Le
numéro spécial de l'Express consacré au climat donne la parole à
Emmanuel Le Roy Ladurie.
Avant toute chose et pour avoir une vision globale de l'histoire de notre planète terre depuis quelques 500 millions d'années, voici un
tableau dans lequel on peut comparer la température moyenne, les teneurs en CO2 de l'atmosphère, les fluctuations du niveau des mers et, entre autres, l'importance de la biodiversité :
Ce que l'on peut déjà constater à partir de ce tableau sans avoir à y passer beaucoup de temps c'est que
- la température moyenne pendant cette période n'a évolué que dans une fourchette de seulement 10 degrés (d'environ 15° à 25°)
- les concentrations en CO2 de l'atmosphère étaient les plus importantes il y a 440-500 millions d'années (mais à cette époque le soleil chauffait beaucoup moins qu'aujourd'hui...)
- pour les 400 millions dernières années on peut voir une assez nette corrélation entre niveaux de CO2 dans l'atmosphère et températures (les fortes températures correspondent à un niveau de CO2 élevé, et réciproquement, les plus basses températures correspondent à un niveau de CO2 lui-même bas)
- le niveau des océans aurait évolué dans une fourchette de près de 600 mètres (de -150 mètres il y a environ 10 millions d'années à +450 mètres à plusieurs reprises pendant la période considérée)
- la biodiversité a enregistré de brusques ruptures dues à différents facteurs (le plus connu par le grand public étant l'extinction des dinosaures il y a 65 millions d'années causée très probablement par la chute d'une météorite géante)
On peut donc déjà prendre conscience que les écarts de températures sont extrêmement faibles en comparaison par exemple du niveau des océans (10° versus 600 mètres d'amplitude...)
Par ailleurs, on peut aussi réaliser que les changements climatiques historiques (avant que l'homme ne mette son grain de sel) ont eu lieu dans des espaces de temps se comptant en millions d'années...
Chacun comprendra que les mers ne montent pas subitement, et même en n'étant pas scientifique on peut facilement s'imaginer qu'il y a une forte inertie due à l'importance des masses en jeu (l'
Antarctique, par exemple, c'est 14 millions de kilomètres carrés sur une épaisseur moyenne de 1,6 kilomètres de glaces fortement compactées qui ne vont pas fondre du jour au lendemain même si la température moyenne de la terre se mettait à grimper d'une dizaine de degrés; il fera toujours très froid sous ces latitudes...)
Mais ce dont on peut être sûr, c'est que si on titille suffisamment le système climatique, alors ce ne sera qu'une question de temps pour obtenir des effets catastrophiques à l'échelle humaine (la terre, elle, se remettrait d'une montée des eaux de plusieurs centaines de mètres, elle a déjà connu...)
Un autre
graphique montre des fluctuations différentes du niveau des océans
En prenant en considération la courbe Exxon on arrive quand même à une amplitude d'environ -50 mètres à +250 mètres soit 300 mètres, donc une fourchette inférieure de 300 mètres à celle du premier graphique; 300 mètres ou 600 mètres, pour une amplitude de 10° des températures, cela ne fait pas grande différence par rapport à notre condition humaine...
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Maintenant venons-en à l'entretien d'Emmanuel Le Roy Ladurie dans l'Express et examinons ce qu'il a à nous dire sur notre passé climatique.
La première question du journaliste interroge l'historien sur son sentiment en tant que citoyen face au réchauffement (climatique), voici sa réponse :
- Il y aura toujours des climatosceptiques, mais il n'y a pas besoin d'être un grand savant pour constater la réalité du réchauffement, même si nous connaitrons peut-être encore quelques hivers très rudes.
Et il est vrai qu'un hiver très rude, pour un climatosceptique, est la preuve qu'il n'y a pas de réchauffement...
- 2014, malgré un été plutôt frais, aura été l'une des années les plus chaudes [...] beaucoup de gens l'ont compris, mais [...] ils préfèrent l'ignorer. Ils ont tort, car les famines et les événements politiques, économiques ou sociaux qui les ont parfois accompagnées sont souvent dus à la combinaison de guerres et de mauvaises récoltes. Oui, le climat peut bousculer nos destins.
On le voit très souvent, les climatosceptiques refusent d'assigner une responsabilité au climat en matière par exemple de migrations de masse, prétendant qu'il s'agit uniquement de géopolitique (les gens partiraient uniquement à cause de la guerre) alors que les guerres peuvent parfois être déclenchées par des événement climatiques comme le passé l'a prouvé.
A la question du journaliste "Comment connaît-on le climat du passé?", Le Roy Ladurie répond :
- D'abord grâce aux séries thermodynamiques.[...] Daniel Rousseau a élaboré la série française, qui remonte jusqu'en 1658; c'est la plus ancienne du monde.
Comme je suis curieux et ne connaissant pas ce Daniel Rousseau, j'ai fait une rapide recherche qui m'a amené sur ce
lien ; évidemment les températures en question sont très locales, mais elles ont leur utilité; je mentionnerai seulement ce passage (le surlignage est de mon fait) :
- L’examen conjoint de ces deux séries et des séries phénologiques concernant la date des vendanges permet de mettre en évidence les caractéristiques du climat du nord de l’Europe, avec notamment des fluctuations pluridécennales autour d’une valeur moyenne stable jusqu’au début du XXe siècle, puis superposées à une tendance marquée au réchauffement par la suite.
Reprenons la réponse de Le Roy Ladurie à la question du journaliste :
- La deuxième source, ce sont les dates des vendanges.
- Et puis il y a les glaciers. Ceux des Alpes sont des sources remarquables, puisque les archives communales ou épiscopales attestent leur avancée ou leur recul. Grâce au glacier d'Aletsch, en Suisse, nous avons une idée du climat en Europe occidentale à partir de 1500 avant Jésus-Christ.
Nous avons donc quelques sources, certes fragmentaires mais dignes de confiance, remontant jusqu'à il y a 3500 ans!
Le journaliste demande alors "quelles sont les grandes tendances, particulièrement en Europe?"
- Jamais, depuis au moins trois mille cinq cents ans, nous n'avons connu un réchauffement de cette ampleur.
- [...] si l'avenir confirme les prévisions d'une augmentation des températures de 2 degrés, [...] il faut comprendre que cela entrainera une modification importante du climat.
A noter que les 2 degrés en question (qui étaient l'objectif assigné par les hommes politiques qui se référaient aux
différents scénarios du GIEC et avaient choisi le RCP2.6 dont la "réalisation implique [...] l'intégration des effets de politiques de réduction des émissions susceptibles de limiter le réchauffement planétaire à 2°C") seront très certainement dépassés ; on s'achemine plutôt vers 4 à 6 degrés d'augmentation minimum...
Par ailleurs Le Roy Ladurie parle à tort de "prévision" alors qu'il aurait dû employer le terme de "projection"; une
prévision est ce qui devrait arriver en fonction des éléments que l'on connaît à l'instant où l'on établit la prévision; alors qu'une
projection est ce qui est susceptible d'arriver en fonction d'hypothèses que l'on réunit pour former un scénario : en fonction des hypothèses prises en compte on a plusieurs scénarios, donc plusieurs projections.
Les climatosceptiques adorent mélanger prévisions et projections afin de déconsidérer les travaux du GIEC, passant sous silence les hypothèses prises en considération qui ne sont pas forcément en accord avec la réalité.
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Je laisse à chacun le soin de continuer et approfondir la lecture de l'entretien avec Emmanuelle Le Roy Ladurie en achetant éventuellement le numéro spécial de l'Express (6,90 euros, c'est beaucoup moins cher que le torchon de
Verdier et beaucoup plus enrichissant) ou en se procurant l'un de ses
ouvrages.
Il est à noter que les climatosceptiques citent souvent Le Roy Ladurie pour lui faire dire que "les températures ont toujours changé, même avant l'avènement de l'ère industrielle", ce qui à mon sens est peut-être le plus stupide des arguments contre le réchauffement climatique anthropique (RCA)!
On pourrait leur répondre "il y a toujours eu des feux de forêts même avant l'apparition de l'homme sur la terre, donc l'homme ne peut pas être responsable des feux de forêts!"
Ou alors les orienter vers ce numéro de l'Express dans lequel l'historien dit clairement dans quel camp il se situe.