une brusque rupture de l'équilibre « patiemment » construit par dame Nature essentiellement durant les 10 000 dernières années, celles qui ont justement vu l'éclosion de ce que l'on appelle la civilisation humaine avec le passage du statut de chasseur-cueilleur à celui d'agriculteur-éleveur conquérant de territoires sur lesquels installer sa domination sur plus faible que lui.

On peut même aller beaucoup plus loin dans le passé afin de se rendre compte que l'état d'équilibre a mis un sacré bout de temps à s'installer sur Terre ; dans CO₂ et températures pour les nuls je montrais ce graphique :
Graphique issu du site climatonégateur iceagenow avec la mention dans le cadre noir des 800 000 dernières années (approximativement)

D'après ce graphique il y a 4,6 milliards d'années, soit peu après la création de la Terre, l'écart entre température et CO2 était maximal, mais s'est réduit très progressivement avec de très nombreux soubresauts dus à divers phénomènes que je ne détaillerai pas ici (voir Voyage à travers les climats de la Terre de Gilles Ramstein) car ce n'est pas le sujet ; mais nous voyons que durant les 800 000 dernières années le CO₂ et la température moyenne de la Terre ont plutôt été en harmonie, toutefois en continuant à se chercher comme l'ont montré les carottes de glace de l'Antarctique rapportées par Claude Lorius et analysées par Jean Jouzel :
Analyse d’une carotte de glace du site Vostok (Antarctique) Source : Petit & al. Nature, 399, juin 1999 (tiré du site conferences-climat-energie.ch)

Ainsi petit à petit il y a bien un équilibre naturel qui s'est constitué après de très nombreux mouvements de balancier, un peu comme un pendule qui oscille fortement au début puis finit par s'arrêter au bout d'un certain temps.

Est-ce que cet équilibre aurait duré « pour toujours » sans intervention humaine, à mon avis c'est peu probable si l'on tient compte du fait que de toute façon notre planète court à sa perte, elle sera tôt ou tard mangée par le Soleil et entre-temps il peut se passer énormément de choses ; cependant on ne peut que constater que depuis 10 000 ans, je le répète, le climat de la Terre semblait avoir atteint un équilibre quasi-parfait, avec de légers hoquets faisant varier sa température d'environ une paire de degrés au maximum, générant ainsi quelques périodes un peu plus froides ou un peu plus chaudes que la « normale » sans que cela ne mette vraiment en péril le genre humain.

Alors je laisse les réflexions de Roy Spencer me passer un peu au-dessus de la tête, surtout quand il se lance dans les concepts de « conditions initiales » et « conditions aux limites » en tenant pour acquis que dans le long terme le chaos finit toujours par s'imposer, il écrit par exemple :
But what if the climate system undergoes its own, substantial chaotic changes on long time scales, say 100 to 1,000 years?
Mais que se passerait-il si le système climatique subissait ses propres changements chaotiques importants sur de longues périodes, disons de 100 à 1 000 ans ?
On sent bien que Spencer ne croit pas aux conditions aux limites (boundary conditions) et notamment au forçage radiatif dû au CO₂ anthropique, pour lui le chaos naturel, ou plutôt divin, est seul à la manœuvre, autrement il ne poserait pas ce genre de question qui montre sa conception des choses.

Pour terminer sur ce thème des conditions initiales et aux limites je renvoie à mon billet intitulé Conditions initiales et conditions aux limites dans lequel Christophe Cassou expliquait tout cela, en montrant notamment ceci, entre autres graphiques :
Distinction entre météo et climat (tiré de Conditions initiales et conditions aux limites, la source originelle n'étant plus accessible)

Ce qui nous fait penser tout simplement que Roy Spencer ne sait pas faire la différence entre la météo et le climat !

Alors pour bien se représenter vers quoi nous nous dirigeons, à savoir une brusque rupture d'équilibre, regardons vers le proche futur en ayant toujours à l'oeil le passé récent afin de nous rendre compte de ce que cela signifie :
Temporal evolution of CO2 and climate forcing (source Future climate forcing potentially without precedent in the last 420 million years, tiré de Bientôt le climat le plus chaud depuis un demi milliard d'années…)

Dans les scénarios médians (les RCP4.5 et 6) la projection de température (dans le graphique du bas il s'agit de watts par mètre carré) nous amène bien au-delà de ce que nous avons pu connaitre depuis...20 millions d'années, une paille !

Donc en définitive pas la peine de se farcir le long laïus de Roy Spencer qui est probablement destiné à rendre ses lecteurs encore plus confus que ce qu'ils sont déjà, mission accomplie avec à ce jour près de 130 commentaires pour couper les cheveux en quatre, avec celui-ci que l'on peut considérer comme une petite perle (d'inculture bien sûr) :
Stephen P Anderson says:
November 1, 2019 at 6:41 AM
We don’t have a warming problem-we have a cooling problem.
Tout est dit, pas la peine d'en rajouter.


2 commentaires:

  1. C'est la saison des champignons, mais pour éviter la pensée magique, il vaut mieux les sélectionner avec soin. J'aurais traduit son forcing-feedback par rappel de forçage puisqu'il évoque de mystérieuses forces de rappel out of nowhere qui ramèneraient le climat dans un équilibre divin. Je ne suis pas étonné que plus personne de sérieux n'utilise les données d'UAH (correction empirique des données satellitaires contrairement à RSS oy ERA5 par exemple qui utilisent un modèle numérique).

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    1. Rappel de forçage, pourquoi pas, même si DeepL ne propose pas cette traduction, après tout on peut tout imaginer tellement son discours est alambiqué.

      Effectivement seuls les climatosceptiques persistent à privilégier les données UAH, donc oui vous avez raison, plus personne de sérieux ne les utilise !

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